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Vie de saint Dominique (1174-1221) par Fr Manuel RIVERO O.P.

La bienheureuse Jeanne d’Aza, mère de saint Dominique

Saint Dominique est né en Espagne, à Caleruega, en terre de Castille vers 1174, diocèse d’Osma, aujourd’hui province de Burgos.
Son père s’appelait Félix, homme religieux et droit. Jeanne d’Aza, femme de prière, s’était rendue en pèlerinage au monastère bénédictin de Saint- Dominique de Silos à une vingtaine de kilomètres de Caleruega pour confier au Seigneur son fils Dominique. Son prénom est à relier à celui du saint abbé bénédictin Dominique de Silos (1000-1073).

Enceinte de Dominique, sa mère Jeanne fit un rêve étrange. Elle portait un jeune chien qui tenait dans sa gueule une torche qui enflammait le monde. Image du défenseur de l’Église qui par le feu de la Parole de Jésus ressuscité transformerait les coeurs tristes en coeurs brûlants (cf. Lc 24, 32).

 

La miséricorde de Jeanne d’Aza, mère de saint Dominique

Femme de miséricorde, Jeanne transmettra à son fils Dominique l’amour des pauvres et des affligés. Alors que la pénurie frappait la Castille, la mère de Dominique eut compassion des malheureux auxquels elle servit le vin gardé soigneusement dans un tonneau de la maison. Redoutant la réaction de son mari, elle pria le Seigneur : « Seigneur Jésus-Christ, bien que je ne sois pas digne d’être exaucée pour mes mérites, exauce-moi à cause de ton serviteur, mon fils, que j’ai consacré à ton service. » Et voici que le tonneau fut rempli à nouveau d’un excellent vin. Jeanne s’empressa de le servir à son mari et à ses amis dans l’admiration générale.
Jeanne eut trois fils, Antoine, Manès et Dominique. Les deux aînés, devenus prêtres, seraient nés d’un premier mariage. Manès entra dans l’Ordre fondé par son frère Dominique.

 

L’éducation de saint Dominique

L’éducation de Dominique fut confiée à son oncle maternel, archiprêtre, dès l’âge de sept ans2. Il apprit ainsi la lecture, l’écriture sur des tablettes de cire, le calcul et la grammaire.
Son oncle l’initia surtout à la langue latine et à déchiffrer les Psaumes dans le cadre fervent de la prière liturgique. L’âme de Dominique fut ainsi imprégnée dès son enfance du parfum du Christ.
Les veillées d’adoration la nuit et l’amour du chant sacré de saint Dominique au cours de sa vie apostolique n’ont-ils pas trouvé de bonnes racines dans cette première initiation spirituelle ?
Aujourd’hui encore l’Église constate qu’un grand nombre de vocations presbytérales a fait l’expérience intense de la présence de Dieu en servant l’autel comme servants de messe. Joie de servir Dieu !

 

Saint Dominique à Palencia

Vers l’âge de quatorze ans, Dominique commence l’étude des arts libéraux au Chapitre de la cathédrale de Palencia : le trivium (grammaire, rhétorique et logique) et quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie).
C’est à Palencia que l’on verra naître la première université espagnole (1208-1214).

Au bout de cinq années, Dominique se tourna avidement vers les Saintes Écritures qu’il approfondit de 1193 à 1197, de l’âge de 19 ans à 23 ans ; la lectio divina occupant une grande place dans sa vie.

Un choc émotionnel allait alors frapper le jeune Dominique. Une cruelle famine sévit à Palencia. Dominique agit selon la miséricorde notamment apprise au contact de sa mère. Il vendit ses livres dont il avait pourtant besoin : « Je ne veux pas étudier sur des peaux mortes lorsque des hommes meurent de faim. » Il manifesta aussi son sens de l’organisation en créant une institution pour l‘accueil des pauvres, malades et pèlerins.

 

Chanoine à Osma (Castille)

Arrivé comme chanoine du Chapitre de la cathédrale d’Osma vers 1197, Dominique va y vivre la règle de saint Augustin, trésor de sagesse pour avancer dans la vie religieuse par la mise en commun des biens, qui deviendra par la suite le socle des Constitutions de l’Ordre des prêcheurs, suivant la demande du pape Innocent III faite à saint Dominique en 1215, dans le souci de fonder les nouveaux ordres religieux sur des règles de vie religieuse déjà approuvées.

Arrivés de France, des moines remarquables par leur sainteté et leur savoir devinrent évêques d’Osma, dont saint Pierre de Bourges (1101-1109), actuel patron du diocèse. Mobilité européenne qui ouvrira l’esprit de saint Dominique à la mission universelle.

Sous-prieur du Chapitre de la cathédrale, Dominique bénéficie de l’empreinte d’un grand prieur, Diègue d’Acébès, nommé plus tard évêque du diocèse (1201-1208).

À Osma, Dominique étudie aussi les Conférences des Pères du désert de Jean Cassien (+435). À vingt-cinq ans, il est ordonné prêtre.

 

Saint Dominique à Montpellier en 1206

De retour d’un deuxième voyage au Danemark, l’évêque Diègue choisit de passer par Rome, où il expose au pape Innocent III la situation du diocèse d’Osma et son désir de renoncer à sa charge épiscopale de manière à se rendre libre pour prêcher aux cathares dans le Midi de la France. Mais le pape n’accepte pas sa démission.

Sur le chemin vers la Castille, à Montpellier, Diègue et Dominique rencontrent des légats du pape et d’autres ecclésiastiques, auxquels ils proposent de changer de mentalité et de méthode pour prêcher dans la pauvreté volontaire à la manière des apôtres, afin d’éviter ainsi les critiques des cathares.

À Servian, près de Béziers, Diègue et Dominique vivent un débat contradictoire avec les cathares à partir des citations du Nouveau Testament. Dans l’église de Servian, une plaque rappelle cette prédication de saint Dominique au mois de mars 1206.

D’autres débats contradictoires, « disputes », eurent lieu à Béziers et à Carcassonne.

 

Voyage aux Marches (Danemark) et rencontre avec les cathares

C’est en 1203 que saint Dominique suit son évêque Diègue dans son voyage aux Marches (Danemark) dans le souci d’accomplir une mission diplomatique confiée par le roi Alphonse VIII : le mariage de Ferdinand, fils du roi Alphonse VIII de Castille, avec une fille noble.

Sur la route, à Toulouse, ils vont rencontrer l’hérésie cathare, nouveau manichéisme. La racine grecque du mot cathare veut dire « pur ». Les chefs cathares impressionnaient la population par leur austérité, entraînant une baisse de l’audience de l’Église considérée comme la synagogue de Satan.

Un soir, Dominique rencontre longuement son hôte cathare. Malgré la fatigue du voyage, il passe la nuit à dialoguer avec lui. À l’aube, son interlocuteur est converti par la lumière du Christ. Cet hôte cathare abandonne sa vision dualiste : un dieu du bien et un dieu du mal. L’esprit proviendrait d’un principe bon, la matière d’un principe mauvais. Désormais le corps humain n’est plus pour lui la prison de l’esprit ; la sexualité n’est plus le mal. Il ne voit plus dans le ventre de la femme le laboratoire de la reproduction du mal mais le corps habité et sanctifié par Dieu.

 

La fondation du monastère de Prouilhe

L’évêque Diègue d’Acébès et Dominique s’étaient occupés en Castille des religieuses de Saint-Étienne de Gormaz qui devinrent par la suite des moniales dominicaines à Caleruega, ville natale de saint Dominique.

À Prouilhe (Aude), non loin de Carcassonne, il existait un sanctuaire marial sous le patronage de l’Assomption de la Vierge Marie. C’est là qu’en 1207 Diègue et Dominique installent le premier monastère de la Sainte Prédication sous la règle de saint Augustin pour accueillir des dames d’origine noble converties du catharisme.

 

Des laïcs au service de de la sainte prédication

Attiré par le charisme de la nouvelle prédication, un couple de laïcs vient aussi se joindre à l’évêque, Dominique et la communauté des premières moniales, figure de la Famille dominicaine à venir.
Il s’agit d’Ermengarde-Godoline et de Sanche Gasc qui font profession dans les mains de Dominique le 8 août 1207. Ils promettent de se donner à la sainte prédication en communion avec les frères et les soeurs.
Saint Dominique était appelé « prêcheur ». Il dialoguait avec les cathares à Fanjeaux et dans les alentours cherchant le salut des âmes en homme d’Évangile.

 

La mort de l’évêque Diègue d’Acébès

Pendant des années, saint Dominique a vécu à l’ombre de son évêque d’Osma.
C’était lui le grand missionnaire et visionnaire de l’entreprise de prédication nécessaire au XIIIe siècle dans le sud de l’Europe.
Au mois de septembre 1207, Diègue retourne dans son diocèse pour gérer les affaires courantes et chercher des fonds pour la création du monastère de Prouilhe, près de Carcassonne.
L’évêque Diègue d’Acébès meurt le 30 décembre 1207 à Osma (Castille).
Saint Dominique restera alors presque seul en Languedoc, consacré corps et âme à la prédication, véritable dialogue avec ceux qui critiquent l’Église, où comprendre et croire se nourrissent réciproquement : comprendre pour croire et croire pour comprendre, selon le principe de saint Anselme (+1109).

 

Prédication de saint Dominique à Toulouse, Carcassonne et Pamiers

Il arrive que les fondateurs de congrégations religieuses connaissent des conflits douloureux avec leurs évêques. Ce n’est pas le cas de saint Dominique. Disciple de Diègue d’Acébès et ami de Foulques, évêque de Toulouse, saint Dominique a transmis à la Famille dominicaine l’amour de l’Église et l’affection envers les évêques.

Le parcours de Foulques sort de l’ordinaire. Marseillais d’origine génoise, troubadour, marié et père de famille, il rejoint le monastère du Thoronet tandis que sa femme entre aussi dans un monastère féminin près de Marseille quand leurs enfants atteignent l’âge adulte. Devenu abbé du Thoronet, Foulques est élu évêque de « la Ville rose », Toulouse. Il devient rapidement l’ami et le soutien de saint Dominique.

Des débats contradictoires, « disputes », ont lieu à Montréal, près de Carcassonne, et à Pamiers. À Montréal, les juges de la dispute font appel à la « preuve du feu ». L’écrit de saint Dominique sort miraculeusement des flammes. À Pamiers, la dispute fut dirigée par Diègue en présence de Foulques et sans doute de saint Dominique. Diègue apparaît comme le moteur et l’organisateur de cette nouvelle évangélisation.

 

Amoureux de la Bible

En voyage, saint Dominique portait avec lui l’évangile selon saint Matthieu et les épîtres de saint Paul qu’il connaissait par coeur et par le coeur. La lectio divina, lecture priante de la Parole de Dieu, nourrissait sa prière et sa prédication. Il avait la passion de la pédagogie de la foi car si l’Évangile est annoncé sans que l’auditeur le comprenne ni en saisisse le sens, le diable parvient à extirper aisément cette semence divine qui venait tomber dans la mémoire de l’homme (cf. Mt 13,19). Jésus, exégète du Père, expliquait aux foules le mystère de Dieu. La prédication de saint Dominique s’adressera aussi à l’intelligence humaine. Ce faisant, il mettait en pratique l’exhortation de l’apôtre Pierre : « Soyez toujours prêts à rendre raison de l’espérance qui est en vous » (1P 3, 15). C’est pourquoi l’étude des Saintes Écritures occupera une place centrale dans la vie dominicaine. Sur la croix, Jésus n’a pas prié en disant : « Père, pardonne-leur car ils sont méchants », il a prié pour ceux qui n’avaient pas compris le sens de sa prédication : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Saint Dominique distribuera aux affamés de Dieu le pain de la Vérité révélée en s’adressant à la raison que saint Thomas d’Aquin (+1274) honorera comme une participation à la lumière divine.

Le portrait de saint Dominique

Soeur Cécile, moniale dominicaine entrée dans le monastère de Saint-Sixte de Rome à l’âge de dix-sept ans et qui a connu personnellement saint Dominique, décrit ainsi son maître spirituel : « Taille moyenne, corps mince, visage beau et légèrement coloré, cheveux et barbe légèrement roux, de beaux yeux. De son front et de ses cils une sorte de splendeur rayonnait qui attirait la révérence et l’affection de tous.

Il restait toujours souriant et joyeux, à moins qu’il ne fût ému de compassion par quelque affliction du prochain. Il avait les mains longues et belles; une grande voix belle et sonore. Il ne fut jamais chauve, et sa couronne de cheveux était complète, parsemée de rares fils blancs. »

Le bienheureux frère Jourdain de Saxe, biographe de saint Dominique, s’attache plutôt à mettre en lumière sa physionomie spirituelle caractérisée par une exceptionnelle égalité d’âme, fruit de la prière au Seigneur et de son abandon à la volonté divine. Saint Dominique avait jeté l’ancre de sa vie dans le Christ (He 6, 19). Son âme résistait aux vagues et aux tempêtes hostiles qui l’assaillaient dans sa mission de prédication. « Il s’infiltrait sans peine dès le premier regard dans l’affection de tous », écrit Jourdain de Saxe.

Changement de société

Le XIIIe siècle comporte des changements économiques, politiques et scolaires importants. Le monde féodal hiérarchisé avec le seigneur et les serfs qui labourent la terre voit naître un système économique nouveau dans les villes, fondé cette fois-ci sur les corporations des artisans où chaque membre jouit de la même égalité de dignité et de pouvoir.

