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Communiqué de personnalités réunionnaises de toutes confessions religieuses (5/07/24)

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Communiqué Personnalités Réunionnaises




La pédagogie du projet comme facteur de développement par Fr. Manuel Rivero O.P.

Professeur à l’UCM de Tananarive. Doyen de la faculté des sciences sociales de DOMUNI-universitas https://www.domuni.eu/fr/

Les changements sociaux commencent à l’école. Parmi les méthodes pédagogiques qui favorisent le développement figure la culture du projet : mise en œuvre des potentialités, le sens de la participation et de la responsabilité, la confiance en soi-même, la connaissance de soi, le goût d’entreprendre et le leadership, la cohésion sociale, la création des relations entre les institutions, les partenariats, les sponsors …

La culture du projet engendre des innovations dans tous les domaines : personnel, social, économique, politique, artistique … L’économie contemporaine repose sur l’offre et non seulement sur la demande. Il s’agit d’offrir de nouveaux produits : « Si l’on innove sur le marché on gagne, si l’on répète on perd ».

L’étymologie du mot « projet », « pro-jet », désigne une vision, « voir en avant », « pour-voir ». Le projet suppose de « pré-voir », d’être aussi pro-actif ; à partir d’une problématique les parties prenantes du projet parviennent à une prospective et à une mise en perspective.

Un projet peut être défini comme « un ensemble d’activités visant à atteindre dans des délais fixés et avec un budget donné, des objectifs clairement définis [1]».

Un projet représente un processus d’apprentissage et non seulement un résultat. D’après des études en pédagogie, l’élève retient 10% de ce qu’il entend et 75% de ce qu’il a mis en pratique.

Il y a plusieurs types de savoir : savoir être, savoir vivre, savoir-faire, savoir apprendre, savoir transmettre. Ces différents savoirs apparaissent et grandissent quand le projet est bien organisé et conduit.

Il s’agit d’une pédagogie active où l’élève apprend en faisant. Il y a différentes manières d’apprendre : lire, écouter, copier, mémoriser, restituer …  Les études en psychologie montrent que c’est en faisant que l’élève assimile le mieux une connaissance. Par ailleurs, saint François de Sales n’hésitait pas à déclarer : « Si tu veux apprendre enseigne ». Enseigner ce que l’on a appris représente une étape supérieure dans la maîtrise d’une matière. En effet, ce qui paraît simple à l’écoute peut se manifester complexe dès qu’il s’agit de le faire comprendre à une autre personne. Des subtilités inaperçues et la culture de l’élève peuvent susciter de nouveaux problèmes au professeur.

Le développement économique suppose des moyens matériels, des moyens de production et des capitaux,  mais il passe aussi et surtout par des capitaux humains. Des personnes différentes en fonction de leurs attitudes et compétences obtiennent des résultats fort divers à partir des mêmes moyens matériels ou financiers.

Parmi les causes d’échec et de sous-développement figurent plusieurs facteurs psychologiques et culturels : individualisme, corruption, faible esprit d’entreprise, incapacité à travailler en équipe, à organiser et à planifier …

Outre les objectifs précis et divers des projets à atteindre, cette pédagogie  apporte aussi dans son déploiement des fruits pour les personnes au-delà des résultats matériels. Les personnes grandissent humainement et acquièrent des compétences relationnelles. Le capital matériel et le capital humain grandissent en synergie.

La gestion des projets s’applique à des objectifs de développement comme planter des arbres ou creuser des puits mais pas uniquement, la culture et la connaissance religieuse y ont aussi leur place : pèlerinages, découvertes des églises et des musées, visites à des lieux archéologiques ou historiques, organisation des jeux sportifs … Le projet peut être modeste comme l’organisation de la découverte d’un lieu historique ou importants du point de vue financier comme la construction d’une école. Dans tous les cas, il faudra de la rigueur dans l’organisation et dans la tenue des budgets avec le calcul des coûts et des recettes.

Enseignant en doctrine sociale de l’Eglise depuis de longues années, aumônier d’enfants et de jeunes, accompagnateur spirituel des chefs d’entreprise, je suis convaincu de la pertinence de la culture du projet pour le développement de la personnalité, de l’économie et de l’esprit citoyen. Plutôt que d’attendre des aides financières extérieures ou l’avènement de chefs providentiels qui changeraient tout, il me semble préférable et plus heureux de compter sur les forces disponibles et de développer les talents comme l’enseigne Jésus dans une parabole où sont félicités ceux qui font grandir les richesses et où durement condamné celui qui ne faisait que se plaindre et critiquer dans la paresse (Mt 25,14s).

À l’image des stars du football qui ont commencé à s’entraîner dès l’enfance dans les écoles du sport, le changement politique et économique passe aussi par une longue et persévérante pédagogie à déployer à l’école et en catéchèse.

L’Église catholique compte sur un grand nombre d’enfants et de jeunes dans les paroisses et dans l’Enseignement catholique. Ils représentent une puissance démographique et créatrice dans la société civile : prêtres, religieuses, catéchistes, parents, professeurs, élèves …

Il est possible d’inclure la culture du projet au cœur de l’enseignement et de la catéchèse. D’ailleurs, des experts en éducation proposent des programmes pour les enfants ayant quatre buts et non pas trois : lire, compter, écrire et faire des projets.

Une éducation fondée sur la participation et le travail en équipe ne peut que favoriser l’arrivée d’une démocratie riche en liberté, intelligence et sens du bien commun.

En œuvrant ensemble, les inconnus ne sont plus estimés comme des dangers ou des ennemis mais comme des partenaires et des chances pour aller plus loin. La gestion des projets met sur le chemin d’une conversion des mentalités en faisant passer du repli sur soi et de la méfiance à la collaboration dans la solidarité.

La mise en route de la culture du projet suppose la maîtrise élémentaire de ses étapes, aisée à intégrer dans les formations ainsi que la connaissance des risques, des menaces et des chances, des forces et des faiblesses.

