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« Le Corps du Christ a le coronavirus » (Jeudi Saint 2020 ; Fr Manuel Rivero)

C’est la Pâque juive ! Des milliers de pèlerins sont montés à Jérusalem. Le peuple opprimé par le pouvoir romain attend le Messie libérateur. Les soldats de la légion romaine se montrent nerveux et craintifs. Pilate ne dort pas bien dans la crainte de la révolte. Des zélotes, résistants juifs, poignardent des soldats romains dans les ruelles de Jérusalem. L’empire romain les punit par la crucifixion publique qui terrorise la population. On pense que le Messie viendra pendant la fête de Pâques.

C’est la fête de Pâques ! Jésus a réuni ses disciples pour faire mémoire de la sortie d’Égypte, terre d’esclavage, vers la Terre promise. Juif observant la Loi, Jésus accomplit les rites de la Pâque tout en leur donnant une nouvelle signification : l’annonce de sa mort pour la rémission des péchés. Acte suprême d’amour qui unira l’humanité frappée par le mal et le malin à la sainteté de Dieu.

Le partage du pain et de la coupe annoncent la communion avec Dieu et la nouvelle fraternité entre les hommes.

Saint Jean, l’évangéliste, ne nous a pas transmis le récit de l’institution de l’Eucharistie comme les autres évangélistes ou saint Paul. En revanche, il nous a introduits dans le sens de la Cène en nous montrant Jésus, le serviteur, qui lave les pieds de ses disciples.

La Cène célébrée par Jésus manifeste son amour total envers Dieu le Père qui l’a envoyé et à l’égard des hommes qu’il purifie par son sang versé.

Dieu n’est pas le même pour tous

Il y en a qui disent : « Dieu est le même pour toutes les religions ». C’est vrai s’il s’agit de la foi en Dieu créateur. Ce n’est exact si nous pensons au Dieu sauveur révélé par Jésus-Christ. Judas qui a abandonné et trahi Jésus en est la preuve. Pourtant, Judas aimait Jésus et Jésus l’aimait. Mais Judas a été déçu. Il s’attendait à un autre Messie, à un autre Dieu, que celui qui allait mourir dénoncé par les autorités juives et exécuté par le pouvoir romain. Après avoir livré Jésus aux responsables de son Peuple, il s’est repenti en leur jetant les trente pièces d’argent à la figure et il s’est pendu. Le Dieu de Judas n’était pas le même que le Dieu de Jésus.

Encore aujourd’hui, la mentalité de Judas pénètre les esprits de l’homme contemporain, mieux disposé à croire en un Dieu tout-puissant et justicier, qu’en Jésus, doux et humble de cœur. Il n’y a pas que l’argent qui compte dans l’abandon de la pratique religieuse. Il y a aussi et surtout le manque de foi en l’humilité de Dieu.

Jésus, non violent, ne tue personne. Jésus, médecin des corps et des âmes, n’envoie des maladies à personne. Oui, Dieu, ne fait pas descendre le coronavirus sur la terre. Encore une fois, Dieu n’est pas le même selon que l’on croit en son pouvoir de nuire ou en son amour jusqu’à la mort.

La célébration de la Cène annonce le mystère pascal accompli par Jésus sur le Calvaire et dans sa victoire sur la mort.

Mystère de Communion

Jésus prend à rebrousse-poil notre individualisme. Il partage son Corps et son Sang aux apôtres rassemblés et non pas à un individu isolé.

La messe actualise ici et maintenant la mort et la résurrection de Jésus, mystère de Communion. Ce n’est pas sans raison que nous utilisons le même mot « Communion » pour désigner l’union entre les personnes et l’Eucharistie. La messe nous accorde la Communion avec Dieu et la communion fraternelle.

Il en va de même de l’utilisation de l’expression « Corps du Christ » qui renvoie au Corps de Jésus-Christ et à l’Église, Corps du Christ.

En recevant à la messe le Corps du Christ nous recevons son Corps, son Sang, son âme et sa divinité, la sagesse du Père dans l’amour unifiant de l’Esprit Saint. Dans l’eucharistie, la Trinité entre en nous et nous entrons dans la Trinité. Nous devenons les temples de la sainte Trinité. L’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église. Le Corps de Jésus fait des baptisés l’Église, Corps du Christ. C’est pourquoi saint Augustin prêchait : « Devenez ce que vous recevez. Recevez le Corps du Christ et devenez le Corps du Christ ».

Saint Paul explique ce mystère de l’Église, Corps du Christ, où Jésus-Christ en est la Tête et les baptisés les membres. De la même manière que dans nos corps la tête reste inséparable des autres membres, le Christ et les fidèles ne font qu’un (cf. I Corinthiens 12,12s).

 

« Le Corps du Christ a le coronavirus »

Aussi pouvons-nous dire : « Le Corps du Christ a le coronavirus ». Ce n’est pas une hérésie mais l’application du mystère de l’Église à notre situation actuelle. Les baptisés forment le Corps du Christ, l’Église. Les malades sont membres du Corps du Christ. Dans quelle religion Dieu s’est-il fait aussi proche des hommes ? (cf. Deutéronome 4,7).  

Par le mystère de « son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » (Concile Vatican II, Gaudium et Spes n°22). Par le baptême, les disciples de Jésus partagent la vie de la sainte Trinité. Dans la Communion eucharistique, le croyant communie à l’amour des Personnes trinitaires, le Père, le Fils et l’Esprit Saint. À l’image de l’amour qui circule au cœur de la Trinité où chaque personne vit pour l’autre, avec l’autre et dans l’autre, le chrétien qui communie s’engage dans une relation trinitaire de dialogue et d’amour.

« Faites ceci en mémoire de moi »

Ce trésor de la Communion divine et humaine, Jésus l’a confié à ses apôtres, ses collaborateurs dans l’œuvre du Salut. Désormais, Jésus parlera à travers la prédication des apôtres et Il répandra son Amour plus fort que la mort dans la célébration de la messe.

Mission sacrée confiée à des hommes fragiles et pécheurs. En ce Jeudi Saint, les chrétiens célèbrent particulièrement leur sacerdoce. Les laïcs, le sacerdoce commun des fidèles, en offrant le Sacrifice de l’autel en communion avec toute l’Église. Les laïcs ne sont pas des spectateurs passifs à la messe mais des célébrants du mystère pascal. C’est pourquoi, le prêtre déclare avant l’offertoire : « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église ». Dans l’Eucharistie, Jésus s’offre au Père ici et maintenant. Toute l’Église s’unit à Jésus pour devenir offrande à la gloire du Père.

Les évêques, successeurs des apôtres, et les prêtres, leurs collaborateurs, célèbrent leur sacerdoce ministériel, différent du sacerdoce commun des fidèles mais à son service. Dans la consécration du pain et du vin, le prêtre agit « in personna Christi capitis », c’est-à-dire en union avec la personne du Christ, Tête de l’Église. Dans l’Eucharistie, ce n’est pas le prêtre qui consacre mais le Christ lui-même. Les sacrements sont ainsi toujours saints indépendamment de la sainteté du ministre qui célèbre.

Sacerdoce commun et sacerdoce ministériel

Bonne fête à tous les baptisés et à tous les prêtres ! Soyons dans la joie et remercions le Seigneur Jésus qui nous a accordé une telle dignité. Les laïcs ont été consacrés dans le baptême. Les prêtres ont été consacré dans le sacrement de l’Ordre pour collaborer avec les évêques dans l’enseignement, la sanctification et le gouvernement. Nés de la Communion du Père, du Fils et de l’Esprit, tous les chrétiens ont reçu la mission de servir la Communion avec Dieu et avec les frères et les sœurs en humanité. La grandeur de chaque chrétien relève de son amour dans le service et non de la reconnaissance sociale des tâches accomplies. Tous, nous avons besoin les uns des autres.

L’évêque a besoin de ses prêtres et les prêtres ont besoin de leur évêque pour faire la volonté de Dieu et non leur volonté propre.

Un prêtre avait dit un jour : « L’évêque a besoin de moi mais je n’ai pas besoin de l’évêque ». Quel malheur ! Ce n’est rien comprendre au mystère de la Communion. Les ministères sont reçus au service de tous. On ne se donne pas un ministère, on le reçoit de Dieu à travers les responsables de l’Église.

Les enfants ont besoin des prêtres pour se réunir, apprendre à prier et à servir. Le prêtre a besoin des enfants qui lui révèlent Dieu. Les malades et les personnes détenues ont besoin du soutien des prêtres et les prêtres ont besoin de la prière et du témoignage des malades et des personnes détenues. Et la perfection se trouve dans l’amour. Ensemble, tous les chrétiens forment le Corps du Christ. La célébration de la messe, le plus grand des miracles, réalise par l’Esprit Saint cette merveille : « Quand nous serons nourris de son corps et de son sang et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ » (Canon eucharistique III).

« Le peuple porte ses prêtres »

En ce Jeudi Saint, demandons au Seigneur des vocations de prêtre. Soutenons et vénérons les prêtres ! La première fois que je suis venu prêcher à la Réunion en 1992, une personne m’avait surpris en me disant : « À La Réunion, le peuple porte ses prêtres plus que les prêtres ne portent leur peuple ». A priori j’aurais pensé le contraire, mais, au fond, cette attitude montre l’amour des Réunionnais envers les prêtres et cette synergie est belle !

En ce Jeudi Saint, ayons aussi une pensée pour les mamans des prêtres. La maman du père Lagrange, dominicain, fondateur de l’École biblique de Jérusalem, avait consolé une maman qui assistait à l’ordination presbytérale de son fils en pensant qu’elle le perdait : « Madame, ne soyez pas triste ! Une maman trouve sa plénitude de mère quand son fils devient prêtre ! ».

« Les âmes vont aux prêtres »

Le père Lagrange affirmait aussi par expérience : « Les âmes vont aux prêtres ! » Oui, les âmes vont aux prêtres qui leur transmettent la grâce de la Parole de Dieu et des sacrements.

Dieu a voulu avoir besoin des prêtres.

Célébrons le Pain vivant descendu du Ciel, dans la louange et l’adoration. Demandons à Dieu de nous délivrer de la pandémie et de soutenir le corps médical et tous ceux qui travaillent au service du bien commun en cette épreuve.

« À Celui dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien-au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir, à Lui la gloire dans l’Église et le Christ Jésus, pour tous les âges et tous les siècles ! Amen. » (Éphésiens 3,20).

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Fr. Manuel Rivero O.P.

Aumônier de la prison de Domenjod




Fêter saint Joseph dans le confinement (19/03/2020 ; Fr Manuel Rivero)

À La Réunion, la fête de saint Joseph est célébrée par la communauté catholique de manière solennelle avec une affection particulière envers le père adoptif de Jésus, « le grand silencieux », dont les Évangiles n’ont gardé aucune parole ; ses actions manifestent avec éclat sa foi en Dieu et son sens des responsabilités dans l’adversité.

Cette année, la mémoire de saint Joseph se fera sans messes publiques ni rassemblements populaires de prière mais dans la communion spirituelle.

La grandeur de saint Joseph réside dans son acceptation de la mission reçue de la part de Dieu : veiller sur son épouse, Marie, et sur l’enfant Jésus. En ce sens, saint Joseph représente un modèle pour chacun d’entre nous appelés à adopter notre vie qui ne correspond pas nécessairement aux projets planifiés.

À la lumière de la sainteté de saint Joseph, nous avons à adopter le temps du confinement pour le vivre comme une mission à accomplir au service du bien commun avec les renoncements que cela comporte.

Adopter ne veut pas dire se résigner ou subir. La tentation est grande de tomber dans le découragement, le laisser-aller, ou encore dans la colère et les disputes. La vie commune s’avère difficile voire dangereuse dans le confinement avec le risque de « péter un câble ». Cela est vrai non seulement dans les cellules de prison mais aussi dans les familles.

La fête de saint Joseph a lieu dans le temps du Carême qui demande aux chrétiens d’affronter le mal et le malin avec la force de Jésus le Christ. Saint Joseph a mené le combat de la foi sans murmurer et de manière fidèle.

À la prison, les personnes détenues qui vivent la foi chrétienne s’exclament souvent : « La prison, un mal pour un bien. » La perte de liberté qui n’est pas bonne en soi peut devenir l’occasion de grandir en humanité et en spiritualité. Il arrive souvent que les détenus des prisons améliorent leurs liens familiaux en vivant l’épreuve de la prison.

Le pape François a mis un écriteau sur la porte de sa chambre au Vatican : « Il est interdit de se plaindre. » Une religieuse trinitaire malgache me disait avoir mis sur le mur de sa chambre cette devise : « J’aime la maison que j’habite, les personnes avec lesquelles je vis et le travail que j’accomplis. » C’est cela adopter sa vie, imiter et fêter saint Joseph en ces jours de confinement.

Le confinement peut alors favoriser la solidarité et l’amour dans les familles.

 

L’occasion nous est donnée de penser à ceux qui sont privés habituellement de liberté. L’auteur de l’épître aux Hébreux, dans le Nouveau Testament de la Bible, n’hésite pas à exhorter les chrétiens à se souvenir des prisonniers comme s’ils étaient eux-mêmes en prison (cf. Hb 13,3). Face à l’individualisme, le chrétien s’estime membre d’un corps social et ecclésial.  « La mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain », disait le poète Jonh Donne.

Saint Joseph a été invoqué au cours de l’histoire de l’humanité comme le patron de la bonne mort. Prions pour les malades du coronavirus et pour les défunts.

La popularité de saint Joseph correspond à l’expérience d’une multitude de grâces reçues par son intercession auprès de son adoptif Jésus, le seul Sauveur pour la foi chrétienne.

Bonne fête de saint Joseph dans le confinement !

Fr. Manuel Rivero O.P.

Aumônier catholique de la prison de Domenjod (Saint-Denis/la Réunion).

 

 




Le Christ, Chemin de l’union à Dieu, est la fin de la Loi (Olivier Van der Noot)

Introduction

La présente étude s’efforce d’aborder la question de la place de la Loi mosaïque dans la vie et dans la théologie de l’Apôtre Paul. Notre propos suivra à cette fin un développement en trois temps, principalement ancré dans l’enseignement de l’épître aux Romains et plus sélectivement nourri d’autres éléments issus du corpus paulinien[1].