Inspirés par Dieu, saint Dominique et saint François réagiront en fondant des Ordres de frères. Dans l’Ordre des prêcheurs, le responsable est appelé non pas supérieur mais prieur, prior inter pares, le premier parmi ceux qui sont égaux. L’école cathédrale sous la tutelle de l’évêque découvre à son tour l’arrivée de l’université : communauté de professeurs et d’étudiants où l’autorité relève de la vérité. Saint Thomas d’Aquin dira que l’argument d’autorité est le dernier des arguments.

 

La miséricorde de saint Dominique

Saint Dominique aimait les pauvres et les pécheurs. Habituellement paisible, d’égalité d’âme et joyeux, il était bouleversé par la souffrance des hommes. L’étymologie de « miséricorde », mot d’origine latine, renvoie à la sensibilité du coeur devant les misérables.
Dans ce sentiment de compassion il passait rapidement à l’action pour venir en aide aux personnes dans la douleur et la tristesse.
Dieu est miséricordieux par amour. Sa miséricorde n’est pas signe de faiblesse mais de puissance. Sa toute-puissance se déploie dans l’aide apportée aux hommes aux prises avec le mal et la mort.
Saint Dominique aimait les personnes, d’où sa miséricorde envers les affamés, les malades et les pécheurs.
Les chrétiens forment le Corps du Christ, le Christ total, dont Jésus ressuscité est la tête et les fidèles ses membres. Dans sa miséricorde, le Christ aime les hommes comme étant une part de lui-même.
Saint Dominique aimait les captifs au point de vouloir se vendre pour leur rachat. Il aimait ceux qui le menaçaient de mort au point de se réjouir du martyre qui porterait des fruits de conversion.
La méthode de saint Dominique était bien l’amour et la miséricorde.

Saint Dominique à Toulouse en 1215

Curé de Fanjeaux, prêchant la Parole de Dieu à Carcassonne et à Toulouse, saint Dominique reçoit le soutien de Foulque, évêque de Toulouse, qui l’institue avec ses compagnons prédicateurs dans son diocèse. Les frères prêcheurs suivent les cours de théologie du maître Alexandre Stavensky. L’étude fait partie des piliers de leur vie consacrée à faire resplendir la lumière du Verbe. Plus tard, sainte Catherine de Sienne, dominicaine, docteur de l’Église, patronne de l’Europe, enseignera que les frères et les soeurs de saint Dominique ont reçu dans l’Église « l’office du Verbe ». La foi vient de la prédication (Rm 10, 17) et la prédication se nourrit de la Parole de Dieu expliquée dans la théologie. Au mois de novembre 1215, Dominique accompagne l’évêque Foulque à Rome pour participer au IVe Concile de Latran convoqué par le pape Innocent III. Pour répondre aux demandes du Concile et du pape, Dominique et ses frères choisissent la Règle de saint Augustin comme fondement pour leur vie apostolique. Ils bénéficièrent aussi des coutumiers des Prémontrés fondés par saint Norbert (+1134).

 

Le pape Honorius III confirme l’Ordre en 1216

Le pape Innocent III, selon Constantin d’Orvieto, avait eu une vision dans laquelle saint Dominique soutenait la basilique du Latran qui tombait en ruines. Aussi chercha-t-il la collaboration des prêcheurs de Toulouse. Innocent III mourut le 16 juillet 1216. Deux jours plus tard fut élu le pape Honorius III qui confirma l’Ordre des prêcheurs dans une bulle datée du 22 décembre 1216.
À Rome, saint Dominique reçut l’aide du cardinal Hugolin qui deviendra pape sous le nom de Grégoire IX.
Dans la basilique Saint-Pierre, Dominique en prière fit une expérience extraordinaire, selon son biographe Constantin d’Orvieto, il reçut une vision dans laquelle l’apôtre Pierre lui transmettait un bâton et l’apôtre Paul un livre. Ils lui disaient : « Va et prêche. » Cette vision spirituelle enhardit saint Dominique dans sa soif d’annoncer l’Évangile à toutes les nations.
Plus tard, dans une bulle du 21 janvier 1217, le pape Honorius III appelle le prieur et les frères de l’église Saint-Romain à Toulouse « les athlètes du Christ ».

 

La dispersion des frères

Les frères habitaient le couvent Saint-Romain à Toulouse. Ils avaient promis obéissance à saint Dominique. Après avoir prié longuement le Saint-Esprit, saint Dominique annonça aux frères sa décision de les envoyer annoncer l’Évangile dans d’autres villes malgré leur nombre réduit: « Le grain entassé pourrit mais dispersé il porte du fruit. » « Ne me faites pas opposition, je sais bien ce que je fais », leur dit le saint apôtre du Christ. La date probable de cet événement fut le 15 août 1217 à Prouilhe (Aude). Les frères partirent vers Paris et Madrid, Bologne… De passage à Rome en 1218, saint Dominique rencontra Réginald, chanoine d’Orléans, qui choisit la vie dominicaine à quarante ans ayant été guéri miraculeusement par l’intercession de la Vierge Marie. Frère Réginald donna une grande impulsion à l’Ordre attirant de nombreuses vocations parmi les étudiants. Heureux d’avoir épousé la vie apostolique et mendiante, frère Réginald s’était exclamé : « Je crois n’avoir aucun mérite à vivre dans cet Ordre, car j’y ai trouvé trop de joie. » En 1218, saint Dominique se rendit à Ségovie (Espagne) où sa prière obtint la pluie au cours d’une terrible sécheresse. Une grotte rappelle à Ségovie l’oraison et la pénitence de saint Dominique. Sainte Thérèse d’Avila la visita avec ferveur.

La communauté comme référence

Point de narcissisme ou de culte de la personnalité dans l’existence de saint Dominique.
Il aimait l’Église comme une Mère. Dans son charisme de fondateur, il a renvoyé les frères non pas à lui mais à la communauté.
Jésus avait dit : « Je ne vous laisserai pas orphelins » (Jn 14, 18). Saint Dominique n’a pas laissé non plus ses frères orphelins car ils avaient comme référence non pas sa personne mais la communauté.
Le mot « séduire » veut dire « conduire à soi ». Saint Dominique n’était pas un séducteur mais il conduisait au Christ, à l’Église et à la communauté.
Aussi comprenons-nous ses propos à l’approche de la mort : « À Dieu ne plaise que je repose ailleurs que sous les pieds de mes frères. »
Il arrive que dans la solitude nous voyions clairement des choses qui sont fausses. Le dialogue communautaire constitue un lieu de vérité dans la tradition dominicaine.
Les premiers frères dominicains arrivés à Saint-Domingue au moment de la découverte de l’Amérique préparaient les prédications en communauté. Ce n’était pas un frère qui prêchait en son nom personnel mais la communauté qui prêchait à travers la voix d’un frère. Cela apporta beaucoup de force à l’annonce de l’Évangile et à la défense des Indiens.

Vivre en frères

Une question surgit souvent lors des projets de fondation dans un nouveau pays : qu’est-ce que l’Ordre peut apporter alors que l’Église y est déjà présente ? Un jour, le frère Bruno Cadoré, Maître de l’Ordre depuis 2010, avait répondu « l’esprit fraternel ». Tant il est vrai que saint Dominique a insufflé dans l’Église l’esprit fraternel. Chaque frère est respecté dans ses droits. La démocratie dominicaine avec son souci de participation de tous en témoigne. Il ne s’agit pas d’une démocratie de consensus à la manière de certains parlements mais d’une vision théologale où chacun illuminé par le Saint-Esprit est appelé à bâtir la société et l’Église. Le grand cadeau que saint Dominique a laissé à sa Famille spirituelle est bien la fraternité. Les frères et les soeurs dominicains s’émerveillent devant cet attachement qui surgit naturellement ou plutôt surnaturellement. Nous en avons un exemple patent dans l’hospitalité chaleureuse vécue dans l’Ordre envers les frères et les soeurs qui se rencontrent pour la première fois.

 

Saint Dominique, homme de prière

Saint Dominique parlait avec Dieu ou de Dieu. Le jour, il allait à la rencontre des hommes et des femmes qui souffraient dans leurs âmes ou dans leurs corps. Les nuits, il les passait en dialogue avec Dieu. Très souvent, il couchait dans l’église des couvents, implorant la miséricorde de Dieu : « Mon Dieu, ma miséricorde, que vont devenir les pécheurs ? »
Il intercédait pour les pécheurs se demandant ce qu’ils allaient faire dans leur éloignement du Seigneur. Il demandait aussi à Dieu la lumière pour choisir la route à suivre dans la prédication de manière à se rendre utile pour le salut du prochain.
Saint Dominique aimait les personnes atteintes par le péché mais il détestait le mal.
Avec ses frères prêcheurs, il célébrait la liturgie. Lors de la célébration de la messe il lui arrivait de verser d’abondantes larmes. Sur la route, il chantait le Veni, creator Spiritus. Fils de la Vierge Marie, il reprenait souvent l’hymne marial Ave, maris stella, « Salut, étoile de la mer ».

 

Saint Dominique et saint François d’Assise

Nés à la même époque, partageant la même vocation à la prédication dans la pauvreté évangélique, les Dominicains et les Franciscains ont grandi dans l’amitié pendant huit siècles. Ils ont répondu aux nouveaux défis de leur temps. Deux biographes de saint Dominique, Rodrigo de Cerrato et Gérard de Frachet, évoquent la rencontre mystique de saint Dominique et de saint François d’Assise à Rome en cette année 1217. Signe de cette fraternité qui unit les prêcheurs et les mineurs, chaque année à la fête de saint Dominique c’est un frère franciscain qui prêche; lors de la fête de saint François il revient à un frère dominicain de mettre en lumière la vie du poverello.

L’art chrétien s’est plu à représenter cette amitié entre les Dominicains et les Franciscains à travers le symbole du baiser fraternel de Dominique et de François, unis par le Saint-Esprit, que saint Bernard appelait « le baiser du Père et du Fils ».

Saint Dominique et la Vierge Marie

Le frère catalan Romée de Livia priait mille Ave Maria par jour.
Compagnon de saint Dominique sur les routes du Midi de la France, nous pouvons imaginer aisément le fondateur de l’Ordre des prêcheurs comme l’inspirateur aussi de la prière du Rosaire qui sera définie ultérieurement par un pape dominicain, saint Pie V, en 1569, dans la forme que l’Église pratique depuis le XVIe siècle.
Le Rosaire, appelé par les frères dominicains le Psautier de la Vierge Marie en raison des 150 Psaumes et des 150 Ave Maria, conduit le priant au coeur de Marie pour contempler Jésus avec la foi de la Mère de Dieu, qui est aussi la foi de l’Église.
Le Salve Regina achevait la journée liturgique dans les couvents dominicains.
Le frère Humbert de Romans, Maître de l’Ordre de 1254 à 1263, rappelait aux frères que « la bienheureuse Vierge Marie fut l’aide principale dans la fondation de l’Ordre ». Aussi est-elle célébrée comme sa patronne chaque 8 mai, mois traditionnellement consacrée à la Mère de Dieu.

 

Premier Chapitre général à Bologne en 1220

Saint Dominique convoqua le premier Chapitre général de son Ordre lors de la fête de la Pentecôte en l’an 1220 à Bologne (Italie). Des frères délégués, dits « définiteurs », chargés de définir les lois de l’Ordre, arrivèrent des différents couvents d’Espagne, de France et d’Italie.
Saint Dominique n’a laissé aucune prédication écrite. Nous avons quelques-unes de ses phrases gardées précieusement dans la mémoire de ses disciples et une lettre envoyée aux moniales de Madrid. Il ne ressemble pas à certains fondateurs de congrégations dont les innombrables livres et lettres ont fini par produire de la fatigue chez les religieux.
Son esprit et son génie apparaissent surtout dans les Constitutions dont le but est d’organiser et d’actualiser la mission de la prédication, but de l’Ordre.
Saint Dominique aimait les institutions car il tenait à ce que la charité et l’évangélisation durent et progressent dans le temps en faisant du neuf et de l’ancien.
En 1220, saint Dominique prêcha en Lombardie et il visita Milan.
En janvier 1221, le pape Honorius III lui fit don de la basilique Sainte-Sabine sur l’Aventin romain, où réside à présent la curie générale de l’Ordre.

 

Attiré par les Cumans

Né en Castille, marqué par l’invasion musulmane et par la Reconquête, saint Dominique ne s’est pas tourné vers l’Islam mais vers l’Europe centrale et orientale. Il était attiré par la mission auprès des Cumans , tribu lointaine et redoutée.
Retenu par sa mission en France et en Italie, il rêvait néanmoins de partir au loin pour vivre l’aventure missionnaire comme les apôtres. C’est ainsi qu’il avait dit au frère Paul de Venise : « Quand nous aurons affermi notre Ordre, nous irons chez les Cumans, nous leur prêcherons la foi au Christ et nous les gagnerons au Seigneur. »
Aujourd’hui encore, les jeunes aiment les défis difficiles. Nombreux sont ceux qui partent en coopération pour vivre sur un autre continent la découverte d’une autre culture, rendre service, se retrouver eux-mêmes dans le don de soi et entrevoir le sens de la vie apostolique, missionnaire.
Saint Dominique s’est donné à Dieu dès l’enfance. Saint Thomas d’Aquin redoutait les jeunes repliés sur eux-mêmes car la jeunesse représente l’âge de la générosité et de l’absolu dans la foi et l’amour, autrement il y a corruption d’une vie appelée à porter du fruit : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas il reste seul mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24).