Voici les 4 étapes fondamentales de la gestion du projet : 1) Partir des besoins  et discerner ensemble sur la faisabilité du projet ; 2) préparer le projet ; 3) exécuter le projet ; 4) évaluer le projet, tirer des enseignements et remercier[2].

Certains experts estiment comme suit le temps nécessaire pour chaque étape : 10% pour l’étude de la faisabilité ; 50% pour la préparation ; 30% pour la planification et le pilotage ; 10% pour son bilan et évaluation.

  • Première étape : l’étude sur la faisabilité du projet.

Un projet ne se réduit pas à une idée. Le projet suppose l’analyse des besoins en ressources humaines et des besoins matériels et financiers, la réflexion sur  les motivations et l’évaluation des moyens humains et matériels disponibles. Le projet suppose un budget prévisionnel en distinguant le budget d’investissement et le budget de fonctionnement. Des projets échouent car ils ne comprenaient pas le budget de fonctionnement à court, moyen et long terme selon la nature des actions. Par exemple, iIl ne suffit pas de construire une école ; encore faut-il pouvoir la faire vivre : salaires des enseignants, entretien des bâtiments, matériel scolaire, nourriture des enfants … Il est triste de voir une école abandonnée ou vendue, faute de la prévision indispensable pour sa survie. Il arrive aussi que le projet tourne au cauchemar financier, à l’endettement et à la fuite en avant, parce que les conditions sine qua non pour qu’il perdure n’avaient pas été étudiées ou prévues.

La réussite d’un projet passe par une bonne comptabilité et administration. Dans des pays en voie de développement, l’économie ne comporte pas toujours des factures à la manière des pays développés. Les donateurs qui soutiennent financièrement les projets exigent une comptabilité rigoureuse, un échéancier et des prévisions de risques ainsi que des provisions pour le fonctionnement une fois la construction achevée.

À titre personnel, je peux évoquer ici une expérience de projet humanitaire réussie. Lors du terrible séisme en Haïti le 12 janvier 2010, environ 200.000 personnes ont perdu la vie et un nombre incalculable de malades et de réfugiés ont trouvé un refuge dans des camps, sans les garanties indispensables d’hygiène, ils ont souffert pendant des mois et des années. L’Hôpital Saint-Joseph de Marseille, hôpital privé le plus important de France, fondé par le bienheureux abbé Jean-Baptiste Fouque (1926) et des sœurs dominicaines de la Congrégation de la Présentation de Tours, a créé une Fondation dont le but est de soutenir les malades pauvres. C’est ainsi que les sœurs dominicaines de Port-au-Prince (Haïti) ont proposé la construction d’une clinique en pédiatrie dans un quartier défavorisé de la capitale. Grâce à la générosité et à la rigueur des responsables de la Fondation, cette clinique a pu être non seulement construite mais son fonctionnement a été aussi assuré par des apports financiers annuels et l’envoi des volontaires compétents[3]. Toutefois ce beau projet a failli échouer faute de rigueur comptable et de communication. Dépourvus des renseignements demandés par la Fondation de l’Hôpital Saint-Joseph, les responsables avaient envisagé de renoncer à la poursuite de cette réalisation. Il a fallu un voyage sur place, à Port-au-Prince (Haïti), pour mieux comprendre la complexité de la situation et l’honnêteté des personnes sur place[4].

Ceux qui aident de manière professionnelle sont en droit d’exiger des budgets prévisionnels, de pouvoir contrôler l’avancement des réalisations, et d’établir des évaluations périodiques qu’il sera bon de mettre par écrit de manière à garder une mémoire du déroulement du projet. La tenue d’un journal du projet permettra aussi l’apprentissage et la relecture.

Le chef de projet est chargé de travailler avec une équipe où les buts et les fonctions de chacun sont définis dans un cahier des charges. Plus la description du projet comporte des divisions et subdivisions et plus le travail se déroule harmonieusement.

Le capital humain n’est pas à sous-estimer par rapport au capital financier, bien au contraire. La formation de l’équipe passe par la recherche des compétences, non seulement techniques, mais aussi relationnelles. Une équipe divisée court à sa perte.

Dans l’Évangile, Jésus envoie ses disciples deux par deux. Le fait de travailler en binôme, un responsable et un adjoint, garantit la durabilité du projet, le témoignage de ce qui a été entendu et le feed-back, source d’enrichissement et d’interprétation juste. Les dimensions culturelles, juridiques et politiques doivent entrer en ligne de compte comme des paramètres ou des variables du projet. Les divers risques sont à intégrer dans le budget prévisionnel : augmentation des prix des matériaux, maladie ou défaillance du personnel, retards dans l’exécution des tâches et des étapes du chantier …

La communication fait partie des éléments du projet : communication interne et externe. Par la communication externe, des parrains et des aides de toutes sortes peuvent soutenir le projet. L’utilisation des logiciels d’écriture (Word) ; de comptabilité (Excel ou Ciel Compta), et de communication (PowerPoint) et Access, gestion de bases de données, constituent des outils importants pour le développement du projet quand cela s’avère possible.

La dimension économique reste importante dans tout projet mais si elle arrive en premier, cela veut dire que le projet n’est pas bien conçu. Un projet répond à un but désiré, à des besoins et à des motivations personnelles et collectives.

Il convient d’écouter son cœur et de « rêver » comme aime à le proposer le pape François à la jeunesse.

À Marseille, l’écrivain Marcel Pagnol est souvent cité par ses boutades  comme celle-ci : « Tout le monde savait que c’était impossible, arriva un imbécile qui ne le savait pas et il le fit ». Un proverbe canadien va dans le sens du réalisme plutôt que dans le fatalisme et le sens d’impuissance : « Il faut labourer avec les bœufs que l’on a ». Ce qui s’avère impossible sur le plan individuel peut devenir possible dans un travail d’équipe.