Comme nous le verrons dans un premier temps (1), Paul considère la Loi mosaïque comme un don de Dieu. Sainte et bonne en tant qu’elle reflète la volonté divine, cette Loi enseigne à l’homme un chemin d’obéissance, comme libre réponse d’amour à l’amour premier de son Créateur. Ainsi que l’explique Paul dans ses épîtres, le seul effort de l’homme ne suffit pas à atteindre la communion avec Dieu dans l’obéissance parfaite à une telle Loi. Malgré tout le zèle et l’observance déployés par certains juifs, le don de la Loi ne soustrait pas le peuple élu à la condition pécheresse de l’humanité. Au contraire, relève l’Apôtre, le péché semble tirer de la Loi l’occasion d’un déploiement accru, attesté par les lancinantes infidélités d’Israël à l’amour de son Dieu – désobéissance invétérée du peuple élu à la Loi.

Est-ce à dire que la Loi elle-même donnerait lieu ou occasion au péché ainsi vivifié et répété ? A cette question, Paul répond nettement par la négative. C’est au contraire le péché, explique-t-il, qui utilise la Loi pour attirer l’homme vers les actes mortifères qu’elle prohibe et, partant, pour détourner l’homme de la vie en abondance que Dieu veut lui donner par amour. En réalité, poursuit l’Apôtre, le vrai rôle de la Loi – que nous aborderons dans la deuxième partie de notre analyse (2) – est d’aider l’homme à prendre conscience du péché auquel il se confronte nécessairement lorsqu’il prétend atteindre par son propre effort l’obéissance parfaite aux commandements de Dieu – et, par là-même, la communion à la vie divine. En ce sens, le rôle de la Loi est aussi d’amener l’homme à se défaire de toute prétention à atteindre par lui-même cette communion pour ne l’attendre que de la grâce de Dieu, dans la foi.

Comme nous le verrons dans un troisième et dernier temps (3), Paul trouve l’expression plénière et décisive d’une telle grâce, objet de la promesse faite à Abraham et à sa descendance, dans une Alliance nouvelle, en la personne de Jésus, le Christ, notre Seigneur. Par sa rencontre avec le Ressuscité sur le chemin de Damas, l’Apôtre réalise qu’il existe, contre toute espérance, une possibilité d’en finir définitivement avec le péché qui maintenait Israël hors de la pleine communion avec Dieu. Cette possibilité, c’est l’accueil de l’Esprit saint inscrivant sa Loi dans le cœur de l’homme (juif ou non) et consacrant ainsi l’adoption filiale de l’homme par Dieu – le Père – en Jésus-Christ. Pour Paul, cette adoption filiale associe celui qui l’accueille dans la foi à la victoire décisive du Seigneur sur la mort et sur le péché. Par l’accueil de l’Esprit saint, l’homme peut enfin accéder à l’obéissance parfaite à la Loi dans le Christ. Aussi Paul peut-il écrire que le Christ est la fin de la Loi, dans la mesure où Jésus réalise dans son être – et nous donne de vivre en communion avec Lui – l’union à Dieu à laquelle la Loi devait ultimement mener.

  

  1. La Loi est sainte et bonne mais ne peut faire éviter le péché

 

Par grâce, Dieu a choisi un peuple pour être le sien et servir son dessein (Is 49, 3) – « C’est toi [Israël] qu’a choisi le Seigneur ton Dieu, afin que tu sois son peuple particulier entre tous les peuples qui sont sur la terre » (Dt 7,6). A ce peuple élu, Dieu a « donné une loi pour qu’il soit digne de lui. Le peuple devait répondre par la foi et l’obéissance »[2] : « Tout ce qu’a dit Yahvé, nous le ferons et nous obéirons », lit-on en Ex 24, 7. L’obéissance demandée par Dieu à son peuple « n’est pas une soumission d’esclave » ; il s’agit au contraire d’une démarche d’amour[3]. C’est ce que rappellent notamment le Shema Israel (Dt 6, 4-6, 17) et les psaumes, où la Loi est célébrée « comme le grand don de l’Amour de Dieu à Israël et la source d’une obéissance d’amour (cf. Ps 18, 8-11 et tout le psaume 118) » [4].

Dans cette mesure, c’est en bon héritier de la tradition d’Israël que Paul, pharisien jusqu’à sa conversion sur le chemin de Damas[5], peut affirmer au chapitre 7 de son épître aux Romains que « la Loi est sainte » et le commandement « saint, juste et bon » (Rm 7, 12). Par cette affirmation, l’Apôtre veut souligner l’origine divine de la Loi : « la Loi est ‘‘sainte’’ parce qu’elle relève de Dieu » et « représente la volonté de Dieu » [6]. Le commandement, quant à lui, est « ‘‘juste’’ parce qu’il est conforme à la justice de Dieu » et « ‘‘bon’’ parce qu’il contient la volonté de Dieu qui est bonne »[7].

Comme le souligne Paul, « la supériorité du Juif » et « l’utilité de la circoncision » – c’est-à-dire, par extension, l’utilité de toute la Loi confiée au peuple élu[8] – sont « grandes à tous égards », car « c’est aux Juifs que « les jugements de Dieu ont été confiés » (Rm 3, 1-2). Les Juifs ont un privilège dans la contemplation des choses divines[9] : « Dieu est connu en Judée, en Israël son nom est grand » (Ps 75, 1) ; « Il n’a pas fait ainsi pour toute nation » (Ps 147, 20a).  Aux Israélites appartiennent « l’adoption des fils, la gloire, la législation, le culte, les promesses et aussi les patriarches », relève encore l’Apôtre (Rm 9, 4-5)[10]. Un chemin favorisé d’obéissance à la volonté divine leur est ainsi ouvert[11] et, avec lui, la perspective bienheureuse d’une pleine communion d’amour avec Dieu – et, en Dieu, avec le prochain.

Pour être vraie et parfaite, précise Paul, cette obéissance à la volonté divine implique pour celui qui la désire un abandon en toute confiance à la grâce et à la miséricorde de Dieu, dans l’humilité et le silence du cœur – « tout ce que dit la Loi, insiste Paul, elle le dit à ceux qui sont sous la Loi, afin que toute bouche soit fermée (…) » (Rm 3, 19). Pour l’Apôtre, une telle humilité exclut toute forme d’orgueil et de vaine gloire, en ce compris au sujet des bienfaits divins – tels que le don de la Loi[12]. Il s’agit de ne se considérer supérieur en rien, explique encore Paul[13]. Bien plutôt, l’obéissance parfaite implique de trouver en soi un cœur de pauvre, toujours disposé à éprouver le besoin de la grâce divine, à demander cette grâce et à l’attendre dans la foi[14].

Comme le remarque Paul, cette sainte obéissance aux commandements de Dieu demeure inatteignable par le seul effort humain en raison du péché. Tous, Juifs ou non, ont péché, explique en effet l’Apôtre[15] : « Il n’est pas de juste, pas un seul, il n’en est pas un de sensé, pas un qui cherche Dieu. (…) » (Rm 3, 10-18)[16]. Les uns comme les autres, tout en y aspirant de quelque façon du fond de leur cœur, « se trouvent de fait incapables d’obéir à la Loi de Dieu. Blessés dans leur intégrité, esclaves du péché, Juif et païen s’enferment dans la désobéissance » [17]. Qu’elle soit ou non conçue en termes d’observance de la Loi mosaïque, la prétention de l’homme à « faire » le bien ou à « faire » justice par ses propres œuvres bute sur le péché (Rm 7, 14-20)[18] et détourne de l’obéissance à Dieu[19].

La Loi n’évite donc pas le péché à ceux qui l’ont reçue. Il s’avère au contraire que le péché tire de la Loi l’occasion d’un surcroît de vigueur. Tout semble en effet se passer en manière telle «  que par le commandement, le péché devienne pécheur à l’excès », écrit Paul en Rm 7, 13[20]. Ancrées de manière profonde et lancinante dans l’histoire du peuple élu (Rm 2, 17-24)[21], la désobéissance et l’infidélité envers Dieu brisent littéralement le cœur de l’Apôtre. Il y a « une grande tristesse en moi et une douleur continuelle dans mon cœur », écrit-il en ce sens au sujet de ses « frères », de ses « parents selon la chair, qui sont Israélites » (Rm 9, 2.3b.4a) mais n’écoutent pas Dieu[22].

  1. Le vrai rôle de la Loi

Comme l’observe Paul, le fait que le péché prenne occasion de la Loi mosaïque ne signifie pas que cette Loi s’assimile au péché. L’Apôtre l’affirme explicitement: « Que dirons-nous donc ? La Loi est-elle péché ? Loin de là » (Rm 7, 7a). Contrairement aux « lois des peuples », dont le prophète Jérémie souligne la vanité (Jr 10, 3)[23], la Loi de Dieu « est sans tache » (Ps 18,8), pleinement « au service de la justice et de la vie »[24]. Dans cette mesure, celui qui a donné cette Loi n’a à l’évidence pas péché en la portant[25], comme ç’eût été le cas s’il s’était agi d’une loi inique[26].

La Loi n’est donc pas le péché ; elle en donne seulement connaissance. « Je n’ai connu le péché que par la Loi », lit-on ainsi en Rm 7, 7b ; « car par la Loi vient la connaissance du péché » (Rm 3, 20). Selon la pensée paulinienne, cette connaissance n’a pas pour objet l’acte même du péché mais bien le fait que cet acte constitue un mal et, par là-même, une offense à Dieu[27]. C’est en ce sens que l’Apôtre peut affirmer qu’il ne « connaîtrait pas » la concupiscence – dont nul n’ignore l’acte puisque tous l’éprouvent[28] – si la Loi n’eût dit : « tu ne convoiteras pas » (Rm 7, 7c).

Dans la mesure où la Loi mosaïque donne connaissance du péché sans le supprimer, pourrait-on affirmer que cette Loi donne l’occasion de pécher ? Ici encore, Paul répond nettement par la négative. Ce n’est en effet pas la Loi qui donne l’occasion de pécher mais bien le péché lui-même qui tire occasion de la Loi (Rm 7, 8a.11) pour attirer l’homme vers les actes qu’elle prohibe. Ceci revient à dire que la Loi est utilisée par le péché, qui se sert d’elle comme d’un instrument pour tromper l’homme et pour le détourner de la vie en abondance que Dieu veut lui donner par son commandement d’amour[29]. Victime de cette tromperie, l’homme en arrive à croire «  qu’il peut se soustraire » au commandement divin, qu’il peut s’en passer, « se procurer la vie » par lui-même et « trouver dans le non-accomplissement de la Loi l’accomplissement de sa vie »[30].

Pour Paul, le vrai rôle de la Loi est précisément d’amener l’homme à prendre conscience du péché qui l’abuse, de la blessure profonde qui résulte de cette tromperie et de la radicale impossibilité de « faire » la volonté de Dieu à un niveau purement humain. En relevant que « sans la Loi le péché était mort » et qu’il a « repris vie » avec elle (Rm 7, 8-9), l’Apôtre n’entend pas nier l’existence du péché avant le don de la Loi mosaïque[31]. Son propos est de souligner que cette Loi a décuplé à la fois la connaissance par l’homme de son péché et – de manière occasionnelle – le pouvoir destructeur dudit péché sur l’homme[32]. Ayant reçu la Loi, l’homme se découvre tôt ou tard pauvre, pécheur et incapable de « faire » le bien par ses seules forces. Après avoir pensé vivre ‘‘de lui-même’’, ignorant que sa mort était due au péché, l’homme découvre en dernière instance que le péché l’accable et le tue en se servant paradoxalement de la Loi même qui devait lui donner la vie[33].

Dans cette perspective, Paul enseigne que le rôle de la Loi est aussi et surtout d’apprendre à l’homme à se défaire de toute prétention ou suffisance, à implorer Dieu en toute humilité et à s’en remettre totalement à la grâce et à la miséricorde divines, dans la foi. Pour l’Apôtre, ce n’est pas par son propre effort ou par ses propres œuvres que l’homme peut accomplir la volonté de Dieu ou lui être agréable. Seule une pleine confiance dans le Seigneur et un entier abandon à sa grâce permettent à l’homme de vivre l’obéissance parfaite à la Loi et, par là-même, la communion d’amour avec Dieu et avec le prochain.

Ce thème – celui de la justification par la foi – est notamment abordé dans le chapitre 4 de l’épître aux Romains, consacré à la figure d’Abraham. « Quitte ton pays » (Gn 12,1) ; « Marche en ma présence et sois parfait » (Gn 17,1) ; « Prends ton fils […] offre-le en holocauste » (Gn 22,2), … L’obéissance d’Abraham à de tels commandements aurait-t-elle résulté de son seul effort personnel, lequel lui aurait fait « mériter » la faveur de Dieu et l’accès à sa gloire ? Paul répond qu’il n’en va pas ainsi (Rm 4, 1-8). Si Abraham peut être déclaré « juste » devant Dieu dans l’obéissance, c’est uniquement parce qu’il consent dans la foi à accueillir cette obéissance comme un pur don de la grâce divine[34]. S’étant librement détourné d’une suffisance illusoire, Abraham s’abandonne en toute confiance au Seigneur, qui lui ouvre dans la gratuité[35] et la joie son cœur miséricordieux.

Comme l’explique l’Apôtre (en Rm 4, 9-10), la béatitude d’être accueilli dans le sein miséricordieux du Seigneur[36] et d’y trouver son refuge[37] n’a pas lieu que chez les circoncis. Une telle béatitude est ouverte à tous, sans distinction entre Juifs et païens : « tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l’invoquent » (Rm 10, 12). En Lui, la justice – effet de sa fidélité à l’homme – surabonde pour tout homme[38]. Ainsi Abraham a t-il pu être justifié sans avoir besoin de l’œuvre de la Loi qu’est la circoncision (Rm 4, 10)[39].

