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Dimanche 17 mai, 6° Dimanche de Pâques (Jn 14,15-21)  – Messe télévisée sur RFO la 1° – Homélie de P. Pascal Mussard

Dans l’évangile, que nous venons d’entendre, Jésus prépare, enseigne ses disciples. Il sait que bientôt son heure va venir, qu’il va vivre la passion, la mort, la résurrection … et qu’il devra retourner vers son Père.

D’une certaine manière, il donne à ses disciples ses dernières consignes, son testament pour qu’ils puissent continuer la mission de son Père.

Il leur fait une promesse : je ne vous lâcherai pas, (non) je ne vous abandonnerai pas ! Je vous donnerai l’Esprit de vérité, l’Esprit Saint qui sera toujours auprès de vous, pour vous consoler, vous défendre, vous guider…

Pendant qu’il prononce ces paroles, Jésus ne pense pas seulement aux douze hommes qui l’ont accompagné tant bien que mal sur les routes de Palestine. Il pense aussi à chacun d’entre nous, à tous ceux qui souffrent, ceux qui cherchent une raison de vivre à laquelle s’agripper, notamment en cas de difficulté familiale, professionnelle ou de deuil.

Pour illustrer cette promesse de Jésus de toujours être avec nous, je voudrais vous partager le témoignage d’un prêtre.

« J’ai pu, dit-il, retrouver à quelques années de distance des parents qui avait perdu un enfant et dont la vie avait été brisée par le deuil. L’un d’eux m’a raconté  que les mois qui ont suivi ont été marqués par l’angoisse,  par un brouillard épais. Puis, lentement, un peu de calme entre dans le cœur. Non pas la sérénité, pas le bonheur, mais un peu de paix. Avec l’impression, de ne plus avoir peur de la mort non plus. Si je meurs un jour, en fin de compte, je ne meurs pas, je vais retrouver mon enfant. Je vis aujourd’hui intensément, je me dévoue pour les autres, pour ceux qui sont dans le besoin. »

Le Christ ne nous abandonne pas ! Il nous accompagne.

C’est le cas du disciple Philippe dans la 1e lecture qui s’en va en mission porté par l’espérance et par la foi ! Dans la 1ere lecture, Philippe fait partie du groupe des 7 diacres qui ont été appelé par les apôtres pour les aider dans leur mission. Il est envoyé, en terre étrangère, en Samarie, où il proclame le Christ ressuscité. Il fait comme Jésus l’a appris à ses disciples, il va vers les méprisés, il proclame la Parole, il enseigne, Il rassemble des foules, il délivre, il guérit et une grande joie envahit toute la ville.

 En écoutant ce récit, cela nous rappelle l’action de Jésus lui-même. Contempler Jésus, vivre ses commandements, annoncer le règne de Dieu, voilà la mission du disciple. Cette mission, il ne la vit pas seul, il la vit en communion avec les autres (disciples) et d’ailleurs (dans ce récit) Pierre et Jean, (les 2 apôtres) viennent imposer les mains à ces Samaritains pour que eux, aussi, puissent recevoir l’Esprit Saint, le Défenseur, l’Esprit de vérité et ainsi parfaire leur l’initiation à la foi.

Dans la seconde lecture, Pierre annonce le Christ avec beaucoup de zèle à des chrétiens qui se heurtent à la calomnie et à la persécution. Il leur rappelle que quelles que soient les épreuves et les difficultés, le disciple reste ferme dans la foi et qu’il doit toujours être prêt à rendre témoignage, avec douceur et respect, de l’espérance qui l’habite. La foi ne s’impose pas, elle se propose, avec douceur et dans le respect des personnes. Comme Jésus, Pierre nous rappelle que nous devons rejeter toute violence et agir pour le bien. Le Bien est d’une certaine manière l’ADN du chrétien, la signature des enfants de Dieu…

Je me souviens de cet homme de terrain qui était injustement accusé. Son directeur l’appel au téléphone et le convoque dans son bureau ! Cet employé conscient d’être dans son bon droit et se sentant injustement accusé se rend seul au bureau. En ouvrant la porte, on lui dit : « Oussa y lé out syndicat ! » Il répondit aussitôt : « Mon Syndicat c’est Jésus Christ ! »

Le Christ ne nous abandonne pas ! Il nous accompagne.

Les textes de ce dimanche nous invitent à méditer sur l’attitude du disciple du Christ. Le disciple répond à l’appel du maitre. Il accepte de se mettre à sa suite. Il l’accueille, il l’écoute, et il se laisse guider. Il aime son Seigneur, garde ses commandements et essaie de les vivre. Il prend conscience de sa fragilité, de sa pauvreté, mais aussi de ses qualités pour se mettre au service du Bien. Le disciple du Christ est celui qui rend témoignage de l’espérance, de la joie, de l’amour qui l’habitent.

Dans « la joie de l’évangile », le pape François, nous encourage à être des « disciples – Missionnaires ». Il dit : « Après avoir écouté et regardé comment Dieu agit, le « disciple – Missionnaire » se met lui-même à agir. Il invente de nouvelles routes, il est hardi, il ne se concentre pas sur lui mais sur ceux qui sont en dehors de l’Église, les incroyants, les pauvres, les marginaux. Il  n’y   va   pas avec un étendard, il n’est pas un propagandiste de l’Évangile, mais il cherche à rendre compte de la joie d’être chrétien.

Frères et sœurs, entendons-nous l’appel urgent, du pape François à être des « disciples – missionnaires » ?

Dieu notre Père, ravive en nous l’Esprit – Saint que nous avons reçu au baptême pour que nous soyons de vrais disciples du Christ, des disciples joyeux à faire le bien.

 Amen

                                                                                                      P. Pascal Mussard




 » La Vierge Marie, patronne de l’Ordre des prêcheurs  » (Fr Manuel Rivero O.P.)

Quand vous entendez « Vierge Marie », à quoi pensez-vous ? Qu’est-ce qui vous attire dans la vie de la Mère de Dieu ? Sous quel vocable aimez-vous l’appeler ?

La Réunion, île mariale, invite les chrétiens à se confier à l’intercession la mère de Jésus sous une multitude de vocables comme le montrent les titres de nos paroisses et de nos lieux de pèlerinage : Notre-Dame du Rosaire, Notre-Dame de la Salette, Notre-Dame de la Délivrance, Notre-Dame de la Source, Notre-Dame de la Trinité, Notre-Dame de l’Assomption, Notre-Dame de Lourdes, Notre-Dame du Mont-Carmel, Notre-Dame du Sacré-Cœur, Notre-Dame Reine du monde, Notre-Dame des neiges, Notre-Dame de la Paix, Notre-Dame des douleurs, Notre-Dame du Bon Port, Notre-Dame Auxiliatrice, Notre-Dame au Parasol, la Vierge noire …

Eglise de la Paroisse Notre Dame des Neiges, Cirque de Cilaos

Aujourd’hui nous faisons mémoire de Notre-Dame, patronne de l’Ordre des prêcheurs. Un ancien maître de l’Ordre au XIIIe siècle, le frère Humbert de Romans (+1277), témoignait déjà de la confiance des frères prêcheurs de l’Évangile dans le patronage de la Vierge Marie : « La bienheureuse Vierge Marie fut l’aide principale dans la fondation de l’Ordre … et l’on espère qu’elle le conduira à bon port », écrivait-il à ses frères.

C’est la Vierge Marie qui a voulu l’Ordre des prêcheurs pour que son fils Jésus, le Verbe fait chair, soit connu, loué et aimé.

Les moniales dominicaines commencent et finissent leurs journées en priant la Vierge Maria. Quand je cherchais ma vocation étant étudiant en sciences économiques, j’avais passé quelques jours au couvent dominicain de Caleruega (Espagne). C’était l’hiver. La neige habillait d’un blanc limpide les champs castillans. Le matin, avant l’aube, un frère novice réveillait les autres frères en chantant dans les couloirs. C’était romantique. C’était beau.

Le poète Baudelaire (+1867) disait à propos du père Lacordaire (+1861), dominicain : « Le père Lacordaire est un prêtre romantique et je l’aime ».

Vierge de silence, Marie de Nazareth gardait les enseignements et les événements de son Fils dans son cœur. Elle les priait en les interprétant à la lumière de l’Ancien Testament.

Marie, Paroisse St Martin à Grand Ilet, Cirque de Salazie

Femme, cent pour cent juive, cent pour cent chrétienne, Marie vivait de la parole de la Loi de Moïse, des Psaumes et des prophètes.

Fille de Dieu le Père, épouse du Saint-Esprit, mère et disciple du Fils de Dieu, le Verbe fait chair, Marie a été plongée dans le mystère de la sainte Trinité sans recevoir un baptême d’eau.

Par sa foi dans les paroles de l’ange Gabriel à l’Annonciation, Marie a conçu d’abord don Fils dans son cœur. À l’image du Père qui conçoit éternellement son Fils, Parole intérieure, dans l’amour de l’Esprit-Saint, Marie de Nazareth a conçu d’abord son Fils Jésus dans le silence du cœur par la pensée de foi en Dieu le Père dans l’amour de l’Esprit Saint.

Il nous arrive de dire à quelqu’un : « Excusez-moi, je ne t’ai pas envoyé la lettre que je t’avais écrite en pensée. »

Il en va de même dans le mystère de la sainte Trinité. Dieu le Père pense éternellement son Fils, la Parole vivante. Cette Parole vivante a pris chair en Marie par la foi. Le Verbe s’est manifesté dans l’Incarnation. Dieu, que personne n’a jamais vu, s’est révélé aux hommes en devenant homme.

La Parole de Dieu n’est une vibration de l’air mais la pensée intérieure du Père.

Depuis le commencement du monde, aucun homme n’avait pu imaginer ni voir le mystère de Dieu. La Vie de Dieu s’est dévoilée en Jésus, le Verbe fait chair, né d’une femme.

Marie, Musée de Sens

À l’exemple de notre pensée qui peut devenir lisible dans une lettre, le Fils de Dieu s’est fait connaître en tant homme grâce à Marie. C’est pourquoi, des docteurs de l’Église comme saint Albert le Grand appellent la Vierge Marie « la feuille blanche » sur laquelle Dieu a écrit notre salut. Sainte Catherine de Sienne, à son tour, voyait en Marie le livre où est écrite notre Rédemption.

Cela dit, nous ne sommes pas la religion du Livre mais la religion de la Parole vivante.

« Le silence, père des prêcheurs », dit un dicton dominicain enseigné aux novices comme la voie de la sagesse et de l’union à Dieu.

L’Annonciation, Basilique du Rosaire à Lourdes

Marie est la femme qui écoute dans le silence. C’est dans le silence du cœur que Marie a accueilli l’annonce de l’ange Gabriel : « Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce ».

Dieu est silence et Il nous parle dans le silence. Le bruit nous empêche d’écouter Dieu. Le bruit casse nos conversations intérieures avec Dieu.

Femme habitée par le Verbe fait chair, Marie s’empresse de rejoindre la maison d’Élisabeth, sa cousine, qui était enceinte de Jean le Baptiste, pour lui apporter la grâce du Messie, qu’elle portait dans corps, Jésus.

Femme serviable, Marie aide sa cousine âgée à préparer la naissance de son fils.

Femme de louange, Marie chante le Magnificat : Dieu accomplit des merveilles chez les humbles et les humiliés.

La Visitation, Basilique du Rosaire à Lourdes

Femme appelée à la sainteté dans le quotidien, Marie prie Dieu qui aime la vie cachée : « Vraiment, tu es un Dieu caché, Dieu d’Israël, sauveur », s’exclame le prophète Isaïe.

Femme, épouse et mère, elle soutient avec tendresse la foi et le travail de Joseph, en partageant l’éducation de Jésus avec lui.

Membre du peuple d’Israël, Marie aime les pèlerinages à Jérusalem où elle monte en chantant les Psaumes.

Femme, ayant reçu l’allégresse de l’Esprit-Saint, Marie participe aux noces de Cana où elle danse avec les convives, en veillant à la réussite de la fête comme le montre son regard attentif et miséricordieux : « Ils n’ont pas de vin ». Femme ayant les pieds sur terre, Marie s’occupe des choses pratiques et matérielles. Ce jour-là, Jésus changea l’eau en vin et il manifesta sa gloire.

Femme des douleurs sur le Calvaire, Marie est donnée comme mère spirituelle à l’Église qui communie à la Passion de Jésus-Christ.

Première Église, première chrétienne, Marie fait corps avec les apôtres et les disciples de son Fils Jésus lors de la descente de l’Esprit Saint à la Pentecôte, dans la chambre haute, le Cénacle.

Marie, Basilique de la Dormition à Jérusalem

Femme prophète, Marie transmet aux apôtres et aux évangélistes, les secrets de l’avènement de son Fils en son cœur et en son corps. Sans son concourt, saint Luc n’aurait pas pu écrire les événements de l’enfance de Jésus.

Femme non possessive, tournée vers son Fils, Marie oriente l’humanité vers le seul Sauveur, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus : « Faites tout ce qu’il vous dira ».

Femme d’espérance, Marie prépare le retour de son Fils Jésus à la fin des temps.

Sa maternité spirituelle se déploie dans l’intercession auprès de son Fils. En priant elle touche le cœur de Dieu ; en touchant le cœur de Dieu, elle marque le cours de l’histoire, car Dieu seul en est le maître.