 

La mort de saint Dominique

À la fin du mois de juillet 1221, saint Dominique arriva à Bologne, exténué. Sentant sa mort approcher, il exhorta les frères à vivre la charité, l’humilité et la pauvreté volontaire.
Il leur ouvrit le coeur en leur révélant sa virginité ainsi que l’une de ses imperfections : la conversation avec les jeunes femmes l’avaient attiré davantage que les échanges avec les femmes âgées.
Voyant ses frères pleurer à l’idée de perdre leur maître spirituel, il leur déclara : « Je vous serai plus utile après ma mort et je vous aiderai plus efficacement que pendant ma vie. » Le Catéchisme de l’Église catholique a retenu cette phrase (n°956) qui fait penser à une déclaration semblable de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre. »
Ceux qui croient en Jésus ressuscité doivent se garder de dire deux choses : « c’est trop tard », « c’est fini », car il n’est jamais trop tard et rien n’est jamais fini.
Saint Dominique passa de ce monde au Père à Bologne le 6 août 1221 vers midi.
Les funérailles furent célébrées par son ami le cardinal Hugolien, le futur pape Grégoire IX.

 

La canonisation de saint Dominique

En 1233, le Chapitre général de l’Ordre eut lieu à Bologne en la fête de la Pentecôte. Les frères choisirent cet événement pour célébrer la translation des reliques de saint Dominique dans un sarcophage en marbre au coeur de l’église Saint-Nicolas. Les frères dominicains craignaient que cette ouverture du tombeau de leur fondateur ne soit rendue pénible à cause de la corruption que la pluie, la neige et la chaleur de Bologne auraient pu provoquer dans ses restes mortels. L’ouverture du tombeau eut lieu dans la nuit du 23 au 24 mai 1233 en présence de l’évêque de Bologne, Henri de Fratta et de nombreuses personnalités de la ville. Au moment où fut soulevée la pierre tombale, un parfum intense, délicieux et original envahit les esprits des fidèles en prière. Ce parfum demeura plusieurs jours dans le tombeau et même dans les vêtements de ceux qui l’avaient touché. La joie des frères et des chrétiens de Bologne fut immense. Le 13 juillet 1233, le pape Grégoire IX ouvrit le procès de canonisation et après l’enquête canonique le pape décida à Rieti l’inscription de saint Dominique dans le catalogue des saints le 3 juillet 1234. Il fut décidé que saint Dominique serait fêté principalement le 5 août tandis que la translation des reliques serait célébrée le 24 mai. Dans l’ancien calendrier liturgique du temps de saint Dominique, le 6 août ne correspondait pas à la fête de la Transfiguration comme aujourd’hui mais à la mémoire du pape saint Sixte II, mort martyr à Rome le 6 août 258. C’est le pape saint Pie V, en 1570, qui assigna de manière définitive dans le Missel Romain la date du 6 août pour la Transfiguration du Christ.
De beaux textes furent aussi créés pour mettre en lumière la sagesse de saint Dominique et son amour pour l’Église, lui qui voulut toujours grandir in medio Ecclesiae, au coeur de l’Église.

Hymne à saint Dominique

Au sein de son Église le Seigneur l’appela,
pour porter sa Parole, il lui donna l’Esprit,
le combla de sagesse, de gloire le vêtit
et sur lui fit descendre allégresse et bonheur

Aux sources d’Évangile le Seigneur le mena,
le planta comme un arbre, près des eaux du salut,
lui donna sans mesure la sève du savoir,
lui fit en abondance porter du fruit de choix.

Du trésor de ses grâces le Seigneur l’instruisit,
dans la Nouvelle Alliance lui enseigna la Loi;
il lui donna d’en vivre avec fidélité,
puis d’enseigner l’Église avec humilité.

Gloire à toi, notre Père, qui nous attires à toi;
pour vivre en ta lumière la joie des fils de Dieu;
fais-nous grandir sans cesse dans l’amour de ton Fils et rechercher ta face, guidés par ton Esprit.

La spiritualité de saint Dominique

La mystique dominicaine, sainte Catherine de Sienne, comparait la religion de saint Dominique à « un jardin, large, joyeux et parfumé ». Saint Dominique n’a pas transmis aux frères un moule spirituel ni une recette magique à répéter pour réussir l’annonce de Jésus Sauveur. Il a laissé à la Famille dominicaine un esprit large où chacun garde sa personnalité tout en entrant dans la dynamique transformante de la vie communautaire réglée par les Constitutions. Quand il arrivait dans un couvent, saint Dominique se renseignait auprès du prieur des us et coutumes propres à la maison pour s’y conformer avec joie. Saint Dominique rayonnait la joie. Sa joie, musique de l’âme et signature du Saint-Esprit, impressionnait ses contemporains. Il était aussi « le parfum de la connaissance du Christ » (1 Co 2, 14). Tous ceux qui rencontrent des frères et des soeurs dominicains sont frappésde la diversité des psychologies et des mentalités tout en repérant aussi un esprit de famille.

VERITAS

Les visiteurs des couvents dominicains découvrent souvent la devise de l’Ordre dans des mosaïques ou des tableaux : Veritas.
Les disciples de saint Dominique « cherchent la vérité dans un doux compagnonnage », selon l’expression de saint Albert le Grand (+1280).
« Qu’est-ce que la vérité? » (Jn 18, 38), s’était exclamé Pilate devant Jésus. Question passionnante qui suscite une soif jamais assouvie car la Vérité pour les chrétiens ne relève pas en dernier lieu de concepts ni de formules scientifiques, elle est une personne, Jésus lui-même, qui a dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). C’est pourquoi saint Thomas d’Aquin (+1274) enseignera qu’à proprement parler il n’y a de vérité qu’en Dieu.
Saint Dominique et ses frères se sont évertués à s’approcher de cette Vérité par la contemplation, l’étude et la charité qui illumine l’âme.

 

Les fils et les filles de saint Dominique

Dans l’Évangile, Jésus nous enseigne que « l’arbre se reconnaît à ses fruits » (Mt 7,17). La Famille dominicaine représente une parole vivante de saint Dominique : saint Thomas d’Aquin, saint Albert le Grand, sainte Catherine de Sienne, Fra Angelico, saint Pie V, sainte Rose de Lima, saint Martine de Porrès, une foule de martyrs et de bienheureux … Il y a aussi de belles figures plus proches de nous dans l’histoire7 : le père Lacordaire, prédicateur à Notre-Dame de Paris; Mélanie Calvat, voyante de la Salette, tertiaire dominicaine; le bienheureux Pierre-Georges Frassati, patron de la JMJ (Journée Mondiale de la Jeunesse); Sigrid Undset, norvégienne, Prix Nobel de littérature en 1928, laïque dominicaine; le père Lagrange, fondateur de l’École biblique de Jérusalem …
Aujourd’hui la Famille dominicaine comprend 2 800 moniales, 6 000 frères, 23 000 soeurs apostoliques, 166 000 laïcs dominicains, 265 membres des Fraternités sacerdotales et 150 membres des Instituts séculiers.
Famille dominicaine que la Vierge Marie garde avec affection sous son manteau de prière.

 

VIIIe centenaire de la fondation de l’Ordre des prêcheurs

L’Ordre fondé par saint Dominique a fêté ses huit siècles d’existence : 22 décembre 1216 – 22 décembre 2016.

Le site Internet de l’Ordre informe régulièrement des événements qui marquent sa mission : http://www.op.org
Le poète espagnol Juan Ramon Jiménez, Prix Nobel de littérature en 1956, a écrit : « Des racines et des ailes. Mais que les ailes s’enracinent et que les racines s’envolent8. »
Huit cents ans ont donné de profondes racines à l’Ordre fondé par saint Dominique; ces racines le poussent à aller plus loin dans la mission.
La meilleure manière de célébrer la fondation de l’Ordre n’est-elle pas de se renouveler par de nouvelles fondations missionnaires ?

Saint-Denis (La Réunion), le 2 août 2020.

Pour lire le texte en format PDF :

VIE ST DOMNIQUE FRERE MANUEL




Fête du Saint Curé d’Ars 2020, St Jean Marie Vianney (Fr Manuel RIVERO O.P.)

L’an dernier, le 4 août 2019, le pape François avait envoyé une « Lettre aux prêtres à l’occasion des 160 ans de la mort de saint Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars ». Très beau message où le Saint Père partage les souffrances et les joies apostoliques des prêtres du monde entier.

Le pape François pointe la tentation subtile qui menace ceux qui ont décidé de mener le combat spirituel pour Jésus : l’acédie, « douce tristesse », attitude de découragement et de lassitude, « le plus apprécié des élixirs du démon »[1] selon l’expression de l’écrivain catholique Georges Bernanos. Le « bof », « je n’ai pas envie », « ça ne me dit rien », « une autre fois ». C’est ainsi que la prière et le service sont renvoyés à plus tard.

Le curé d’Ars appelait le diable ou Satan : le « Grappin », instrument utilisé par les paysans pour arracher les pommes de terre. Le diable cherche à arracher les âmes au Christ Jésus par la tentation du découragement.

La Vierge Marie, Immaculée Conception, a occupé une grande place dans la vie, la prière et la prédication du saint curé d’Ars, patron des curés du monde entier, que l’Église célèbre dans sa liturgie le 4 août.

Nous allons prier les mystères lumineux du Rosaire à la lumière de la vie et du ministère de saint Jean-Marie Vianney, connu comme le saint curé d’Ars.

Né le 8 mai 1786 à Dardilly, le saint curé est parti vers le Père le 4 août 1859 à l’âge de 73 ans. Lors de son arrivée à Ars, village de 230 habitants, le saint curé s’était exclamé : « Que c’est petit ! » Maintenant, Ars reçoit chaque année des centaines de milliers de pèlerins.

Au garçon, Antoine Givre, qui l’avait orienté sur sa route, près d’Ars, le saint curé avait dit : « Tu m’as montré le chemin d’Ars, je te montrerai le chemin du Ciel ». Un monument commémore aujourd’hui cette rencontre devenue un symbole de la Providence.

Le père Jean-Marie Vianney aimait le rosaire. Dans sa ferveur apostolique, il avait fondé plusieurs Confréries du Rosaire, persuadé dans la lumière de la foi que la prière des membres de la Confrérie contribuait au salut de chacun.

Plusieurs événements le relient à la vie dominicaine. Le père Lacordaire, grand prédicateur de Notre-Dame de Paris, s’était rendu à Ars pour écouter, au bas de la chaire, la prédication de ce prêtre qui avait souffert de ses limites intellectuelles au séminaire. En effet, Jean-Marie Vianney avait eu du mal à faire des études de philosophie et de latin. Ayant pris du retard dans sa formation scolaire pour des raisons étrangères à sa volonté, il faillit être écarté de la prêtrise, mais le discernement spirituel des responsables de l’Église le sauva de cette menace.

Par ailleurs, Élisabeth Falsan, épouse Lagrange, la maman du futur père Marie-Joseph Lagrange, fondateur de l’École biblique de Jérusalem, amena son fils alors qu’il était bébé et malade au curé d’Ars qui le bénit. Par la suite, le frère dominicain Marie-Joseph Lagrange se rendit, au cours de ses études théologiques, à Ars pour rencontrer le saint curé. À l’occasion de la pose de la première pierre de l’École biblique de Jérusalem, le père Lagrange choisit d’enfouir un fragment de la soutane du curé d’Ars dans ses fondations, signe de la vocation de l’École à servir la formation des prêtres et le salut des âmes.

Commençons notre prière en récitant le Credo, le Notre Père et trois Ave Maria.

Faisons maintenant le signe de la croix qui est le signe de l’amour de Dieu pour nous :

Tous : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

Premier mystère lumineux : le baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain

Commencement de l’Évangile selon saint Marc : « Jean le Baptiste fut dans le désert, proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés. Et s’en allaient vers lui tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem, et ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en confessant leurs péchés.

Jean était vêtu d’une peau de chameau et mangeait des sauterelles et du miel sauvage. Et il proclamait : « Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau, mais lui vous baptisera avec l’Esprit Saint. »

Le baptême chrétien est donné pour la rémission des péchés. Il ne s’agit pas d’un simple rite mais du don de l’Esprit Saint, amour du Père et du Fils, qui lave l’âme des baptisés et la comble de la gloire de Dieu.

Le saint curé d’Ars a voué sa vie à la réconciliation des pécheurs avec le Christ. Le pardon accordé dans la confession des péchés fait briller la lumière du baptême. Véritable recréation de l’homme à l’image de Dieu.

Le père Jean-Marie Vianney passait des journées entières au confessionnal. Des pèlerins, par milliers, en ressortaient libérés de leurs fardeaux : « Le bon Dieu au moment de l’absolution jette nos péchés par derrière ses épaules, c’est-à-dire il les oublie, il les anéantit : ils ne reparaîtront plus jamais. » ; « Il ne sera plus question des péchés pardonnés. Ils ont été effacés, ils n’existent plus ! », disait-il.

À l’exemple de Jésus, le saint curé d’Ars aimait les pécheurs et il combattait le péché, l’orgueil et la haine de Dieu.

Lors du Synode sur l’Europe, les évêques faisaient remarquer que « le défi n’est pas tant de baptiser les nouveaux convertis que de conduire les baptisés à se convertir au Christ et à son Évangile. »[2]

Cet amour envers sa paroisse et ses paroissiens apparaît dans le baiser de sa nouvelle terre de mission. Les prêtres ne se donnent pas les missions ; ils les reçoivent. Le saint curé d’Ars a embrassé la terre d’Ars et sa mission dans un village tout petit. Le saint pape Jean-Paul II, qui a visité Ars en pèlerin, se plaisait à rappeler que jeune vicaire de paroisse imitait le saint curé en s’agenouillant pour embrasser la terre de sa mission ; ensuite, il se rendait devant le Saint-Sacrement et il se présentait au curé. »

Il est impossible d’évangéliser sans aimer. Pour évangéliser et convertir il s’avère nécessaire de prier et d’aimer les personnes comme Jésus les aime.