Ce qui est vrai pour la circoncision en particulier vaut de manière générale pour toutes les œuvres de la Loi. Ce n’est en effet « pas par la Loi que la promesse a été faite à Abraham ou à sa postérité d’avoir le monde en héritage »[40], mais c’est « par la justice de la foi » (Rm 4, 13). En choisissant Abraham comme « exemple type du croyant », Paul « choisit une figure antérieure à la Loi et à ses œuvres. Abraham, lorsqu’il devint juste, n’est pas sujet de la Loi.»[41]. Selon l’Apôtre, l’accomplissement de la promesse ne réside pas davantage dans la Loi que la formulation de cette promesse[42]. C’est en effet également par la justice de la foi qu’un tel accomplissement peut être accueilli – et que les saints « ont vaincu des royaumes »[43] .

Ceci revient-il à dire que la Loi n’a aucune valeur ? Non, au contraire. La Loi « prépare l’homme à reconnaître qu’il lui est impossible de se hausser à la hauteur de Dieu pour s’y ajuster » [44]. Elle « indique ce qu’il faut faire : aimer Dieu. Or cela ne peut advenir vraiment que dans la foi. La Loi a toute sa valeur et la foi, loin de la lui enlever, la manifeste »[45]. Cette manifestation, précise l’Apôtre, survient non pas « au-dehors » ou « selon la lettre », mais « intérieurement » et « selon l’esprit » (Rm 4, 28-29). Par la foi, tout homme qui « a dans l’affection du cœur les préceptes de la Loi »[46] peut atteindre par grâce l’obéissance parfaite, libre réponse d’amour à l’amour premier de Dieu. Selon ce mode intérieur, la Loi mosaïque, échappant à l’emprise du péché, cesse d’être travestie en loi de « mort » (Rm 8, 2) et manifeste sa vraie nature de loi de la vie, de la miséricorde, « de la foi » (Rm 3, 27) et « de l’Esprit » (Rm 8, 2)[47].

La foi ainsi annoncée par Paul apporte un élément de profonde nouveauté à l’Alliance établie par Dieu avec Israël. Les prophètes annonçaient déjà une Alliance nouvelle (cf. Jr 31, 33). Ils parlaient « d’une loi vivante qui sera inscrite par l’Esprit dans le cœur de l’homme, le transformant, lui donnant d’obéir par instinct, de l’intérieur » [48]. Ils entrevoyaient aussi obscurément « la figure courbée et humiliée qui, par sa souffrance innocente, rachètera la désobéissance du peuple ; un Serviteur en état d’obéissance continuelle ; ‘‘tous les matins, le Seigneur éveille son oreille’’ (Is 50, 4) »[49].

Ce Serviteur, explique Paul, est issu de la postérité d’Abraham qui, « espérant contre toute espérance » (Rm 4, 18), confiant en la promesse de Dieu, a cru à la vie qui lui serait donnée. Dans une profonde unité entre sa vie et sa théologie, l’Apôtre annonce que le Serviteur qu’avaient entraperçu les prophètes n’est autre que Jésus, le Christ, notre Seigneur. Témoin de sa rencontre personnelle avec le Ressuscité sur le chemin de Damas, Paul réalise et brûle de faire savoir[50] que la promesse de vie reçue par Abraham se trouve « éclairée par le Christ qui en est l’objet »[51]. Quand l’Ecriture dit que « c’est à Abraham que les promesses ont été faites et à sa postérité », elle « ne dit pas : à ses postérités, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais à sa postérité, comme s’il s’agissait d’un seul, c’est-à-dire le Christ » (Ga 3, 16)[52]. En la personne de Jésus, Paul reconnaît et proclame la loi vivante et intérieure annoncée par les prophètes.

  1. Le Christ est la fin de la Loi ; en Lui nous confirmons la Loi

Paul, pour qui la seule possibilité d’être libéré du péché consiste à s’en remettre entièrement à la grâce de Dieu, nous invite à placer notre confiance en la personne de Jésus-Christ. Aussi est-ce à Jésus que s’adresse le cri d’action de grâce de l’Apôtre : « Grâces soient à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ! » (Rm 7,25). En Jésus, l’homme peut affirmer avec Paul : « Je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l’homme intérieur » (Rm 7, 22-23), car c’est dans le Christ Jésus que réside « la loi de l’Esprit qui donne la vie » (Rm 8, 2). Dans le Fils, « Dieu ne se lasse jamais de nous aimer comme un Père (…) dans le même mouvement où il nous donne la vie »[53] afin que le Fils « soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8, 29)[54].

Pour Paul, l’Alliance nouvelle, qui renouvelle jusqu’à « l’objet même de la foi », se réalise dans le Christ, « le Juste par excellence »[55]. En Jésus, la clef du drame humain nous est donnée. Son obéissance « dépasse l’immense cadre de l’histoire humaine et même de la création, pour s’enraciner dans l’acte éternel et mystérieux par lequel, dans l’intimité de Dieu, la Père dit sa Parole unique dans la lumière pure et, en retour, reçoit cette parole dans l’Amour pur » [56]. Tout, en Jésus, « est ordonné à la volonté de Dieu ; faire celle-ci est sa nourriture et sa vie. En conséquence, il se montre obéissant à tout ce qui incarne cette volonté : la loi juive, ses parents, les autorités, mais avec liberté »[57].

Telle est la clé du drame de l’humanité : face au péché, dont la Loi aide l’homme à prendre conscience et à se découvrir captif, « c’est l’inattendu du Christ qui survient dans l’histoire »[58]. En Jésus, « la justice est désormais manifestée » et, avec elle, la possibilité pour tous les hommes d’être libérés de l’emprise du péché en devenant fils adoptifs de Dieu le Père, par le Christ, dans l’Esprit saint[59]. La réalisation de cette possibilité, explique Paul, implique que l’homme pose librement un acte de confiance. Il s’agit de se laisser conduire dans l’Esprit « à un Dieu qui aime tous les hommes (Rm 3, 23) et qui n’exige rien de l’humanité pour lui donner son Fils »[60].

Par l’accueil de l’Esprit saint, l’homme peut enfin accéder à l’obéissance parfaite à la Loi dans le Christ. En sa personne, Jésus, notre Seigneur, réalise – et nous donne de vivre en communion avec Lui – l’union à Dieu à laquelle la Loi devait ultimement mener. C’est en ce sens que Paul peut dire du Christ qu’il est « la fin de la Loi pour la justification de tout croyant » (Rm 10, 4). Si la Loi a bien été donnée par Dieu aux hommes en vue de les rendre justes, c’était pour que cette justice survienne non par leur propre observance[61] mais par et dans la personne de Jésus-Christ[62]. L’avènement de Jésus constitue en ce sens l’aboutissement ultime de la Loi et offre à l’humanité la joie d’être libérée du péché dans une Alliance nouvelle avec Dieu.

Est-ce à dire que nous abolissons la Loi en accueillant Jésus dans la foi ? « Loin de là », répond l’Apôtre en Rm 3, 31[63]. Au contraire, poursuit-il, nous confirmons et nous établissons la Loi par la foi – comme le confirme par ailleurs l’Evangile selon Matthieu : « Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l’accomplir»[64]. Et ceci quant aux préceptes cérémoniels qui, « n’étant que figuratifs, ont été établis et accomplis parce que la vérité qu’ils signifiaient est manifestée dans la foi du Christ »[65] ; et même quant aux préceptes moraux, « parce que la foi du Christ confère le secours de la grâce pour accomplir les préceptes moraux de la Loi, et ajoute aussi des conseils, au moyen desquels ces préceptes sont conservés avec plus de sûreté et de stabilité»[66]. Loin d’abolir la Loi, le Christ la déploie donc pleinement en nous, nous donnant accès par la foi à ce que nous ne pouvions faire par nous-mêmes (voir Rm 5, 12-21) : aimer[67].

Pour l’Apôtre, accueillir Jésus dans la foi et être justifié par cette foi revient à recevoir la « rédemption accomplie dans le Christ Jésus » (Rm 3, 24). Cette rédemption, explique Paul, n’est autre que la victoire définitive sur le péché et sur la mort remportée par Jésus sur la croix et rendue accessible à tous par la foi venue de son précieux sang versé pour nous (Rm 3, 25)[68]. Par sa mort sur la croix, Jésus révèle l’amour miséricordieux du Père « pour toute l’humanité, celle qui le précède comme celle qui vient après lui »[69]. Obéissant jusqu’à la mort, et la mort ignominieuse de la croix (Phi 2, 8), Jésus « montre à quel point, en tant qu’homme, il est possible » non seulement de « croire que Dieu mérite d’être aimé infiniment »[70] mais aussi d’aimer infiniment l’homme en Dieu. Le Fils de Dieu, en se donnant par amour sur la croix, libère l’homme du péché et, par là-même, « réconcilie Dieu et les hommes, et les hommes entre eux. La croix est le lieu par excellence où se révèle l’unique médiation du Christ qui met en communion avec Dieu »[71]. Puisque l’humanité ne peut, par ses seules forces, aimer « jusqu’au bout » (Jn 13, 1) selon la volonté divine, Jésus le fait « pour nous et à notre place »[72], exprimant ainsi la surabondance de l’amour de Dieu[73].

En Jésus disparait également le danger que la Loi soit « détachée de son Auteur divin et érigée en absolu comme une fin en soi, au lieu d’être regardée comme un moyen pour Dieu d’entrer en relation avec l’homme ».[74] Par le Christ, la Loi n’est en effet plus extérieure mais radicalemet intérieure à l’homme, ouvrant à ce dernier la possibilité de devenir fils adoptif du Père, dans l’Esprit saint. A cet égard, on ne redira jamais assez « quel prodige représente aux yeux de l’Apôtre cette merveille propre à l’ère ouverte par le Christ : l’Esprit Saint présent dans les cœurs », faisant que les chrétiens, fils adoptifs de Dieu, peuvent regarder le Père céleste « avec les sentiments de confiance et d’amour et comme avec les yeux du Fils de Dieu incarné (cf. Rm 8, 15 ; Ga 4, 6) »[75].

Comme l’explique Paul, la mort et la résurrection du Christ s’appliquent à tout homme au moyen de la foi (Rm 1, 16)[76]. Tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu se trouvent en effet incorporés au Christ crucifié, mort[77] et ressuscité, devenant avec Lui fils de Dieu et héritiers de la vie éternelle (Rm 8, 14.17)[78]. Ni la persécution, ni l’angoisse, ni la mort, « rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur », peut donc affirmer l’Apôtre en Rm 8, 39. En nous donnant sa vie, le Christ nous donne accès à l’union à Dieu, au cœur même de la Trinité. Configuré au Ressuscité, rempli de l’Esprit saint, Paul appartient au Christ, ne fait plus qu’un avec Lui : « Par la Loi, je suis mort à la Loi afin de vivre pour Dieu ; avec le Christ, je suis crucifié[79].  Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. »  (Ga 2, 19-20a). Vraiment, c’est d’une bonne nouvelle et d’un monde tout nouveau que Paul rend témoignage. Dans sa rencontre personnelle avec le Christ Ressuscité, Paul a trouvé la joie que son cœur cherchait.

Conclusion

 

Au moment de conclure cette étude, il apparaît que la Loi mosaïque occupe de toute évidence une place de premier plan dans la vie et dans la théologie de Paul. Après sa rencontre décisive avec le Ressuscité sur le chemin de Damas (Ac 9, 3s.), le persécuteur devenu Apôtre s’est trouvé amené à éclairer la tradition juive dont il était l’héritier à la lumière pascale du Christ. Cet éclairage a eu pour fruit un renouvellement en profondeur de la conception paulinienne de la Loi.

Dans une entière fidélité à son héritage juif, Paul considère la Loi comme un don de Dieu. A ses yeux, l’homme – Israélite ou non – ne peut en aucun cas accéder à l’obéissance parfaite à cette Loi par son propre effort, en raison du péché (1). Ce dernier et sa puissance destructrice ne peuvent être évités au moyen de la Loi. Le péché tire même occasion de cette dernière pour se déchaîner avec un surcroît de vigueur. Selon Paul, le vrai rôle de la Loi est précisément d’enseigner à l’homme son impuissance face au péché et de l’amener à ne s’en remettre qu’à la grâce de Dieu (2). Cette grâce, précise l’apôtre, est donnée de manière décisive à tout homme qui accueille dans la foi l’amour miséricordieux de Dieu en la personne de Jésus, le Christ, notre Seigneur. Par son obéissance parfaite aux commandements divins jusqu’à la mort de la croix, Jésus ouvre à l’humanité le chemin d’une Alliance d’amour, nouvelle et éternelle. Au sein de cette Alliance, les commandements divins se trouvent inscrits par l’Esprit saint dans le cœur de tout homme, devenu fils adoptif de Dieu dans la foi (3).

Sous le mode radicalement intérieur proposé par Paul à la lumière du Christ ressuscité, l’obéissance à la Loi devient ouverture absolue du cœur à Dieu dans l’amour et la joie, sous l’impulsion de l’Esprit saint. Il s’agit de « renoncer à être le Créateur, pour être Fils, parole et louange du Père, dans son être même » ; « Participation à la liberté de Dieu. Souplesse sans entraves de la pauvreté » ; « Communion »[80].  Où en trouver l’illustration concrète ? Dans « le silence fécond de Marie, dans son fiat. Dans le Christ. En lui, il n’y a que oui (cf. 2 Co 1, 19) »[81].

Olivier Van der Noot

 

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[1] Le choix d’accorder en ces lignes une attention particulière à l’épître aux Romains plutôt, notamment, qu’à l’épître aux Galates, tient au fait que cette dernière ne reflète pas « la totalité et la vérité de la pensée de Paul sur [la] Loi » (H. Ponsot, Cours d’initiation à Saint Paul, Université Domuni, étape 5, p. 3). La perspective de l’épître aux Galates sur le thème de la Loi mosaïque « n’est pas fausse pour autant, elle est seulement très unilatérale, et la rédaction de la lettre aux Romains, dans un contexte beaucoup plus paisible, permettra des propos plus équilibrés » (H. Ponsot, Ibidem).

[2] Un Chartreux, « L’obéissance dans la Bible », La liberté de l’obéissance, Paris, Presses de la Renaissance, rééd. 2017, p. 17. Voir également E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism, A Comparison of Patterns of Religion, Philadelphie, Fortress Press, 1977, p. 180 – traduction libre : « Dieu a choisi Israël et Israël a accepté l’élection. Dans son rôle de Roi, Dieu a donné à Israël des commandements auxquels il doit obéir du mieux qu’il le peut. L’obéissance est récompensée, et la désobéissance punie. Dans le cas d’un échec à obéir néanmoins, l’homme a recours aux moyens de réparation divinement donnés, qui incluent tous la repentance ».