Icône de Marie, Basilique de la Nativité, Bethléem

Demandons à Dieu la grâce d’aimer Jésus comme Marie l’a aimé et d’aimer Marie comme son fils Jésus l’a aimé.

Nous manquons de mots humains pour dire la beauté et la grandeur des merveilles accomplies par Dieu sur l’intercession de la Vierge Marie.

C’est pourquoi nous faisons appel à une multitude de vocables qui n’épuisent pas le mystère de l’œuvre accomplie par Marie en notre faveur. Prions pour notre Église à La Réunion, île mariale, que la Mère de Dieu chérit et protège.

 

                Monastère des moniales dominicaines (Saint-Denis/La Réunion), mai 2020

                                                            Fr. Manuel Rivero O.P.

 




 » Le pape François, avocat de la dignité sacrée des personnes détenues  » (Fr Manuel Rivero O.P.)

Un investissement exceptionnel

Rarement dans l’histoire de l’Église, un pape s’est autant investi dans l’évangélisation des personnes détenues comme le fait le pape François. Il se rend dans les prisons de Rome, d’Italie, du Mexique et du Chili. Il aime les rencontrer, hommes et femmes, pour les écouter, leur apporter la Parole de Dieu, défendre leur dignité sacrée et leurs droits, leur laver les pieds, partager leur repas[1], leur ouvrir un chemin d’espérance : « ‘Courage’. Ce mot vient du cœur. Courage, parce que vous êtes dans le cœur de Dieu, vous êtes précieux à ses yeux, et même si vous vous sentez perdus et indignes, ne perdez pas courage. (…) Ne vous laissez jamais emprisonner dans la cellule sombre d’un cœur sans espérance, ne cédez pas à la résignation. Dieu est plus grand que tout problème, et il vous attend pour vous aimer. Mettez-vous devant le Crucifix, sous le regard de Jésus »[2].

La croix

La croix et le chapelet sont très demandés par les personnes détenues. Prier devant le Crucifix leur donne d’entrer dans le cœur de Jésus qui manifeste l’amour du Père pour l’humanité, jusqu’au supplice de la croix et la mort. Le chapelet comporte une croix, avec laquelle commence et finit la méditation des mystères du Rosaire. Le pape François prêche le mystère de la croix de Jésus. La croix dit l’amour libérateur de Dieu. La croix exprime l’amour de Dieu, sans domination ni calcul. En prison, comme à l’extérieur des murs, la libération de l’homme passe par l’amour et le pardon qui représente un don par-dessus tout : par-don : « L’amour vrai est la vraie liberté. Il rend libre, même en prison si l’on est faible et limité »[3]. L’ego rend prisonnier, prisonnier de soi-même. Le pape aime citer dans ses enseignements le théologien allemand Romano Guardini (1968), pour qui la libération de l’homme passe par « l’ancrage sur quelqu’un de plus grand que lui-même ». Pour y parvenir, l’homme doit s’appuyer sur Dieu, pour vaincre le mal par le bien, à l’exemple de Jésus en croix.

En traversant la porte des prisons, il avoue se demander : « Pourquoi eux et pas moi ? »[4]Il aurait pu se retrouver en prison, mais la miséricorde de Dieu l’en a libéré et il ne se considère pas meilleur que ceux qui sont en prison : « Nous faisons tous des erreurs dans la vie et nous sommes tous pécheurs »[5]. Sa devise épiscopale à Buenos Aires : « Miserando atque aligendo »[6](ayant pitié de lui, il le choisit) qui trouve son origine dans la vocation de Matthieu, le publicain, manifeste l’expérience de la miséricorde de Dieu par le pape François. Il raconte sa confession le 21 septembre 1953 au père Carlos Duarte Ibarra : « Je me suis senti accueilli par la miséricorde de Dieu en me confessant à lui ». La honte lui apparaît à la suite des enseignements de saint Ignace de Loyola, une grâce à demander à Dieu, car elle fait passer le pécheur de la culpabilité, qui enferme, au pardon qui libère.

Amour de Dieu pour les personnes détenues

Dans la prison San Vittore de Milan, le pape avait déclaré aux détenus le 25 mars 2017 : « Le Seigneur aime autant vous que moi, le même Jésus est en vous et en moi[7]. (…) Je me sens chez moi parmi vous » (…) Vous êtes le cœur de Jésus blessé ».

Le pape recommande aux chrétiens de pratiquer des œuvres de miséricorde en allant visiter les détenus, en rappelant l’importance des gestes comme le sourire, la poignée de main … Ces petites attentions peuvent illuminer les visages des personnes détenues sur lesquels coulent souvent beaucoup de larmes : « Combien de larmes ai-je vu couler sur les joues de prisonniers qui n’avaient peut-être jamais pleuré de leur vie ; et ceci, seulement parce qu’ils se sont sentis accueillis et aimés[8] ».

Le pape invite les chrétiens à ne pas juger les détenus. Qui connaît les souffrances et le cœur de l’homme ? Il est juste de punir ceux qui ont commis des crimes, mais le plus important pour les croyants est de ne pas « se laver les mains trop facilement affirmant qu’ils se sont trompés. Un chrétien est plutôt appelé à les prendre en charge, pour que celui qui s’est trompé comprenne le mal commis et rentre en lui-même. (…) Que personne, donc, ne pointe le doigt contre quelqu’un [9] ».

Le pape François parle en mystique qui a goûté la douceur du Christ Jésus : « Dieu ne force pas la porte, il demande la permission d’entrer[10] ». C’est Jésus qui prend l’initiative de rencontrer l’humanité : « La vie de Jésus, surtout dans les trois dernières années de son ministère public, a été une rencontre incessante avec les personnes[11]. »

Proche des détenus

L’ambiance des prisons n’a rien de réjouissant. Tout au contraire, les personnes détenues en parlent comme d’un lieu sans vie, un parfum de mort, une sorte de cimetière, sans liberté, oppressant, stressant. Pourtant le pape François déclare se sentir à l’aise dans les bâtiments des prisons. Il se dit proche de ceux qui y sont incarcérés et de ceux qui y travaillent. Il est resté fidèle aux liens créés avec des détenus d’une prison de Buenos Aires auxquels il téléphone, le dimanche, tous les quinze jours[12].

 

En rentrant en prison, la personne perd la liberté mais non sa dignité : « La prison est le lieu de la peine dans la double signification de punition et de souffrance, et elle nécessite beaucoup d’attention et d’humanité. C’est un lieu où tous, Police pénitentiaire, chapelains, éducateurs et bénévoles, sont appelés à la difficile tâche de soigner les blessures, de ceux qui, à cause des erreurs qu’ils ont commises, se retrouvent privés de leur liberté personnelle. Il est connu qu’une bonne collaboration entre les différents services dans la prison permet une action d’un grand soutien pour la rééducation des détenus. (…) Personne ne peut condamner l’autre pour les erreurs qu’il a commises, et encore moins infliger des souffrances en offensant la dignité humaine. Les prisons ont besoin d’être toujours plus humanisées. (…) Pour la société, les détenus sont des individus qui dérangent. Ils sont un rebut, un poids. C’est douloureux, mais l’inconscient collectif nous conduit là. (…) Mais l’expérience montre que la prison, avec l’aide du personnel pénitentiaire peut devenir un lieu de rachat, de résurrection et de changement de vie : et tout ceci est possible à travers des parcours de foi, de travail et de formation professionnelle[13] ».

Le pape connaît la puissance des mots : « Soyez des personnes détenues : le substantif doit passer toujours avant l’adjectif, la dignité humaine doit toujours précéder et éclairer les mesures de détention[14] ».

Visiter les prisonniers

Le pape, successeur de saint Pierre qui a subi la prison à Rome, oriente l’Église vers les prisons pour mettre en pratique l’enseignement de Jésus qui s’identifie aux personnes détenues : « J’étais en prison et vous êtes venus me voir » (Mt 25,36). Il rappelle cet événement pour sensibiliser les chrétiens au monde de la prison : « Et n’oublions pas que Jésus et les apôtres ont fait l’expérience de la prison. (…) Et saint Pierre et saint Paul aussi ont été en prison (cf. Ac 12,5 ; Ph 1, 12-17). Dimanche dernier, qui était le dimanche du Jubilé des détenus, dans l’après-midi, est venu me trouver un groupe de détenus de Padoue. Je leur ai demandé ce qu’ils allaient faire le lendemain, avant de rentrer à Padoue. Ils m’ont dit : « Nous irons à la prison Mamertine pour partager l’expérience de saint Paul ». C’est beau, entendre cela m’a fait du bien. Ces détenus voulaient trouver Paul prisonnier. La page des Actes des apôtres où est racontée la prison de Paul est émouvante : il se sentait seul et désirait que quelques-uns de ses amis lui rendent visite (cf. 2 Tm 4, 9-15). Il se sentait seul parce que la grande majorité l’avait laissé seul … le grand Paul[15] ».

Confucius (479 av. J.-C), le grand philosophe chinois, pensait que l’empereur ressemblait à l’étoile polaire qui ne bouge pas, et pourtant tout le monde agit par rapport à elle. Ce penseur humaniste exigeait des responsables politiques la vertu car ils sont regardés et imités par le peuple ; d’où l’importance de leur exemple.

Le pape François oriente l’Église vers la miséricorde envers les personnes détenues par son exemple. Il ne peut pas exercer un ministère d’aumônier de prison, mais il suscite l’évangélisation des prisons par sa parole, ses visites et ses gestes prophétiques et symboliques.

Le pape pousse l’Église à « sortir vers les périphéries ». Les chrétiens sont souvent interpellés : « D’où parles-tu ? » Le souverain pontife qui réside au Vatican tient à parler dans les prisons et depuis les prisons, entouré de ses frères et de ses sœurs détenus.

En prison, les hommes et les femmes privés de liberté redoutent l’oubli de leurs proches et de la société qui les a condamnés. Le pape agit en avocat qui défend la dignité inaliénable des personnes en détention. À l’image des avocats, non seulement il plaide en faveur des détenus mais il prend la parole en leur nom. Ils ne peuvent pas crier leurs souffrances dans les moyens de communication sociale ni dénoncer des abus de pouvoir. Le pape le fait pour eux et en leur nom, au nom de Jésus-Christ. À l’occasion de l’Année de la Miséricorde, le pape avait demandé un geste de clémence pour les détenus au cours de l’Angélus du 6 novembre 2016, place Saint-Pierre[16].

Dieu accomplit des merveilles

Dans ses prises de parole, le pape prêche la dignité sacrée des personnes détenues et l’amour de Dieu à leur égard : « Ne perdez pas courage (…) vous êtes importants pour Dieu qui veut accomplir des merveilles en vous[17] ».

En prison, comme à l’extérieur des murs, l’homme risque de devenir prisonnier de lui-même, esclave de ses passions, victime de ses propres mensonges. En prison, comme à l’extérieur des murs, l’homme peut faire l’expérience de la liberté, de l’amour et du bonheur.

Le père Lataste (1832-1869)[18], dominicain, apôtre des prisons, a découvert les merveilles de Dieu dans le cœur des femmes détenues dans la prison de Cadillac (Gironde), à la suite de sa prédication de la miséricorde du Christ et à une nuit d’adoration: « J’ai vu des merveilles ! J’ai vu des merveilles !  Ah ! Ce que j’ai vu ? J’ai vu cette prison, objet de tristesse et d’effroi pour les hommes, transformée cette nuit en un lieu de délices, en un séjour de gloire et de bonheur ! Je l’ai vu, grand Dieu, ce Dieu de toute gloire et de toute pureté (…) passer toute la nuit comme un Père, comme un ami, au milieu de pauvres femmes et de pauvres filles que la société dédaigne et dont les hommes ne veulent pas. (…) Il a lavé leurs souillures, il a pansé leurs plaies, il a guéri leur lèpre, il leur a rendu leur antique beauté, leur antique innocence ; il s’est fait prisonnier au milieu des prisonnières pour les guérir, les consoler et les aimer. Oh ! Merveille ! Merveille ! » (Sermon 202). Moments de fulguration qui illumineront à jamais sa mission.

Il avait été envoyé par ses supérieurs dominicains pour prêcher aux femmes de la prison de force de Cadillac, près de Bordeaux, dans le sud de la France, il s’y était rendu, le cœur serré, avec « la pensée que ce serait sans doute inutile. »

En voyant ces femmes plongées dans des conditions misérables dans une prison sordide, son premier mouvement avait été de reculer. Mais le père Lataste s’était repris pour dire : « Mes chères sœurs ».

Mais ces femmes au visage fermé s’ouvrirent à la grâce, se relevant « à l’image des fleurs qui se relèvent fraîches après la pluie ».

Sainte Catherine de Sienne (1380), la grande mystique dominicaine, avait contemplé les merveilles de Dieu dans l’oraison. Le père Lataste a perçu les merveilles de Dieu dans le cœur des femmes détenues qui adoraient le Saint-Sacrement au point d’en devenir rayonnantes.

Conversion culturelle

Évêque de Rome, le pape a pour mission de conduire son diocèse et l’Église catholique dans l’esprit de l’Évangile. Annoncer Jésus-Christ, sanctifier par les sacrements et gouverner le Peuple de Dieu constituent les trois missions des évêques. Les moyens financiers restent bien limités par rapport aux besoins de l’humanité. Mais le pape compte sur la grâce du Christ ressuscité et sur la puissance de la communication qui façonne l’opinion publique, les lois et les pratiques. Il vise la conversion culturelle[19]des mentalités pour passer de la peur et de l’indifférence à la fraternité et à la proximité.