Le saint curé a reçu sa paroisse des mains de Dieu. « Mon Dieu, convertissez ma paroisse ! »,  priait-il sachant que seule la grâce de Dieu peut accomplir des merveilles dans une âme. Tout est grâce ! Dieu seul convertit.

Prions pour ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme.

Prions pour la conversion pastorale des paroisses, qu’elles deviennent de plus en plus des paroisses missionnaires !

Prions pour les paroisses, communautés de communautés, qu’elles soient sacrement de la rencontre du Christ avec son Église et avec l’humanité.

Notre Père. Avec Maria. Gloria.

Deuxième mystère lumineux : les noces de Cana

De l’Évangile selon saint Jean : « Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à ces noces, ainsi que ses disciples. Or, il n’y avait plus de vin, car le vin des noces était épuisé. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »

Le saint curé d’Ars ne se lassait pas de prier la Vierge Marie en reprenant le « Je vous salue Marie ». La prière du rosaire évoque les couronnes de roses. Le père Jean-Marie Vianney comparait la prière mariale au parfum qui embaume tout ce qu’il touche. La prière parfume du saint parfum du Christ ceux qui se tournent vers la mère de Jésus.

Deux images bien parlantes illustrent sa prédication sur la Vierge Marie. Marie, invoquée dans les litanies comme la porte du Ciel, est présentée comme « la portière du Ciel », le Christ Jésus étant la porte qui nous introduit dans la demeure du Père.

La mère de Jésus est vue aussi comme « celle qui tient l’échelle pour monter au Paradis ». Seul Jésus conduit au Père : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6). Le Fils de Dieu est descendu du Ciel pour que nous montions par lui à la gloire du Père. L’échelle, c’est lui ! Et à l’heure de la mort, Marie intercède pour les pécheurs et les accueille à la Porte du Ciel.

Le saint curé d’Ars montre ainsi son sens théologique juste et innovant.

« Chef-d’œuvre de Dieu », « la plus belle des créatures », Marie intercédait sur les besoins de la paroisse d’Ars comme aux noces de Cana. Le saint curé consacra sa paroisse à Marie, conçue sans péché, Immaculée Conception, si aimée des Lyonnais, le 1er mai 1836.

Confions à l’intercession les besoins de l’Église et de l’humanité : « Ils n’ont pas de santé ! » ; « ils n’ont pas de liberté religieuse ! » ; « ils n’ont pas de travail ! » ; « ils n’ont pas d’amour ! ».

Rendons grâce à Dieu pour les merveilles qu’Il accomplit à travers le ministère des prêtres.

 

Notre Père. Ave Maria. Gloria.

Troisième mystère lumineux : Jésus dans la synagogue de Nazareth

De l’Évangile selon saint Luc : « Jésus vint à Nazareth où il avait été élevé, entra, selon sa coutume le jour du sabbat, dans la synagogue, et se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur. »

Jésus replia le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture. »

Aumônier de la prison de Domenjod (Saint-Denis/La Réunion), j’ai évoqué un jour en prédication l’acédie qui peut tenailler et anéantir le moral des personnes détenues. Un jeune m’a demandé des éclaircissements à la fin de la messe : « Si j’ai bien compris « acédie » est le contraire d’ « assidu ». Oui, admirable comparaison que j’ai admiré dans l’analyse spirituelle de ce jeune condamné qui n’avait pas fait d’études en théologie.

Pour avancer dans le service du Seigneur il faut durer, rester assidus à la prière et aux rassemblements communautaires dont la messe.

Le saint curé d’Ars constatait que « plus on prie, plus on veut prier ». Comme à table, l’appétit vient en mangeant. C’est en priant que le goût de la prière revient après des temps de sécheresse.

Le témoignage évangélique et la catéchèse nourrissent la contemplation et la foi. Le saint pape Jean-Paul II enseignait que « la foi grandit quand on la partage ». Les baptisés et les prêtres se nourrissent de la connaissance de Dieu en annonçant la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.

Il arrive que des personnes me disent avec compassion : « Les gens ne croient plus. Votre mission de prêtre doit être difficile. » Je réponds que les financiers aimeraient avoir le même retour sur l’investissement que je découvre dans l’annonce de l’Évangile. C’est en transmettant et en expliquant le mystère de Dieu, révélé dans la Bible, que les laïcs et les prêtres font leurs les paroles de Jésus dans la synagogue de Nazareth : « Aujourd’hui s’accomplit cette parole. » L’apostolat ne va pas sans fatigue, mais il apporte aussi la joie de contempler les merveilles de Dieu qui fait briller le visage de la lumière du Christ. La contemplation ne se trouve pas uniquement dans la solitude. Les chrétiens voient Dieu en toute chose et ils contemplent toute chose dans la lumière de Dieu.

Le ministère des prêtres ne représentent pas une déperdition de l’énergie divine reçue dans la prière et l’étude des saintes Écritures. Tout au contraire, c’est en transmettant la Parole de Dieu que le prêtre assiste aux merveilles accomplies dans les sacrements où Jésus vivant rencontre et sauve les hommes.

Prions pour les prêtres généreux et créatifs, prions aussi pour les prêtres fatigués, déçus et malades.

Prions pour le renouveau de l’évangélisation. Que les prêtres soient remplis du courage et de la force de l’Esprit Saint !

Notre Père. Ave Maria. Gloria.

Quatrième mystère lumineux : La transfiguration de Jésus

De l’Évangile selon saint Luc : « Or il advint, environ huit jours après ces paroles, que, prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, il gravit la montagne pour prier. Et il advint, comme il priait, que l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement d’une blancheur fulgurante. »

Saint Luc est le seul évangéliste à préciser que Jésus s’est manifesté transfiguré, lumineux, tandis qu’il priait. La prière transfigure, illumine.

Pour le curé d’Ars, « la prière n’est pas autre chose qu’une union avec Dieu » ; « la prière est une douce amitié, une familiarité étonnante … C’est un doux entretien d’un enfant avec son Père. »

Le curé d’Ars priait de manière personnalisée pour ses paroissiens. Il avait fait marquer sur un ruban les noms de tous ses paroissiens. Et il avait suspendu ce ruban à la statue de la Vierge Marie, sur son cœur.

Il parlait de Dieu aux hommes, mais surtout, et avant tout, il parlait à Dieu de tous ceux qu’il rencontrait.

Louons le Seigneur pour les prêtres, les catéchistes et les parents qui initient à la prière.

Louons le Seigneur pour les enfants qui ont le bonheur de découvrir la prière dans la Bible et surtout la prière de Jésus dans l’Évangile.

Notre Père. Ave Maria. Gloria.

Cinquième mystère lumineux : La Cène

De l’Évangile selon saint Matthieu : « Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. »

« Il n’y a rien de si grand que l’Eucharistie », s’exclamait le curé d’Ars. Le Corps du Christ n’est pas une récompense pour les purs. C’est pourquoi le père Jean-Marie Vianney prêchait : « Ne dites pas que vous n’en êtes pas digne. C’est vrai : vous n’en êtes pas digne, mais vous en avez besoin. »

Les prêtres continuent l’œuvre de la Rédemption : c’est le Christ qui parle et qui baptise par eux, c’est le Christ qui consacre le pain et le vin à travers leurs paroles …

« Sans le prêtre, la mort et la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ ne serviraient de rien »[3], déclarait le saint curé d’Ars.

Au mois de juin dernier, lors de la messe de fin d’année à l’école du Sacré-Cœur, deux enfants sont venus à ma rencontre dans la cour pour me saluer. Une petite fille de 7 ans me dit : « Tu viens à la place de Jésus. » Belle théologie du sacerdoce où le prêtre agit « in personna Christi capitis », c’est-à-dire « dans la personne du Christ, Tête de l’Église ». Le prêtre représente le Christ, il le « rend-présent ». Lieutenant du Christ, le prêtre « tient-lieu » du Christ. C’est le Christ qui consacre comme l’explicite la prière eucharistique : « C’est pourquoi nous te supplions de consacrer toi-même les offrandes que nous apportons. Sanctifie-les par ton Esprit … ».

En 1990, le cardinal Ratzinger, le futur pape Benoît XVI, avait enseigné lors du Symposium de Philadelphie sur la mission et la formation des prêtres : « La charge effrayante de l’Eucharistie réside en ce que le prêtre a le droit de parler avec le « Je » du Christ. Devenir prêtre et être prêtre implique un constant mouvement vers une telle identification. »

Prions le Père d’envoyer des vocations presbytérales à son Église.

Prions pour les séminaristes et pour les formateurs dans les séminaires.

Confions au Saint-Esprit les prêtres qui se sentent seuls ou isolés afin qu’ils retrouvent auprès de leur évêque et des fidèles soutien et réconfort.

Prions pour l’amitié entre les prêtres, source de joie et de dynamisme missionnaire.

 

Notre Père. Ave Maria. Gloria.

…………………………………………………………………

Prière attribuée au curé d’Ars

Acte d’amour

« Je vous aime, ô mon Dieu, et mon seul désir est de vous aimer jusqu’au dernier soupir de ma vie.

Je vous aime, ô Dieu infiniment aimable, et j’aime mieux mourir en vous aimant que de vivre un seul instant sans vous aimer.

Je vous aime, ô mon Dieu, et je ne désire le ciel que pour avoir le bonheur de vous aimer parfaitement.

Je vous aime, ô mon Dieu, et je n’appréhende l’enfer que parce qu’on n’y aura jamais la douce consolation de vous aimer.

Ô mon Dieu, si ma langue ne peut dire à tout moment que je vous aime, du moins je veux que mon cœur vous le répète autant de fois que je respire.

Ah ! Faites-moi la grâce de souffrir en vous aimant, et de vous aimer en souffrant, et d’expirer un jour en vous aimant et en sentant que je vous aime.

Et plus j’approche de ma fin, plus je vous conjure d’accroître mon amour et de le perfectionner. Ainsi soit-il. »

Bénédiction : Que le Seigneur nous bénisse et nous garde, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

 

Saint-Denis (La Réunion), le 30 juillet 2020.

 Fr Manuel RIVERO (O.P.)




« Le dialogue interreligieux, pour quoi faire ? » (Fr Manuel Rivero OP)

Jeudi dernier, le 14 mai, le pape François en relation avec d’autres représentants des différentes religions a exhorté les catholiques et les hommes de bonne volonté à prier pour la délivrance de la pandémie du covid-19[1].

Pourquoi favoriser le dialogue interreligieux ? Sur quoi repose-t-il ?

Le cardinal Jean-Louis Tauran (+2018), ancien président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, faisait remarquer que ce dialogue commence par l’affirmation de sa propre foi.

Il ne s’agit pas de mettre sa foi dans sa poche. Les chrétiens qui s’engagent dans le dialogue interreligieux n’ont pas à mettre Jésus ressuscité de côté. C’est à cause de Jésus-Christ et en son nom, que les baptisés vivent « la sortie de soi » pour aller à la rencontre des frères et des sœurs d’autres religions.

Quel est le fondement théologique de ce dialogue ? L’amour de Dieu pour l’humanité : « Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). Par ailleurs, le Concile Vatican II enseigne que « par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » (Gaudium et spes, n°22).

Avant de dire de quelqu’un qu’il est musulman ou bouddhiste ou athée, il convient de le regarder à la lumière de l’Évangile comme un homme aimé de Dieu et uni au Fils de Dieu par le mystère de l’incarnation : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14). 

Le mot « dialogue », d’origine grecque, comprend le mot « logos » qui veut dire « verbe », «parole », « raison ». La préposition « dia » signifie « à travers ». Dialoguer suppose se laisser traverser par le Logos, la Parole de Dieu et par la parole des autres.

Notre Dieu n’est pas solitaire mais trinitaire. Notre Dieu unique dialogue au cœur de la Trinité : le Fils écoute le Père dans l’amour de l’Esprit.

Dieu aime le dialogue. La Bible révèle le dialogue de Dieu avec son peuple. Dans la célébration de la messe, nous vivons le dialogue de Jésus-Christ avec son Église. Le Christ nous parle et nous nous lui parlons en grandissant dans la connaissance et l’amour.

Le saint pape Paul VI, dans son encyclique « Ecclesiam suam » de 1964, écrivait : « L’Église se fait conversation » (n°67). Le dialogue fait partie de la mission de l’Église.

Le dialogue interreligieux se pratique de différentes manières : dialogue de la vie, dialogue de la collaboration et de l’expérience spirituelle, dialogue théologique.

Le dialogue de la vie concerne le quotidien. Nous côtoyons des musulmans et des hindous dans nos quartiers, sur nos lieux de travail et de loisirs, dans les commerces en faisant les courses … Il importe de se saluer et de se souhaiter une bonne fête lors des événements religieux. Il arrive que l’on partage des gâteaux pour associer les autres à la joie de croire. Les chrétiens pourraient partager quelques œufs de Pâques en chocolat si aimés par les enfants. L’œuf fermé qui contient le poussin symbolise le tombeau du Christ, scellé mais contenant la Vie.

Nous nous connaissons peu. Les catholiques connaissent peu les autres religions. Les musulmans et les hindous n’ont souvent du christianisme qu’une vision superficielle. Nous gagnerons à nous mieux nous connaître et cela enlèvera la peur. 

Le dialogue de collaboration renvoie aux engagements humanitaires tandis que le dialogue spirituel correspond au partage de l’expérience de Dieu dans la prière.