Les grandes réalisations naissent petites. Dans la Bible, David sort vainqueur contre le géant Goliath avec quelques galets et une fronde de berger (cf. 1 Samuel 17, 32-37 ; 48-49). Dans l’évangile, Jésus accomplit des miracles en multipliant cinq pains et deux poissons apportés par un enfant (cf. Mc 6, 34-44). Jésus multiplie ce que des croyants pauvres mettent en commun, ce faisant il montre la voie à suivre pour la gestion des projets. La réussite dépendra de la mise en commun des compétences et de petits moyens financiers disponibles.

La gestion des projets exige une mise en commun permanente des idées et des moyens. Dès le départ, le discernement se fait en commun en libérant l’imagination dans le respect, la bienveillance et la discrétion. Le « brainstorming » reste une bonne méthode de créativité. Il s’agira d’une démocratie participative qui suscite l’intelligence collective : « À plusieurs nous sommes plus intelligents que tout seuls ». Un chef de projet pilote et il consulte régulièrement son équipe.

Pour les croyants, la prière à l’Esprit Saint est source d’inspiration, d’innovation, de force et de communion. Georges Bernanos (+1948), écrivain catholique, disait « c’est fou ce que mes idées changent quand je les prie ». Il en va de même pour les projets quand ils sont priés ; ils s’ajustent à la volonté de Dieu en se purifiant et en s’améliorant.

La préparation d’un projet demande du temps : du temps pour s’approprier le projet et du temps pour se décider à s’y investir personnellement. Le temps fait partie des variables d’un projet. La précipitation irait à l’encontre de la réussite du projet.

L’objectif et les besoins seront clairs et précis. Une fois identifiés, il faudra passer à l’étude de la faisabilité du projet : Est-il possible, réaliste et réalisable ? À quelles conditions ? Sommes-nous motivés pour nous y investir ?

La méthode de 5 questions aide dans cette première étape : quoi (objectif) ? ; comment (plan d’action) ? ; quand (calendrier) ? ; qui (ressources humaines) ? ; combien (budget) ?

  • Deuxième étape : la préparation du projet.

La préparation du projet demande du temps ; ce serait une erreur que de vouloir aller vite sans étudier posément le pour et le contre des actions et des choix à faire.

Il est bon de donner un nom au projet ; nom qui évoque son sens.

Pour réussir un projet, il s’avère nécessaire de bien préciser la méthodologie et les missions de chacun. Il arrive que de bon projets avec des bases matérielles s’arrêtent en cours de route à cause du désir de domination, de la rivalité et de la jalousie. Ce n’est pas une seule personne, si douée soit-elle, qui peut faire réussir un projet, mais l’équipe dans un esprit de solidarité. Les participants d’un projet apprennent à dire « nous », en assumant les succès aussi bien que les échecs. Quand un pays gagne dans une compétition, ses habitants s’exclament en disant « nous avons gagné » ; quand l’équipe perd nous entendons souvent dire « la France a perdu » ou « Madagascar a perdu » …

Dans une bonne équipe, chacun se réjouit de la réussite de l’autre.

Les valeurs humaines comme le respect de la dignité de chacun constituent la base des projets.

Le rôle du chef de projet est capital. Sa mission doit être clairement définie. L’organigramme avec les différents postes et définitions des postes requiert aussi une étude détaillée : « The right man in the right place », « l’homme compétent à la place qui convient ». Le chef de projet ne perd pas de vue l’objectif à atteindre, il a pour mission de former et d’animer l’équipe, en dispensant des encouragements sans hésiter à aborder les conflits voire à sanctionner les fautes si nécessaire. Il est prudent de prévoir des binômes pour les différents travaux : le responsable et son adjoint. En cas de maladie ou de défaillance du responsable, l’adjoint peut prendre la suite en connaissant le dossier et la manière de faire.

Le chef de projet partage les responsabilités selon le principe de subsidiarité qui ne se réduit pas à une simple délégation verticale mais qui constitue un droit exigible à être respecté dans l’autonomie des missions reçues et à être aidé par l’instance supérieure. Le mot subsidiarité vient du latin « subsidium » qui veut dire soutien, aide.

Le chef de projet développe la communication et il veille au respect du calendrier établi. Il vérifie l’accord entre l’échéancier et l’avancement des travaux.

Les cinq autres principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église illuminent la route : la dignité inaliénable de toute personne humaine, le droit et le devoir de participer, le bien commun, la solidarité et la destination universelle des biens.

Il convient d’écrire le projet avec ses acteurs et ses différentes parties de manière à bénéficier d’une référence objective et accessible en cas de doute ou de besoin : le demandeur du projet, le chef de projet, l’équipe, les collaborateurs.

Les coordonnées (adresse, courriel, téléphone) des différents membres et partenaires figurent dans des listes disponibles et mises à jour.

De brèves réunions quotidiennes permettent l’évaluation des travaux et l’éventuelle gestion des conflits. La communication bienveillante permet d’avancer sans juger ni condamner directement ceux qui auraient tort. En partant du ressenti personnel, il devient possible de faire comprendre à l’autre de manière concrète les erreurs, les souffrances occasionnées et les solutions possibles. La communication bienveillante comprend quatre étapes : 1) l’observation de la situation ; 2) l’expression des sentiments et des réactions ; 3) la présentation des besoins ; 4) la proposition ou la demande concrète, réaliste, possible et positive. La communication en « je » plutôt que « le tu qui tue » offre des portes de sorties au conflit sans marteler les fautes sans tomber dans le « petit train » : « tu-tu-tu-tu-tu … » ; « tu n’as pas fait », « tu aurais dû » …. En principe, les corrections et les critiques se font de manière discrète tandis que les félicitations se font en public, de manière à ne pas humilier et à faire perdre la face.