L’étymologie du mot « pontife » (faire des ponts) montre le sens de sa mission. Le pape s’évertue à créer des ponts entre le monde à l’intérieur des prisons et le monde de l’extérieur, car l’humanité est une et l’Église aussi. L’Église qui vit dans les prisons ne fait qu’un seul corps, le Corps du Christ, avec l’Église de l’extérieur. Dans ses prises de parole à Rome comme dans ses voyages apostoliques, le pape relie les hommes libres et ceux qui ont été privés de liberté, les condamnés et ceux qui jouissent de la reconnaissance de tous leurs droits civiques. Le pape bâtit des ponts entre les différentes personnes concernées par la prison : magistrats, employés de l’administration pénitentiaire et des services médicaux et éducatifs, les personnes détenues et leurs familles, les aumôniers et les intervenants bénévoles de l’Église …

Le pape exprime sa proximité envers les détenus en parole et en actes. Il se plaît à partager leur repas lors des visites aux prisons. Il les écoute. Les familles ont aussi accès au pape. Les enfants des détenus sont près de lui. Ah ! Les enfants des parents en prison m’ont toujours impressionné, aussi bien en France métropolitaine, qu’en Haïti et à La Réunion. Comment ne pas être ému devant un enfant qui vous fait part à voix basse de l’emprisonnement de son père ou de sa mère ou des deux ! L’enfant participe à la prison des parents. Il y pense tout le temps.

 

Chemin de croix du Vendredi saint 2020

 

Lors du Chemin de croix du Vendredi saint du 10 avril 2020[20], il a été rappelé à l’Église que la famille rentre en prison quand un de ses membres y est condamné. Le pape François rencontre ces enfants des mères en prison ou les familles des détenus quand cela s’avère possible.

En choisissant des membres de la prison de Padoue pour rédiger le Chemin de croix du Vendredi saint 2020, le pape a donné la parole non seulement à l’aumônier et à l’équipe de la pastorale mais aussi aux personnes détenues, aux familles des victimes, aux surveillants, éducateurs, magistrat et à un détenu reconnu innocent après avoir purgé une longue et dure peine de prison… L’aumônier de la prison, le père Marco Pozza, théologien et écrivain, a œuvré avec la journaliste Tatiana Mario pour aboutir à un Chemin de croix riche de quatorze histoires des personnes concernées par la justice : « J’ai choisi la prison dans sa totalité, pour faire en sorte que, cette fois-ci encore, ce soit les plus petits qui nous donnent le rythme. Avec Don Marco Pozza, que vous connaissez bien, nous avons pensé les méditations comme l’œuvre d’un chœur, en unissant les différents visages qui composent le monde des prisons. » (Lettre du pape François à Monsieur le directeur Paolo Possamai. ZENIT, le 10 mars 2020).

Les familles des détenus

L’approche pastorale du pape comprend les familles. Les personnes détenues ont besoin du soutien des familles. En particulier, les mères de famille en prison ont besoin de l’amour des enfants. L’enfant peut apporter un grand réconfort aux parents en détention. Les parents peuvent soutenir leurs enfants depuis la détention. Le pape François aide les familles à grandir dans l’amour et l’espérance. Lors de sa visite à la prison pour femmes, Saint Joaquin à Santiago du Chili, le 16 janvier 2018, le pape a béni les enfants des femmes détenues. Il a exhorté l’assemblée à enlever les étiquettes et à dépasser le fatalisme : « abandonner la logique simpliste de diviser la réalité entre bons et mauvais, pour entrer dans cette autre dynamique à même d’assumer la fragilité, les limites y compris le péché, pour nous aider à aller de l’avant » ; « Aujourd’hui, vous vous trouvez devant un défi très semblable (à celui de la maternité) : il s’agit aussi de donner la vie. Aujourd’hui, on vous demande d’engendrer l’avenir… Vous, les femmes, vous avez une capacité incroyable de pouvoir vous adapter aux situations et d’aller de l’avant » ; « lutter contre tout type de carcan, d’étiquette selon lesquels on ne peut pas changer, ou que cela ne vaut pas la peine, ou que tout revient au même[21] ». Quand on achète des vêtements, nous enlevons les étiquettes. Il en va de même dans les relations sociales.

Le pape encourage les chrétiens à ne pas se laisser « voler l’espérance[22] ».

En prison, les femmes et les hommes ont un défi à relever : engendrer l’avenir. Cervantes (1616), l’auteur du Don Quijote de la Mancha, disait que « nous sommes fils de nos actes ». Des actes répréhensibles conduisent en prison. Des actes de foi et d’amour conduisent à la liberté. Fils de nos actes mauvais, nous pouvons renaître aussi à une vie nouvelle, comme le disait Jésus à Nicodème : « Il vous fait naître d’en haut » (Jn 3, 7). Cette nouvelle naissance en prison est rendue possible par la foi en Jésus et par l’aide des personnes aimantes qui se mettent au service des détenus.

 

Les enfants des détenus

En tant qu’aumônier de prison, je constate la joie des enfants qui rencontrent leurs parents et la consolation des parents qui voient leurs enfants. Je pense à cette petite fille, habillée en blanc pour sa Première communion, et qui attendait son père un dimanche matin sur le parking de la prison. Il avait obtenu une permission pour la journée afin de participer à la messe de la Première communion de sa fille. Celle-ci était rayonnante en attendant la sortie de son père. Les rencontres des détenus avec leurs enfants au parloir des prisons aident à supporter l’épreuve quotidienne. Il arrive aussi que les détenus ne veuillent pas que leurs enfants les voient en prison pour qu’ils ne soient pas traumatisés par ce souvenir négatif. Parfois, l’un des conjoints fait tout son possible pour punir l’autre conjoint, le privant de la présence des enfants. Le pape François rencontre les familles pour les fortifier dans la foi et l’espérance.

Différents moyens de communication

Le pape transmet ses messages de plusieurs manières : audiences au Vatican, rencontres avec les groupes représentants la justice et les prisons, visites pastorales dans son diocèse de Rome, en Italie et à l’étranger (Mexique, Chili), lettres et messages écrits, catéchèses, communications téléphoniques et vidéos, comme il l’a fait avec un groupe d’étudiants de Buenos Aires qui accompagne des personnes détenues … Le pape a encouragé le projet de ces étudiants argentins en faveur de la réinsertion par la musique sous l’égide de l’université de Buenos Aires[23].

Hypocrisie

Le pape dénonce « une certaine hypocrisie[24] » dans le regard porté sur les personnes détenues réduites à leur faute sans possibilité de changement[25]. En tant qu’aumônier de prison, je constate aussi que d’aucuns à l’intérieur et à l’extérieur de la prison jugent et méprisent les personnes détenues, afin de se valoriser de manière injuste, car tout le monde commet des fautes. Ce mépris apparaît dans le langage : « ces gens ! » ;  « ils ont beaucoup de choses à se faire pardonner » ; « racaille ». Le pape François prêche la Bonne Nouvelle du Salut pour tous les hommes car ils sont tous pécheurs. La Première épître de saint Jean dénonce l’hypocrisie de celui qui se dit juste, sans péché, et qui fait de Dieu un menteur[26]. Pour les chrétiens, les hommes sont des condamnés à mort à cause de leur péché, mais amnistiés par la miséricorde du Christ qui a cloué l’acte de notre condamnation à la Croix[27]pour nous rendre libres et justes. Les hommes ne sont pas justes. Ils sont justifiés, ajustés à Dieu par le seul Juste, Jésus, le Fils bien-aimé du Père. L’Église n’est pas composée de purs, mais des pécheurs justifiés par le Sang de Jésus : « L’Église n’est pas une communauté de parfaits mais de disciples en chemin, qui suivent le Seigneur parce qu’ils reconnaissent qu’ils sont pécheurs et qu’ils ont besoin de pardon. La vie chrétienne est donc une école d’humilité qui nous ouvre à la grâce. (…) J’ai entendu une fois ce beau dicton : ‘Il n’y a pas de saint sans passé et il n’y a pas de pécheur sans avenir’[28] ».

Pour le pape François, les prisons sont un « symptôme » de la société et de « la culture du rejet[29] ». Au Mexique, le pape a rappelé que « le problème de la sécurité ne se résout pas par le seul emprisonnement, mais il est un appel à intervenir pour faire face aux causes structurelles et culturelles de l’insécurité qui touchent tout le tissu social[30] ».

Le père Carré, dominicain, avait intitulé l’un de ses livres : « Chaque jour, je commence ». Cette devise dit bien le sens de la vie chrétienne qui n’est pas écrite à l’avance comme un destin inexorable, mais qui ressemble à une page blanche à écrire chaque matin ou bien à un chemin à parcourir, comme le disait le poète castillan, Antonio Machado : « Voyageur, il n’y a pas de chemin, on fait le chemin en marchant ». Lors du Jubilé des prisonniers, le pape François a encouragé à ne pas s’enfermer dans le passé : « L’histoire qui commence aujourd’hui, et qui regarde l’avenir, est encore toute à écrire, avec la grâce de Dieu et avec votre responsabilité personnelle. Ne tombons pas dans la tentation de penser de ne pouvoir être pardonné[31] ». Cela me fait penser à une parole d’espérance qu’un surveillant de prison dit aux détenus dans « le quartier des arrivants » : « Ici, tout commence ». Ce n’est pas la fin mais la possibilité d’une vie nouvelle.

En célébrant le Jubilé de la Miséricorde, le pape François a exhorté les détenus à se tourner vers le Père : « Dieu espère ! Sa miséricorde ne le laisse pas tranquille »[32].

Communication symbolique : cristal, chaîne rompue , la Porte et le lavement des pieds

Son langage passe aussi par les symboles, comme il l’a manifesté en offrant un crucifix en cristal aux membres d’une prison au Mexique : « Le Christ sur la croix est la plus grande fragilité de l’humanité. Pourtant, avec cette fragilité, il nous sauve[33] ». Par ailleurs, la libération de l’homme a été symbolisée par une chaîne rompue : « Aujourd’hui, nous vénérons la Vierge Marie dans cette statue qui la représente comme la Mère qui porte dans ses bras Jésus avec une chaîne rompue, la chaîne de l’esclave et de la détention[34] ». La traversée de la Porte de la Miséricorde a été aussi une étape marquante, non seulement à Rome dans la basilique Saint-Jean-du-Latran, la cathédrale des papes, mais sur les cinq continents où les croyants ont traversé les différentes portes de la miséricorde prévues à cet effet. Le Jubilé de la Miséricorde a été inauguré le 8 décembre 2015. Dans les prisons, les détenus chrétiens ont pu vivre aussi cette démarche en signe de leur foi dans « l’amour du Père céleste, qui recrée, transforme et redonne vie » (homélie du pape François le 13 décembre 2015)[35].

Le geste du lavement des pieds, le Jeudi saint, parle de lui-même. Le jeudi 29 mars 2018, le pape a lavé les pieds de douze détenus loin des caméras : « Je suis un pécheur, mais je viens à vous comme un ambassadeur du Christ[36] ». Parmi eux, il y avait deux musulmans, un orthodoxe et un bouddhiste. Ce choix montre le souci du pape en faveur de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux.

Jubilé de la Miséricorde et Journée Mondiale des Pauvres

Le « Jubilé de la miséricorde » et le lancement de la « Journée mondiale des pauvres » ont marqué l’Église et la société civile sensibilisée ainsi à la souffrance des personnes détenues : « Les pauvres nous évangélisent, en nous aidant à découvrir chaque jour la beauté de l’Évangile[37] » ; « Si aux yeux du monde, [les pauvres] ont peu de valeur, ce sont eux qui nous ouvrent le chemin du ciel, ils sont nos « passeports pour le paradis » … notre véritable richesse[38] » ; « personne ne peut penser être inutile », a-t-il déclaré dans son homélie au cours de la messe pour la première Journée mondiale des pauvres.

Réinsertion possible

Face à la culture du « jetable », le pape propose l’espérance dans la réinsertion et la miséricorde : « En Dieu, il y a toujours une place pour recommencer, pour être consolé et réhabilité par la miséricorde qui pardonne[39]. À la sortie de prison, le détenu peut devenir témoin et prophète[40]. Les blessés peuvent agir en « guérisseurs » ayant fait l’expérience de la souffrance et de l’ ‘enfer’ : « blessés-guérisseurs ». Dans son homélie du 22 mai 2015[41], le pape François parlait des trois regards de Jésus : celui de l’élection, celui du pardon et celui de la mission. L’apôtre Pierre a rencontré ces trois regards. Comme lui, chaque chrétien bénéficie de ces trois regards d’amour de Jésus. La personne détenue est appelée, pardonnée et envoyée comme témoin de la résurrection de Jésus.

« Recoudre ensemble l’Italie » était la devise choisie par la ville de Padoue, « Capitale européenne du volontariat 2020 ». Le pape François a relié cette démarche à la guérison des blessures et des déchirures physiques, psychologiques et spirituelles. À ce propos, je pense au prêtre de Marseille, Jean Arnaud (2000), qui appelait le Saint-Esprit « la couturière de l’Église », celui qui recoud les tissus déchirés pour qu’elle devienne un jour « la tunique sans couture » du Christ, dans l’unité de la foi et de l’amour.

Les journalistes rappellent aux responsables religieux qu’ils ne sont pas chargés de transmettre des croyances ni de faire de la catéchèse ; leur travail concerne les événements. « Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres », dit une devise des journalistes. En créant des événements, le pape François rend possible la communication non seulement dans les médias de l’Église mais aussi et surtout dans les moyens de communication sociale de la société civile.