[3] Un Chartreux, Ibidem.

[4] Ibidem. Voir également Ba 2, 27-28 : « Tu as agi envers nous selon ton entière bienveillance et ton immense tendresse, Seigneur notre Dieu, comme tu l’avais déclaré par ton serviteur Moïse, le jour où tu lui ordonnas de mettre par écrit ta Loi en présence des fils d’Israël (…) ».

[5] Sans doute s’agit-il de « l’évènement le plus important de la vie de Paul, un évènement capital pour le futur du christianisme. Paul sans Damas n’a pas le rang d’apôtre : constamment, sans relâche, il se servira de cet évènement pour justifier son autorité, s’égaler au rang des ‘‘autres’’, ces Pierre, Jacques, Jean, qui avaient connu le Seigneur » durant de sa vie terrestre (R. Burnet, Paul, bretteur de l’Evangile, pauldetarse.free.fr/Paul.pdf, consulté le 26 janvier 2020). Avant Damas, Paul faisait partie des « pharisiens zélés, disons ‘‘engagés’’, de son temps : (…) il est incontestable qu’il a compté parmi les persécuteurs des chrétiens et qu’il avait reçu mission à cet effet » (H. Ponsot, Cours d’initiation à Saint Paul, Université Domuni, étape 5, p. 4 ; voir aussi Phi 3, 5s.). Comme le souligne H. Ponsot à travers toute son Introduction à la lettre aux Romains (Paris, Cerf, 1988), « Paul reste après sa ‘‘conversion’’ soucieux de ne rien renier de ses convictions juives et de son héritage rabbinique » (voir not. l’avant-propos et la quatrième de couverture de l’ouvrage). Simplement – et comme nous le verrons dans la troisième partie de cette étude –, sa rencontre avec le Christ éclaire et renouvelle en profondeur ces convictions et cet héritage à la lumière de Pâques.

[6] C. Reynier, Pour lire la lettre de saint Paul aux Romains, Paris, Cerf, 2011, p. 72.

[7] Ibidem.

[8] Voir notamment en ce sens (mais à propos de Rm 4, 13) par Saint Thomas d’Aquin, Commentaire de l’épître aux Romains, Paris, Cerf, éd. 1999, p. 196, § 351 in fine.

[9] Saint Thomas d’Aquin, Ibidem, p. 158, §249.

[10] A cette série de privilèges, l’Apôtre ajoute, de manière décisive, que c’est d’Israël qu’ « est issu le Christ selon la chair, lui qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans les siècles. Amen » (Rm 9, 5). Sur la place centrale du Christ dans la conception paulinienne de la Loi, voir la troisième partie de cette étude.

[11] Comme le relève saint Thomas d’Aquin à propos de Rm 3, 2 (op. cit., p. 158, §250), les Juifs sont principalement avantagés en ce que les jugements de Dieu leurs sont confiés « comme à des amis : ‘‘ Je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître’’ (Jn 15, 15b). Et cela est considérable, parce que les jugements de Dieu sont honorables : ‘‘ Les jugements du Seigneur sont vrais, équitables par eux-mêmes’’ (Ps 18, 10). Ils sont délectables : ‘‘Que tes jugements sont doux à mon palais’’ (Ps 118, 103) » ; « Bienheureux l’homme que toi, tu auras instruit, Seigneur, et à qui tu auras enseigné ta Loi, afin que tu lui accordes quelque douceur dans les jours mauvais » (Ps 93, 12-13).

[12] Voir Rm 3, 23 : « Alors, y a-t-il de quoi s’enorgueillir ? Pas du tout. (…) ».

[13] Voir Rm 3, 9a : « Quoi donc ? L’emportons-nous donc sur eux ? Nullement. ».

[14]  Voir déjà Ps 130, 1-3 : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, un petit enfant contre sa mère. Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais ».

[15] Voir Rm 3, 9b.

[16] Paul mobilise ici plusieurs références – Ps 14, 1-3 ; Ps 5,10 ; Ps 140, 4 ; Ps 10, 7 ; Ps 36, 2 ; ou encore Is 59, 7-8. A ce sujet, voir not. K. Barth, L’épître aux Romains, Genève, Labor et fides, éd. 1972, p. 185.

[17] Un Chartreux, op. cit., p. 17.

[18] Voir en ce sens C. Reynier, op. cit., p. 73 et 74. Selon cet auteur, Rm 7, 14-17 décrirait plutôt la situation du croyant d’origine juive, tandis que Rm 7, 18-20, en raison d’un arrière-fond grec indiqué par un vocabulaire moral (notions de bien et de mal) et une absence de mention de la Loi, renverrait davantage à la situation du croyant issu du paganisme.

[19] Comme le relèvent plusieurs commentateurs, cette expérience du péché commune à tous les hommes (Rm 3, 23) est déjà celle, dite ‘‘originelle’’, que fit Adam au jardin d’Eden – antérieurement, donc, au don et à la réception de la Loi mosaïque. Ce n’est pas en méconnaissant cette dernière qu’Adam s’est détourné de l’obéissance à Dieu, mais bien en outrepassant le précepte de Gn 2,17, dans lequel il est toutefois permis de voir une préfiguration la Loi donnée au Sinaï. Voir à cet égard H. Ponsot, Cours d’initiation à Saint Paul, Université Domuni, étape 5, p. 7 ; S. Lyonnet, « L’histoire du Salut selon le chapitre 7 de l’épître aux Romains », Biblica, n°43, 1962, p. 114-151; saint Thomas d’Aquin, op. cit., p. 274, §555.

[20] Voir également Rm 7, 9b : « quand est venu le commandement, le péché a repris vie ».

[21] A ce propos, voir aussi H. Urs von Balthasar, La dramatique divine. II. Les personnes du drame. 2. Les personnes dans le Christ, Namur, Culture et Vérité, 1988, p. 305 et s.

[22] Voir not. Ba 2, 30a : « Oui, je sais bien qu’ils ne m’écouteront pas, car c’est un peuple à la nuque raide ». Adde à cet égard Ex 32, 9 ; Ex 34, 9.

[23] Cité par saint Thomas d’Aquin, op. cit., p. 268, §533.

[24] C. Reynier, op. cit., p. 71. Comme le relève dans le même sens E.P. Sanders (op. cit., p. 180 – traduction libre), Israël, « aussi longtemps qu’il maintient son désir de rester dans l’Alliance » établie par le don et la réception de la Loi mosaïque, « a part aux promesses données par Dieu dans cette alliance, en particulier la vie dans le monde à venir ».

[25] Voir Pr 8, 15 : « Par moi les rois règnent, et les législateurs décrètent des choses justes ».

[26] Voir Is 10, 1 : « Malheur à ceux qui établissent des lois iniques ».

[27] Voir en ce sens saint Thomas d’Aquin, op. cit., p. 269, §537.

[28] Ibidem.

[29] Comme le souligne Paul, la Loi ne demande en définitive rien d’autre que d’aimer – aimer Dieu et, en lui, le prochain. A propos de l’amour du prochain, voir ainsi Rm 13, 9: « La Loi dit : tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas. Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

[30] C. Reynier, op. cit., p. 71 et 72.

[31] Voir en ce sens saint Thomas d’Aquin, op. cit., p. 272, §545, rappelant avec Paul (en Rm 5, 12) que « par un seul homme le péché est entré dans ce monde » avant la Loi.

[32] Voir à ce dernier égard saint Thomas d’Aquin, Ibidem, § 547: « la Loi ayant été donnée, la puissance du péché a été occasionnellement augmentée : ‘‘La puissance du péché, c’est la Loi’’ (1 Co 15, 56) ».

[33] Tel est le sens de l’exclamation de Paul en Rm 7, 10-11 : « Et moi je suis mort, et il s’est trouvé que le commandement qui m’était donné pour la vie l’a été pour la mort. Car le péché, prenant l’occasion, m’a séduit à travers le commandement, et par lui m’a tué ». Dans le péché, la vie n’a plus de vie que le nom : « Tu as le nom de vivant, mais tu es mort » (Ap 3,1 cité par Saint Thomas d’Aquin, Ibidem, §546).

[34] Voir not. Rm 4,2 (« Or, que dit l’écriture ? ‘‘Abraham crut à Dieu, et ce lui fut imputé à justice’’) – citant Gn 15,6. Voir aussi Rm 4,5 : « à celui (…) qui croit en celui qui justifie l’impie, sa foi est imputée à justice, selon le décret de la grâce de Dieu » – non cependant de telle manière qu’il mérite la justice par la foi, « mais parce que le fait même de croire est le premier acte de cette justice que Dieu opère en lui. Car du fait qu’il croit en Dieu qui justifie, il se soumet à sa justification et en reçoit ainsi l’effet » (Saint Thomas d’Aquin, Ibidem, op. cit., p. 189, §331).

[35] Comme le remarque C. Reynier (op. cit., p. 45), « La justice accordée à Abraham est purement gratuite. Elle n’est pas un dû comme le salaire versé en contrepartie d’un travail. Celui qui croit ne peut être comparé à un travailleur qui mérite salaire (Rm 4,4). Abraham n’obtient pas une récompense qui serait méritée par son obéissance ou par des œuvres de la Loi qu’il aurait accomplies – d’ailleurs, au temps d’Abraham, la Loi n’est pas encore donnée. Il est déclaré ‘‘juste’’ en raison de la confiance absolue qu’il a eue envers Dieu ».

[36] Cette béatitude est notamment proclamée en Rm 4, 7-8 (où Paul commente le Ps 32, 1-2): « Bienheureux ceux dont les iniquités ont été remises et dont les péchés ont été couverts. Bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’a pas imputé de péché ».

[37] Ps 90, 9: « Oui, le Seigneur est ton refuge ; tu as fait du Très-Haut ta forteresse ».

[38] C. Reynier, op. cit., p. 45. Voir aussi K. Barth, op. cit., p. 125 : « la déclaration de bonheur concernant l’homme pieux (Rm 4, 4-8) vaut, en vérité aussi, et déjà, pour celui qui ne l’est pas encore (4,9)».

[39] Comme l’explique Saint Thomas d’Aquin (op. cit., p. 191, § 340), on lit en effet « au chapitre 15 de la Genèse que la foi a été imputée à justice à Abraham (Gn 15, 6), et au chapitre 17 qu’il reçut le précepte de la circoncision (Gn 17, 23-26). Si donc Abraham, étant encore incirconcis, a été justifié par la foi, il est évident que la justice de la foi, par laquelle sont remis gratuitement les péchés, se trouve non seulement en l’état de circoncision, mais aussi en l’état d’incirconcision, c’est-à-dire chez les nations païennes ».

[40] De sorte que toutes les nations du monde soient bénies en lui – « En toi seront bénies toutes les nations de la terre » (Gn 12, 3).

[41] C. Reynier, op. cit., p. 46.

[42] Voir en ce sens Saint Thomas d’Aquin, op. cit., p. 196, §352, s’appuyant sur He 7, 19 : « La Loi n’a rien amené à la perfection».

[43] He 11, 33, cité par Saint Thomas d’Aquin, Ibidem, §353.

[44] C. Reynier, op. cit., p. 44

[45] Ibidem.

[46] Saint Thomas d’Aquin, op. cit., p. 154, § 244.

[47] A ce sujet, voir H. Ponsot, Introduction à la lettre aux Romains, op. cit., p. 125.

[48] Un Chartreux, « L’obéissance dans la Bible », op. cit., p. 18. Voir aussi Ez 36, 27 : « Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles ».

[49] Ibidem.

[50] Voir 1 Co 9, 16 : « Si j’annonce l’Evangile, ce n’est pas pour moi un sujet de gloire, car la nécessité m’en est imposée, et malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! ».

[51] C. Reynier, op. cit., p. 46-47

[52] C’est nous qui soulignons.

[53] C. Reynier, op. cit., p. 75.

[54] Comme le souligne H. Urs von Balthasar, le « ‘‘lieu’’ auquel les rachetés sont appelés et où ils sont placés dans l’obéissance de la foi, est Jésus-Christ lui-même. En lui, ils sont ‘‘un’’ (Ga 3,28) ; et l’unité de l’Eglise » – c’est nous qui soulignons – « n’est autre que la reconnaissance et l’accomplissement de cette unité donnée à l’avance dans le Christ. L’unité du ‘‘corps’’ provient de l’unité de la ‘‘tête’’ qui se déploie dans les membres et ramène à soi leur multiplicité (Ep 4, 10-16). De même, ‘‘ l’Esprit ‘’ qui anime le corps lui est donné d’avance en tant qu’Esprit de la tête et, au-delà de l’unité présente, il vise une unité eschatologique, aperçue seulement ‘‘en espérance’’ (Ep 4,4) » (La gloire et la croix. 5. Théologie. Nouvelle Alliance, Paris, Cerf, éd. 1990, p. 388).

[55] C. Reynier, op. cit, p. 43.

[56] Un Chartreux, « L’obéissance dans la Bible », op. cit., p. 18.

[57] Ibidem.

[58] Ibidem, p. 19.

[59] C. Reynier, op. cit., p. 42.

[60] Ibidem.

[61] Voir He 7, 19 : « la Loi n’a amené personne à la perfection ».

[62] Pour dire que la Loi nous oriente vers le Christ, Paul en parle comme d’un pédagogue (voir ainsi Ga 3, 24 : « la Loi fut notre pédagogue dans le Christ pour que nous soyons justifiés par la foi »).

[63] Voir aussi Mt 5, 18, cité par saint Thomas d’Aquin, op. cit., p. 183, § 321 : « Car je vous le dis en vérité : avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé ».

[64] Mt 5, 17, cité par saint Thomas d’Aquin, Ibidem.

[65] saint Thomas d’Aquin, Ibidem.

[66] Ibidem.