En ce qui concerne le dialogue théologique, il est préférable de le confier aux experts. Le chrétien affirme et affermit sa foi dans le dialogue. Il respecte la différence des croyances. La foi chrétienne repose sur la liberté de conscience et de religion, qui n’est pas toujours partagée malheureusement par d’autres religions. Les disciples de Jésus vivent dans une société pluraliste qu’ils servent avec le meilleur d’eux-mêmes.

Notre frère dominicain, Mgr Pierre Claverie (+1996), évêque et martyr en Algérie, désirait que les hommes passent de la tolérance au dialogue. En regardant la société avec des menaces de violence et de divisions, Mgr Pierre Claverie tenait à se placer « sur les lignes de fracture » afin d’y travailler pour la paix et la réconciliation. À la suite de Jésus persécuté (cf. Jn 15,20) et de saint Paul qui a subi la prison, les coups de fouet et la lapidation, l’évêque d’Oran a versé son sang au service du dialogue avec les musulmans.

Dans la première lecture, tirée des Actes des apôtres, saint Luc nous a présenté la vision du Macédonien, événement extraordinaire qui m’a toujours émerveillé : « À Troas, pendant la nuit, Paul eut une vision : un Macédonien lui apparut,9) debout, qui lui faisait cette demande : ‘Passe en Macédoine et viens à notre secours’ » (Ac 16, 9).

Il y a l’appel intérieur à sortir pour la mission. Dès le lendemain de cette vision, Paul et ses compagnons se sont mis en route vers la Macédoine, dans l’actuelle Europe, en quittant Troas dans la Turquie contemporaine.

Dans la tradition ignacienne, il est question du « sentir intérieur ». Dieu se manifeste se faisant « sentir » dans l’âme où il fait resplendir sa volonté. Cette volonté divine pour le salut de l’humanité finit par s’imposer dès l’intérieur à l’apôtre qui entreprend alors un nouveau chemin d’évangélisation.

Il me semble que cela s’applique aussi au dialogue interreligieux et aux appels que Dieu fait pour rapprocher les hommes.

Le cardinal Tauran affirmait : « Le religions font partie de la solution, pas du problème[2] ». Nombreux sont les exemples qui le montrent.

En 1986, le saint pape Jean-Paul II qui a foulé le sol de notre île, avait organisé à Assise (Italie) une rencontre interreligieuse avec une douzaine de représentants de plusieurs religions, sous le patronage de saint François, « le pauvre » qui voulut être le frère de tous.

La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 a aussi choisi ce mot « frère » pour désigner les relations entre les hommes.

Les religions contribuent à la paix.

À Marseille, en 1990, lors de la guerre du Golfe, le maire de la cité phocéenne réunit les représentants des religions présentes dans cette cité méditerranéenne afin de calmer les esprits. Dans la peur des conflits, des Marseillais achetaient des armes et se préparaient à des affrontements. C’est alors que dans le salon de la mairie, face aux journalistes et aux preneurs d’images, le prêtre orthodoxe Cyrille Argenti (+1994), proposa aux responsables religieux de se prendre par la main. Cette image de solidarité et d’espérance arrêta d’un coup les velléités de violence.

À La Réunion, le Groupe de dialogue interreligieux GDIR, travaille activement pour la paix. Par ailleurs, en tant qu’aumônier de la prison de Domenjod, je me réjouis des prières communes organisées à peu près une fois par an avec nos frères musulmans. Chrétiens et musulmans prient chacun selon sa foi et au terme de la rencontre, nous partageons un jus de fruit, geste d’amitié. Le fait de se serrer la main et de prier ensemble témoigne de notre fraternité. Les autres détenus comprennent que ce ne sont pas les religions qui déclencheront la violence.

Retenons encore une fois le message du cardinal Tauran : « Les religions font partie de la solution, pas du problème ».

                                                                                                    Fr Manuel Rivero – OP

[1]« Le Haut Comité pour la fraternité humaine » a invité tous les croyants à une prière contre le Covid-19 le 14 mai 2020. Le Haut-Comité pour la fraternité humaine est né de la signature le 4 février 2019 à Abou Dhabi du « Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune » par le Pape François et le Grand Imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyib lors du voyage du Saint-Père aux Émirats arabes unis.

 

 

[2]Cardinal Jean-Louis Tauran, Je crois en l’homme, « Les religions font partie de la solution, pas du problème ». Paris. Bayard. 2016.

 




Diplôme universitaire « République et Religions » (P. Isaïe)

Avec la permission et le soutien de notre évêque, Mgr Aubry, je me permets de vous signaler et de vous conseiller (pour tous ceux qui le peuvent), la formation du ‘DU’ (diplôme universitaire) :  ‘République et religions’, dispensée depuis quatre ans maintenant, sur notre île. Je viens de terminer cette année (fin février), tout juste avant le confinement. Cette formation est née après les attentats du ‘Bataclan’ dans seize universités, dont 2 de France ultramarine (Mayotte et La Réunion), de façon à éclairer les rapports entre les religions et les lois de la République, en bref toute la question de la laïcité.

Durée et matière

La formation dure une année scolaire, en fait une dizaine de mois, à la Technopole de St Denis, en omettant les vacances scolaires, car l’université se calque sur le calendrier scolaire ; les cours durent 6 heures, le jeudi (entre 9. 00 et 16. 30 avec une large pause à midi et deux petites pauses au milieu).

Les trois trimestres se déclinent à travers trois pôles d’intérêt :

                  – Le 1°commence par une connaissance des principales traditions religieuses de l’île.

                – Le 2°est la connaissance des lois régulant les associations et religions, la laïcité et des cas qui se présentent ; C’est un trimestre plus juridique.

                – Le 3°concerne le dialogue interreligieux et la culture de paix.

Vous trouverez plus de détails sur la pièce jointe que je vous envoie à la fin de mon texte.

Les intervenants 

Ce sont des ministres des différents cultes, pour une part (dont notre évêque, le vicaire général Pascal Chane-Teng, le Pasteur de l’EPR, des imams ou des présidents d’associations cultuels), mais aussi des professeurs, des anthropologues etc…

Le second volet est celui des juristes, dont une bonne partie sont des professeurs de la faculté de droit de l’université de la Réunion.

Enfin des présidents d’associations comme celle du Groupe de dialogue interreligieux, pour le dernier pôle.

J’avais des ‘légères appréhensions’, au niveau des juristes regardant ce thème de la laïcité, je dois dire que j’ai été étonné et surpris, par la grande ouverture d’esprit de nos enseignants/es.

La finalité et les débouchés

La finalité peut être diverse, selon les attentes de chacun. Ce peut être plus personnel, ce qui n’est jamais mal de ‘dégourdir l’esprit’, de s’enrichir ou d’approfondir des connaissances, de ‘se frotter’et de s’ouvrir à d’autres, différents… Cela peut faire partie de la formation continue. Il y a des gens que l’on n’approcherait pas d’aussi près (même à La RUN) que dans ce genre de formation. En tant que membre du groupe de dialogue interreligieux, je tenais à faire cette formation dès le commencement de celle-ci (mais rendue impossible la première année, à cause du jour, le samedi).  D’autres dans le groupe la faisaient, de manière obligée, parce que aumônier de prison ou se destinant à l’être ou encore aumônier d’hôpital ou … Le diplôme est aujourd’hui rendu obligatoire, pour postuler à ces postes. C’est donc un ‘plus’, au niveau de l’Etat.

De l’utilité de ce ‘DU’ et de de notre ‘témoignage’ 

Cette année a été pour tous (nous étions 12 au départ et 10 à l’arrivée ; 7 Musulmans (dont 5 imams), une de culture Hindoue, deux Evangéliques et deux Catholiques) une source de grand enrichissement intellectuel, humain, culturel, et spirituel. La ‘captatio benevolentiae’ (‘attraction de bienveillance’) vantée par Blaise Pascal a fait son chemin, et au terme est née, une véritable amitié entre nous, dans une grande simplicité et liberté. Il se fait que depuis les 2 premières ‘fournées’, je crois qu’aucun catholique (ni prêtre ou diacre) ne l’ait suivi. Sans doute est-ce dû à un manque d’information ? Toutefois, je crois que chacun a sa place (D’abord, ce n’est pas un ‘zaffair d’intellos’), car il y avait cette année parmi nous, une simple coiffeuse, avec une belle foi, qui a réussi son DU. D’autre part, j’ai demandé à notre évêque de faire passer le message, car s’il n’y a aucun Catholique, ni ministre ordonné (je suis le premier prêtre à le suivre), c’est un manque. On aura des quantités d’imams formés, des Protestants et des Catholiques absents ! Jusqu’à là, personne, personne…Peut-être que fréquenter ce cours est-ce ‘aller aux périphéries’ ?

Enfin le coût 

Une formation bien sûr a un coût, surtout à l’université. Normalement le coût de cette année de formation (de plus de 170 heures) devrait approcher les 2000 euros. Toutefois, elle revient à 600 euros, à cause des aides faites à l’université, par le gouvernement, pour développer cette formation particulière et nécessaire.

   Excusez-moi d’avoir été trop long. J’ai tout dit. Cela a été une année super, riche à tout point de vue. J’espère que les Catholiques, dont des ministres ordonnés, pourront être parmi les prochains étudiants.

Bien fraternellement ‘in Christo’.

P .Isaïe

Pour tout renseignement complémentaire sur cette formation, cliquer sur le titre suivant:

Fiche Formation DU République et religions (2017-2018)




Fête de Notre-Dame du Mont-Carmel – Beauté, silence habité et action (Fr Manuel Rivero, 16 juillet 2020)

Beauté de la Vierge Marie

À la grotte de Lourdes, le 16 juillet 1858, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, la Vierge Marie était apparue pour la dernière fois à Bernadette Soubirous. Apparition silencieuse, où « la Dame de la grotte était plus belle que jamais », selon le témoignage de la sainte voyante. Par ailleurs, sainte Bernadette de Lourdes déclarait que la Vierge Marie était tellement belle que l’on voudrait mourir pour la revoir.

La mère de Jésus resplendit de la lumière de son Fils ressuscité. Celle qui a participé aux souffrances du Calvaire où « une épée a transpercé son âme » ( Évangile selon saint Luc 2,35), rayonne maintenant du bonheur de Dieu lui-même.

 

 

Silence habité de la Vierge Marie

La Vierge Marie n’est pas bavarde ; elle n’est pas muette ni inhibée non plus. Femme de silence, Marie garde les paroles et les événements de la vie de son fils Jésus dans son cœur. Ce silence manifeste son dialogue intérieur avec le Père de Jésus.

Silence d’amour, silence de mère attentive aux difficultés qui oppriment le cœur de chacun.

Il y a des silences vides. Il est des silences de plénitude. Dieu est silence. Saint Jean de la Croix (+1591), le grand mystique espagnol, carme, enseigne que « le Père n’a dit qu’une parole : son Fils. Il la dit toujours dans le silence, un silence sans fin. C’est dans le silence qu’elle peut être entendue. » (Maximes. 147).

La liturgie parle des « silences sacrés » qui ne sont pas des pauses ni des parenthèses, mais de grands moments de communion avec Dieu.

Les amis et les artistes témoignent à leur tour de la richesse du silence : « Heureux les amis qui s’aiment assez pour se taire ensemble ! » (+ 1914 Charles Péguy). Les musiciens ont perçu dans le silence l’expression la plus haute de la musique et comme son point d’orgue. L’écrivain Sacha Guitry (+1957) s’exclamait à son tour : « Ô privilège du génie ! Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui » (Cf. Toutes réflexions faites).

Dans le mystère de la divine Trinité, la Parole jaillit du silence du Père dans l’Esprit Amour, Amour qui unit le Père et le Fils.

Les paroles de la Vierge Marie naissent du silence du Père qui a engendré Jésus en elle dans l’amour de l’Esprit Saint.

Le silence qui suit la prière mariale est encore un silence de Marie. D’ailleurs, le but du chapelet ou rosaire, si paradoxal que cela puisse paraître, n’est rien d’autre que le silence qui remplace dans le cœur le tumulte intérieur des idées par l’union transformante avec Dieu.

Maternité spirituelle de la Vierge Marie

À la différence de l’apôtre saint Pierre qui a reçu la grâce et la mission du gouvernement et de la prédication, la Vierge Marie a été investie d’une mission de maternité physique mais surtout spirituelle. Vocation autre et très haute, la bienheureuse Vierge Marie occupe la première place dans le Peuple de Dieu. À chaque messe, l’Église la cite en premier lieu dans toutes les prières eucharistiques, avant les apôtres.

Avant tout, la Vierge Marie brille comme un modèle de foi et d’intercession auprès de l’humanité. Sa prière, confiante, respectueuse et attentive aux besoins des hommes,  attire l’intervention salvifique de Jésus le Christ. À Cana, Jésus avait changé l’eau en vin en réponse aux paroles compatissantes de sa mère : « Ils n’ont pas de vin » (Évangile selon saint Jean 2,3).

Donnée comme mère spirituelle au disciple Jean, qui représentait la communauté chrétienne sur le Calvaire, la mère de Jésus devient la Mère spirituelle des disciples de Jésus. Tout au long de l’histoire de l’Église, sur les différents continents, les chrétiens ont témoigné de cette présence spirituelle et bienfaisante de la Vierge Marie.

Les sociologues ne cachent pas leur étonnement devant la force et le courage de tant de millions d’hommes, de femmes et des enfants, qui ont fait face à la persécution, à la maladie et à la pauvreté, grâce à leur attachement à la dévotion mariale notamment par la prière du chapelet.