Dans la doctrine sociale de l’Église, nous avons un principe de progrès moral qui correspond à l’histoire humaine et à l’expérience de l’Église : « Que la charité d’aujourd’hui devienne la justice de demain. » L’Église s’est occupée des enfants des rues, sans possibilité d’aller à l’école. L’Église a pris soin des malades, sans moyens financiers. Aujourd’hui, l’État prend souvent en charge et l’école et les soins médicaux.

Contre la peine de mort

Le pape François plaide pour l’abolition de la peine de mort et pour des peines de prison qui ne détruisent pas l’espoir des personnes détenues : « Le commandement ‘tu ne tueras pas’ a une valeur absolue et concerne l’innocent comme le coupable… Même un criminel garde le droit inviolable à la vie[42] » ; « Pour que la peine soit féconde, elle doit avoir un horizon d’espérance[43] ». Le pape aspire ainsi à faire reculer la culture de la peur pour que celle de la paix avance[44].

Il demande à « repenser sérieusement l’emprisonnement à vie[45] ». Devant 11 000 surveillants pénitentiaires et des fonctionnaires des prisons, le pape a souligné l’importance de l’espérance pour le détenu : « La réclusion à perpétuité n’est pas la solution aux problèmes … parce que si l’on enferme l’espérance en cellule, il n’y a pas d’avenir pour la société[46] ». Il a exhorté aussi les pouvoirs publics à remédier à la surpopulation carcérale, comme il le disait aux surveillants de prison, car elle « fait grandir en chacun un sentiment de faiblesse, sinon d’épuisement. Quand les forces diminuent, la méfiance augmente. Il est essentiel de garantir des conditions de vie décentes, sinon les prisons deviendront des poudrières de colère, à la place de lieux de réinsertion[47] ».

La mission des surveillants

Les aumôniers de prison ne sont pas les aumôniers des surveillants qu’ils rencontrent quotidiennement et avec lesquels ils échangent de manière respectueuse et cordiale. Le pape tient à mettre en valeur leur travail qui n’est pas toujours compris, ni estimé, comme l’évoque l’utilisation du mot « maton » en argot. En prenant le contre-pied de cette mentalité, le pape leur a déclaré : « N’oubliez pas, s’il vous plaît, le bien que vous pouvez faire chaque jour. Votre comportement, vos attitudes, vos regards sont précieux[48] ».

Le pape a exprimé sa reconnaissance envers les surveillants : « Merci pour toutes les fois où vous vivez votre service non seulement comme une surveillance nécessaire, mais comme un soutien à celui qui est faible. Je sais que ce n’est pas facile, mais lorsque, en plus d’être gardiens de la sécurité, vous êtes une présence de proximité pour celui qui est tombé dans les filets du mal, vous devenez constructeurs de l’avenir. : vous posez les bases pour une cohabitation plus respectueuse et donc pour une société plus sûre[49] » ; «  Vous êtes ainsi appelés à être des ponts entre la prison et la société civile : par votre service, en exerçant une compassion juste, vous pouvez dépasser les peurs réciproques et le drame de l’indifférence. Merci.[50] »

Le philosophe français, Blaise Pascal (1662) a écrit : « Le propre de la puissance est de protéger[51] ». La puissance de l’homme se manifeste dans la protection de la vie. Le surveillant défend la vie des personnes détenues qui lui sont confiées. L’étymologie du mot « évêque », en grec, veut dire « surveillant », « veiller sur ». Le pape, évêque de Rome, veille sur l’Église. Le surveillant veille sur les personnes détenues. La force d’une civilisation, aussi bien que d’une personne, se manifeste dans la défense des faibles. Àce propos, il est bon de rappeler le préambule de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 : « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres[52] ».

Le pape François ne s’immisce pas dans les affaires juridiques des pays, mais il plaide pour un humanisme intégral et pour le bien commun.

Le code pénal français signale les trois buts des peines en prison : sanctionner le non-respect de la loi ; protéger la société et parfois le condamné lui-même et la réinsertion[53]. Le pape François rappelle sans cesse cette troisième finalité de la prison : la réinsertion dans la société. Il ne s’agit pas de torturer le condamné ni de l’abattre mais de lui rendre possible une nouvelle vie en société. Le pape évoque l’image de « la fenêtre ouverte[54] » pour réveiller l’espoir de réinsertion : « Une peine sans espérance ne sert pas, n’aide pas, elle provoque dans le cœur des sentiments de rancœur, bien souvent de vengeance et la personne qui sort est pire qu’en entrant[55].

Un avenir bouché risque de pousser au suicide. Pour réussir la réinsertion, tous les membres présents et agissant dans les prisons sont appelés à œuvrer ensemble, en synergie : la personne détenue doit faire un travail sur elle-même ; elle est responsable de sa propre libération ; les magistrats et les employés de l’administration pénitentiaire ainsi que les éducateurs et les psychologues, les membres de l’équipe de la pastorale, bref, tous gagnent à travailler de manière harmonieuse pour atteindre la cible de la réinsertion.

En France, l’administration pénitentiaire nomme un aumônier titulaire qui devient son interlocuteur pour le culte en question, sur proposition de l’aumônerie catholique nationale des prisons, à partir de la lettre de mission envoyée par l’évêque du diocèse. D’autres aumôniers, dits bénévoles, ainsi que des auxiliaires et des intervenants forment l’équipe de la pastorale. Le pape encourage ces équipes à porter l’Évangile : « Continuez avec le cœur qui écoute. Continuez, à vous charger des fardeaux des autres et à les porter dans la prière. Continuez, au contact avec la pauvreté que vous rencontrez, à voir vos pauvretés. C’est un bien, parce qu’il est essentiel de reconnaître, avant tout, que l’on a besoin de pardon. Alors ses propres misères deviennent des réceptacles de la miséricorde de Dieu : alors, de personne, l’on devient des témoins crédibles du pardon de Dieu. (…) Continuez alors, avec Jésus sous le signe de Jésus, qui vous appelle à être des semeurs de sa Parole (cf. Mt 13, 18-23), des chercheurs infatigables de Celui qui est perdu, des annonciateurs de la certitude que chacun est précieux pour Dieu, des pasteurs qui portent les brebis les plus faibles sur leurs épaules fragiles (cf. Lc 15, 4-10). Continuez, avec générosité et joie : par votre ministère, vous consolez le cœur de Dieu[56] ».

Le pape agit aussi en faveur des personnes détenues par sa prière dont il rappelle la puissance. Quand Pierre était en prison, la communauté chrétienne priait avec insistance (cf. Ac 12,5)[57].

Les membres des équipes de pastorale en prison avouent avec joie qu’ils reçoivent beaucoup de la part des personnes détenues, soit par des témoignages de repentir et de vérité, soit parce que les détenus mettent tout simplement à leur place ceux qui risqueraient de s’estimer justes. Le pape François a écrit dans son Exhortation post-synodale adressée aux jeunes, datée du 25 mars 2019 : « On apprend et mûrit beaucoup lorsqu’on ose entrer en contact avec la souffrance des autres. De plus, il y a chez les pauvres une sagesse cachée, et ils peuvent, avec des mots simples, nous aider à découvrir des valeurs que nous ne voyons pas[58] ».

Sagesse des détenus

Cet enseignement du pape correspond à l’expérience des intervenants catholiques en prison qui disent « recevoir plus qu’ils ne donnent ». Nombreux sont les témoignages reçus de cette sagesse des personnes détenues parfois jeunes et analphabètes. Je pense à deux exemples. Une femme détenue avait écrit un poème : « Je dirai toujours au Seigneur : Merci pour ta miséricorde qui a défait mes cordes ». Une autre fois, un jeune détenu est venu me poser des questions sur un mot rare que j’avais utilisé dans la prédication à la messe, « acédie », pour évoquer la perte du goût des choses spirituelles, le découragement, l’abandon de la prière … Il me dit : « Si j’ai bien compris, ‘acédie’ est le contraire d’‘assidu’ » ? Je lui ai répondu : « Tout à fait ! ». Les mots simples dont parle le pape !

Le pape François affectionne l’expression « fréquenter l’avenir », de l’écrivain italien Antonio Tabucchi (2000) : « Fréquenter l’avenir, c’est fréquenter cet horizon d’attente et fréquenter ce qui est en devenir dans l’Histoire. », dit le pape en commentant le livre du cardinal A. Bocos sur la vie consacrée[59].

L’expérience du confinement, à cause de la pandémie du coronavirus, fait toucher du doigt à l’ensemble de la population la souffrance de l’enfermement. Il est facile de demander de longues peines pour les infracteurs au risque de leur faire perdre le goût de l’effort, la confiance en eux-mêmes et la faculté de vivre en société après de longues années d’isolement.

Personnellement, j’ai connu des jeunes qui se sont suicidés, en partie à cause de la longueur de la peine. Par ailleurs, il convient de penser au coût d’une journée de prison, tous frais confondus, qui s’élève en moyenne en France à 100,00 euros par jour. Le contribuable paye ces frais, et il est en droit de s’attendre à une amélioration des personnes à la sortie de la prison, et non à voir des personnalités cassées ou des fauves.

La justice française s’efforce de réduire les mandats de dépôt en les remplaçant par des travaux d’intérêt général (TIG).

Justice restaurative

Le pape François a rappelé l’apport de la justice restaurative[60], lors de l’audience accordée aux membres du XXèmeCongrès mondial de l’association international de Droit Pénal le 15 novembre 2019[61] : « Nos sociétés sont appelées à avancer vers un modèle de justice fondé sur le dialogue, la rencontre, afin que, dans la mesure du possible, les liens affectés par le crime soient rétablis et le préjudice réparé. » ; « Je ne pense pas que ce soit une utopie, mais certainement un grand défi. Un défi que nous devons tous relever si nous voulons aborder les problèmes de notre coexistence civile de manière rationnelle, pacifique et démocratique. »

La justice restaurative repose sur le dialogue entre les infracteurs et les victimes, en présence des représentants de l’administration pénitentiaire, de la psychiatrie et de la société civile, car celle-ci est concernée par les infractions aux lois. Le but de ces rencontres, autour de six fois, entre infracteurs et victimes, est d’accorder la parole surtout aux victimes qui peuvent exprimer le ressenti et les conséquences des violences et des crimes bien au-delà des moments du délit. Les infracteurs, non concernés directement par des délits touchant aux victimes présentes, peuvent mieux prendre conscience de la gravité de leurs actes. La justice restaurative fait partie du droit français depuis le 15 août 2014.

À l’occasion de cette même audience sur le droit pénal, le pape a dénoncé la gravité des délits économiques qui ont à ses yeux « la gravité de crimes contre l’humanité » : « la macrodélinquance des entreprises », les conduites « écocides » contre l’écologie qui détruisent les écosystèmes, les « paradis fiscaux », la spéculation …

Par ailleurs, le pape François a signalé « l’usage impropre de la détention préventive » qui garde en prison pendant un temps excessif celui qui jouit, a priori, de la présomption d’innocence tant qu’il n’est pas condamné. Il a rappelé le pourcentage démesuré dans certains pays où les détenus en attente de jugement dépasse largement cinquante pour cent de la population carcérale.

Nous voyons comment l’action pastorale du pape François ne se cantonne pas à l’annonce explicite de l’Évangile et aux sacrements, mais comment elle comporte des enseignements sur la justice et la paix, qui relèvent de la doctrine sociale de l’Église.

                                                               Saint-Denis (La Réunion), le 4 mai 2020.

                                              Fr. Manuel Rivero O.P., aumônier de la prison de Domenjod.

 

 

 

[1]Cf. ZENIT, 25 mars 2017. Le pape a partagé avec les détenus de la prison San Vittore de Milan le repas préparé par eux-mêmes. Le menu était typiquement milanais : riz au safran, côtelette et frites, et comme dessert la « pana cotta ».

[2]Cf. ZENIT, 14 septembre 2019.

[3]Cf. ZENIT, 12 septembre 2018. Audience générale.

[4]Cf. ZENIT, 6 novembre 2016.

[5]Cf. Lettre du pape François aux détenus italiens de l’île de Gorgone (Toscane). Cf. ZENIT 24 juin 2019.  Cf. Le nom de Dieu est miséricordedu vaticaniste Andrea Tornielli sur le pape François. Voir ZENIT, 10 janvier 2016.

[6]Cf. Homélies de saint Bède le Vénérable sur saint Matthieu. Cf. Maison Sainte-Marthe . Miserando atqueeligendoJeudi 21 septembre 2017.http://www.vatican.va/content/francesco/fr/cotidie/2017/documents/papa-francesco-cotidie_20170921_miserando-atque-eligendo-fr.html

[7]Cf. ZENIT, 25 mars 2017.

[8]Cf. ZENIT, 9 novembre 2016.

[9]Cf. ZENIT, 9 novembre 2016.

[10]Cf. https://fr.zenit.org/articles/dieu-ne-force-pas-la-porte-il-demande-la-permission-d-entrer/. Catéchèse sur la famille. 18 novembre 2015.

[11]Cf. ZENIT, 9 novembre 2016.

[12]Cf. ZENIT, 7 février 2019. Audience au personnel de la maison d’arrêt « Regina Coeli » de Rome le jeudi 7 février 2019.

[13]Cf. ZENIT, 7 février 2019.