[67] Comme le rappelle l’Apôtre en Rm 13, 8.10,  « celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi » ; « le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour » – de Dieu et, en Dieu, du prochain. S. Lyonnet observe en ce sens que « le ‘‘précepte’’ reste pour le chrétien une ‘‘norme d’action’’ – la vraie norme étant d’ailleurs plus encore l’exemple même du Christ et en particulier de son amour – ; mais ce qui me fait chrétien et me ‘‘sauve’’, ce n’est pas une observation qui serait purement humaine de cette norme ; c’est l’amour même dont aime le Christ, et dont il me fait part si je l’accueille par la foi. » (« La charité plénitude de la loi. Rom 13, 8-10 », Etudes sur l’Epître aux Romains, Rome, Editrice pontifico istituto biblico, 1989, p. 320). Force est de remarquer que ces conceptions pauliniennes fondamentales se rapprochent, notamment et à leur façon, de celles offertes par le quatrième Evangile.

[68] saint Thomas d’Aquin, op. cit., p. 177, §309. Voir aussi 1 P 3, 18 : « Le Christ lui-même est mort une fois pour nos péchés, juste pour des injustes, afin de nous offrir à Dieu, mis à mort selon la chair, mais vivifié selon l’Esprit».

[69] C. Reynier, op. cit., p. 44. Voir dans le même sens saint Thomas d’Aquin, Ibidem, p. 178, § 310

[70] C. Reynier, Ibidem, p. 43.

[71] Ibidem, p. 44.

[72] Ibidem, p. 42.

[73] Pour une mise en lumière de la façon dont cette surabondance se trouve exprimée sur la croix, voy. Ibidem, p. 43: « la croix exprime ce que nous pensons de Dieu : Dieu est si grand que l’homme ne peut le comprendre et qu’il le rejette. Elle dit aussi ce que Dieu fait pour nous : il nous aime jusqu’à nous pardonner de vouloir l’éliminer. Bien plus, il nous met en communion avec lui ».

[74] A. Feuillet, « Loi ancienne et morale chrétienne d’après l’épître aux Romains », Nouvelle revue théologique, 1970, p. 792.

[75] Ibidem, p. 803.

[76] Dans la perspective paulinienne, cette incorporation au Christ mort et ressuscité se réalise également par le baptême (voir ainsi Rm 6,4).

[77] Comme l’explique saint Thomas d’Aquin (op. cit., p. 177-178, § 309), la « mort du Christ nous est appliquée au moyen de la foi, par laquelle nous croyons que par sa mort il a racheté le monde : ‘‘Je vis en la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est lui-même livré pour moi’’ (Ga 2, 20) ».

[78] Voir aussi Rm 8, 11 : « si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts » – c’est-à-dire Dieu le Père – « donnera aussi la vie à vos corps mortels par son esprit qui habite en vous ».

[79] Sur cette union d’amour au Christ crucifié, voir Phi 3, 10 (« Ce que je veux, c’est le connaître, lui, le Christ, et la communion à ses souffrances et la conformité à sa mort ») ; voir aussi Mt 16, 24 (« Alors Jésus dit à ses disciples : ‘‘si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ») ou encore Jn 15, 13 («Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »). On citera aussi à ce sujet ces mots de sainte Elisabeth de la Trinité : « O mon Christ aimé, crucifié par amour, je voudrais être une épouse pour votre cœur ; je voudrais vous couvrir de gloire, je voudrais vous aimer… jusqu’à en mourir ! Mais je sens mon impuissance, et je vous demande de me revêtir de vous-même, d’identifier mon âme à tous les mouvements de votre âme, de me submerger, de m’envahir, de vous substituer à moi, afin que ma vie ne soit qu’un rayonnement de votre vie… une humanité de surcroît  » (cité par H. Urs von Balthasar, Elisabeth de la Trinité et sa mission spirituelle, Paris, Seuil, rééd. 1990, p. 163).

[80] Un chartreux, op. cit., « L’obéissance contemplative », p. 132 et 133.

[81] Ibidem, p. 133.




Message du Pape François pour la 28° journée des malades (11 février 2020)

« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau,
et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28)

 

Chers frères et sœurs,

1. Les paroles que Jésus prononce : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28) indiquent le mystérieux chemin de la grâce qui se révèle aux simples et qui offre un soulagement à ceux qui peinent et qui sont fatigués. Ces mots expriment la solidarité du Fils de l’homme, Jésus-Christ, face à une humanité affligée et souffrante. Que de personnes souffrent dans leur corps et dans leur esprit ! Il appelle tous les hommes à aller vers lui, « venez à moi », et il leur promet soulagement et repos. « Quand Jésus dit cela, il a face à lui les personnes qu’il rencontre chaque jour sur les routes de Galilée : tant de gens simples, pauvres, malades, pécheurs, exclus par le poids de la loi et du système social oppressif… Ces personnes l’ont sans cesse poursuivi pour écouter sa parole – une parole qui donnait l’espérance » (Angélus, 6 juillet 2014).

En cette XXVIIIème Journée Mondiale du Malade, Jésus adresse son invitation aux malades et aux opprimés, aux pauvres qui savent bien qu’ils dépendent entièrement de Dieu et qui, blessés par le poids des épreuves, ont besoin de guérison. Jésus-Christ, n’impose pas de lois à ceux qui vivent l’angoisse de leur propre situation de fragilité, de douleur et de faiblesse, mais il offre sa miséricorde, c’est-à-dire sa personne qui les réconforte. Jésus regarde l’humanité blessée. Lui, il a des yeux qui voient, qui s’aperçoivent, car ils regardent en profondeur. Il ne s’agit pas d’un regard rapide et indifférent, mais qui s’attarde et accueille tout l’homme, tout homme, dans sa condition de santé, sans écarter personne, mais en invitant chacun à entrer dans sa vie pour faire une expérience de tendresse.

2. Pourquoi Jésus-Christ nourrit-il ces sentiments ? Parce qu’il s’est fait faible lui-même, faisant ainsi l’expérience de la souffrance humaine et recevant à son tour le réconfort du Père. De fait, seul celui qui fait personnellement cette expérience saura être un réconfort pour l’autre. Il existe diverses formes graves de souffrance : les maladies incurables et chroniques, les pathologies psychiques, celles qui nécessitent de la rééducation ou des soins palliatifs, les divers handicaps, les maladies de l’enfance et de la vieillesse… Dans ces circonstances, on ressent parfois un manque d’humanité et il apparaît alors nécessaire de personnaliser l’approche à l’égard du malade, non plus seulement en soignant mais aussi en prenant soin, pour une guérison humaine intégrale. Lorsqu’elle est malade, la personne ressent que, non seulement son intégrité physique est compromise, mais aussi ses dimensions relationnelle, intellectuelle, affective et spirituelle. Elle attend donc, en plus des thérapies, un soutien, une sollicitude, une attention… en somme, de l’amour. En outre, aux côtés du malade, il y a une famille qui souffre et qui demande, elle aussi, réconfort et proximité.

3. Chers frères et sœurs malades, la maladie vous place d’une façon toute particulière parmi ceux qui sont « fatigués et opprimés », ceux qui attirent le regard et le cœur de Jésus. C’est de là que vient la lumière pour vos moments d’obscurité, l’espérance pour votre réconfort. Il vous invite à aller à lui : « Venez ». En lui, en effet, les inquiétudes et les interrogations qui surgissent en vous, dans cette “ nuit ” du corps et de l’esprit, trouveront de la force pour être traversées. Certes, le Christ ne nous  a pas donné de recettes, mais, par sa passion, sa mort et sa résurrection, il nous libère de l’oppression du mal.

Dans votre condition, vous avez certainement besoin d’un lieu pour vous réconforter. L’Église veut être toujours davantage et toujours mieux l’“ auberge ” du bon Samaritain qu’est le Christ (cf. Lc 10, 34), à savoir la maison où vous pouvez trouver sa grâce, qui s’exprime par la familiarité, l’accueil, le soulagement. Dans cette maison, vous pourrez rencontrer des personnes qui, guéries par la miséricorde de Dieu dans leur fragilité, sauront vous aider à porter la croix en faisant de leurs propres blessures des ouvertures par lesquelles regarder l’horizon au-delà de la maladie et recevoir la lumière et l’air pour votre vie.

C’est dans cette œuvre de réconfort envers les frères malades que se situe le service du personnel de santé, médecin, infirmiers, agents sanitaires et administratifs, aides-soignants et volontaires qui, par leur compétence, agissent en faisant sentir la présence du Christ, qui offre sa consolation et se charge de la personne malade en soignant ses blessures. Mais, eux aussi, sont des hommes et des femmes, avec leurs fragilités et leurs maladies. Pour eux, en particulier, s’applique ce propos selon lequel « une fois que nous avons reçu le repos et le réconfort du Christ, nous sommes appelés à notre tour à devenir repos et réconfort pour nos frères, avec une attitude douce et humble, à l’imitation du Maître » (Angélus, 6 juillet 2014).

4. Chers agents du monde de la santé, toute intervention diagnostique, préventive, thérapeutique, de recherche, de soin et de rééducation, s’adresse à la personne malade, où le substantif “ personne ” prime toujours sur l’adjectif “ malade ”. Par conséquent, votre action doit tendre constamment à la dignité et à la vie de la personne, sans jamais céder à des actes de nature euthanasiste, de suicide assisté ou de suppression de la vie, pas même quand le stade de la maladie est irréversible.

Dans l’expérience de la limite et même de l’échec possible de la science médicale face à des cas cliniques toujours plus problématiques et à des diagnostics funestes, vous êtes appelés à vous ouvrir à la dimension transcendante, qui peut vous offrir le sens plénier de votre profession. Rappelons que la vie est sacrée, qu’elle appartient à Dieu et, par conséquent, qu’elle est inviolable et qu’on ne peut en disposer (cf. Instr. Donum vitae, n. 5 ; Enc. Evangelium vitae, n. 29-53). La vie doit être accueillie, protégée, respectée et servie, de la naissance à la mort : c’est à la fois une exigence tant de la raison que de la foi en Dieu auteur de la vie. Dans certains cas, l’objection de conscience est pour vous le choix nécessaire pour rester cohérents au “ oui ” à la vie et à la personne. En tout cas, votre professionnalisme, animé par la charité chrétienne, sera le meilleur service rendu au vrai droit humain : le droit à la vie. Quand vous ne pouvez pas guérir, vous pouvez toujours soigner grâce à des gestes et à des procédures qui apportent soulagement et réconfort au malade.

Hélas, dans certains contextes de guerre et de conflit violent, le personnel de santé et les structures qui s’occupent de l’accueil et de l’assistance des malades sont pris pour cibles. Dans certaines zones, le pouvoir politique aussi prétend manipuler l’assistance médicale en sa faveur, limitant la juste autonomie de la profession sanitaire. En réalité, attaquer ceux qui se consacrent au service des membres souffrants du corps social ne profite à personne.

5. En cette XXVIIIème Journée Mondiale du Malade, je pense aux nombreux frères et sœurs qui, dans le monde entier, n’ont pas la possibilité d’accéder aux soins, parce qu’ils vivent dans la pauvreté. Je m’adresse donc aux institutions sanitaires et aux Gouvernants de tous les pays du monde, afin qu’ils ne négligent pas la justice sociale au profit de l’aspect économique. Je souhaite qu’en conjuguant les principes de solidarité et de subsidiarité, il soit possible de coopérer pour que tous aient accès aux soins appropriés pour sauvegarder et retrouver la santé. Je remercie de tout cœur les volontaires qui se mettent au service des malades, en allant souvent suppléer les carences structurelles et en reflétant, par des gestes de tendresse et de proximité, l’image du Christ bon Samaritain.

Je confie à la Vierge Marie, Santé des malades, toutes les personnes qui portent le poids de la maladie, avec leurs familles, ainsi que tous les personnels de santé. Je vous assure que je suis proche de vous tous dans la prière et je vous envoie de grand cœur la Bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 3 janvier 2020, Mémoire du Saint Nom de Jésus. 

François




La richesse du message de Lourdes ; Journée mondiale du malade le 11 février 2020 (Fr. M. Rivero)

Lourdes attire des millions de pèlerins des cinq continents,  appartenant parfois à d’autres religions que le christianisme mais qui adhèrent au message de la miséricorde de Dieu envers les pécheurs et les malades que la Vierge Marie a transmis à sainte Bernadette en 1858 : « Pénitence ! » ; « priez pour la conversion des pécheurs ».

Grotte de Lourdes, années 1860

La vie de Bernadette en fut bouleversée. L’amour de Dieu grandit en elle au point de déclarer : « Je ne vivrai pas un instant que je ne le passe en aimant » ; « Ô Jésus, mettez tant d’amour dans mon cœur, qu’un beau jour il se brise pour aller à vous ».


Ste Bernadette

Les malades mis en valeur

Des malades et des handicapés occupent la première place sur l’esplanade de la basilique de Notre-Dame du Rosaire. Leurs brancards forment la croix du Christ Jésus aujourd’hui. Alors qu’ils passent le plus clair de leur temps cachés dans les hôpitaux ou les arrière-cours des maisons, ces malades retrouvent à Lourdes la reconnaissance de leur dignité sacrée. La vie est un don de Dieu et elle appartient à Dieu. Les malades sont plus grands que leur maladie.

Des grâces de conversion et de guérison alimentent l’espoir de tous ceux qui souffrent dans leur âme ou dans leur corps : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Évangile selon saint Matthieu 11,28)[1]. Jésus est venu apporter la guérison intégrale de la personne humaine : le corps animé par l’âme.

À Lourdes, il y a la face visible et la dimension invisible du mystère de Dieu manifesté en Jésus-Christ et présenté par Marie, sa mère.

À Lourdes, la Vierge Marie rappelle l’Évangile : la guérison des malades qui croient en Jésus le Messie et le pardon des péchés.

Loin de faire écran entre l’humanité et Dieu, sans prendre nullement la place de Dieu, la Vierge Marie ressemble à un miroir où chacun peut découvrir son propre mystère et sa destinée. La beauté de Marie, glorifiée dans son âme et dans son corps, ayant dépassé la mort par sa foi en Jésus, le Ressuscité de Pâques, annonce le salut à ceux qui souffrent moralement et physiquement. Sainte Bernadette affirmait : « Ma Dame à moi, elle si belle que lorsqu’on l’a vue, on voudrait mourir pour la revoir ».