La maternité spirituelle de la Vierge Marie se déploie dans sa prière. En la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, les catholiques se tournent vers leur « Mère spirituelle » pour lui confier leurs projets, leurs joies et leurs peines. D’innombrables ex-voto nous rappellent les merveilles accomplies par Dieu envers l’humanité en détresse à la prière de Marie. Patronne des marins souvent exposés aux tempêtes, invoquée sous le vocable « Stella maris », « Étoile de la mer »,  Marie veille sur ses enfants. « Souvenons-nous que l’on n’a jamais entendu dire que ceux qui ont imploré son aide aient été laissés sans consolation. »

Fr. Manuel Rivero O.P.

Saint-Denis/La Réunion, le 8 juillet 2020.




Les dogmes au service « d’une vraie vie spirituelle » (Thomas Merton).

La notion de dogme terrifie ceux qui ne comprennent pas l’Eglise. Ils ne peuvent concevoir qu’une doctrine religieuse puisse s’exprimer avec clarté, précision et autorité sans devenir aussitôt statique, rigide, inerte, et perdre toute sa vitalité. Dans leur désir frénétique d’échapper à une telle conception, ils se réfugient dans un système de croyances, vague et inconsistant, dans lequel les vérités passent comme des bancs de brume et changent comme des ombres. Et ils choisissent leurs propres fantômes dans ce crépuscule pâle et incertain de l’esprit, se gardant bien de jamais sortir ces abstractions dans la pleine lumière du soleil, de crainte de s’apercevoir de leur inanité.

Ils éprouvent un certain respect bienveillant envers les mystiques catholiques, car ils pensent que ces êtres exceptionnels ont, en quelque sorte, atteint les sommets de contemplation malgré le dogme catholique ; leur profonde union à Dieu est, croient-ils, une fuite devant l’autorité enseignante de l’Eglise, qui s’exprime justement à travers la Tradition que maintient cette autorité.

La foi est le premier pas vers la contemplation, et elle commence par une adhésion à l’enseignement du Christ tel qu’il se manifeste dans son Eglise : « Celui qui vous écoute m’écoute. » Et « voici, la foi vient en écoutant ».

Ce n’est pas la sèche formule d’une définition dogmatique qui illumine l’esprit du contemplatif catholique ; c’est l’adhésion au contenu de cette définition qui s’intensifie et s’amplifie en une pénétration vitale, personnelle et incommunicable de la vérité surnaturelle qu’elle exprime – en une compréhension qui est un don de l’Esprit-Saint et qui s’unit à la sagesse de l’Amour pour posséder la Vérité dans Sa Substance infinie, Dieu Lui-même.

Les dogmes de la foi catholique ne sont pas de simples symboles ou de vagues raisonnements que nous acceptons comme des stimulants arbitraires pouvant provoquer de bonnes actions morales – et il serait encore moins exact de croire que n’importe quelle idée ferait aussi bien l’affaire que celles qui ont été définies, que n’importe quelle pieuse pensée susciterait, dans nos âmes, cette vie morale inconsistante. Les dogmes définis et enseignés par l’Eglise ont un sens très précis, positif et déterminé, que ceux qui ont des aptitudes pour le faire doivent étudier et approfondir s’ils veulent avoir une vraie vie spirituelle.

Tous ceux qui le peuvent devraient acquérir un peu de la précision et de la finesse qu’ont les théologiens pour apprécier le sens véritable des dogmes. Tous les chrétiens devraient comprendre leur foi aussi profondément que leur état le leur permet. Ce qui signifie que tous doivent respirer la pure atmosphère de la tradition orthodoxe et pouvoir expliquer leur croyance en termes convenables – en termes qui renferment des idées authentiques.

Ce n’est cependant pas par un effort de l’esprit qu’on arrive à la véritable contemplation. On peut, au contraire, facilement se perdre dans la forêt, des détails techniques qui intéressent les théologiens professionnels. Mais Dieu donne aux véritables théologiens une faim, née de l’humilité, que les formules et les discussions ne satisfont pas et qui cherche quelque chose qui les rapprochera de Dieu plus que l’analogie ne peut le faire.

Cette faim sereine de l’esprit traverse la surface des mots, va au-delà de ce qu’expriment les mystères et cherche, dans l’humiliation du silence, de la solitude intellectuelle et de la pauvreté intérieure, le don d’une compréhension surnaturelle que les mots ne peuvent lui apporter.

Au-delà de l’effort du raisonnement, elle se repose dans la foi, et au-dessus du bruit des discussions elle saisit la Vérité, non sous forme de définitions nettes et précises, mais dans la limpide obscurité d’une intuition unique qui rassemble tous les dogmes dans la simple Lumière de l’Eternité resplendissant dans l’âme, sans l’intermédiaires des concepts créés, des symboles, du langage ou de ce qui ressemble aux choses matérielles.

Là se trouve la Vérité Unique, que nous connaissons et possédons, et par laquelle nous sommes connus et possédés. Là, la théologie cesse d’être un ensemble d’abstractions et devient une Réalité Vivante, qui est Dieu Lui-même. Il se révèle à nous dans le don total que nous Lui faisons de nos vies. Là, le Vrai n’est pas quelque chose qui existe pour notre intelligence mais Celui en qui, et pour qui, existent toutes les intelligences et tous les esprits. Et la théologie ne commence vraiment à être la théologie que lorsque nous avons dépassé le langage et les concepts particuliers des théologiens.

C’est la raison pour laquelle saint Thomas abandonna la Somme Théologique avec lassitude avant qu’elle fut terminée en disant qu’elle n’était que « paille ».

Et cependant, lorsque le contemplatif revient des profondeurs de sa simple expérience de Dieu et s’efforce de la communiquer aux hommes, il se retrouve fatalement sous le contrôle du théologien et il ne peut se dispenser de rechercher la clarté, la netteté et la précision d’expression qui canalisent la tradition catholique.

Aussi méfions-nous du contemplatif qui dit que la théologie « n’est que paille » avant même d’avoir essayé d’en lire.

Thomas Merton (Extrait de « Semences de contemplation).




Messe Chrismale 19 juin 2020 – Homélie de Mgr Gilbert Aubry

Pour accéder au texte de l’homélie, cliquer sur le lien ci-après :

Homélie Mgr Gilbert Aubry – Messe chrismale 2020




La dévotion du Père Lagrange au Sacré-Cœur de Jésus (Fr. Manuel Rivero O.P.)

La première pierre de l’École biblique de Jérusalem fut posée le 5 juin 1891 en la fête du Sacré-Cœur de Jésus. Le parchemin de l’inauguration signalait que cette École était destinée à développer les études bibliques sous le patronage de Notre-Dame du Rosaire. Le père Lagrange avait averti que dans les fondations de l’École les fouilleurs trouveraient des médailles du Sacré-Cœur, de Notre-Dame de Lourdes, de Notre-Dame du Rosaire, de saint Benoît, de sainte Marie-Madeleine et du pape Léon XIII qui régnait à ce moment-là[1].

 Le pape Léon XIII pensait que cette consécration au Sacré-Cœur s’harmonisait avec le lieu de la lapidation de saint Étienne, sur lequel était bâtie l’École biblique et la basilique Saint-Étienne. Le pape Léon XIII exhortait le père Lagrange et les frères dominicains en ces termes : « Oui, consacrez toute votre œuvre et l’église au Sacré-Cœur de Jésus. Le Sacré-Cœur ne peut être mieux que là, car lorsque saint Étienne voyait les cieux ouverts et Jésus debout à la droite de son Père, Jésus se montrait à lui avec ses plaies, celles de ses pieds et de ses mains, celle de son cœur ! »[2].

Dans sa prière personnelle, le frère Marie-Joseph, étudiant à Salamanque en 1881, se confie à l’intercessions de la Vierge Marie, sa « très douce Reine », lui demandant de le conduire à Jésus : « Conduisez-moi au Cœur-Sacré de Jésus »[3]. En 1881, au début de la même année, il avait choisi comme patron de l’année le Sacré-Cœur de Jésus en citant saint Bernard : « Enlevez la volonté propre et il n’y aura plus d’enfer »[4].

En 1924, au moment de rédiger son avant-propos à la traduction et au commentaire de l’Évangile selon saint Jean, le père Lagrange dédicace son ouvrage à ses confrères en choisissant la fête symbolique du Sacré-Cœur, dans la communion de l’amour de Jésus si bien transmis par le disciple bien-aimé : « Je prie mes collaborateurs de l’École biblique d’agréer l’hommage cordial et fraternel de cet ouvrage, en souvenir d’une vie dominicaine commune qui nous fut toujours douce. (…). Demandons tout simplement à Notre-Seigneur la grâce de mettre en pratique son commandement promulgué par saint Jean : Aimons-nous les uns les autres. Jérusalem, en la fête du Sacré-Cœur de Jésus, 27 juin 1924. »[5]

Dans ce même avant-propos, le fondateur de l’École biblique avait évoqué le cœur de Jésus et le geste fraternel de Jean qui y avait trouvé le repos de l’amour et l’intelligence du mystère de Jésus à la dernière Cène : « Il sied d’être timide à la suite d’Origène : « Osons le dire : les évangiles sont la part choisie de toutes les Écritures, et l’Évangile de Jean est la part choisie parmi les autres : nul ne peut en acquérir l’esprit s’il n’a reposé sur la poitrine de Jésus, et s’il n’a reçu de Jésus Marie pour sa mère. » Il s’agit bien d’une connaissance dans l’amour qui passe par les sens du corps et non d’une étude livresque de l’enseignement de Jésus. C’est du cœur de Jésus que jaillit l’esprit nécessaire pour interpréter l’Évangile à partir de la lettre comme révélation de l’Amour de Dieu.

La dévotion au Sacré-Cœur renvoie à la condamnation injuste de Jésus et au supplice de la croix exécuté par l’armée romaine qui occupait Israël. Rien de douceâtre dans cette image qui exprime la douleur de Jésus, le Fils de Dieu fait homme. La lance du soldat romain transperce le cœur de Jésus qui vient d’expirer après une affreuse agonie.

Nombreux sont ceux qui ont prié le Sacré-Cœur de Jésus pendant la guerre. Ce fut le cas de mon propre père qui avait porté l’image du Sacré-Cœur dans la poche de sa veste pendant la guerre civile espagnole de 1936-1939. Les malades aussi se sont tournés vers le Sacré-Cœur dans la souffrance et la crainte de la mort. Marseille, la cité phocéenne, a été la première ville à être consacrée au Sacré-Cœur lors de la peste en 1720 qui réduit de moitié le nombre de ses habitants.

Multiples sont les grâces reçues dans cette dévotion qui introduit les croyants dans le mystère du corps souffrant de Jésus qui guérit les hommes par ses saintes plaies.

Loin d’être une image morbide ou macabre de mauvais goût, le Sacré-Cœur de Jésus manifeste le triomphe de l’Amour de Jésus sur les puissances de mort : la jalousie, la haine, l’injustice, l’oppression, la maladie, l’abandon, la mort elle-même …

Du côté transpercé de Jésus ont jailli l’eau et le sang, symboles des sacrements du baptême et de l’Eucharistie, qui donnent la Vie de Dieu. Un vitrail de l’église de l’ancien couvent des Dominicains d’Annecy (France) représente le Christ en croix. Le disciple bien-aimé, Jean, fidèle au pied de la croix, soulève le calice vers le Cœur transpercé de Jésus. Quand l’eau et le sang sortis du Sacré-Cœur tombent dans ce calice, le serpent, image du diable, en sort vaincu. Le Sacré-Cœur de Jésus déploie sa puissance d’exorcisme en ceux qui le prient avec foi.

Le Sacré-Cœur de Jésus annonce au monde l’humilité du Christ Jésus qui s’est dépouillé de la gloire qui était la sienne avant la fondation du monde jusqu’à mourir sur une croix, « aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père »[6].

Disciple et bon connaisseur de saint Thomas d’Aquin, le père Lagrange partage sa vision théologique du cœur de Jésus comme symbole des saintes Écritures tel que le Docteur Angélique l’enseigne dans son commentaire aux Psaumes : « Par le cœur du Christ on entend la Sainte Écriture qui révèle son cœur. Mais ce cœur était fermé avant la Passion, parce que l’Écriture était obscure ; mais elle est ouverte après la Passion, puisque ceux qui la comprennent à présent considèrent et discernent de quelle manière les prophéties doivent être interprétées »[7]. Le cœur ouvert de Jésus ouvre l’esprit des disciples à l’intelligence des Écritures. C’est pourquoi Jésus ressuscité s’était manifesté aux disciples d’Emmaüs en leur ouvrant l’esprit par une longue catéchèse sur le Messie souffrant annoncé par le prophète Isaïe : « Ne fallait-il pas que le Messie endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? »[8]. La compréhension du Cœur transpercé de Jésus a rendu brûlants les cœurs de Cléophas et de l’autre disciple d’Emmaüs : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures ? »[9].Àl’apôtre Thomas, l’incrédule, Jésus ressuscité proposera d’avancer sa main et de la mettre dans son côté transpercé afin de devenir croyant. C’est devant ce côté transpercé, plaie ouverte du Cœur percé par une lance le Vendredi Saint, que Thomas s’exclame : « Mon Seigneur et mon Dieu »[10]. Cette phrase de l’incrédule Thomas est entrée dans la tradition de la prière chrétienne au moment de l’élévation du Corps et du Sang du Christ au cœur de la consécration eucharistique. Les fidèles dans le silence de leur cœur s’exclament : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Le Sacré-Cœur de Jésus continue d’ouvrir l’esprit des chrétiens à l’intelligence du mystère pascal célébré à chaque messe : la mort et la résurrection de Jésus.