La gestion des crises doit être aussi prévue pour ne pas se retrouver au dépourvue (personnes et institutions à contacter avec leurs coordonnées) en cas de vols, d’accidents, de maladie ou d’agression …

La dimension juridique doit aussi entrer dans la préparation du projet : lois et coutumes, réglementations et autorisations officielles et accord écrit des parents pour les projets des mineurs … Un projet se déroule dans un contexte social avec sa culture et ses normes.

Le plan de communication interne et externe fait partie aussi de la préparation du projet : « Une bonne communication externe est une bonne communication interne exportée ».

  • L’exécution du projet.

Une fois la préparation achevée, le chef avec son équipe passe à sa réalisation en mettant en œuvre le contrôle régulier et l’analyse en continu des tâches selon des critères d’évaluation (le monitoring).

Pendant l’exécution du projet, des réunions régulières sont organisées avec un ordre du jour, les participants invités ou convoqués, l’heure du début et de la fin de la réunion.

Si les prévisions ne correspondent pas aux possibilités ni aux exécutions, il convient de les noter en expliquant les raisons. Le Journal du projet représente un outil en vue de l’évaluation.

Les outils comptables qui peuvent être des logiciels permettent le contrôle des travaux et sa comparaison avec les prévisions selon l’échéancier et les budgets. Les logiciels de communication interne et externe rendent compte de l’investissement accompli ou à accomplir.

  • L’évaluation post-projet et clôture.

Un projet comporte toujours des enseignements soit dans la réussite soit dans l’échec. La réunion d’évaluation doit coucher par écrit l’interprétation des résultats positifs et négatifs. Ce compte rendu restera aux archives.

L’apprentissage se fait par l’action (« learning by doing ») et on apprend en faisant des erreurs : mes problèmes rencontrés et les solutions proposées.

Une fois relevées les failles ou les défaillances dans l’application du projet, il importe de finir toujours sur du positif.

Les échecs apportent des connaissances. L’homme apprend davantage dans l’échec que dans le succès. L’échec vécu comme une recherche et un don de soi mérite félicitations et applaudissements tandis que la passivité et la mollesse appellent la réprobation. Malheureusement, dans le quotidien, ceux qui ne font pas grand-chose critiquent durement les échecs d’autrui tout en se présentant comme des « sages », alors que souvent ils n’étaient que médiocres ou tièdes. L’Apocalypse dévoile la pensée de Dieu à cet égard : « Puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3, 16).

Saint Grégoire de Nysse (+394) a légué cette belle expression pour décrire le cheminement de l’homme vers Dieu qui correspond aussi à la pédagogie du projet : « De commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin » (Homélie sur le Cantique des Cantiques).

Saint-Denis (La Réunion), le 14 juin 2024.

 

 

 

 

 

[1] Commission européenne. Lignes directrices du cycle de projet. Mars 2004, p. 8.

[2] Stanley E. Portny, Sandrine Sage, La gestion du projet pour les nuls, Paris, Éditions First, 2018.

[3] Voir : gazette-33-des-nouvelles-du-centre-pediatrique-marie-poussepin-en-haiti_doc.pdf

 

[4]lettre-amis-30 Hôpital saint Joseph Marseille sur la clinique en Haïti.pdf




Éléments de réflexion en vue des élections européennes du 9 juin 2024 par Fr. Manuel Rivero O.P.

Il n’y a pas de politique chrétienne, cependant il existe une manière chrétienne de faire de la politique. À la lumière de la doctrine sociale de l’Église, je voudrais partager ici l’enseignement de quelques principes fondamentaux.

La foi catholique a joué un rôle majeur dans cette naissance de l’Union européenne comme le montre la figure de Robert Schuman (+1963), l’un des pères fondateurs de l’Europe, dont le procès de béatification est en cours.

Un arbre peut nous empêcher de voir la forêt. Les difficultés du quotidien risquent de nous faire oublier la grandeur de l’existence.

  • L’Union européenne, source de paix

Pour la première fois dans l’histoire du monde, les pays européens bénéficient d’une longue période de paix sur leurs terres et cela grâce en grande partie à l’Union européenne. Les monuments aux morts de nos places, les carrefours des rues et les fêtes du calendrier nous rappellent les dernières guerres mondiales qui ne sont pas si loin. On ne gagne pas la guerre, on gagne la paix.

Le spectacle de blessés et de morts aux cours des guerres nous fait penser à la passion de domination des hommes, le tragique infantilisme de vouloir être le plus fort, le plus viril, et aux forces du mal et du malin[2].

Le saint pape Jean-Paul II (+2005), polonais, redoutait l’Union soviétique qui avait imposé une véritable dictature. Le père Pedro Arrupe S.J. (Bilbao 1907-Rome 1991), ancien supérieur général de la Compagnie de Jésus, redoutait les États-Unis qui avaient jeté la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki. Médecin, missionnaire au Japon, le père jésuite Pedro Arrupe avait soigné les malades à Hiroshima. Jean-Paul II connaissait peu l’Amérique latine avec les dégâts du capitalisme et du libéralisme sur ce continent, tandis que le père Arrupe avait éprouvé en sa chair la violence de la bombe atomique d’Hiroshima, lâché par les États-Unis, pays libéral et apôtre du capitalisme[3].

Aujourd’hui, la Russie et les États-Unis représentent des dangers considérables et différents. La puissance de la Chine avec son capitalisme d’État est à intégrer dans l’échiquier mondial. Il s’avère nécessaire d’affermir la civilisation européenne. L’Union européenne avec ses 27 pays membres peut représenter une force respectable ; ce qui est impossible à un seul pays devient possible ensemble, dans l’UE.

  • Arme nucléaire, arme économique, arme diplomatique

Au début de la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, il était question de parvenir assez rapidement à une victoire en utilisant « l’arme économique » : blocage des avoirs russes, arrêt des importations … Les produits importés de la Russie comme le gaz demeurent une source de richesse pour la Russie.