« Immaculée Conception »

C’est le 25 mars 1858 que la Vierge Marie se présente à Bernadette Soubirous comme l’Immaculée Conception en s’adaptant au dialecte bigourdan de la jeune voyante : « Que soy era Immaculada Conceptiou ». Il est significatif que cette déclaration de la Dame de la grotte à Bernadette ait eu lieu le jour de la fête de l’Annonciation. Le dogme de l’Immaculée Conception, déclaré par le bienheureux pape Pie IX en 1854, n’éloigne pas la mère de Jésus du commun des mortels. Tout au contraire, comblée de grâce, la Vierge Marie partage les joies et les souffrances de l’humanité. Elle devient mère spirituelle par sa maternité divine et son intercession puissante auprès de son Fils Jésus.

Dans la Bible, quand Dieu accorde une grâce particulière ce don comporte un but universel au service de tous. Comblée de grâce dès l’instant de sa conception, la fille conçue par l’union sexuelle d’Anne et de Joachim, deviendra une source de grâce pour l’humanité entière.

À Lourdes, « la Dame de la grotte » comme l’appelle Bernadette rayonne de beauté : « Elle était tellement belle que l’on voudrait mourir pour la revoir » (saint Bernadette de Lourdes). Marie prie le chapelet. Le salut ne vient que de son Fils Jésus, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, mais la prière de sa mère change le cours de l’histoire de manière imprévisible comme aux noces de Cana où Jésus changea l’eau en vin en manifestant sa gloire (cf. Évangile selon saint Jean 2).

La Parole intérieure du Père

À Lourdes, Marie ne se montre pas bavarde. Femme de silence et d’intériorité, Marie continue de garder dans son cœur les événements et les paroles de son Fils Jésus (cf. Évangile selon saint Luc 2,51). Marie ne sauve ni ne sanctifie qui que ce soit. Seul Dieu sauve et sanctifie. La Vierge Marie brille comme la plus grande des sauvés. La puissance de Marie se déploie uniquement dans sa prière pleine de foi en son Fils Jésus. C’est Jésus qui a sanctifié et sauvé Marie et son père adoptif Joseph. Le cœur immaculé de Marie a accueilli le Verbe de Dieu. Quand saint Jean, l’évangéliste théologien, parle du Verbe, il ne pense pas à une simple parole humaine qui ferait vibrer l’air à l’image de nos paroles humaines. Il annonce la Parole intérieure du Père manifestée dans l’Incarnation.

Marie, Basilique Notre Dame de Bonne Garde (Longpont-sur-Orge)

La Parole du Père caché en Dieu a pris chair en Marie. Le Verbe fait chair est devenu alors visible et saint Jean annonce  « ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, car la Vie s’est manifestée » (Première épître de saint Jean 1,1s).

« Marie », le prénom de l’âme

Saint Augustin (354-430) enseigne que Marie conçut d’abord le Verbe dans son cœur par la foi avant de le concevoir dans ses entrailles. Cette naissance du Verbe par la foi annonce la naissance de Jésus dans l’âme de ceux qui croient en lui comme l’Envoyé du Père. C’est pourquoi saint Ambroise de Milan (+397) se plaisait à baptiser l’âme croyante du prénom de Marie car c’est l’âme de chaque chrétien qui engendre par la foi Jésus à l’exemple de Marie : « Chaque âme qui croit (comme Marie) conçoit et enfante le Verbe de Dieu . . . Selon la chair il n’y a qu’une seule Mère du Christ ; selon la foi, le Christ est le fruit de tous »[2] ; « Lorsque cette âme commence à se convertir au Christ, elle s’appelle « Marie » : c’est-à-dire qu’elle reçoit le nom de celle qui a mis au monde le Christ : elle est devenue une âme qui engendre le Christ de manière spirituelle »[3]. Par la foi, l’âme chrétienne devient mère de Dieu sous l’action de l’Esprit Saint. L’âme a aussi « un prénom » : Marie.

Toutes les grâces sont mises en commun

La liturgie de la messe de l’Annonciation enseigne la naissance de l’Église en ce jour-là : « Daigne accepter, Dieu tout-puissant, les dons offerts par ton Église : elle n’oublie pas qu’elle a commencé le jour où ton Verbe s’est fait chair » (prière sur les offrandes). Première chrétienne, première Église, « la première en chemin », Marie apparaît dans l’Église comme la sœur aînée dans la foi pour tous les fidèles. Le mystère de « la Communion des saints » fait que les grâces répandues sur Marie bénéficient à tous les croyants dans le partage des biens spirituels. Il s’agit d’un profit mutuel de biens réalisés par chacun. Dieu est communication, partage et communion. La mise en commun vécue au cœur de la sainte Trinité, un seul Dieu, rejaillit dans la mise en commun des grâces personnelles données en vue du bien de tous. Ni l’envie ni la jalousie n’ont de place dans le mystère de l’Église. La richesse des uns devient la richesse de tous dans la Communion des saints. Marie n’est pas une privilégiée sans points communs avec la commune condition des mortels. Marie met en commun toutes les grâces reçues.

La souffrance de la Vierge Marie

Ni l’Immaculée Conception ni la maternité divine quelques années après n’éloignent Marie du reste des croyants. Le privilège de l’Immaculée Conception la rapproche de tous les hommes. Marie sera aussi la première à être frappée par la souffrance à cause de sa fidélité comme l’avait annoncé Syméon lors de la Présentation de Jésus au Temple de Jérusalem : « Une épée te transpercera l’âme !» (Évangile selon saint Luc 2, 35). Sur le Calvaire, le cœur immaculée et maternel de Marie a été transpercé de douleur. Saint Thomas d’Aquin O.P. (+1274) enseigne que l’amour des mères ressemble le plus à Dieu parce que les mères cherchent davantage à aimer qu’à être aimées. 

Marie, Basilique de Vézelay

Sainte Bernadette, envoyée par la Vierge Marie

Sainte Bernadette de Lourdes a été choisie par la Vierge Marie et envoyée comme témoin de la miséricorde divine. Chargée de mission, Bernadette a connu le même sort que Jésus : scepticisme, moqueries, humiliation … Dans l’Évangile, l’envoi établit un lien fort entre Dieu qui envoie et l’envoyé : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Évangile selon saint Jean 20, 21). La voyante de Lourdes a bénéficié des apparitions de la Vierge Marie mais elle a partagé aussi les souffrances physiques et spirituelles de son maître, Jésus. Elle disait avoir reçu « l’emploi de malade ». À l’approche de sa mort, Bernadette s’était exclamée : « Je suis moulue comme un grain de blé » ; « Je n’aurais pas cru qu’il fallait tant souffrir pour mourir ».

Ste Bernadette, esplanade de Lourdes

Agonie de sainte Bernadette

Entrée en agonie, son confesseur l’avait entendu répéter : « Va-t-en , Satan ! ». C’est dans le crucifix qu’elle puisait sa force. Ses dernières paroles répétées deux fois manifestent son humilité, en véritable fille de Marie, l’humble servante du Seigneur : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi, pauvre pécheresse, pauvre pécheresse. »

Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis (La Réunion), le 7 février 2020.




Messe de Noël: le Pape François invite à « se laisser envelopper par la tendresse de Jésus »

Le Pape François a présidé la messe de la nuit de Noël ce mardi soir à la basilique Saint-Pierre.

Conformément à un usage établi par son prédécesseur Benoît XVI, c’est une “messe de Minuit” anticipée à 21h30 que le Pape François a présidé ce mardi 24 décembre 2019 à la basilique Saint-Pierre. Cette célébration, qui bénéficie toujours d’une très large diffusion télévisée dans le monde entier, était concélébrée par la plupart des responsables de la Curie romaine.

Nous vous proposons tout d’abord un résumé tel qu’il a été conçu par « vatican news » sur la page suivante :

https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2019-12/messe-nuit-de-noel-pape-francois-basilique-saint-pierre.html

Cette page donne également accès à l’intégralité, en vidéo, de la messe de Noël célébrée par le Pape François à St Pierre de Rome…

Et après ce résumé, vous trouverez également le texte complet de l’homélie du Pape François. Elle est vraiment particulièrement belle car elle nous entraîne, une fois de plus, au coeur du Mystère de notre foi. Le mercredi 14 juin 2017, il avait déjà déclaré lors d’une audience à Rome : « Le premier pas que Dieu accomplit vers nous est celui d’un amour donné à l’avance et inconditionnel. Dieu nous aime parce qu’il est amour, et l’amour tend de nature à se répandre, à se donner. Dieu ne lie même pas sa bienveillance à notre conversion : celle-ci tout au plus est une conséquence de l’amour de Dieu. Saint Paul dit que Dieu nous a aimés même lorsque nous nous étions trompés. Qui de nous aime de cette manière, sinon un père ou une mère ?  Une mère aime son enfant même quand il est pécheur. Dieu fait la même chose avec nous, nous sommes ses enfants bien-aimés. L’amour appelle l’amour ! ». Nous retrouvons ici ce grand principe… L’accueillir est certainement le plus beau cadeau de Noël qui puisse exister car cette Joie, cette Plénitude de Lumière et de Vie qui transparaît déjà quelque peu dans l’obscurité de notre foi se propose d’être notre Bonheur et notre Plénitude pour l’éternité…

Résumé de l’homélie du Pape François

Dans son homélie, le Pape François est revenu sur les textes proposés par la liturgie en cette nuit de Noël en mettant en évidence la gratuité de l’amour de Dieu, offert aux hommes à travers la naissance de Jésus. «Cette nuit, l’amour de Dieu s’est montré à nous : c’est Jésus. En Jésus, le Très Haut s’est fait petit, pour être aimé de nous. En Jésus, Dieu s’est fait Enfant, pour se laisser embrasser par nous», et ce en toute gratuité : «nous n’avons rien fait pour le mériter et nous ne pourrons jamais le récompenser».

L’amour de Dieu ne dépend pas de nos mérites

«Dieu ne t’aime pas parce que tu penses juste et que tu te comportes bien ; il t’aime et c’est tout. Son amour est inconditionnel, il ne dépend pas de toi. Tu peux avoir des idées erronées, tu peux avoir créé des situations très compliquées, mais le Seigneur ne renonce pas à t’aimer», a expliqué le Pape François.

«La grâce de Dieu est apparue» pour tous, sans discrimination : «Dans le bien et dans le mal, dans la santé et dans la maladie, heureux ou tristes, à ses yeux nous apparaissons beaux : non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Il y a en nous une beauté indélébile, intangible, une beauté irrépressible qui est le noyau de notre être. Aujourd’hui Dieu nous le rappelle, en prenant avec amour notre humanité et en la faisant sienne, “en l’épousant” pour toujours», a martelé l’évêque de Rome.

Un don offert à tout le peuple

«Vraiment la “grande joie” annoncée cette nuit aux bergers est “pour tout le peuple”, a expliqué le Pape. Parmi ces bergers, qui n’étaient certes pas des saints, nous y sommes aussi, avec nos fragilités et faiblesses. Comme il les a appelés, Dieu nous appelle aussi, parce qu’il nous aime. Cette nuit, l’amour a vaincu la crainte, une espérance nouvelle est apparue, la douce lumière de Dieu a vaincu les ténèbres de l’arrogance humaine.»

La seule responsabilité qui nous incombe directement est donc de savoir «accueillir le don». «Avant d’aller à la recherche de Dieu, laissons-nous chercher par lui. Ne partons pas de nos capacités, mais de sa grâce, parce que c’est Lui, Jésus, le Sauveur. Posons le regard sur l’Enfant et laissons-nous envelopper de sa tendresse. Nous n’aurons plus d’excuses pour ne pas nous laisser aimer par Lui : ce qui dans la vie va mal, ce qui dans l’Église ne fonctionne pas, ce qui dans le monde ne va pas ne sera plus une justification. Cela passera au second plan, parce que devant l’amour fou de Jésus, un amour toute douceur et proximité, il n’y a pas d’excuses», a souligné le Pape

François a aussi invité chacun à s’investir dans le don, dans le dynamique ouverte par Dieu qui a donné son Fils à l’humanité. «Nous changeons, l’Église change, l’histoire change quand nous commençons non pas à vouloir changer les autres, mais nous-mêmes, en faisant de notre vie un don.»

Recevoir le don permet de se donner soi-même

«Jésus nous le montre cette nuit : il n’a pas changé l’histoire en forçant quelqu’un ou à force de paroles, mais avec le don de sa vie, a précisé le Pape. Il n’a pas attendu que nous devenions bons pour nous aimer, mais il s’est donné gratuitement à nous. Nous aussi, n’attendons pas que notre prochain devienne bon pour lui faire du bien, que l’Eglise soit parfaite pour l’aimer, que les autres nous considèrent pour les servir. Commençons les premiers. Ça, c’est accueillir le don de la grâce. Et la sainteté n’est autre que conserver cette gratuité.»

François a ensuite évoqué une légende traditionnelle, qui ne figure pas dans les récits canoniques, mais qui montre bien la dynamique engendrée par la naissance de Jésus. Elle concerne un berger très pauvre, venu voir Jésus sans cadeau à offrir. Cette histoire représente Joseph et Marie qui, presque gênés par l’afflux de cadeaux, mirent Jésus dans les bras de ce berger venu les mains vides. «Ce berger, en l’accueillant, se rendit compte d’avoir reçu ce qu’il ne méritait pas, d’avoir entre les bras le don le plus grand de l’histoire, a raconté François. Il regarda ses mains, ces mains qui lui paraissaient toujours vides : elles étaient devenues le berceau de Dieu. Il se sentit aimé et, en surmontant la honte, il commença à montrer Jésus aux autres, parce qu’il ne pouvait pas garder pour lui le don des dons.»

Au terme de son homélie, le Pape a ainsi interpellé chacun : «Cher frère, chère sœur, si tes mains te semblent vides, si tu vois ton cœur pauvre d’amour, cette nuit est pour toi. La grâce de Dieu est apparue pour resplendir dans ta vie. Accueille-la et la lumière de Noël brillera en toi.»

Comme c’est la tradition, François a ensuite déposé l’Enfant Jésus dans la crèche située à l’intérieur de la basilique. Il était entouré en procession par des enfants venus notamment d’Irak, du Kenya, d’Ouganda ou encore des Philippines, représentant essentiellement des nations visitées par le Pape ou dans lesquelles il a le projet de se rendre.