Il importe de souligner l’apport de saint Thomas d’Aquin au Sacré-Cœur de Jésus que le Catéchisme de l’Église Catholique s’est plu à citer : « Le cœur[11]du Christ désigne la Sainte Écriture qui fait connaître le cœur du Christ. Ce cœur était fermé avant la passion car l’Écriture était obscure. Mais l’Écriture a été ouverte après la passion, car ceux qui désormais en ont l’intelligence considèrent et discernent de quelle manière les prophéties doivent être interprétées »[12].

Le Sacré-Cœur de Jésus apparaît ainsi comme le symbole qui résume la révélation de l’Amour de Dieu aux hommes. Nous pourrions utiliser le mot « logo » pour dire en langage contemporain la puissance symbolique du cœur de Jésus. Le Sacré-Cœur figure comme le « logo » du christianisme. Les artistes chrétiens ne se sont pas trompés en le représentant souvent dans les tableaux et les vitraux ou en le chantant comme le message de l’amour humilié et fidèle de Dieu envers l’humanité.

Dans son commentaire au Credo, saint Thomas d’Aquin relie le cœur ouvert de Jésus à l’ouverture du Paradis : « Quand le côté du Christ fut ouvert, la porte du paradis le fut aussi : et par l’effusion de son sang la souillure du pécheur fut effacée, Dieu fut apaisé, la faiblesse de l’homme guérie, sa peine expiée et les exilés rappelés dans le royaume. C’est pourquoi le Christ déclara aussitôt au bon larron qui l’implorait (Luc 23,32) : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis ». Ceci ne fut pas dit auparavant à qui que ce soit, ni à Adam, ni à Abraham, ni à David ; mais « aujourd’hui », c’est-à-dire, dès que la porte du paradis fut ouverte, le bon larron implora son pardon et l’obtint. »[13].

Le Sacré-Cœur de Jésus, symbole et « logo » de la miséricorde divine, ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures et le Paradis aux pécheurs.

Saint-Denis (La Réunion. France), le 9 juin 2020.

Fr. Manuel Rivero O.P.

Président de l’Association des amis du père Lagrange.

[1]Cf. Le père Lagrange au service de la Bible. Souvenirs personnels. Préface du P. Benoît, o.p. Paris. Éditions du Cerf. 1967. P. 38.

[2]LAGRANGE (Marie-Joseph), Saint Étienne et son sanctuaire à Jérusalem. Paris. Alphonse Picard et fils, éditeurs. 1894. P. 173.

[3]Marie-Joseph LAGRANGE, des Frères prêcheurs, Journal spirituel 1879-1932. Avant-propos de Fr. Manue Rivero O.P. Paris. Éditions du Cerf. 2014. Journal du 2 mai 1881. P. 140.

[4]Marie-Joseph LAGRANGE, des Frères prêcheurs, Journal spirituel 1879-1932. Avant-propos de Fr. Manue Rivero O.P. Paris. Éditions du Cerf. 2014. 1erjanvier 1881. P.118.

[5]Évangile selon saint Jean, par le P. M.-J. Lagrange, des Frères prêcheurs. Paris. J. Gabalda, éditeur. 1927.

[6]Épître de saint Paul aux Philippiens 2, 9-11.

[7]Thomas d’Aquin, Commentaire sur les Psaumes.Introduction, traduction notes et tables par Jean-Éric Stroobant de Saint-Éloy, osb. Éditions du Cerf. 1996. P. 267. Commentaire au Psaume 21,15 : « Mon cœur est devenu comme une cire fondant au milieu de mon ventre ».Cité par le Catéchisme de l’Église Catholiqueau n° 112.

[8]Évangile selon saint Luc 24, 26.

[9]Évangile selon saint Luc 24, 32.

[10]Évangile selon saint Jean 20, 28.

[11]Cf. Psaume 22,15 : « Mon cœur est pareil à la cire, il fond au milieu de mes viscères ».

[12]Catéchisme de l’Église Catholique n° 112.

[13]Saint Thomas d’Aquin, Le Credo. Introduction, traduction et notes par un moine de Fontgombault. Collection Docteur Commun. Nouvelles Lettres Latines. Paris. 1969. P. 101.




Dimanche 24 mai, 7° Dimanche de Pâques (Jn 17,1-11) – Messe télévisée sur RFO la 1° – Homélie de P. Philippe Mascarel

Frères et sœurs, la première lecture tirée du livre des Actes des Apôtres nous met dans la condition des disciples qui attendent la venue du Saint Esprit dans la Chambre haute, après avoir vu le Seigneur retourné vers le Père, dans son Ascension. Saint Luc, auteur de ce livre, nous donne un indice important. Marie, la mère de Jésus était là. Les Églises orientales aiment à placer Marie au centre des icônes représentant la Pentecôte. Nous voyons l’Esprit Saint descendre sur elle, et d’elle rejaillir sur tous les disciples présents. Marie tient une place importante dans l’accueil de l’Esprit Saint dans nos vies. Cette année, elle se fait ressentir d’une manière plus vive. Tout ce mois de mai, mois marial, privés des célébrations liturgiques et du sacrement de l’Eucharistie, le pape François et notre évêque nous ont invité à prier particulièrement le Rosaire, chez nous, comme dans un CENACLE, pour qu’avec Marie nous puissions attendre la venue de l’Esprit Saint. Nous sommes à quelques jours de la Pentecôte. La parole vient nous rappeler de continuer à prendre Marie chez soi dans notre attente de l’Esprit Saint. Providentiellement, le jour de la Pentecôte, 31 mai en cette année 2020, est aussi fêtée traditionnellement la Visitation de Marie, ce jour-même où le Saint Esprit par Marie, est descendu sur sa cousine Élisabeth et l’enfant qu’elle portait en elle.

La liturgie nous fait entendre aussi en ces dimanches d’après Pâques les discours que Jésus avait prononcés dans l’évangile de Jean. Jésus préparait les disciples car son départ vers le Père était imminent. Les disciples devaient vivre une nouvelle étape à travers l’absence physique de leur Maître. Cette absence physique se décline de 2 manières : c’est suite à la mort prochaine de Jésus sur la Croix, et aussi, et c’est ce que nous vivons ces jours-ci depuis l’Ascension, lorsque Jésus quitte définitivement les apôtres en montant physiquement au ciel.

La peur les habitait. « Que votre cœur cesse de se troubler » leur dit Jésus. « Je pars vers mon Père vous préparer une place et je reviendrai vers vous, et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous aussi vous soyez ». Et Jésus leur apprenait petit à petit, en bon pédagogue, à découvrir une autre présence, plus profonde et aussi réelle : « Je ne vous laisserai pas orphelins ». Je ne serai plus seulement à coté de vous, mais je serai « vivant en vous ». Un autre Défenseur vous sera donné et sera toujours avec vous. Il parlait de l’Esprit Saint qui leur sera plus intime à eux-mêmes qu’eux-mêmes. Il leur annonce une vie nouvelle dans l’Esprit.

Il fallait du temps pour que les disciples puissent saisir toute la portée de ces paroles du Christ, comme il nous faut du temps pour intégrer au cœur de nos vies de tous les jours cette réalité nouvelle du Christ mort et ressuscité. Nous aussi nous étions morts, déglingués, boiteux, aveugles et sourds. Et tout d’un coup une force de vie, guérissante, nous est communiquée. Il faut un peu de temps pour que les muscles de notre corps reprennent vigueur et force, ce corps tellement habitué à boiter, que nos yeux accueillent la lumière, ces yeux tellement accommodés à l’obscurité.

Ce chapitre 17 de l’évangile de Jean que nous venons d’entendre est la finale de ces longs discours de Jésus, commencés dès le chapitre 12. Ici, ces dernières paroles ne s’adressent plus aux apôtres, mais à son Père. Jésus prie longuement pour eux, pour nous, avant de nous quitter. Il est évidemment intéressant d’écouter et de comprendre ce qu’il demande à son Père. Nous n’avons entendu tout à l’heure que le début de cette longue prière. Je vous invite à la lire intégralement ces jours-ci dans tout le chapitre 17.

Permettez-moi de vous inviter à accueillir ce début de la prière de Jésus avec la Vierge Marie.

« L’heure est venue… Père glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie ». Le Fils est glorifié parce que l’heure est venue où il va être crucifié et mourir. L’heure est venue et il demande une chose : que Dieu remplisse ses disciples de sa vie : « Il donnera la vie éternelle à tous ceux que le Père lui a donnés », car il est venu dans le monde pour que les hommes aient la vie en plénitude. Rappelons-nous aux Noces de Cana, quand Jésus dit à Marie : « Que me veux-tu femme ? Mon heure n’est pas encore venue ». Par l’intervention de Marie, il donne le signe de l’abondance en changeant 600 litres d’eau en vin, symbole de cette nouvelle vie divine donnée à l’humanité. L’heure est venue pour que l’homme reçoive la vie divine en abondance. Or, la prière continue : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ ».

C’EST DE CONNAITRE DIEU ET CELUI QU’IL A ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST.

La connaissance de Dieu au sens biblique n’est pas une connaissance intellectuelle, c’est une relation amoureuse, comme les relations dans un couple. Connaître Dieu c’est établir une relation d’amour avec Dieu, une relation d’amour et de confiance que nous avons perdu avec Dieu depuis que Adam et Eve ont douté du bienfait de l’amour de Dieu pour eux, qu’ils se sont détournés de lui et ont péché.

Si bien que le 1er commandement que Dieu donne à son peuple sur le Mont Sinaï : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ta force, de toute ton âme, et de tout ton esprit », est vraiment la CLÉ de toute la réussite de l’existence humaine.

La vie éternelle, ce n’est pas une question de durée, une vie qui n’aurait pas de fin dans l’au-delà, qui dure éternellement. On risquerait de s’y ennuyer fort. Mais c’est connaître Dieu, c’est connaître son Amour infini, c’est accueillir cet Amour infini de Dieu dans ma vie. Quand on a été blessé ou trahi par l’amour, on ne sait plus accueillir l’amour. Dans ma chair, dans mon humanité je peux refuser l’amour… alors que je suis fait pour être aimé et aimer. Je suis comme cet enfant malnutri qui meurt de faim. On ne donne pas de la nourriture solide à un enfant malnutri. On commence par lui donner un peu de liquide pour que son corps malade s’adapte petit à petit à l’aliment qu’il reçoit. Au fur et à mesure ce petit d’homme reçoit la force nécessaire pour recevoir un aliment plus consistant. Il en est ainsi lorsqu’il s’agit d’accueillir la plénitude de l’amour de Dieu dans ma vie.

Eh bien là frères et sœurs, nous avons besoin de la Vierge Marie. Elle est celle qui a su accueillir pleinement la vie éternelle en elle. Elle a porté le Verbe en elle. Elle a porté Dieu. Elle est celle qui a su aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa volonté, à travers son Fils. « Voici ta Mère » nous dit Jésus sur la croix. Si tu l’accueilles comme ta Mère, elle te donne le lait de son sein pour panser tes blessures et tes déceptions de la vie, pour te faire expérimenter la Miséricorde De Dieu. Elle reçoit ce pouvoir en tant que Mère de te donner de la nourriture proportionnée à ta faiblesse, selon ce dont tu es capable aujourd’hui, en fonction de ton histoire, de tes blessures d’amour, de tes souffrances. Petit à petit, tu seras capable d’accueillir une nourriture plus solide. Tu seras capable d’écouter les paroles de Dieu, ses commandements d’amour dans ta vie sans que cela te soit un fardeau trop lourd ou trop exigeant, mais tu les recevras comme des paroles de vie. Tu diras comme Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? C’est toi qui as les paroles de la vie éternelle ».

L’Esprit Saint est cette vie nouvelle et éternelle donnée aux disciples du Christ, à tous les baptisés et à tous les hommes de bonne volonté. Avec la Vierge Marie, prions ardemment pour l’Église, pour nos sociétés, pour nos familles, pour nos communautés et pour nous-mêmes afin d’être témoins de cette vie nouvelle et éternelle qui nous est communiquée par le Christ mort et ressuscité. Amen.

                                                                                                  P. Philippe Mascarel




« Par ta Lumière, nous voyons la Lumière » (Ps 36,10) ; l’aventure de la foi (Thomas Merton)

Le Dieu vivant, Celui qui est Dieu et non une abstraction philosophique, dépasse infiniment la portée de notre vision ou de notre compréhension. Quelle que soit la perfection que nous lui attribuons, nous devons ajouter que l’idée que nous nous en faisons n’est qu’une pâle analogie de la perfection qui est en Dieu, et que les termes que nous employons ne correspondent pas littéralement à ce qu’Il est.

Celui qui est la Lumière Infinie se manifeste de manière si formidable que nos esprits ne peuvent Le voir que comme ténèbres. Lux in tenebris lucet et tenebrae eam non comprehenderunt (La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas comprise (Jn 1,5)).

Puisque rien de ce que nous sommes capables de voir ne peut être Dieu, ou nous donner une image digne de Lui, nous devons donc, pour trouver Dieu, aller au-delà du visible et pénétrer dans les ténèbres. Puisque rien de ce que nous pouvons entendre n’est Dieu, nous devons, pour Le trouver, demeurer dans le silence.

Puisque nous ne pouvons imaginer Dieu, tout ce que notre imagination nous suggère à Son sujet est finalement fallacieux et par conséquent nous ne pouvons Le connaître tel qu’Il est à moins d’aller au-delà de tout ce qu’on peut imaginer et d’entrer dans une nuit sans images ni analogie avec le créé.

Et puisque nous ne pouvons ni voir ni imaginer Dieu, les visions que les saints ont eues sont moins des visions de Lui que des visions à Son sujet ; car voir une forme ayant des limites précises n’est pas Le voir.