Aujourd’hui il est plutôt question de multiplier l’engagement militaire. Pourquoi ne pas développer « l’arme économique » qui demande évidemment des renoncements dans le niveau de vie européen ?

Il reste aussi l’arme diplomatique au service de la paix et de la justice.

Le Saint-Siège fait appel aux solutions diplomatiques à travers le dialogue. Il propose aussi le principe de réciprocité qui n’est pas le banal « donnant-donnant », mais la perfection dans l’échange. Aristote et saint Thomas d’Aquin mettaient déjà en valeur l’idéal de la réciprocité au-dessus de la bienveillance et plénitude dans les relations où chaque membre agit dans l’égale dignité. L’Union européenne avec son patrimoine culturel et spirituel peut apporter une diplomatie propre de manière à proposer non une simple diplomatie des affaires mais une diplomatie de la reconnaissance des droits humains notamment en politique  et en matière de liberté religieuse. La France et l’Europe accordent les mêmes droits à ses citoyens ; il n’en va pas de même pour certains pays qui envoient leurs compatriotes en Europe et qui exigent l’égalité des droits et de liberté religieuse en Europe mais sans réciprocité.

L’Évangile de Jésus le Christ enseigne la Règle d’or : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes » (Mt 7,12).

  • La prière

« Nos idées changent quand on les prie », aimait à dire Georges Bernanos (+1948), l’écrivain catholique. Le but de la prière étant le don de l’Esprit Saint, il convient de l’invoquer pour discerner au moment du vote.

  • Voter : un droit et un devoir

Nombreux sont ceux qui se désintéressent de la politique en invoquant leur déception. Mais s’ils ne s’intéressent pas à la politique, la politique s’intéresse à eux avec des conséquences à regretter. Le principe de la participation à la vie sociale fait partie des éléments fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église. Chacun reste responsable de la marche de la politique et de l’économie. Ne pas y participer peut représenter une faute voire un péché d’omission pour les croyants chrétiens. Certains pays comme la Belgique prévoient des sanctions pour les citoyens qui ne se rendent pas aux urnes, dans le souci d’empêcher l’auto-exclusion du processus démocratique.

  • Partir des pauvres

Le pape François exhorte à regarder le monde à partir des pauvres, avec leurs yeux et leur cœur. « D’où parles-tu ? », question classique renvoie aux conditionnements des pensées selon le contexte social. Les avis changent selon que nous partons de la finance ou du milieu de vie des personnes vulnérables. Les jeunes chômeurs, les malades ou les personnes âgées ne sont pas à considérer comme des boulets qui empêchent le développement mais comme le capital humain dont la dignité demeure intérieure, inaliénable, universelle et sacrée.

À ce propos, il est bon de citer le préambule de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 : « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres[4] ». La Suisse, façonnée par les Églises catholique et protestante, fait apparaître dans son droit constitutionnel la manière évangélique de faire de la politique qui consiste à partir du plus vulnérable des citoyens et non des projets idéologiques ou des multinationales.

Les personnes vulnérables apportent souvent le regard juste et opportun bien nécessaire aux politiques menacés par devenir « hors sol » et aux technocrates privilégiés qui vivent entre eux. Il me vient à la mémoire, la démarche que la reine d’Espagne, Sophie de Grèce, qui tenait à faire le tour du monde jusqu’en 2014 au nom de la politique internationale de l’Espagne. Quand elle se rendait dans des pays pauvres comme Haïti pour promouvoir des projets de développement choisissait des milieux pauvres, inconnus parfois des politiques, qui en avaient honte. Une reine étrangère leur faisait découvrir des situations douloureuses de leur propre pays !

  • Bien commun plutôt qu’intérêt général

Il est rare que les politiques utilisent le concept de bien commun ; ils préfèrent parler d’« intérêt général ». Pourtant, le contenu et l’esprit diffèrent considérablement. « Intérêt » évoque souvent des intérêts matériels personnels ou de groupes de pression, loin des idéaux humains  altruistes. « Général » reste un terme vague qui se prête aux manipulations des « lobby » ou à des décisions qui sacrifient la dignité de certaines personnes ou populations: « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ».

Le Concile Vatican II a donné une définition qui mérite l’effort de son analyse car elle apporte le respect des personnes et des groupes dans une vision d’humanisme intégral et communautaire : « L’ensemble de conditions sociale qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée » (Gaudium et spes, n°26). Il ne s’agit pas uniquement de posséder davantage mais de parvenir à la perfection de « tout l’homme et de tous les hommes » selon l’heureuse formule du pape saint Paul VI. Pour le bien commun, la personne n’est jamais réduite à un moyen ; aucun groupe minoritaire n’est sacrifié dans ses droits et dans sa culture au nom de « l’intérêt général » comme l’acquisition de devises ou des résultats économiques.

  • Droit à la vie et non droit à donner la mort

Quand on étudie toutes les déclarations des droits humains qui jalonnent l’histoire de l’humanité pour parvenir à la liberté et à la dignité, il est toujours question de droit à la vie et nulle part de droit à donner la mort.

En ce sens, le pape François trouve insensée la démarche d’inscrire le droit à l’IVG dans une Constitution. L’Église est Mère ; comme toutes les mères elle veille sur la vie des enfants qu’elle protège et soutient. Au premier siècle, dans l’Empire romain, le père de famille avait droit de vie et de mort sur son enfant qu’il pouvait aussi vendre comme esclave. Le christianisme a mis en valeur la dignité de l’enfant. Il ne faudrait pas revenir en arrière. Les hommes ne sont pas les propriétaires de la vie qu’ils ont reçu comme un don mais ses gestionnaires.

Comment se fait-il que dans notre île où la majorité de ses habitants sont religieux dont les religions plaident pour la vie des enfants, ses députés puissent se réjouir en grand nombre de l’inscription de l’IVG dans la Constitution ? Était-ce un vrai besoin urgent ? Représentent-ils les Réunionnais chrétiens, musulmans et d’autres religions ou d’autres pensées qui n’approuvent pas de manière majoritaire l’interruption de la vie ? Pourquoi les Réunionnais des différentes religions n’ont-ils pas exprimé davantage leur avis à la lumière de la science et de leur foi ?