 

Texte complet de l’homélie du Pape François

« Sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Is 9, 1). Cette prophétie de la première Lecture s’est réalisée dans l’Evangile : en effet, alors que les bergers veillaient la nuit sur leurs terres, « la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière » (Lc 2,9). Dans la nuit de la terre est apparue une lumière venant du ciel. Que signifie cette lumière apparue dans l’obscurité ? L’Apôtre Paul nous le suggère, lui qui nous a dit : « La grâce de Dieu est apparue ». La grâce de Dieu, qui « s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tt 2,11), a enveloppé le monde cette nuit.

Mais qu’est-ce que cette grâce ? C’est l’amour divin, l’amour qui transforme la vie, qui renouvelle l’histoire, qui libère du mal, qui répand la paix et la joie. Cette nuit, l’amour de Dieu s’est montré à nous : c’est Jésus. En Jésus, le Très Haut s’est fait petit, pour être aimé de nous. En Jésus, Dieu s’est fait Enfant, pour se laisser embrasser par nous. Mais, nous pouvons encore nous demander pourquoi saint Paul appelle la venue de Dieu dans le monde “grâce” ? Pour nous dire qu’elle est complètement gratuite. Alors qu’ici sur terre, tout paraît répondre à la logique du donner pour avoir, Dieu arrive gratuitement. Son amour n’est pas négociable : nous n’avons rien fait pour le mériter et nous ne pourrons jamais le récompenser.

La grâce de Dieu est apparue. Cette nuit, nous nous rendons compte que, tandis que nous n’étions pas à la hauteur, Il s’est fait pour nous petitesse ; tandis que nous allions à nos affaires, Il est venu au milieu de nous. Noël nous rappelle que Dieu continue d’aimer tout homme, même le pire. A moi, à toi, à chacun de nous aujourd’hui, il dit : “Je t’aime et je t’aimerai toujours, tu es précieux à mes yeux”. Dieu ne t’aime pas parce que tu penses juste et que tu te comportes bien ; il t’aime et c’est tout. Son amour est inconditionnel, il ne dépend pas de toi. Tu peux avoir des idées erronées, tu peux avoir créé des situations très compliquées, mais le Seigneur ne renonce pas à t’aimer. Combien de fois ne pensons-nous pas que Dieu est bon si nous sommes bons et qu’il nous châtie si nous sommes mauvais. Ce n’est pas ainsi. Dans nos péchés, il continue de nous aimer. Son amour ne change pas, il n’est pas susceptible ; il est fidèle, il est patient. Tel est le don que nous trouvons à Noël : nous découvrons avec stupeur que le Seigneur est toute la gratuité possible, toute la tendresse possible. Sa gloire ne nous aveugle pas, sa présence ne nous effraie pas. Il naît pauvre de tout, pour nous conquérir avec la richesse de son amour.

La grâce de Dieu est apparue. Grâce est synonyme de beauté. Cette nuit, dans la beauté de l’amour de Dieu, nous redécouvrons aussi notre beauté, parce que nous sommes les bien-aimés de Dieu. Dans le bien et dans le mal, dans la santé et dans la maladie, heureux ou tristes, à ses yeux nous apparaissons beaux : non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Il y a en nous une beauté indélébile, intangible, une beauté irrépressible qui est le noyau de notre être. Aujourd’hui Dieu nous le rappelle, en prenant avec amour notre humanité et en la faisant sienne, “en l’épousant” pour toujours.

Vraiment la « grande joie » annoncée cette nuit aux bergers est « pour tout le peuple ». Parmi ces bergers, qui n’étaient certes pas des saints, nous y sommes aussi, avec nos fragilités et faiblesses. Comme il les a appelés, Dieu nous appelle aussi, parce qu’il nous aime. Et, dans les nuits de la vie, à nous comme à eux il dit : « Ne craignez pas » (Lc 2,10). Courage, ne perds pas confiance, ne perds pas l’espérance, ne pense pas qu’aimer est du temps perdu ! Cette nuit, l’amour a vaincu la crainte, une espérance nouvelle est apparue, la douce lumière de Dieu a vaincu les ténèbres de l’arrogance humaine. Ô Humanité, Dieu t’aime et pour toi il s’est fait homme, tu n’es plus seule !

Chers frères et sœurs, que faire devant cette grâce ? Une seule chose : accueillir le don. Avant d’aller à la recherche de Dieu, laissons-nous chercher par lui. Ne partons pas de nos capacités, mais de sa grâce, parce que c’est Lui, Jésus, le Sauveur. Posons le regard sur l’Enfant et laissons-nous envelopper de sa tendresse. Nous n’aurons plus d’excuses pour ne pas nous laisser aimer par Lui : ce qui dans la vie va mal, ce qui dans l’Eglise ne fonctionne pas, ce qui dans le monde ne va pas ne sera plus une justification. Cela passera au second plan, parce que devant l’amour fou de Jésus, un amour tout de douceur et de proximité, il n’y a pas d’excuses. La question à Noël est : “Est-ce que je me laisse aimer par Dieu ? Est-ce que je m’abandonne à son amour qui vient pour me sauver ?”.

Un don aussi grand mérite une profonde gratitude. Accueillir la grâce est savoir remercier. Mais nos vies sont souvent vécues loin de la gratitude. Aujourd’hui, c’est le jour idéal pour nous approcher du tabernacle, de la crèche, de la mangeoire, pour dire merci. Accueillons le don qui est Jésus, pour ensuite devenir don comme Jésus. Devenir don est donner du sens à la vie. Et c’est le meilleur moyen pour changer le monde : nous changeons, l’Eglise change, l’histoire change quand nous commençons non pas à vouloir changer les autres, mais nous-mêmes, en faisant de notre vie un don. Jésus nous le montre cette nuit : il n’a pas changé l’histoire en forçant quelqu’un ou à force de paroles, mais avec le don de sa vie. Il n’a pas attendu que nous devenions bons pour nous aimer, mais il s’est donné gratuitement à nous. Nous aussi, n’attendons pas que notre prochain devienne bon pour lui faire du bien, que l’Eglise soit parfaite pour l’aimer, que les autres nous considèrent pour les servir. Commençons les premiers. Ça, c’est accueillir le don de la grâce. Et la sainteté n’est autre que conserver cette gratuité.

Une belle légende raconte qu’à la naissance de Jésus, les bergers accourraient à la grotte avec divers dons. Chacun apportait ce qu’il avait, celui-ci des fruits de son travail, celui-là quelque chose de précieux. Mais, tandis que tous se dépensaient avec générosité, il y avait un berger qui n’avait rien. Il était très pauvre, il n’avait rien à offrir. Tandis que tous rivalisaient pour présenter leurs dons, il se tenait de côté, tout honteux. A un certain moment, saint Joseph et la Vierge se trouvèrent en difficulté pour recevoir tous ces dons, surtout Marie, qui devait porter l’Enfant. Alors, en voyant ce berger avec les mains vides, elle lui demanda de s’approcher. Et elle lui mit Jésus dans les bras. Ce berger, en l’accueillant, se rendit compte d’avoir reçu ce qu’il ne méritait pas, d’avoir entre les bras le don le plus grand de l’histoire. Il regarda ses mains, ces mains qui lui paraissaient toujours vides : elles étaient devenues le berceau de Dieu. Il se sentit aimé et, en surmontant la honte, il commença à montrer Jésus aux autres, parce qu’il ne pouvait pas garder pour lui le don des dons.

Cher frère, chère sœur, si tes mains te semblent vides, si tu vois ton cœur pauvre d’amour, cette nuit est pour toi. La grâce de Dieu est apparue pour resplendir dans ta vie. Accueille-la et la lumière de Noël brillera en toi.

     Pape François, Rome, 24 décembre 2019.




Que signifie « adorer Dieu » ? (Pape François – 6 janvier 2020)

Dans l’Evangile (Mt 2,1-12), nous avons entendu que les Mages commencent par manifester leurs intentions: « Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui » (v. 2). Adorer est l’objectif de leur parcours, le but de leur cheminement. En effet, arrivés à Bethléem, « ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, ils se prosternèrent devant lui » (v. 11). Si nous perdons le sens de l’adoration, nous perdons le sens de la marche de la vie chrétienne, qui est un cheminement vers le Seigneur, non pas vers nous. C’est le risque contre lequel l’Evangile nous met en garde, en présentant, à côté des Mages, des personnages qui n’arrivent pas à adorer.

Il y a surtout le roi Hérode, qui utilise le verbe adorer, mais avec une intention fallacieuse. Il demande, en effet, aux Mages de l’informer sur le lieu où se trouve l’Enfant « pour que– dit-il – j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui » (v. 8). En réalité, Hérode n’adorait que lui-même, et c’est pourquoi il voulait se libérer de l’Enfant par le mensonge. Qu’est-ce que cela nous enseigne ? Que l’homme, quand il n’adore pas Dieu, est amené à adorer son moi. Et même la vie chrétienne, sans adorer le Seigneur, peut devenir un moyen raffiné pour s’affirmer soi-même et son talent : des chrétiens qui ne savent pas adorer, qui ne savent pas prier en adorant. C’est un risque sérieux : nous servir de Dieu plutôt que de servir Dieu. Combien de fois n’avons-nous pas échangé les intérêts de l’Evangile avec les nôtres, combien de fois n’avons-nous pas couvert de religiosité ce qui nous arrangeait, combien de fois n’avons-nous pas confondu le pouvoir selon Dieu, qui est de servir les autres, avec le pouvoir selon le monde, qui est de se servir soi-même !

En plus d’Hérode, il y a d’autres personnes dans l’Evangile qui n’arrivent pas à adorer : ce sont les chefs des prêtres et les scribes du peuple. Ils indiquent à Hérode, avec une précision extrême, où serait né le Messie : à Bethléem de Judée (cf. v. 5). Ils connaissent les prophéties et les citent avec exactitude. Ils savent où aller – des grands théologiens, des grands ! –, mais n’y vont pas. De cela aussi, nous pouvons tirer un enseignement. Dans la vie chrétienne, il ne suffit pas de savoir : sans sortir de soi-même, sans rencontrer, sans adorer, on ne connaît pas Dieu. La théologie et l’efficacité pastorale servent à peu de choses ou même à rien si on ne plie pas les genoux ; si on ne fait pas comme les Mages, qui ne furent pas seulement des savants organisateurs d’un voyage, mais qui marchèrent et adorèrent. Quand on adore, on se rend compte que la foi ne se réduit pas à un ensemble de belles doctrines, mais qu’elle est la relation avec une Personne vivante à aimer. C’est en étant face à face avec Jésus que nous en connaissons le visage. En adorant, nous découvrons que la vie chrétienne est une histoire d’amour avec Dieu, où les bonnes idées ne suffisent pas, mais qu’il faut lui accorder la priorité, comme le fait un amoureux avec la personne qu’il aime. C’est ainsi que l’Eglise doit être, une adoratrice amoureuse de Jésus son époux.

Au début de l’année, redécouvrons l’adoration comme une exigence de la foi. Si nous savons nous agenouiller devant Jésus, nous vaincrons la tentation de continuer à marcher chacun de son côté. Adorer, en effet, c’est accomplir un exode depuis l’esclavage le plus grand, celui de soi-même. Adorer, c’est mettre le Seigneur au centre pour ne pas être centrés sur nous-mêmes. C’est remettre les choses à leur place, en laissant à Dieu la première place. Adorer, c’est mettre les plans de Dieu avant mon temps, mes droits, mes espaces. C’est accueillir l’enseignement de l’Ecriture : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras » (Mt 4, 10). Ton Dieu : adorer c’est se sentir d’appartenir mutuellement avec Dieu. C’est lui dire “tu” dans l’intimité, c’est lui apporter notre vie en lui permettant d’entrer dans nos vies. C’est faire descendre sa consolation sur le monde. Adorer, c’est découvrir que, pour prier, il suffit de dire : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20, 28), et se laisser envahir par sa tendresse.

Adorer, c’est rencontrer Jésus sans une liste de demandes, mais avec l’unique demande de demeurer avec lui. C’est découvrir que la joie et la paix grandissent avec la louange et l’action de grâce. Quand nous adorons, nous permettons à Jésus de nous guérir et de nous changer. En adorant, nous donnons au Seigneur la possibilité de nous transformer avec son amour, d’illuminer nos obscurités, de nous donner la force dans la faiblesse et le courage dans les épreuves. Adorer, c’est aller à l’essentiel : c’est la voie pour nous désintoxiquer de nombreuses choses inutiles, des dépendances qui anesthésient le cœur et engourdissent l’esprit. En adorant, en effet, on apprend à refuser ce qu’il ne faut pas adorer : le dieu argent, le dieu consommation, le dieu plaisir, le dieu succès, notre moi érigé en dieu. Adorer, c’est se faire petit en présence du Très Haut, pour découvrir devant Lui que la grandeur de la vie ne consiste pas dans l’avoir, mais dans le fait d’aimer. Adorer, c’est nous redécouvrir frères et sœurs devant le mystère de l’amour qui surmonte toute distance : c’est puiser le bien à la source, c’est trouver dans le Dieu proche le courage d’approcher les autres. Adorer, c’est savoir se taire devant le Verbe divin, pour apprendre à dire des paroles qui ne blessent pas, mais qui consolent.

Adorer, c’est un geste d’amour qui change la vie. C’est faire comme les Mages : c’est apporter au Seigneur l’or, pour lui dire que rien n’est plus précieux que lui ; c’est lui offrir l’encens, pour lui dire que c’est seulement avec lui que notre vie s’élève vers le haut ; c’est lui présenter la myrrhe, avec laquelle on oignait les corps blessés et mutilés, pour promettre à Jésus de secourir notre prochain marginalisé et souffrant, parce que là il est présent. D’habitude, nous savons prier – nous demandons, nous remercions le Seigneur –, mais l’Eglise doit encore aller plus loin avec la prière d’adoration, nous devons grandir dans l’adoration. C’est une sagesse que nous devons apprendre tous les jours. Prier en adorant : la prière d’adoration.