[14]Cf. ZENIT, 23 janvier 2017. Lettre du pape François au centre de détentions « Due Palazzi » de Padoue (Italie).

[15]Cf. ZENIT, le 9 novembre 2016.

[16]Cf. ZENIT, le 6 novembre 2016.

[17]Cf. ZENIT, 14 septembre 2019.

[18]Monique Longueira. Le père Jean-Joseph Lataste, dominicain, apôtre des prisons.Paris. Nouvelle Cité. 2012. P. 59.Jean-Marie Gueulette, « Ces femmes qui étaient mes sœurs … », Vie du père Lataste, apôtre des prisons (1832-1869),Paris. Cerf. 2012.

 

[19]Cf. ZENIT, 23 janvier 2017. Lettre du pape François au centre de détention « Due Palazzi » de Padoue (Italie).

[20]Cf. http://www.vatican.va/news_services/liturgy/2020/documents/ns_lit_doc_20200410_via-crucis-meditazioni_fr.html

[21]Cf. ZENIT, 16 janvier 2018.

[22]Cf. ZENIT, 17 janvier 2017.

[23]Cf. ZENIT, 24 août 2017.

[24]Cf. ZENIT, 9 novembre 2016.

[25]Cf. ZENIT, 6 novembre 2016. Le pape cite 1 Jn 3,20 : « Dieu est plus grand que notre cœur » ; et Rm 2, 1-11, sur le jugement des autres et la justice.

[26]Cf. 1 Jun 1, 19.

[27]Cf. Colossiens 2,14.

[28]Cf. ZENIT, 13 avril 2016. Catéchèse.

[29]Cf. ZENIT, le 17 février 2016. Au Mexique.

[30]Cf. ZENIT, le 17 février 2016.

[31]Cf. ZENIT, 6 novembre 2016.

[32]Cf. ZENIT, 6 novembre 2016.

[33]Cf. ZENIT, le 17 février 2016. Au Mexique.

[34]Cf. ZENIT, 6 novembre 2016.

[35]Cf. ZENIT, le 14 décembre 2015.

[36]Cf. ZENIT, 14 juin 2018.

[37]Cf. ZENIT 14 juin 2018. Sur la Journée mondiale des pauvres du 18 novembre 2018.

[38]Messe du 19 novembre 2017 pour la première Journée mondiale des pauvres. Cf. ZENIT, 19 novembre 2017.

[39]Cf. ZENIT 23 janvier 2017. Lettre du pape François au centre de détention « Due Palazzi » de Padoue (Italie).

[40]Cf. ZENIT 17 février 2016. Voyage au Mexique, à Ciudad Juarez. Les détenus l’ont accueilli avec chants et de la musique.

[41]Cf. ZENIT, le 25 mai 2015.

[42]Cf. ZENIT, 22 février 2016. À l’occasion du congrès « Pour un monde sans la peine de mort », organisé à Rome le 22 février 2016 par la Communauté de Sant ‘Egidio, à la Chambre italienne des députés.

[43]Cf. ZENIT, 24 août 2017.

[44]Cf. ZENIT, 21 février 2016.

[45]Cf. ZENIT, le 18 novembre 2019.

[46]Cf. ZENIT, 14 septembre 2019.

[47]Cf. ZENIT, 14 septembre 2019.

[48]Cf. ZENIT, 14 septembre 2019.

[49]Cf. ZENIT, 14 septembre 2019.

[50]Cf. ZENIT, 14 septembre 2019.

[51]Blaise Pascal, Pensées diverses VI, Fragment n°5/5.

[52]Cf. https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html

[53]Cf. Article 130-1, créé par Loi n°2014-896 du 15 août 2014 – art. 1 : « Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner l’auteur de l’infraction ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion.

[54]Cf. ZENIT, 7 février 2019.

[55]Cf. ZENIT, 7 février 2019.

[56]Cf. ZENIT, 14 septembre 2019.

[57]Cf. ZENIT, 16 novembre 2015.

[58]Cf. https://fr.zenit.org/articles/le-christ-vit-texte-integral-de-lexhortation-apostolique/

[59]A. Bocos, Un relato del Espíritu. La vida consagrada postconciliar, 2 edición. Publicaciones Claretianas, Madrid, 2018. P. 104.

[60]Sur les principes de la justice restaurative : https://www.justicerestaurative.org/les-principes-de-la-justice-restaurative/

[61]Cf. ZENIT, le 18 novembre 2019.




« Pas de vocations, à qui la faute ?  » (Fr Manuel Rivero O.P.)

Les vocations à la prêtrise et à la vie religieuse se raréfient. C’est avec tristesse que nous apprenons la fermeture de certains séminaires et de quelques couvents de religieuses qui ont marqué des générations de chrétiens.

À qui la faute ?

Nous pouvons nous demander : Dieu n’appelle-t-il pas aujourd’hui ?

Serait-ce que les hommes et les femmes sont trop pécheurs pour être appelés ?

Mais Dieu a appelé Moïse qui avait tué un Egyptien qui frappait l’un de ses frères juifs. Jésus a appelé Judas qui l’a vendu et Pierre qui l’a renié. Il a appelé Matthieu, voleur public, et Marie Madeleine, la femme habitée par sept démons.

Visiblement, ce ne sont pas les fautes des hommes qui arrêtent l’appel de Dieu.

Serait-ce que les hommes appelés étouffent leur vocation parce qu’ils préfèrent les ténèbres à la lumière à cause de leurs œuvres mauvaises ? C’est possible. Cela relève du mystère des consciences humaines que seul Dieu connaît.

Serait-ce que les mauvais exemples dans l’Église démotivent de manière viscérale ceux qui sont appelés à aimer Jésus, son Église et l’humanité ? Peut-être. Les scandales peuvent refroidir les cœurs mais parfois ils deviennent des défis à relever.

Nous voyons tous les jours de mauvais exemples et des scandales dans les familles et dans la vie des couples : mensonges, infidélités, manipulations, humiliations, violences physiques et psychologiques … Pourtant ni les hommes ni les femmes ne renoncent à aimer ni à croire que l’amour est possible et passionnant.

Où est alors le problème ?

Il me semble que la lumière à cette réponse se trouve dans les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité.

Il nous manque la foi. Ah, si nous avions la foi comme une graine de moutarde ! Nous ferions des merveilles.

Le nombre de pratiquants diminue parce que la foi s’éteint comme la flamme d’une bougie sans cire, faute de nourriture : la connaissance de la Parole de Dieu et la prière. La foi vient de la prédication, nous dit saint Paul. Pour renouveler l’Église, Dieu a appelé saint François et saint Dominique, prêcheurs de l’Évangile du Crucifié. Le peintre Giotto a représenté le rêve du pape Innocent III : l’Église s’écroulait et un petit frère, humble et pauvre, la soutenait. C’était François d’Assise. Innocent III devint alors le protecteur des Franciscains et des Dominicains.

Il nous manque l’amour. Le sage chinois Confucius au Vème siècle avant Jésus-Christ avait déjà remarqué que les hommes bons ne se retrouvent pas seuls. Leur bonté attire.

Ce sont les communautés chrétiennes, ferventes et fraternelles, qui attirent les vocations à la prêtrise et la vie religieuse.

Demandons au Seigneur d’augmenter notre foi et notre charité.

Ceux qui chérissent les chiffres et les statistiques découvrent que les vocations naissent souvent dans les familles chrétiennes qui prient et qui témoignent de la solidarité envers les pauvres.

Un grand nombre de séminaristes ont été servants de messe. Le service de l’autel et l’adoration du Saint-Sacrement rapprochent de Dieu.

Par ailleurs, le nombre de vocations à la prêtrise et à la vie religieuse a légèrement augmenté par rapport au nombre de pratiquants. Hier, il y avait plus de vocations parce que beaucoup plus de pratiquants. Aujourd’hui, les enfants et les jeunes sont rares dans nos églises le dimanche et par conséquent ils sont moins nombreux à devenir prêtres ou religieux.

Que faire concrètement ?

Le Seigneur Jésus nous a demandé de prier : « Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson » (Mt 9,38) . Alors, prions !

Si nous voulons que les enfants et les jeunes vivent la foi et la louange, nous devons aller les chercher là où ils sont ; ils ne viendront pas d’eux-mêmes, sauf exception dans nos églises. D’où l’importance d’accompagner les enfants et les jeunes dans nos paroisses, dans l’Enseignement catholique et public et dans les universités.

Si nous voulons que les familles soient des matrices aussi pour les vocations. Nous avons à soutenir le mariage et l’éducation des enfants alors que le concubinage devient la norme, le mariage rare, et que les enfants subissent trop souvent le traumatisme des conflits parentaux.

Si nous voulons des vocations, n’hésitons pas à appeler les jeunes et à leur proposer la voie de la sainteté.

L’Église est là pour aider chacun dans l’aventure la plus passionnante qui existe sur la terre : chercher Dieu, le trouver, le prier et le servir, pour partager son amour dans l’éternité, comme le dit le catéchisme.

Antoine de Saint-Exupéry (+1944) disait déjà en son temps que les églises se vidaient parce que les chrétiens ne savaient pas exalter le mystère chrétien. Mettons en valeur la foi en Jésus par nos pensées, nos sentiments, nos paroles et nos actes.

Que celui qui sent l’appel de Dieu dans son cœur ne l’étouffe pas. S’il pense qu’il en est indigne, il a bien raison, mais Jésus est digne de l’appeler. Qu’il se laisser guider par Jésus le Bon Berger ! Qu’il n’hésite pas à passer par Jésus, la Porte qui conduit à l’amour du Père.

Que celui qui estime honorer et rendre un grand service à l’Eglise en entrant au séminaire ou dans une congrégation, reste chez lui. L’Église n’a pas besoin d’hypocrites mais de pécheurs pardonnés, témoins de la miséricorde de Dieu et au service du Christ Jésus.

Le père Pedro Arrupe S.J. (+1991), ancien général de la Compagnie de Jésus, donnait déjà ce discernement dans une interview du journal L’Avvenire sur les conseils à donner à un jeune qui voudrait devenir jésuite : « Ne viens pas si tu penses aider la Compagnie »[1].

Chez saint François d’Assise, l’amour pour le Christ s’exprima de manière particulière dans l’adoration du Très Saint Sacrement de l’Eucharistie. Dans les Sources franciscaines, on lit des expressions émouvantes, comme celle-ci: « Toute l’humanité a peur, l’univers tout entier a peur et le ciel exulte, lorsque sur l’autel, dans la main du prêtre, il y a le Christ, le Fils du Dieu vivant. O grâce merveilleuse! O fait humblement sublime, que le Seigneur de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie ainsi au point de se cacher pour notre salut, sous une modeste forme de pain » (François d’Assise, Ecrits, Editrice Francescane, Padoue 2002, 401).

Vivons maintenant, grâce à la vocation des prêtres, ce grand mystère de l’eucharistie : Dieu en nous, nous en Dieu, pour ne que faire qu’un en Jésus ressuscité !

[1]Cf. Orar con el padre Arrupe, Selección y adaptación de los textos : José A. Garcia, S.J. Bilbao. Ediciones Mensajero. 2013, p. 133 : « Si piensas hacerte jesuita … No vengas si piensas hacer un favor a la Compañía ».

                                                                                               Fr Manuel Rivero (O.P.)




« Voici l’homme ! » De l’homme « crustacé » à l’homme qui protège et fait grandir la vie (Fr Manuel Rivero O.P.)

« Voici l’homme !» (Jn 19,5), s’était exclamé Pilate le Vendredi saint. Il ne pensait pas si bien dire. Couronné d’épines, son corps déchiré par les coups de fouet des soldats romains, Jésus manifeste la puissance fidèle de Dieu dans l’amour et la vérité.

« Voici l’homme ! » Cette déclaration prophétique de Pilate interpelle l’homme contemporain. Qu’est-ce qu’un homme ? Où se trouve la grandeur de l’homme ? Tout au long de l’histoire de l’humanité, les peuples ont célébré les héros qui ont versé leur sang pour Dieu, pour la patrie, pour défendre la justice et les faibles … L’Église célèbre avec éclat ses martyrs. Le plus grand des martyrs est Jésus, le témoin fidèle de Dieu.

Pilate a eu raison de dire à la foule « Voici l’homme ! » En effet, Jésus est l’homme parfait qui a donné sa vie pour sauver l’humanité.

Le philosophe français, Blaise Pascal (1662) a écrit : « Le propre de la puissance est de protéger [1]».  La puissance de l’homme se manifeste dans la protection de la vie.

La femme a connu des évolutions et des révolutions qui ont modifié considérablement son statut social et sa mentalité. Elle ne votait pas, maintenant elle assume les plus hautes responsabilités dans l’État. Elle restait souvent à la maison accomplissant un véritable labeur de gestion et d’éducation des enfants, maintenant elle assume et le travail professionnel et la prise en charge de la maison et des enfants. Elle dépendait de l’homme dans sa vie sexuelle et pour la maternité, maintenant elle décide d’avoir ou de ne pas avoir d’enfants et de gérer sa sexualité sans lien direct avec la maternité. Il arrive que l’homme demande dans le couple à avoir un enfant et la femme refuse. La femme peut aussi vivre la maternité sans mener une existence conjugale par les techniques artificielles de fécondation. Il arrive que des femmes déclarent ouvertement : « Nous allons prendre le pouvoir. »

En revanche, l’homme continue son travail, sa vie sexuelle et sa participation à la politique comme les siècles précédents.