En ce qui concerne l’euthanasie, certains gouvernements comme celui du Canada n’ont pas caché l’enjeu économique et la réduction de dépenses que cela peut comporter. Mais la vie humaine ne se réduit pas à l’argent.

  • « Zoreil dehors » et le programme Erasmus

Il y a un peu plus de trente ans, quand je suis arrivé à La Réunion, je voyais de temps en temps écrire sur des murs « zoreil dehors ». Parfois des blancs créoles parlant créole subissaient dans la rue le dard « zoreil dehors ». À présent, je ne le vois plus. Les mentalités ont évolué : Internet, les voyages avec la continuité territoriale, le programme Erasmus qui permet aux étudiants réunionnais d’étudier dans d’autres pays de l’UE … Nouvelle et heureuse mobilité.

L’esprit des Réunionnais s’est de plus en plus ouvert aux relations internationales. La langue anglaise occupe une place de choix non seulement dans les études mais aussi dans de nombreuses célébrations de mariages …

Nous avons à distinguer « autonomie » et « indépendance ». Comme son étymologie l’explique, « auto-nomie » se mouvoir (auto=soi-même) par sa propre loi (nomos) ne s’oppose pas à indépendance. Nous sommes dépendants les uns des autres.

Grandir dans l’UE peut très bien s’harmoniser avec le développement de la culture créole ; comme le dit le poète andalou Juan Ramón Jíménez, prix Nobel de littérature : « Des racines et des ailes, mais des racines pour s’envoler et des ailes pour s’enraciner ». Devenir de plus en plus créole pour devenir de plus en plus européen et réciproquement.

  • Lois européennes et exceptions régionales : déchets alimentaires

La doctrine sociale de l’Église prône le principe de subsidiarité qui représente un droit et un soutien comme son étymologie le manifeste : subsidiarité vient de latin subsidium qui veut dire « aide, soutien ». Le principe de subsidiarité peut être défini comme ceci : « Donner la responsabilité de ce qui peut être fait au plus petit niveau d’autorité compétent pour résoudre le problème ».

Il importe de bien choisir les députés européens qui vont défendre ce principe de subsidiarité de manière à ce qu’à la base des Réunionnais puissent exercer leurs compétences dans le contexte de leur culture et de leur économie, en faisant appel au principe de l’exception régionale si nécessaire.

Par exemple, chaque jour, dans les cantines scolaires, publiques ou privées, autour de 30% de la nourriture part à la poubelle de manière obligatoire et cela semble-t-il en raison des lois européennes. Véritable gaspillage dans un monde où tant de personnes souffrent de la faim ! Il doit y avoir moyen de récupérer de manière raisonnable cette nourriture pour la transformer en engrais ou en nourriture pour l’élevage des porcs, ce qui devrait créer des emplois et favoriser l’autonomie alimentaire dont le besoin s’est bien fait sentir au cours des gilets jaunes et de la pandémie.

  • Rencontrer les députés européens

De nombreuses études sociologiques relèvent la croissante distance entre les députés et la population qui reconnaît très souvent ne pas connaître les élus politiques. L’inverse pourrait être vrai aussi : des politiques qui méconnaissent les besoins et les demandes de la population.

Les corps intermédiaires de la société civile gagneront à se rapprocher des candidats et des élus et à les interpeller sur leurs programmes tout en leur faisant des propositions.

La Réunion demeure une île mariale. Le drapeau européen avec ses douze étoiles sur un fond bleu ciel rappelle la femme de l’Apocalypse « couronnée de douze étoiles, elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail d’enfantement » (Ap 12, 1-2). Des théologiens ont vu en cette femme couronnée d’étoiles une figure de l’Église et de la Vierge Marie. Puisse Notre-Dame intercéder pour l’Europe dans les douleurs et le travail d’enfantement de la justice et de la paix.

Saint-Denis/ la Réunion, le 1er juin 2024.

 

 

 

[1] Dominicains. Cathédrale de Saint-Denis. Aumônier catholique de la prison de Domenjod (La Réunion). Doyen de la faculté des sciences sociales de DOMUNI-universitas https://www.domuni.eu/fr/

[2] Le pape François a cité la réflexion de sagesse de La Pira (1904-1977), ancien maire de Florence (Italie), laïc dominicain, dans le contexte de la guerre actuelle : « La situation historique que nous vivons, le choc des intérêts et des idéologies qui secouent l’humanité en proie à un incroyable infantilisme, redonnent à la Méditerranée une responsabilité capitale : redéfinir les règles d’une Mesure où l’homme livré au délire et à l’excès peut se reconnaître » (Discours au Congrès méditerranéen de la culture, 19 février 1960)[2]. »

 

[3] Certaines photos montrent le pape Jean-Paul II et le père Arrupe regardant en direction opposée ; d’où la légende explicative de la photo : « Deux regards divergents ». En réalité, le pape Jean-Paul II et le père Arrupe regardaient dans la même direction : le Christ Jésus et la justice sociale. Mais ils le faisaient à partir d’expériences différentes, de pays différents avec des points de vue divers, sans opposition sur le fond. Saint Thomas d’Aquin enseignait : « Dans les choses qui ne sont pas de la nécessité de la foi, il a été permis aux saints, il nous est permis à nous d’opiner de diverses manières[3]. »

 

[4] Cf. https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html




L’icône de la Trinité d’Andreï Roublev : explication, interprétation

Andreï Roublev a peint cette icône entre 1422 et 1427… Qui sont ces Personnages ? Que signifient les couleurs de leurs vêtements, leur posture, et les divers éléments représentés? Nous vous proposons ici quelques points de repère…