Chers frères et sœurs, aujourd’hui chacun de nous peut se demander : “Suis-je un chrétien adorateur ?”. De nombreux chrétiens qui prient ne savent pas adorer. Faisons-nous cette demande. Trouvons du temps pour l’adoration dans nos journées et créons des espaces pour l’adoration dans nos communautés. C’est à nous, comme Eglise, de mettre en pratique les paroles que nous avons priées aujourd’hui dans le Psaume : “Toutes les nations, Seigneur, se prosterneront devant toi”. En adorant, nous aussi, nous découvrirons, comme les Mages, le sens de notre cheminement. Et, comme les Mages, nous expérimenterons « une très grande joie » (Mt 2, 10).

Pape François, solennité de l’Epiphanie, lundi 6 janvier 2020

 




Intérêt général ou bien commun ? Les mots sont importants… (Fr Manuel Rivéro – OP)

Ces deux expressions apparaissent parfois comme synonymes dans les articles sur la vie économique et politique. Sont-ils vraiment équivalents ? Quelles en sont les différences ?

Tout d’abord, les mots ne sont pas les mêmes. Les mots donnent à penser, à interpréter et à agir. Les politiques invoquent l’intérêt général dans leurs projets et décisions. Apparemment « intérêt général » et « bien commun » pourraient recouvrir le même sens puisqu’il s’agit de dépasser l’intérêt individuel par rapport à l’intérêt du groupe social. C’est l’État qui décide de  l’intérêt général et qui le fixe dans des lois. Des groupes de pression, expressions de puissances financières et idéologiques, parviennent parfois à obtenir ce label d’intérêt général à travers de minorités agissantes et à l’imposer à l’ensemble de citoyens.  Les droits de la personne ne sont plus alors respectés et le concept « intérêt général » devient un masque pour cacher des intérêts privés. 

Par ailleurs, le mot « intérêt » renvoie au libéralisme économique et à la maximisation des profits. Bernard Mandeville avait écrit en 1714 son fameux livre « La fable des abeilles » où il défendait la thèse que « l’égoïsme et le vice de chacun contribue à la prospérité et au bonheur de tous » par le développement des dépenses qui favoriserait la production et par conséquent l’emploi … Maintenant les modèles mathématiques de microéconomie visent à maximiser les profits de l’ « homo economicus ». Un professeur d’économie, partisan du libéralisme, disait un jour non sans humour que « le socialisme est le dogme de l’Immaculée Conception appliqué à l’économie », c’est-à-dire tout le monde est bon sans idée du mal. « L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête », écrivait Blaise Pascal dans ses Pensées.

Dans la réalité, les choses s’avèrent beaucoup plus compliquées. La spéculation à outrance entraîne des crises financières qui déstabilisent les nations et les entreprises et qui provoquent chômage et misère dans les familles. On attribue à Jean Jaurès cette image du capitalisme : « Le renard libre dans le poulailler libre ». Évidemment cette comparaison qui cherche à choquer et à faire réagir ne correspond pas exactement à la situation sociale exact des individus libres mais elle met en exergue la différence de pouvoir entre le riche et le pauvre et à la très relative liberté des faibles.

En tout homme, il y a le penchant  vers le bien et vers le mal. L’économie et la politique relèvent d’une anthropologie. Si la solution aux problèmes économiques et politiques était simple tout le monde l’aurait su depuis longtemps. Le philosophe et sociologue contemporain, Jürgen Habermas, fait remarquer que ni le capitalisme ni le collectivisme ne sont parvenus à dépasser les rapports de domination qui ont causé des millions de morts dans les révolutions pour la justice au long de l’histoire. Le dépassement de cette volonté de domination exige un travail, personnel et collectif, jamais achevé.

Qu’en dit l’Église ? La doctrine sociale de l’Église ne propose pas un modèle économique ou politique ni une troisième voie entre capitalisme et collectivisme mais des principes d’action à partir de la dignité sacrée de toute personne humaine et de la destination universelle des biens. « Développement de tout l’homme et tous les hommes », selon l’expression du saint pape Paul VI. La propriété privée ne figure pas dans le Credo de la messe et le marché ne fait pas partie non plus des « dogmes » ni des « divinités ». « La terre est à tous », enseignent les papes dans leurs encycliques sociales. Le propriétaire de la terre est Dieu lui-même. C’est pourquoi l’Église ne parle pas d’ « intérêt général » mais du « bien commun ». Saint Thomas d’Aquin (+1274), le grand Docteur de l’Église,  enseigne qu’une loi ne mérite ce nom que si elle conduit au bien, autrement il s’agirait d’une perversion de la loi et l’homme devrait en conscience s’y opposer.

La doctrine sociale de l’Église dénonce aussi bien les erreurs du libéralisme que ceux du marxisme matérialiste. Que propose-t-elle ? L’Église plaide pour un personnalisme qui situe la personne humaine au cœur de l’économie et de la politique non pas de manière individualiste mais en communauté. La personne n’est jamais un moyen mais un but. À la suite du philosophe chrétien, Emmanuel Mounier, le saint pape Jean-Paul II enseigne le primat de la personne sur le capital. La fonction du capital est de servir le travail selon son encyclique « Le travail humain ». L’homme représente le sommet et la fin de la création.

Le Concile Vatican II donne la définition suivante du bien commun : « Cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée » (Gaudium et spes, n°26). Les deux mots « bien » et « commun » sont importants. Cette définition met en lumière le sens de la vie humaine et la vocation à la perfection dans la liberté et la créativité non pas de manière individualiste mais en communauté da façon solidaire. Le principe de subsidiarité défend et soutient l’autonomie de la personne. Chacun doit pouvoir exercer ses capacités selon ses responsabilités sans être court-circuité par des supérieurs hiérarchiques sauf en cas de faute ou de défaillance. La définition du bien commun accorde un rôle important à la société civile et à la démocratie participative.

Le mot « commun » rappelle le vivre ensemble, le partage, la solidarité. Nous retrouvons la même étymologie dans les mots « commune », « communication », « communion ».

Il y a quelques années, dans un échange avec des professeurs d’économie, les uns libéraux et les autres marxistes, tous sûrs d’eux-mêmes, j’avais été surpris de leurs sourires  condescendants ou narquois à l’égard de la doctrine sociale de l’Église qu’ils estimaient naïve. Les dernières crises sociales et économiques ont montré la gravité du problème. Il n’y a pas de quoi rire. La classe politique aussi bien de droite que de gauche  a été remise en cause voire rejetée. Chaque citoyen veut participer aux décisions politiques et au partage des biens. La définition du bien commun par la doctrine sociale de l’Église va dans le sens de la participation de chacun au service de tous et en particulier des plus faibles.

Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis de La Réunion

 

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Fr Manuel Rivero; « Intérêt général ou bien commun, les mots sont importants »…

 




Sainteté et humilité (Thomas Merton)

Il n’y a pas de paix possible pour l’homme qui s’imagine qu’un talent, une grâce ou une vertu quelconques le séparent et le placent au-dessus des autres. Solitude ne signifie pas séparation. Dieu ne nous donne ni talents, ni grâces, ni vertus pour nous seuls. Nous sommes membres d’un même corps et tout ce qu’un membre reçoit doit bénéficier au corps tout entier. Ce n’est pas pour que mes pieds soient plus beaux que mon visage que je les lave.

Les saints sont heureux de leur sainteté, non parce qu’elle les sépare de nous et les place au-dessus de nous, mais au contraire parce qu’elle les rapproche de nous, et en un certain sens, les place au-dessous de nous. Leur sainteté leur est donnée pour qu’ils puissent nous aimer et nous servir – car les saints sont des médecins et des infirmières qui sont supérieurs aux malades par le fait qu’ils sont en bonne santé et savent comment les guérir, et qui cependant se font leurs serviteurs puisqu’ils consacrent cette santé et cette science à les guérir.

Les saints sont ce qu’ils sont, non parce que leur sainteté les rend admirables aux autres, mais parce qu’elle leur permet d’admirer tous les autres. Elle leur donne une lucidité compatissante qui les aide à discerner le bien chez les plus affreux criminels. Elle les délivre du fardeau de juger les autres, de les condamner, et leur apprend à faire apparaître le bien qui est en eux par la pitié, la miséricorde et le pardon. L’homme devient saint non parce qu’il se croit différents des pécheurs, mais parce qu’il comprend qu’il est semblable à eux, et qu’ils ont tous besoin de la miséricorde de Dieu !

C’est dans l’humilité que se trouve la vraie liberté. Tant que nous sommes obligés de défendre le moi imaginaire que nous croyons important, nous perdons la paix de l’âme. Dès que nous comparons cette apparence avec les apparences des autres, nous perdons toute joie, parce que nous avons affaire à des choses imaginaires et qu’il n’y a pas de joie dans ce qui n’existe pas.

Dès que nous commençons à nous prendre au sérieux et à nous imaginer que nos vertus ont de l’importance parce qu’elles sont nôtres, nous devenons prisonniers de notre vanité et nos meilleures actions nous aveuglent et nous trompent.

Alors, pour nous défendre, nous commencerons à voir des péchés et des fautes dans toutes les actions du prochain. Et plus nous attacherons une importance disproportionnée à nous-mêmes et à ce que nous faisons, plus nous aurons tendance à nous créer une fausse idée de nous-mêmes en condamnant les autres. Parfois les hommes vertueux sont malheureux et amers, parce qu’ils en sont arrivés, inconsciemment, à croire que leur bonheur dépend de leur supériorité sur les autres.

Lorsque l’humilité délivre l’homme de l’attachement qu’il porte à ce qu’il fait et à ce qu’on dit de lui, il découvre que la joie parfaite n’est possible que dans une abnégation complète. C’est seulement lorsque nous ne prêtons plus la moindre attention à nos actions, à notre réputation et à nos mérites, que nous sommes enfin entièrement libres de servir Dieu, et Lui seul.

 

Thomas Merton (Semences de contemplation – Editions Points 2010).




Le père Laval, le père Lataste et le pape François, apôtres des prisons (Fr Manuel Rivéro O.P.)

 Dans ses voyages apostoliques, le pape François se rend souvent dans les prisons pour rencontrer les personnes détenues. Il avoue humblement se poser cette question : « Chaque fois que je franchis le seuil d’une prison, pour une célébration ou pour une visite, je me demande toujours : ‘Pourquoi eux et pas moi ?’ ».

Au Mexique, le 17 février 2016, lors de sa visite à la prison de Ciudad Juarez, le pape avait offert un crucifix en cristal : « « Le Christ sur la Croix est la plus grande fragilité de l’humanité. Pourtant, avec cette fragilité, il nous sauve, il nous aide, nous fait avancer et nous ouvre les portes de l’espérance.» Il a aussi vu dans la prison le symptôme des problèmes sociaux. Les drames des personnes détenues renvoient aux failles des familles et du système éducatif, économique et social. Il serait trop facile et injuste de déclarer sans plus que les condamnés l’ont bien cherché et qu’ils n’ont qu’à payer les conséquences de leurs actes.

La réinsertion rappelle le travail de prévention à faire. Don Bosco, le grand apôtre de la jeunesse, se rendant un jour dans une prison avait ressenti ce besoin de s’occuper des jeunes avant la prison.

Le pape François plaide aussi pour une « conversion culturelle urgente »[1] des mentalités de manière à veiller à la réinsertion et à la resocialisation des détenus sans rester prisonniers du passé.

Le codé pénal français précise le sens de la peine : la sanction et l’amendement, l’insertion ou la réinsertion[2]« Si l’on fait grâce au méchant, il n’apprend pas la justice »[3], enseigne la Bible. Les crimes et les délits doivent être punis. Les citoyens ont droit à la sécurité. Mais n’oublions pas le but de la réinsertion. L’opinion publique veut punir mais ce n’est pas le seul but de la prison. 

Toute personne peut se trouver en prison.  Il suffit d’avoir trop bu à un repas d’anniversaire pour découvrir les risques de la conduite en état d’ébriété et le malheur de provoquer un accident. Un coup de colère peut aboutir au meurtre.

La Réunion peut être fière de ses valeurs culturelles et spirituelles. Chaque génération reçoit la mission de transmettre à la jeunesse le sens d’une appartenance heureuse afin de pouvoir dire : « Nous sommes un grand peuple ». La grandeur d’une civilisation se manifeste dans le soin qu’elle prend des faibles en veillant  à son inclusion et non à son exclusion. À ce propos, il est bon de rappeler le préambule de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999[4] : « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ». Les détenus dans nos trois prisons réunionnaises font partie des personnes faibles. L’attitude et le comportement à leur égard parlent des qualités morales et spirituelles de La Réunion.

La prison joue un rôle de test dans l’évaluation des politiques. Les normes européennes pour la détention font partie du projet européen. La France, pays des droits de l’homme, a été blâmée il y a quelque temps par le Conseil de l’Europe à Strasbourg pour non-respect dans les prisons des conditions humaines dignes.

Le bienheureux père Laval (1803- 9 septembre 1864) se rendait quotidiennement à la prison de Port-Louis (Maurice) pour aider et soutenir spirituellement les détenus dans l’épreuve.

Quand le bienheureux père Lataste O.P. (5 septembre 1832-1869) avait été envoyé par ses supérieurs pour prêcher aux femmes de la prison de force de Cadillac, près de Bordeaux, dans le sud de la France, il s’y était rendu, le cœur serré, avec « la pensée que ce serait sans doute inutile. »

En voyant ces femmes plongées dans des conditions misérables dans une prison sordide, son premier mouvement avait été de reculer. Mais le père Lataste s’était repris pour dire : « Mes chères sœurs ».

Ces femmes au visage fermé s’ouvrirent à la grâce, rayonnantes, en découvrant l’amour de Jésus, à l’image des fleurs qui se relèvent fraîches  après la pluie.

Saint Paul décrit ce mouvement vers l’avenir : « Oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus »[5].

Le changement humain est possible. Dieu ouvre un chemin nouveau à ceux qui se tournent vers lui.

                                                                           Fr. Manuel Rivero O.P.

                                                               Aumônier de la prison de Domenjod

 

[1] Lettre du pape François au centre de détention Due Palazzi de Padoue, le 17 janvier 2017.

 

[2] Cf. Article 130-1, créé par LOI n°2014-896 du 15 août 2014 – art. 1.

 

[3] Is 26,10.

[4] Cf. https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html

[5] Épître de saint Paul aux Philippiens 3, 13-14.