Il ne se passe pas un jour sans que les moyens de communication sociale racontent des faits de violence conjugale qui peuvent aller jusqu’au meurtre.

Comment dépasser les rapports de domination qui ne conduisent qu’au malheur ? Comment harmoniser les relations homme et femme et sur quelles valeurs ? En quoi consiste le pouvoir et la force ? Quel est le but de l’existence ?

Ces questions ne sont pas inutiles. Elles s’avèrent même indispensables.

Quel est l’image de l’homme aujourd’hui ? Quelle est son identité ?

La publicité et les films nous montrent un idéal masculin qui repose sur l’avoir : des richesses, le pouvoir, la musculation, des tatouages, des vêtements et des voitures de luxe … Tout cela constitue des moyens. Les médias exaltent aussi l’image de l’homme séducteur, fêtard, avec la mentalité d’un adolescent qui ne s’engage pas et qui critique tout sans construire grand-chose. Parmi ces exemples, il y a James Bond. Image affligeante d’un irresponsable stérile.

Où se trouve donc le sens de la vie de l’homme ?

« Voici l’homme ! » Jésus représente la perfection de la masculinité, pleinement homme et pleinement Dieu. Jésus est l’homme qui est allé le plus loin dans l’amour des autres parce qu’il est allé le plus loin dans sa relation à Dieu le Père. Comme la croix comporte une dimension verticale vers le Ciel et une dimension horizontale, ainsi l’homme trouve son équilibre et sa perfection dans la relation verticale avec Dieu et dans la relation horizontale avec ses frères et ses sœurs en humanité.

Le saint pape Jean Paul II nous a donné une belle formule pour le mystère de Jésus qui éclaire le mystère de tout homme : « Jésus est le visage humain de Dieu et le visage divin de l’homme. » (Ecclesia in America, n° 67). L’homme a une vocation à partager la vie de Dieu et à protéger la vie du prochain.

Le philosophe italien Jules Evola a parlé de l’homme « crustacé » pour évoquer la dureté extérieure et la mollesse intérieure qui peuvent menacer l’homme. D’ailleurs, plus l’homme sent sa faiblesse et plus il fait montre de force et l’inverse. Comme dit le proverbe : « Dis-moi de quoi tu te vantes et je te dirai ce qui te manque ! ».

Il convient de parler de la virilité spirituelle, de cette force d’âme au service de la vie sans peur ni mollesse. D’ailleurs la virilité spirituelle est vécue par des femmes qui aiment de manière désintéressée en faisant face à de nombreuses épreuves et souffrances pour protéger la vie.

L’homme aime les défis que ce soit dans le sport, dans la politique, dans l’économie ou dans l’amour. Aujourd’hui, l’homme à un défi à relever pour harmoniser les relations familiales dans la force de l’amour et de la vérité.

L’historien anglais Arnold Joseph Toynbee (1975), après avoir étudié l’histoire des civilisations, est arrivé à la conclusion que les civilisations naissent en réponse à un défi. Des « minorités créatrices » apportent alors une vision et elles conçoivent des plans d’action pour l’ensemble de la société. Les civilisations déclinent quand le défi disparaît. D’où sa phrase lapidaire : « Les civilisations meurent par suicide, non par meurtre. »

L’Église catholique a aussi un défi à relever dans la pastorale des hommes. Ils sont rares dans les églises par rapport au nombre de femmes. Pourquoi ? Pour quel motif les hommes ne sont-ils pas attirés par la prière communautaire et la catéchèse ? Faut-il renouveler la pastorale et la spiritualité masculine ?

Dans son Exhortation apostolique catholique aux hommes, mes fils spirituels du diocèse de Phoenix , datée du 29 septembre 2015, Monseigneur Thomas J. Olmsted, évêque de Phoenix (États-Unis), analyse l’évolution de l’identité masculine et il propose des pistes pour un renouveau de l’évangélisation de l’homme et de sa mission dans l’Église.

Chaque diocèse gagnerait à contextualiser la réflexion sur le plan local.

Les jeunes garçons ont besoin de « tuteurs » pour grandir dans la droiture aussi bien dans les quartiers que dans les paroisses.

Certaines activités peuvent être vécus entre hommes. Nous avons des exemples dans le pèlerinage des pères de famille, ou dans le cycle de formation biblique à l’île Maurice « Jésus, vrai homme ».

Il faudrait aussi travailler l’image de l’homme dans le cœur des femmes et des enfants. Je me souviens de cet enfant qui disait en catéchèse, probablement en reprenant des propos de sa mère : « Les hommes, on n’en a pas besoin ! » Déclaration qui renvoyait à des souffrances : alcoolisme, irresponsabilité, violences, infidélité …

Des études statiques récentes en Martinique signalaient que 60% d’enfants grandissaient sans père. L’absence du père a des conséquences négatives profondes sur l’enfant. La mère doit accomplir les rôles du père et de la mère.

En prison, des personnes détenues avouent toujours souffrir de l’absence du père : « Je n’ai jamais appelé un homme en lui disant ‘papa’ ».

« Voici l’homme Jésus ! » Il est le modèle de masculinité réussie !

                                                                                                Fr Manuel Rivero (O.P.)

[1]Blaise Pascal, Pensées diverses VI, Fragment n°5/5.




« Les femmes, apôtres des apôtres » – Fr Manuel Rivero (O.P.)

Les évangiles accordent la première place aux femmes dans les récits des apparitions pascales. Elles sont les premières à se rendre au tombeau de Jésus alors que soleil commence à peine à poindre (cf. Mt 28,1s ; Jn 20,1). Dans ce passage de la nuit à l’aurore, les femmes disciples de Jésus vont recevoir la lumière du Christ ressuscité et leur cœur sera rempli de joie : « Réjouissez-vous » (Mt 28,9).

Jésus apparaît en premier à Marie Madeleine (cf. Mc 16,9 ; Jn 20,15s). La femme blessée, torturée par les démons. Le chiffre de sept démons, expulsés par Jésus, manifeste la plénitude du mal à l’œuvre dans le corps et dans l’âme de Marie Madeleine. Elle est choisie, par Jésus ressuscité, pour porter la bonne nouvelle de sa victoire sur la mort aux apôtres sceptiques, lents à croire. Là où le péché avait abondé, la grâce pascale va surabonder. Marie Madeleine devient alors la femme nouvelle, la Nouvelle Ève, qui rayonne la vie de Dieu. C’est à juste titre qu’elle est aussi appelée « apôtre des apôtres ».

L’homme contemporain, souvent agnostique, aurait tort d’imaginer que les contemporains de Jésus croyaient sans peine aux discours religieux. Les évangélistes, comme saint Marc, ne cachent pas le refus de croire des apôtres aux témoignages des femmes, qui rentrent après avoir vu le tombeau vide et rencontré vivant Jésus le crucifié.

Les évangiles mettent en lumière la foi et la fidélité des femmes à l’égard de Jésus. Alors que Judas a vendu son maître et que Pierre l’a renié devant une servante du grand-prêtre, Marie Madeleine et les autres femmes disciples de Jésus l’ont suivi jusqu’au Calvaire. Bouleversées, ne pouvant pas dormir, elles se sont levées dans la nuit pour honorer le sépulcre de celui qui les a libérées du mal et introduites dans l’amour de Dieu, Jésus.

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La Vierge Marie, la Mère de Jésus, ne figure pas dans les récits des apparitions pascales. Cela ne veut pas dire que son Fils ne lui soit pas apparue. Saint Vincent Ferrier O.P. (1419), saint Ignace de Loyola (1556), le père Marie-Joseph Lagrange O.P. (1938) et le saint pape Jean-Paul II (2005), ont pensé dans la lumière de la foi et de la prière que Jésus était apparu à sa Mère mais que cette apparition relevait du secret de Dieu. Le père Lagrange, fondateur de l’École biblique de Jérusalem, a écrit dans son « Évangile de Jésus-Christ » que Jésus était apparu en premier à sa mère.

Le théologien H.U. von Balthasar (1988) avait déclaré : « Marie est ‘la Reine des apôtres’, sans revendiquer pour elle les pouvoirs apostoliques. Elle a autre chose et beaucoup plus. » (Lette apostolique Mulieris dignitatem en 1988 de Jean-Paul II, note 55).

La femme, sanctuaire de la vie, a bénéficié la première des apparitions de Jésus. Par leur témoignage de foi, Marie Madeleine et les autres femmes, disciples de Jésus, ont fait resplendir la lumière du Christ dans le cœur de ceux qui ont accueilli avec foi leur message.

Dans la Bible, les femmes juives ne sont pas prêtresses mais prophètes. Inspiré par l’Esprit de Dieu, le prophète annonce la volonté de Dieu. La Vierge Marie est prophète. Marie Madeleine est aussi prophète.

Jésus ressuscité accorde la maternité spirituelle aux femmes qui deviennent apôtres, c’est-à-dire envoyées : « Va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. », déclare Jésus à Marie Madeleine (Jn 20,17) qui prêchera les merveilles de Dieu aux apôtres.

N’oublions pas que dans les canons eucharistiques, une femme, la Vierge Marie, est toujours citée en premier, avant les apôtres, les martyrs et tous les saints. La Vierge Marie a reçu la grâce des commencements dans le mystère du Salut. Elle est la première chrétienne, la première Église, présente aux noces de Cana, sur le Calvaire et dans la « chambre haute » lors de la Pentecôte. La Vierge Marie est « Femme » et « Mère ».

La vie de l’enfant commence dans le sein de la femme, sa mère. Dieu a voulu aussi que la vie de la foi commence et s’épanouisse dans la prière et le témoignage des femmes.

Le Nouveau Testament signale la maternité spirituelle des femmes chrétiennes. Par exemple, saint Paul rappelle à son disciple bien-aimé, Timothée la foi de sa grand-mère, Loïs, et de sa mère Eunice (2 Tm 1,5).

Si nous pensons à La Réunion, nous pouvons nous réjouir de la foi des femmes, des mères et des grands-mères. Ce sont souvent elles qui transmettent l’Évangile et qui apprennent à prier aux enfants.

En ce moment où le monde souffre des confinements et de la pandémie, les bâtiments des églises sont fermés mais les « églises domestiques » vivent plus que jamais, c’est-à-dire les familles chrétiennes se rassemblent dans la prière et le partage de la Parole de Dieu.

En prison, les personnes détenues évoquent régulièrement le témoignage reçu dans la famille.

La femme chrétienne a reçu une vocation et une mission : la maternité spirituelle.

Qu’il est beau et fécond de recevoir un témoignage de foi et de prière de la part de sa mère ou de sa grand-mère. Personnellement, je me souviens d’une prière récitée par ma mère vers la fin de sa vie. Prière poétique qu’elle connaissait par cœur et qu’elle reprenait à demi-consciente dans l’épreuve de la maladie.

Saint Thomas d’Aquin (1274), le grand docteur de l’Église, rappelle la mission des parents dans sa dimension corporelle et spirituelle qu’il compare au ministère des prêtres : «Certains propagent et entretiennent la vie spirituelle par un ministère uniquement spirituel, et cela revient au sacrement de l’ordre ; d’autres le font pour la vie à la fois corporelle et spirituelle, et cela se réalise par le sacrement de mariage, dans lequel l’homme et la femme s’unissent pour engendrer les enfants et leur enseigner le culte de Dieu » (S. Thomas d’Aquin, Summa contra Gentiles, IV, 58 ; cité par le saint pape Jean-Paul II, Exhortation apostolique Familiaris consortioen 1981).

Dieu a accordé à la femme une grâce particulière, « le génie féminin », selon l’expression de Jean-Paul II dans sa Lettre aux femmes(n°10), datée du 29 juin 1995. Cette grâce féminine se déploie de manière complémentaire et réciproque avec la grâce masculine : « Le féminin réalise l’« humain » tout autant que le fait le masculin, mais selon une harmonique différente et complémentaire » (Lettre aux femmes, n°7).

Saint Jean-Paul II enseignait que Dieu avait confié l’homme à la femme dans cette grâce féminine qui comprend la maternité spirituelle (cf. Mulieris dignitatem, n°30).

Les religieuses qui renoncent à la maternité physique pour le Royaume des cieux reçoivent en abondance cette grâce de la maternité spirituelle. Nous le constatons particulièrement dans l’éducation. Je pense aux filles, élèves des sœurs de Saint-Joseph de Cluny à Port-au-Prince, qui vénéraient les sœurs éducatrices.

Dans ses notes personnelles prises au cours de la retraite spirituelle annuelle en 1963, le saint pape Jean-Paul II écrit : «L’Église le Corps mystique de Jésus , c’est comme une « esse ad Patrem » (être vers le Père) sociale. Les sœurs, qui choisissent le Christ comme époux à travers les vœux, entrent de façon particulière dans ce « esse ad Patrem », non seulement personnellement, mais en marquant ainsi une certaine empreinte de ce « esse » (être) sur toute la vie sociale. D’où leur grande utilité pour l’Église et dans l’Église. Elles forment d’une certaine façon, sa colonne vertébrale. »[1]

À La Réunion, les religieuses forment cette « colonne vertébrale » de l’Église. Les sœurs de Saint-Joseph de Cluny et les Filles de Marie ont marqué des générations d’enfants et de jeunes les tournant « vers le Père de Jésus ».

Sœur Inès de Jesús (1993), moniale dominicaine du monastère de Caleruega (Espagne), berceau de saint Dominique, a évoqué dans son Journal spirituel inédit « la déchirure » de l’âme dans sa maternité spirituelle. Il y a la déchirure physique de l’accouchement et la déchirure spirituelle dans l’accouchement des âmes à la vie de Dieu.

« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24), enseigne Jésus dans cette image qui annonce sa mort et sa résurrection.

Les femmes, qu’elles soient célibataires, mères de famille ou religieuses, ont reçu cet appel à transmettre la grâce pascale à travers leur prière, leur témoignage d’amour et leurs enseignements.

Rendons grâce à Dieu pour ces merveilles !

Fr. Manuel Rivero O.P.

 

 

 

 

[1]Karol Wojtyla-Jean-Paul II, Je suis dans les mains de Dieu. Carnets intimes 1962-2003. Paris. Bayard. 2014. P. 41.

 




25 avril 2020, Fête de St Marc : homélie de Fr Manuel Rivero (op)

Qui est l’auteur de la Bible ? La foi chrétienne précisée dans le catéchisme de l’Église catholique enseigne que l’auteur de la révélation biblique est le Saint Esprit. Pourtant nous reconnaissons chaque évangéliste comme auteur de son œuvre. Saint Marc en est un. Il est l’artisan du deuxième évangile, c’est-à-dire, le Saint Esprit l’a inspiré dans sa culture, dans sa langue, sans ses pensées et dans sa prière, dans son émotivité et dans son travail …

Pour la foi chrétienne, Dieu ne se révèle pas dans une dictée. Nous ne sommes pas non plus une religion du Livre mais la religion du Verbe vivant !

Guidé par le Saint Esprit, saint Marc a fait œuvre de théologien et de prédicateur. À partir des prédications des apôtres, des récits des enseignements et des miracles de Jésus transmis de manière orale, saint Marc a bâti un Évangile qui semble s’adresser aux païens, non Juifs hors de Palestine et notamment à Rome. Il traduit les noms araméens pour que les païens les comprennent.

Dans sa pédagogie, saint Marc a développé son enseignement sur Jésus-Christ, Fils de Dieu, autour de la question « Qui donc est cet homme ? ». Qui est cet homme qui commande aux vents et aux vagues de la mer, qui agit avec autorité sur les démons et qui guérit les malades ? Qui est ce prophète qui manifeste le mystère de Dieu avec autorité ? Qui est cet homme qui affronte la mort dans l’amour et qui ressuscite ?

Mosaïque du Christ (Basilique St Marc de Venise)

La tradition de l’Église dans l’enseignements des évêques et des docteurs a vu en saint Marc l’interprète de la prédication de saint Pierre à Rome. Marc ou Jean-Marc serait originaire de Jérusalem, compagnon de Paul, de Barnabé et de Pierre à Rome. Son Évangile qui insiste sur la nécessité de porter la croix à la suite de Jésus pourrait concerner les chrétiens persécutés par l’empereur romain Néron après l’année 64.

Quels enseignements pouvons-nous en tirer pour notre vie spirituelle ? Tout d’abord, Dieu aime l’unité mais non l’uniformité. Nous avons quatre évangiles et non un seul. Saint Marc fait partie des évangiles synoptiques -Matthieu, Marc et Luc- qui comportent beaucoup de récits communs.

Dieu aime le pluralisme théologique et spirituel. Le poète espagnol Léon Felipe, mort exilé au Mexique en 1968, a partagé son expérience de Dieu dans ce poème : « Nadie fue ayer, ni va hoy, ni irá mañana hacia Dios por este mismo camino que yo voy. Para cada hombre guarda un rayo nuevo de luz el sol y un camino virgen Dios. », que je traduis de manière assez littérale : « Personne n’alla vers Dieu hier, ni va aujourd’hui ni ira demain sur ce même chemin où je vais. Chaque matin, pour chaque homme, un nouveau rayon de lumière lui est donné par le soleil et un chemin virginal par Dieu. »

Retenons que chacun va à Dieu par un chemin virginal. Un proverbe dit que « les comparaisons sont odieuses ». Cela s’avère juste aussi dans la vie spirituelle.

Un autre enseignement : Dieu se révèle petit à petit dans le temps et à travers les événements du quotidien. Saint Marc a probablement écrit trente ans après la mort et la résurrection de Jésus. La tradition orale l’emportait sur les écrits. Les apôtres venant à mourir martyrs, il fallait mettre par écrit leur enseignement pour faire connaître Jésus aux Juifs et aux païens, dans le monde entier.

Nous n’avons pas le manuscrit original de l’Évangile selon saint Marc. Nous en avons des copies d’où la critique textuelle, la critique littéraire, l’étude exégétique et théologique de ce texte évangélique.

Tombeau de St Marc (Basilique St Marc de Venise)

Lors de son discours d’inauguration de l’École biblique de Jérusalem le 15 novembre 1890, le père Marie-Joseph Lagrange avait déclaré : « Dieu a donné dans la Bible un travail interminable à l’intelligence humaine et, remarquez-le bien, il lui a ouvert un champ indéfini de progrès dans la vérité. » Magnifique ! Le chrétien ne croit pas parce que c’est absurde mais parce qu’est lumineux, raisonnable et plus que raisonnable, surnaturel, divin. La foi chrétienne ne pousse pas au suicide de l’intelligence mais elle appelle la raison à se mettre au service de la foi : « Je crois pour comprendre et je comprends pour croire », enseigne saint Augustin.

Question : quel temps consacrons-nous à l’approfondissement de notre foi ? Nous nous plaignons souvent de ne pas avancer dans la relation avec Dieu. Mais demandons-nous : est-ce que j’utilise ma matière grise et mon temps pour grandir dans l’intelligence de la foi ? Le père Lagrange l’a bien dit : « Dieu nous a donné un champ infini de progrès dans la vérité. » Il s’agit de progresser dans la Vérité de Dieu. Nous connaissons mieux Dieu aujourd’hui qu’il y a deux mille ans. Ce progrès passe aussi par l’exégèse, c’est-à-dire par l’étude et l’interprétation des textes bibliques qui ressemblent à une source d’eau vive dont nous ne prenons que quelques gorgées.

Le père Lagrange montrait aussi la voie dans ce discours inaugural en disant : « La vérité révélée ne se transforme pas, elle grandit. […] C’est un progrès, parce que les acquisitions nouvelles se font sans rien enlever aux trésors du passé. Aussi l‘histoire de l’exégèse est-elle la plus belle des histoires littéraires. » Le père Lagrange aimait l’Évangile selon saint Marc qu’il avait choisi de commenter en premier avant tous les autres évangiles.

Nous entendons dire souvent : « un tel est intelligent ». Nous avons à répliquer : « intelligent en quoi ? » Il y en a qui sont intelligents pour l’industrie et le commerce mais incapables d’éduquer leurs enfants. Il y en a qui sont scientifiques ou professeurs mais inaptes à l’heure de construire leur vie de couple.

Il y a une intelligence de la foi. Qu’en faisons-nous ? Sommes-nous des schizophrènes ? Nous utilisons notre raison et notre temps pour l’économie et les loisirs tandis que notre vie religieuse ressemble à un jardin abandonné sans intelligence ni beauté.

La fête de saint Marc nous invite à investir du temps et le meilleur de notre capacité d’apprendre pour entrer dans le mystère Jésus-Christ, où se trouvent cachés tous les trésors de la connaissance et de l’amour de Dieu ainsi que de l’identité de l’humanité appelée à partager la vie de Dieu en Jésus ressuscité.

Pour saint Marc, l’avènement de Jésus Messie, Fils de Dieu, représente l’aboutissement de l’histoire du monde et le commencement de la nouvelle création. En Jésus s’accomplissement les promesses faites à Abraham et les prophéties de l’Ancien Testament. En Jésus, Dieu nous a tout dit et de manière définitive. La révélation est désormais close. Les apparitions et les grâces particulières ne font que confirmer l’enseignement de Jésus dans l’Évangile.

Basilique St Marc de Venise

Nous n’avons pas à courir derrière de nouvelles prophéties, enseigne le grand docteur de l’Église saint Jean de la Croix (+1591), ce serait un péché de manque de foi qui équivaudrait à dire que Jésus ne nous a pas sauvé par sa mort et par sa résurrection et que sa révélation du Père était insuffisante.

Jésus n’est pas un prophète parmi les prophètes ou un prophète qui pourrait être dépassé par un autre prophète. Saint Marc met en lumière dès le premier verset de son Évangile la nouvelle création qui commence avec Jésus Messie, Fils de Dieu. Nul ne va à Dieu sans passer par Jésus.

Ce serait un retour en arrière, une régression dans la révélation, que de ne pas voir dans le mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu, dans sa mort et dans sa résurrection le sommet et la source du Salut de l’humanité, pour nous contenter de la foi d’Abraham ou d’autres prophètes.

L’eucharistie que nous célébrons maintenant va nous plonger dans le mystère de l’Amour de Dieu manifesté en son Fils bien-aimé, Jésus-Christ.

Demandons au Seigneur Jésus, la grâce de l’intelligence de la foi. Saint Marc n’a pas hésité à montrer Jésus en croix, portant le péché du monde, son corps imbibé du refus de croire des hommes à l’image d’une éponge qui absorbe le mal de l’humanité pour l’en délivrer : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Mais Dieu le Père n’a pas abandonné son Fils. Il l’a relevé le troisième jour par la puissance de son Esprit de sainteté.

Saint Marc n’hésite pas non plus à montrer la dureté du cœur des apôtres « lents à croire » en la résurrection de Jésus. L’évangéliste ne manipule pas les faits ni les textes pour faire croire en un événement faux, comme l’aurait fait un faux prophète.

L’amour de Jésus vainqueur de la mort l’emporte dans la rencontre avec ses disciples. Ils passent du deuil à l’allégresse pascale, des doutes au témoignage.

Dans la lumière de la résurrection de Jésus, le Chemin de croix devient un Chemin de lumière, le Via Crucis est transformé en Via lucis, la croix est devenue le pont qui conduit au Père.

Jésus qui avait crié sur la croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » est maintenant assis à la droite du Père. Il partage la gloire de son Père, nous préparant une place à nous qui sommes ses frères et ses sœurs, fils et fils de Dieu, dans la lumière de la Résurrection. Alléluia !

                                                                                          Fr Manuel Rivero (OP)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Dimanche de la Miséricorde : homélie du Pape François (2020)

Dimanche dernier, nous avons célébré la résurrection du Maître. Aujourd’hui, nous assistons à la résurrection du disciple. Une semaine s’est écoulée, une semaine que les disciples, bien qu’ayant vu le Ressuscité, ont passée dans la peur, « les portes verrouillées » (Jn 20, 26), sans même réussir à convaincre de la résurrection l’unique absent, Thomas. Que fait Jésus face à cette incrédulité craintive ? Il revient, il se met dans la même position, « au milieu » des disciples et répète la même salutation : « La paix soit avec vous !» (Jn 20, 19.26). Il recommence tout depuis le début. La résurrection du disciple commence ici, à partir de cette miséricorde fidèle et patiente, à partir de la découverte que Dieu ne se lasse pas de nous tendre la main pour nous relever de nos chutes. Il veut que nous le voyions ainsi : non pas comme un patron à qui nous devons rendre des comptes, mais comme notre Papa qui nous relève toujours. Dans la vie, nous avançons à tâtons, comme un enfant qui commence à marcher mais qui tombe. Quelques pas et il tombe encore ; il tombe et retombe, et chaque fois le papa le relève. La main qui nous relève est toujours la miséricorde : Dieu sait que sans miséricorde, nous restons à terre, que pour marcher, nous avons besoin d’être remis debout.

Et tu peux objecter : ‘‘Mais je ne cesse jamais de tomber !’’. Le Seigneur le sait et il est toujours prêt à te relever. Il ne veut pas que nous repensions sans arrêt à nos chutes, mais que nous le regardions lui qui, dans les chutes, voit des enfants à relever, dans les misères voit des enfants à aimer avec miséricorde.

Aujourd’hui, dans cette église devenue sanctuaire de la miséricorde à Rome, en ce dimanche que saint Jean-Paul II a consacré à la Miséricorde Divine il y a vingt ans, accueillons avec confiance ce message. Jésus a dit à sainte Faustine : « Je suis l’amour et la miséricorde même ; il n’est pas de misère qui puisse se mesurer avec ma miséricorde » (Journal, 14 septembre 1937). Une fois, la Sainte a dit à Jésus, avec satisfaction, d’avoir offert toute sa vie, tout ce qu’elle possédait. Mais la réponse de Jésus l’a bouleversée : « Tu ne m’as pas offert ce qui t’appartient vraiment ». Qu’est-ce que cette sainte religieuse avait gardé pour elle ? Jésus lui dit avec douceur : « ‘‘Ma fille, donne-moi ta misère’’ » (10 octobre 1937). Nous aussi, nous pouvons nous demander : ‘‘Ai-je donné ma misère au Seigneur ? Lui ai-je montré mes chutes afin qu’il me relève ?’’ Ou alors il y a quelque chose que je garde encore pour moi ? Un péché, un remords concernant le passé, une blessure que j’ai en moi, une rancœur envers quelqu’un, une idée sur une certaine personne. Le Seigneur attend que nous lui apportions nos misères, pour nous faire découvrir sa miséricorde.