Dieu ne peut être compris que par Lui-même. Pour Le comprendre, il faut en quelque sorte nous transformer en Lui. Or ce n’est pas par une représentation de Lui qu’Il se connaît, mais par Son Être Infini Lui-même ; aussi ne Le connaîtrons-nous comme Il se connaît que lorsque nous serons unis à ce qu’Il est.

La foi est la première étape de cette transformation, car c’est une connaissance sans image ni représentation, par une identification aimante dans les ténèbres avec le Dieu vivant.

Ce n’est pas seulement par les sens que la foi parvient jusqu’à l’intelligence, mais par une lumière directement infusée par Dieu. Comme cette lumière ne passe pas par la vue, l’imagination ou la raison, sa certitude devient nôtre sans prendre contact avec le créé, sans ressembler à rien qui puisse être vu ou décrit. Certes, les termes des articles de foi que nous acceptons représentent des choses qu’on peut imaginer, mais dans la mesure où nous le faisons nous les comprenons mal et pouvons nous tromper.

Car enfin, nous ne pouvons imaginer le rapport qui existe entre les deux termes de la proposition suivante : « En Dieu, il a Trois Personnes et Une seule Nature. » Et tenter de le faire serait une grave erreur.

Si nous croyons, si nous faisons un acte de soumission tout simple à l’autorité de Dieu qui nous propose, par l’intermédiaire de Son Eglise, un article de foi, nous recevrons une lumière intérieure si simple qu’elle défie toute description, et si pure qu’il serait grossier de la qualifier d’« expérience ». C’est une lumière véritable, qui donne à l’intelligence humaine une perfection qui dépasse toute connaissance.

Certes, il faut se souvenir que la foi implique la croyance aux vérités proposées par l’Eglise. Mais n’insistons pas sur cet élément de soumission au point d’en faire l’essentiel de la foi ; comme si une obéissance froide, aveugle, obstinée, à l’autorité, suffisait à faire un « homme de foi ». Si nous exagérons l’importance du rôle de la volonté, nous ne verrons plus la différence entre une foi intelligente et une simple soumission à la volonté, ce qui peut être très néfaste dans certain cas, car sans cette lumière, cette illumination intérieure de l’esprit par la grâce qui nous fait accepter la vérité proposée de la main de Dieu et la comprendre à cause de Lui, l’esprit n’aura ni la paix véritable, ni le soutien surnaturel qui lui est dû, et nous n’aurons pas une vraie foi. Si l’élément positif, la lumière, fait défaut, nous nous contraignons à supprimer nos doutes au lieu d’ouvrir notre cœur à une foi profonde. Pouvons-nous, dans ce cas, prétendre avoir reçu véritablement le don de la foi intérieure ? C’est une question très délicate, car il arrive souvent que malgré une foi profonde, une adhésion sincère et aimante à Dieu et à Sa vérité, des difficultés puissent subsister dans l’imagination et l’intelligence.

En un certain sens, nous pouvons dire que nous avons encore des « doutes », si nous entendons par là, non que nous hésitons à accepter la doctrine révélée, mais que nous sentons la faiblesse et l’instabilité de notre esprit devant le terrible mystère divin. Il s’agit moins là d’un doute objectif que d’un sentiment subjectif de notre impuissance, parfaitement compatible avec une véritable foi. En fait, plus notre foi grandit, plus nous sentons notre impuissance, de sorte qu’un homme profondément croyant peut, en même temps, dans ce sens impropre, « douter » plus que jamais. Il ne s’agit nullement là de doute théologique, mais seulement d’un sentiment très normal d’insécurité naturelle accompagné d’angoisse.

L’obscurité même de la foi est une preuve de sa perfection. Elle est obscure pour nos esprits parce qu’elle dépasse infiniment leur faiblesse. Plus la foi est parfaite, plus elle devient obscure. Plus nous approchons de Dieu, moins notre foi se dilue dans la demi-lumière des images et des concepts créés. Notre certitude croît avec cette obscurité, non sans angoisse ou sans doute, parce que nous ne vivons pas facilement dans un vide où nos facultés naturelles ne peuvent s’appuyer sur rien. Et c’est dans les plus profondes ténèbres que nous possédons Dieu le plus pleinement, sur terre, parce que c’est alors que notre intelligence est véritablement libérée des faibles lumières créées qui, comparées à Lui, ne sont que ténèbres ; c’est alors que nous sommes remplis de Sa Lumière infinie qui semble ténèbres à notre raison.

C’est dans cette foi parfaite que le Dieu Infini Lui-même devient la Lumière de l’âme plongée dans les ténèbres, et que Sa vérité prend entièrement possession d’elle. Alors, en cet instant indicible, la nuit la plus profonde devient le jour, et la foi se transforme en compréhension.

De ce qui précède, il évident que la foi n’est pas seulement un moment de notre vie spirituelle, ni un pas vers quelque chose d’autre. C’est une acceptation de Dieu qui est le climat même de toute vie spirituelle. C’est le début de l’union, et à mesure que notre foi et notre union s’approfondissent, cette acceptation de Dieu devient de plus en plus intense, en même temps qu’elle affecte tous nos actes et nos pensées. Je ne veux pas dire que dorénavant toutes nos pensées seront enveloppées dans de pieuses formules, mais plutôt que la foi ajoute une dimension de simplicité et de profondeur à toutes nos perceptions et à toutes nos expériences.

Quelle est cette dimension de profondeur ? C’est l’incorporation de l’inconnu et de l’inconscient dans notre vie quotidienne. La foi rassemble le connu et l’inconnu de sorte qu’ils s’imbriquent ; ou, plutôt, que nous sommes conscients de leur imbrication.

En fait, notre vie entière est un mystère dont notre compréhension consciente ne saisit qu’une petite partie. Mais lorsque nous acceptons seulement ce qui tombe sous notre raisonnement conscient, notre vie se réduit à de pitoyables limites, même si nous ne nous en rendons pas compte. (Nous avons été élevés dans le préjugé absurde que ne comprenons et n’assimilons vraiment que ce que nous pouvons formuler consciemment et rationnellement. Lorsque nous pouvons définir une chose, ou une de nos actions, nous nous imaginons que nous en saisissons pleinement le sens. En réalité cette transformation d’une idée en mots – très souvent ce n’est rien de plus – tend à nous couper de la véritable expérience et à diminuer notre compréhension au lieu de l’augmenter.)

La foi se contente pas d’expliquer l’inconnu, de le munir d’une étiquette théologique et de le ranger en lieu sûr pour que nous n’ayons plus à nous en occuper ; une telle conception serait tout à fait contraire à ce qu’elle est réellement. La foi mêle l’inconnu à notre vie quotidienne d’une manière vivante, dynamique et réelle. L’inconnu demeure l’inconnu. Le mystère reste entier. Le rôle de la foi n’est pas de transformer le mystère en évidence claire et rationnelle, mais d’intégrer le connu et l’inconnu en un ensemble vivant qui nous permette de plus en plus de dépasser les limites de notre moi.

Le rôle de la foi ne consiste donc pas seulement à nous mettre en contact avec « l’autorité de Dieu » et à nous enseigner les vérités révélées par Lui, mais encore à nous faire découvrir l’inconnu qui est en nous, dans la mesure où notre moi inconnu vit en Dieu et agit sous la lumière de Sa grâce miséricordieuse.

C’est, pour moi, l’aspect essentiellement important de la foi, trop souvent ignoré de nos jours. Foi ne signifie pas seulement soumission, mais vie. Elle englobe la vie sous toutes ses formes, et pénètre dans les profondeurs les plus mystérieuses et les plus inaccessibles de notre être spirituel inconscient et de Dieu dans son essence et son amour. La foi est donc le seul moyen de connaître la véritable réalité, même notre véritable réalité. Si l’homme ne s’abandonne à Dieu par une foi totale, sa propre nature lui demeure fatalement étrangère, exilée, parce qu’il est séparé du fond le plus vrai de son être ; celui qui demeure obscur et inconnu parce qu’il est trop simple et trop profond pour être connu par la raison.

Voulez-vous dire le subconscient ? demanderez-vous. Une distinction s’impose. Nous avons tendance à croire que nous avons un esprit conscient et un subconscient qui est au-dessous du conscient, ce qui peut induire en erreur. Le conscient est pressé de toutes parts par l’inconscient. Notre raison est entourée de ténèbres. Notre esprit conscient ne domine nullement notre être ; il contrôle seulement certains éléments qui lui sont inférieurs. Mais il peut à son tour être poussé par l’inconscient. Et comme il ne faut pas qu’il soit mené par quelque chose d’inférieur, il est important de distinguer les éléments émotifs, instinctifs, et les éléments spirituels, « divins », pourrait-on dire, de cet esprit conscient.

Or la foi intègre l’inconscient tout entier au reste de notre vie, mais elle opère de diverses manières. Les éléments inférieurs sont acceptés (et non simplement rationalisés) dans la mesure où ils sont voulus par Dieu. La foi nous permet de transiger avec notre nature animale et d’essayer de la mener selon la Volonté de Dieu, c’est-à-dire selon l’amour, en même temps qu’elle soumet notre raison aux forces spirituelles cachées qui sont au-dessus d’elle. Ce faisant, l’homme tout entier est sous la dépendance de l’inconnu qui le domine.

Dans ce domaine du mystère se cache non seulement la partie la plus élevée de l’être spirituel de l’homme (qui est, pour sa raison, une énigme absolue), mais encore la présence de Dieu.

La foi permet à l’homme d’entrer en contact avec ce qu’il possède de plus profond spirituellement, et avec Dieu. Selon la théologie traditionnelle, les Pères de l’Eglise grecque donnaient trois noms à ces trois aspects de l’esprit humain. L’âme « animale », inconsciente et non raisonnable était l’anima ou psyche, domaine de l’automatisme où l’homme agit en organisme psychophysique. Cette anima est une sorte de principe féminin, ou passif, de l’homme.

Puis il y a la raison ; le principe lucide conscient, actif ; l’animus ou nous. L’esprit est ici principe masculin, l’intelligence qui commande, raisonne, guide notre activité avec prudence et réflexion. Il gouverne le principe féminin, l’anima passive. L’anima est Eve, l’animus, Adam. Par suite du péché originel Eve tente Adam et sa pensée raisonnée cédant à ses impulsions aveugles, il se laisse gouverner par l’automatisme des réactions passionnées, par les réflexes conditionnés plutôt que par les principes moraux.

Cependant, l’homme n’est pas seulement composé d’une anima gouvernée par l’animus, d’un principe masculin et d’un principe féminin. Il en est un plus élevé qui transcende les distinctions de masculin et de féminin, d’actif et de passif, de réfléchi et d’instinctif. Ce principe plus élevé dans lequel se fondent les deux autres pour monter jusqu’à Dieu est le spiritus ou pneuma.

Ce n’est pas seulement un attribut de l’homme, c’est l’homme lui-même, uni, vivifié, élevé au-dessus de lui-même et inspiré par Dieu. L’homme atteint là son plein développement. L’homme n’est vraiment homme que lorsqu’il forme, avec Dieu, « un esprit ». L’homme est « esprit » lorsqu’il est à la fois anima, animus et spiritus. Ces trois choses n’en font d’ailleurs qu’une. Et lorsqu’elles sont parfaitement ordonnées dans leur unité, tout en gardant leurs qualités intrinsèques, l’homme est recréé à l’image de la Sainte Trinité.

La « vie spirituelle » est donc la vie parfaitement équilibrée dans laquelle le corps, avec ses passions et ses instincts, l’intelligence avec sa raison et sa soumission aux principes et l’esprit illuminé passivement par la lumière et l’amour de Dieu forment un homme qui est en Dieu, avec Dieu, de Dieu et pour Dieu. Un homme pour qui Dieu est tout. Un homme dans lequel Dieu fait, sans obstacle, Sa propre Volonté.

Nous pouvons facilement comprendre qu’un amour purement émotif, une vie dominée par l’instinct, une religion purement orgiaque, ne mènent pas à la vie spirituelle, pas plus qu’une vie uniquement rationnelle, une vie de réflexion consciente et d’activité entièrement gouvernée par la raison. Réduire la spiritualité de l’homme à une « mentalité » et situer toute la vie spirituelle, purement et simplement, dans l’intelligence capable de raisonner, est une erreur moderne caractéristique. La vie spirituelle se réduit alors à des opérations intellectuelles – raisonnements, formules, etc. Une telle vie est tronquée et incomplète.

La vraie vie spirituelle n’est ni une vie d’orgie dionisiaque, ni une vie d’une limpidité appolonienne ; elle les dépasse toutes deux. C’est une vie de sagesse, une vie d’amour sage. Dans Sophia, le principe de la sagesse la plus élevée, sont unis inséparablement la grandeur et la majesté de l’inconnu qui est en Dieu, et tout ce qui est fertile et maternel dans Sa création : les principes paternel et maternel, le Père incréé et la sagesse créée.

La foi nous ouvre ce royaume plus élevé d’union, de force, de clarté, d’amour sage où, au lieu de la lumière limitée et fragmentaire que donnent les principes rationnels, la Vérité est Une et Indivise et ramène tout à elle dans l’intégrité de Sapientia ou de Sophia. Lorsque saint Paul disait que l’Amour est l’accomplissement de la Loi et que l’Amour a délivré l’homme de la Loi, il voulait dire que, par l’Esprit du Christ, nous sommes incorporés à Lui, qui est la force et la sagesse de Dieu, afin qu’Il devienne notre vie, notre lumière, notre amour et notre sagesse. Notre vie spirituelle dans sa plénitude est une vie de sagesse, une vie dans le Christ. Les ténèbres de la foi portent leur fruit dans la lumière de la sagesse.

Thomas Merton, « Semences de contemplation », Editions Points 2010 p. 137-147.