Icône de la Trinité

Remarquons tout d’abord que les trois personnages représentés sont jeunes, image de la jeunesse éternelle de Dieu. Ils ont l’apparence des trois « anges » qui ont rendu visite à Abraham, au chêne de Mambré (Gn 18). Or, la figure de l’Ange est souvent utilisée dans l’Ancien Testament pour renvoyer à Dieu Lui-même. Exemple en Ex 3,2 où « l’Ange de Yahvé » apparaît à Moïse, et ensuite, c’est « Yahvé » lui-même qui « vit que (Moïse) faisait un détour pour voir » (Ex 3,4)…

Tous les trois ont un cercle de lumière, identique, qui illustre leur gloire, identique. Le Fils la reçoit du Père de toute éternité en « Unique Engendré » : « Et le Verbe s’est fait chair et il a dressé sa tente parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient du Père comme Unique-Engendré, plein de grâce et de vérité » (Jn1,14). L’Esprit Saint la tient tout à la fois du Père et du Fils dont il procède : « il reçoit même adoration et même gloire » (Crédo)…

            Ils se laissent deviner par ce qui est peint au dessus d’eux :

– A gauche, le Père, avec au-dessus de lui, une maison :

Le Père - Roublevla Maison du Père (Jn 14,22). Il porte dessous un vêtement bleu ciel, signe de sa nature divine. Un autre, presque transparent, le recouvre quasiment entièrement : le Père est invisible pour nous, insaisissable, mystérieux… « Presque transparent », car à travers lui, le bleu ciel se laisse bien deviner, mais cet autre vêtement est aussi légèrement de couleur dorée, en harmonie avec celle des ailes et plus largement avec celle de l’atmosphère qui les entoure tous les Trois : « Dieu est Lumière », « Splendeur et Majesté ».

Et le Père, dont le Fils est engendré en « Lumière née de la Lumière » (Crédo), et dont l’Esprit procède (Crédo), a cette primauté de « Lumière » dans l’Amour qui les unit… Cet attribut, lui convient donc tout particulièrement…

– Au centre, le Fils 

Le Fils - RoublevIl regarde vers le Père, car « il est né du Père avant tous les siècles » (Crédo) : il se reçoit du Père en Fils de toute éternité… « Engendré, non pas créé, il est de même nature que le Père » (Crédo), d’où le vêtement bleu ciel qu’il porte lui aussi. Mais ce dernier est posé sur un autre de couleur rouge, symbole du sang, et donc de sa nature humaine de chair et de sang : le Christ est tout à la fois vrai Dieu (bleu ciel) et vrai homme (rouge sang). Mais si le bleu ciel est sur le rouge sang, c’est pour signifier que le Mystère de sa divinité se reconnaît sur la base de son humanité, par son humanité, en regardant bien cette humanité assumée par Celui qui est Fils, « l’Unique Engendré » (Jn 1,14.18) de toute éternité… Le calice est lui aussi rempli de « rouge » en signe de l’offrande que le Christ fera de lui-même en son humanité lors de sa Passion, pour notre salut… « Tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant : Prenez, mangez, ceci est mon corps. Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant : Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés » (Mt 26,26-28).

Calice Roublev

           Remarquer aussi que les contours extérieurs des personnages de gauche et de droite dessinent un calice, avec le Christ au centre, offert…

Et si le Fils est bien la victime, « l’Agneau immolé » (Ap 5,6), qui « enlève le péché du monde » (Jn 1,29) par son sacrifice, il est aussi le Prêtre parfait (Hb 2,17 ; 3,1 ; 4,14-15 ; 5,5-6 ; 6,20 ; 7,26…), symbolisé ici par l’étole jaune qu’il porte sur son vêtement rouge, et ce jaune est de même couleur que le jaune des ailes des trois personnages, et du fond plus clair : « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5), et le Prêtre est justement celui qui fait le lien entre le ciel et la terre… « Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous » (1Tm 2,3-6). Cette étole est d’ailleurs posée sur son vêtement rouge, comme l’est la cape bleu ciel… C’est donc une nouvelle fois par son humanité que le Christ se révèle être le Prêtre parfait, l’unique « médiateur » entre Dieu et les hommes…

Au dessus du Christ, nous voyons « l’arbre de vie », qui, dans le récit de la Genèse, symbolise le don de la vie éternelle (Gn 3,9), un don offert gratuitement, par amour, en surabondance : « Yahvé Dieu fit à l’homme ce commandement : « Tu peux manger à satiété de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, de mort tu mourras » (Gn 2,16-17). La notion de connaissance renvoyant dans la Bible à celle d’expérience, Dieu invite donc ici l’homme à ne pas faire l’expérience du mal, car son fruit immédiat sera « la mort » au sens de privation d’une plénitude de Vie symbolisée par le fruit de l’arbre de vie… Notons le terme « commandement » employé ici ; Jésus le reprendra en disant : « Je sais que son commandement », le commandement du Père, « est vie éternelle » (Jn 12,50). Autrement dit, Dieu nous « commande » de vivre, un verbe qui insiste très fortement sur « sa volonté », son « désir profond », et c’est pour cela qu’il nous presse de choisir la vie et non la mort : « Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je te propose la vie ou la mort… Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez, aimant Yahvé ton Dieu, écoutant sa voix, t’attachant à lui ; car là est ta vie » (Dt 30,15-20). « Choisir », un verbe qui renvoie à notre liberté que Dieu respecte infiniment tout en nous suppliant de faire le bon choix, car il ne désire qu’une seule chose, notre vie. Il nous a tous créés pour que nous participions à la Plénitude de sa Vie éternelle…