Revenons aux disciples ! Ils avaient abandonné le Seigneur durant la passion et ils se sentaient coupables. Mais Jésus, en les rencontrant, ne fait pas de longues prédications. À eux qui étaient blessés intérieurement, il montre ses plaies. Thomas peut les toucher et il découvre l’amour ; il découvre combien Jésus avait souffert pour lui qui l’avait abandonné. Dans ces blessures, il touche du doigt la proximité amoureuse de Dieu. Thomas, qui était arrivé en retard, quand il embrasse la miséricorde, dépasse les autres disciples : il ne croit pas seulement à la résurrection, mais à l’amour sans limites de Dieu. Et il se livre à la confession de foi la plus simple et la plus belle : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (v. 28). Voilà la résurrection du disciple : elle s’accomplit quand son humanité fragile et blessée entre dans celle de Jésus. Là, les doutes se dissipent, là Dieu devient mon Dieu, là on recommence à s’accepter soi-même et à aimer sa propre vie.

Chers frères et sœurs, dans l’épreuve que nous sommes en train de traverser, nous aussi, comme Thomas, avec nos craintes et nos doutes, nous nous sommes retrouvés fragiles. Nous avons besoin du Seigneur, qui voit en nous, au-delà de nos fragilités, une beauté indélébile. Avec lui, nous nous redécouvrons précieux dans nos fragilités. Nous découvrons que nous sommes comme de très beaux cristaux, fragiles et en même temps précieux. Et si, comme le cristal, nous sommes transparents devant lui, sa lumière, la lumière de la miséricorde, brille en nous, et à travers nous, dans le monde. Voilà pourquoi il nous faut, comme nous l’a dit la Lettre de Pierre, exulter de joie, même si nous devons être affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves (cf. 1P 1, 6).

En cette fête de la Miséricorde Divine, la plus belle annonce se réalise par l’intermédiaire du disciple arrivé en retard. Manquait seul lui, Thomas. Mais le Seigneur l’a attendu. Sa miséricorde n’abandonne pas celui qui reste en arrière. Maintenant, alors que nous pensons à une lente et pénible récupération suite à la pandémie, menace précisément ce danger : oublier celui qui est resté en arrière. Le risque, c’est que nous infecte un virus pire encore, celui de l’égoïsme indifférent. Il se transmet à partir de l’idée que la vie s’améliore si cela va mieux pour moi, que tout ira bien si tout ira bien pour moi. On part de là et on en arrive à sélectionner les personnes, à écarter les pauvres, à immoler sur l’autel du progrès celui qui est en arrière. Cette pandémie nous rappelle cependant qu’il n’y a ni différences ni frontières entre ceux qui souffrent. Nous sommes tous fragiles, tous égaux, tous précieux. Ce qui est en train de se passer nous secoue intérieurement : c’est le temps de supprimer les inégalités, de remédier à l’injustice qui mine à la racine la santé de l’humanité tout entière ! Mettons-nous à l’école de la communauté chrétienne des origines, décrite dans le livre des Actes des Apôtres ! Elle avait reçu miséricorde et vivait la miséricorde : « Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (Ac 2, 44-45). Ce n’est pas une idéologie, c’est le christianisme.

Dans cette communauté, après la résurrection de Jésus, un seul était resté en arrière et les autres l’ont attendu. Aujourd’hui, c’est le contraire qui semble se passer : une petite partie de l’humanité est allée de l’avant, tandis que la majorité est restée en arrière. Et chacun pourrait dire : « Ce sont des problèmes complexes, il ne me revient pas de prendre soin des personnes dans le besoin, d’autres doivent y penser !’’. Sainte Faustine, après avoir rencontré Jésus, a écrit : « Dans une âme souffrante, nous devons voir Jésus crucifié et non un parasite et un poids… [Seigneur], tu nous donnes la possibilité de pratiquer les œuvres de miséricorde et nous nous livrons à des jugements » (Journal, 6 septembre 1937). Cependant, elle-même s’est plainte un jour à Jésus qu’en étant miséricordieux on passe pour un naïf. Elle a dit : « Seigneur, on abuse souvent de ma bonté ». Et Jésus a répondu : « Peu importe, ma fille, ne t’en soucie pas, toi, sois toujours miséricordieuse envers tout le monde » (24 décembre 1937). Envers tous : ne pensons pas uniquement à nos intérêts, aux intérêts partisans. Saisissons cette épreuve comme une occasion pour préparer l’avenir de tous, sans écarter personne : de tous. En effet, sans une vision d’ensemble, il n’y aura d’avenir pour personne.

Aujourd’hui, l’amour désarmé et désarmant de Jésus ressuscite le cœur du disciple. Nous aussi, comme l’apôtre Thomas, accueillons la miséricorde, salut du monde. Et soyons miséricordieux envers celui qui est plus faible : ce n’est qu’ainsi que nous construirons un monde nouveau.

                                                                                                    Pape François




La Passion de Jésus, Révélation de l’Amour Fou de Dieu pour tout homme (D. Jacques Fournier)…

Les récits de la Passion sont toujours durs à entendre : tant de souffrances pour Jésus, cet innocent « qui a passé en faisant le bien » (Ac 10,18), en ne faisant que du bien, et tant d’injustice, de jalousie, de calomnies, de méchanceté, de cruauté et de violence de la part des hommes. Et pourtant, c’est en affrontant résolument ce côté sombre de l’humanité que Jésus nous révèle l’intensité de l’Amour de Dieu pour tous les hommes… C’est comme s’il nous disait : « Vous pouvez me faire tout cela, rien, absolument rien ne pourra m’empêcher de vous aimer… Bien plus, si vous, « créés à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-28), ce Dieu qui est Amour (1Jn 4,8.16), qui n’est qu’Amour, vous agissez ainsi, c’est que vous êtes des grands malades… Alors, je vais supporter et offrir toutes les souffrances que vous pourrez m’infliger pour votre guérison à tous »…

Pour voir à quel point cet Amour se manifeste dans toutes les circonstances de la Passion, vous pouvez cliquer sur le titre suivant. Vous accéderez alors à un travail réalisé sur la base du livre de Théophile PENNDU, « Jésus Sauveur » (Paris 1991)…

En vous souhaitant, dans les circonstances exceptionnelles que nous vivons, la plus belle semaine sainte possible,

D. Jacques Fournier

La Passion – Révélation du Dieu Amour

 




« Naître de l’Esprit » (Pape François – 20 avril 2020).

Evangile selon St Jean chapitre 3 versets 1 à 8 (Jn 3,1-8):

Il y avait un homme, un pharisien nommé Nicodème ; c’était un notable parmi les Juifs.

 Il vint trouver Jésus pendant la nuit. Il lui dit : « Rabbi, nous le savons, c’est de la part de Dieu que tu es venu comme un maître qui enseigne, car personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui. »

Jésus lui répondit : « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. »

 Nicodème lui répliqua : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? »

Jésus répondit : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu.

Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit.

Ne sois pas étonné si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut.

Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit. »

Jésus et Nicodème par Crijn Hendricksz Volmarijn, peintre hollandais du XVIIème siècle

Cet homme, Nicodème, est un chef des juifs, un homme faisant autorité; il ressentit la nécessité d’aller auprès de Jésus. Il y alla la nuit, parce qu’il devait agir avec un peu de prudence, car ceux qui allaient parler avec Jésus n’étaient pas bien vus (cf. Jn 3, 2). C’est un pharisien juste, car tous les pharisiens ne sont pas méchants: non, non; il y avait aussi des pharisiens justes. Celui-ci est une pharisien juste. Il ressentit de l’inquiétude, parce que c’est un homme qui avait lu les prophètes et il savait que ce que Jésus faisait avait été annoncé par les prophètes. Il ressentit de l’inquiétude et alla parler avec Jésus. «Rabbi, nous le savons, tu es un Maître qui vient de la part de Dieu» (v. 2): c’est une confession, mais jusqu’à un certain point. «Personne ne peut accomplir les signes que tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui» (v. 2). Et il s’arrête. Il s’arrête devant le « donc »: Si je dis cela… donc! … Et Jésus a répondu. Il répondit mystérieusement, comme Nicodème ne s’y attendait pas. Il répondit en utilisant l’image de la naissance: «A moins de naître d’en-haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu» (v. 3). Et lui, Nicodème, éprouve de la confusion, il ne comprend pas et prend ad litteram cette réponse de Jésus: « Comment un homme peut-il naître, une fois qu’il est vieux? » (cf. v. 4)

Naître d’en-haut, naître de l’Esprit. C’est le pas que la confession de Nicodème doit accomplir et il ne sait pas comment le faire. Parce que l’Esprit est imprévisible. La définition de l’Esprit que donne ici Jésus est intéressante: «Le vent souffle où il veut ; tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit» (v. 8), c’est-à-dire libre. Une personne qui se laisse conduire d’un côté et de l’autre par l’Esprit Saint: voilà ce qu’est la liberté de l’Esprit. Et celui qui le fait est une personne docile et on parle ici de la docilité à l’Esprit.

Etre chrétien n’est pas seulement accomplir les commandements: il faut le faire, c’est vrai; mais si tu t’arrêtes là, tu n’es pas un bon chrétien. Etre chrétien, c’est laisser l’Esprit entrer en toi et te conduire, te conduire où il veut. Dans notre vie chrétienne, nous nous arrêtons bien souvent comme Nicodème, devant le « donc », nous ne savons pas quel pas accomplir, nous ne savons pas comment le faire ou bien nous n’avons pas confiance en Dieu pour accomplir ce pas et laisser entrer l’Esprit. Naître à nouveau, c’est laisser l’Esprit entrer en nous et que l’Esprit me guide et pas moi, et ici: libre, avec cette liberté de l’Esprit qui fait que tu ne sauras jamais où tu iras.

Quand l’Esprit vint, les apôtres, qui étaient au Cénacle, sortirent pour aller prêcher avec ce courage, cette franchise (cf. Ac 2, 1-13)… ils ne savaient pas ce qui allait se produire; et ils l’ont fait parce que l’Esprit les guidait. Le chrétien ne doit jamais s’arrêter à l’accomplissement des commandements: il faut les respecter, mais aller au-delà, vers cette naissance nouvelle qui est la naissance dans l’Esprit, qui te donne la liberté de l’Esprit.

C’est ce qui est arrivé à cette communauté chrétienne de la première Lecture, après que Jean et Pierre sont revenus de cet interrogatoire qu’ils ont eu avec les prêtres. Ils allèrent auprès de leurs frères, dans cette communauté, et rapportèrent ce que leur avaient dit les chefs des prêtres et les anciens. Et toute la communauté, quand elle entendit cela, eut un peu peur. (cf. Ac 4, 23) Et qu’est-ce qu’ils ont fait? Prier. Ils ne se sont pas arrêtés à des mesures de prudence, « non, maintenant nous faisons cela, soyons un peu plus tranquilles… »: non. Prier. Que ce soit l’Esprit qui leur dise ce qu’ils devaient faire. Ils élèvent leurs voix vers Dieu en disant: «Seigneur», (v. 24) et ils prient. Cette belle prière à un moment sombre, un moment où ils doivent prendre des décisions et où ils ne savent pas quoi faire. Ils veulent naître de l’Esprit et ils ouvrent leur cœur à l’Esprit: que ce soit Lui qui le dise…

Et ils demandent: « Car c’est une ligue en vérité, qu’Hérode et Ponce Pilate, avec les nations païennes et les peuples d’Israël ont formée contre ton Saint Esprit et Jésus » (cf. v. 27), ils racontent l’histoire et disent: « Seigneur fais quelque chose ». « Et à présent, Seigneur, tourne ton regard vers leurs menaces – celles du groupe des prêtres – et accorde à tes serviteurs de proclamer avec assurance ta parole » (v. 29) ils demandent l’assurance, le courage, de ne pas avoir peur : « Etends la main pour opérer des guérisons, des signes et prodiges au nom de Jésus». (v. 30) « Tandis qu’ils priaient, l’endroit où ils se trouvaient réunis trembla : tous alors furent remplis du Saint-Esprit et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance» (v. 31) Une deuxième Pentecôte a eu lieu ici.

Devant les difficultés, devant une porte fermée, qui fait qu’ils ne savent pas comment aller de l’avant, ils vont auprès du Seigneur, ils ouvrent leur cœur et l’Esprit vient et leur donne ce dont ils ont besoin ; ensuite, ils sortent pour prêcher, avec courage, et vont de l’avant. Voilà ce qu’est naître de l’Esprit, ne pas s’arrêter au « donc » après les commandements, au « donc » après les habitudes religieuses: non! C’est naître à nouveau. Et comment se prépare-t-on à naître à nouveau? Par la prière. La prière est ce qui nous ouvre la porte à l’Esprit et nous donne cette liberté, cette franchise, ce courage de l’Esprit Saint. Ne sachant jamais où il te conduira. Mais c’est l’Esprit.

Que le Seigneur nous aide à être toujours ouverts à l’Esprit, car ce sera Lui qui nous mènera de l’avant dans notre vie de service au Seigneur.

Prière pour la communion spirituelle

A Tes pieds, ô mon Jésus, je me prosterne et je T’offre le repentir de mon cœur contrit qui demeure dans son néant et en Ta sainte présence. Je t’adore dans le Sacrement de Ton amour, l’ineffable Eucharistie. Je désire te recevoir dans la pauvre demeure que mon cœur t’offre. Dans l’attente du bonheur de la communion sacramentelle, je veux te posséder en esprit. Viens à moi, ô mon Jésus, que je vienne à Toi. Que Ton amour enflamme tout mon être, pour la vie et pour la mort. Je crois en toi, j’espère en toi, je t’aime. Ainsi soit-il.

                                                                                  Pape François