Mais dans cette parabole du jardin d’Eden, Adam et Eve, qui nous représentent tous, vont faire le mauvais choix, et, par suite de leur désobéissance, ils vont se priver eux-mêmes de l’accès illimité à l’arbre de vie, et à tous les autres arbres du jardin… Mais tout ce que nous avons perdu par suite de nos fautes, nous le retrouvons gratuitement, par amour, grâce à Celui qui est venu nous rejoindre en notre humanité pour que nous puissions retrouver avec Lui le fruit de « l’arbre de vie », qui représente la Plénitude de cette vie éternelle pour laquelle nous avons tous été créés… Dieu nous a tous en effet lancés dans l’aventure de la vie pour que nous soyons nous aussi, et cela selon notre condition de créature, ce que Lui Il Est de toute éternité… Il Est « le Vivant » par excellence ? Il veut, de toute la force de son Être, et il est infini, que nous soyons à notre tour des « vivants », en ayant part, gratuitement, à sa Plénitude même ! Ainsi va « l’Amour » (1Jn 4,8.16)… Et puisque l’Amour ne supporte pas de voir la souffrance de l’être aimé sans réagir, l’Amour vient, jour après jour, en Jésus Christ à la rencontre des pécheurs que nous sommes, pour nous proposer et nous proposer encore la Plénitude de sa Vie. Grâce à elle, nous retrouverons ce Bonheur profond qui est Paix et Joie, une Paix et une Joie que nous avions perdues par suite de nos fautes… « Souffrance et angoisse à toute âme qui fait le mal » (Rm 2,9)… « « Viens, suis-moi ». Mais le jeune homme riche s’en alla, tout triste, car il avait de grands biens » (Lc 18,18-23)… Hélas, ces biens-là n’apportent pas le vrai bonheur… Seul le Don de Dieu, ce Don gratuit que le Père veut faire à tout homme, par Amour, peut nous l’apporter… « Je conclurai avec eux une alliance éternelle : je ne cesserai pas de les suivre pour leur faire du bien… Je trouverai ma joie à leur faire du bien, de tout mon cœur et de toute mon âme » (Jr 32,39-41). Telle est donc la volonté de Dieu : que nous « soyons » bien, au sens fort, en participant à sa Plénitude, comme Lui-même « Est » bien (Ex 3,14), de toute éternité… « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11). Alors, si « le salaire du péché, c’est la mort » avec son cortège de souffrance, de détresse, de tristesse (Rm 2,9 ; 5,12) « le don gratuit de Dieu », par Amour puisqu’Il n’Est qu’Amour, « c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23). « Le voleur ne vient que pour voler, égorger et faire périr. Moi, je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante » (Jn 10,10).

Et cet arbre de vie penche vers la Maison du Père, il indique la Maison du Père… Toute vie, en effet, vient du Père et retourne au Père qui est la Source première, éternelle, de la vie, celle du Fils et de l’Esprit Saint, de toute éternité, et la nôtre… « Comme le Père a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même… Et de même que le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange », celui qui me recevra par sa foi, « lui aussi vivra par moi… En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle » (Jn 5,26 ; 6,57 ; 6,47)…

– A droite, le Saint Esprit, 

L'Esprit Saint - RoublevIl a lui aussi un vêtement bleu, en signe de cette nature divine qui est également pleinement la sienne. Mais si le Fils regarde vers le Père de qui il se reçoit de toute éternité en « Fils Unique Engendré » (Jn 1,14 ; 1,18), l’Esprit Saint regarde tout à la fois vers le Père et vers le Fils de qui il se reçoit à son tour comme « celui qui procède du Père et du Fils » (Crédo)… Son vêtement vert est de même couleur que l’herbe verte du sol sur lequel repose le Trône de Dieu. « Ainsi parle Yahvé : Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds » (Is 66,1). Dieu est présent partout, au ciel et sur la terre… « La Gloire de Yahvé remplit toute la terre » (Nb 14,21 ; Ps 72,19), « de l’Amour de Yahvé la terre est pleine » (Ps 33,5). Cette identité de couleur entre ce vêtement de l’Esprit Saint et la terre ne peut que souligner son lien avec cette terre et son action envers elle… « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements ; et je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu’il soit avec vous à jamais, l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît. Vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous; et en vous il sera » (Jn 14,15-17), par ce Don qu’il ne cesse de faire de Lui-même. Toute l’œuvre de l’Esprit Saint, Troisième Personne de la Trinité, consiste en effet à nous communiquer « l’Esprit Saint – nature divine » (« Dieu Est Esprit » (Jn 4,24), Dieu est « Saint » (cf. Is 6,3)), cette nature divine que le Fils reçoit du Père de toute éternité, cette même nature divine que Lui, Troisième Personne de la Trinité, reçoit du Père et du Fils de toute éternité. « Lui me glorifiera », nous dit Jésus, « car c’est de mon bien qu’il recevra et il vous le communiquera. Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’il reçoit et qu’il vous le communiquera » (Jn 16,14-15). Ce lien entre l’Esprit Saint et la terre rejoint l’explication habituelle de la couleur verte en contexte chrétien : couleur de l’espérance qui est le fruit de l’action concrète de l’Esprit Saint dans les cœurs. Et qu’y fait-il ? « L’Esprit vivifie » (Jn 6,63), « l’Esprit donne la vie » (Ga 5,25), et en nous communiquant cette vie, il nous donne un avant goût, un « quelque chose » (Elisabeth de la Trinité), un « je ne sais quoi » (Ste Thérèse de Lisieux) de la vie même du Ciel, qui ne peut que nous faire désirer d’y participer pleinement… Et ce sera, nous l’espérons, ce jour où nous verrons notre Rédempteur de nos yeux de chair, dans la Lumière de l’Esprit, et cela pour toujours… « Que le Dieu de l’espérance vous donne en plénitude dans votre acte de foi la joie et la paix, afin que l’espérance surabonde en vous par la puissance de l’Esprit Saint » (Rm 15,13). « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie » (Ste Thérèse de Lisiers), la Plénitude de la vie…

Au dessus du Saint Esprit, l’auteur a figuré comme une vague de Lumière… Cette vague évoque sa Force (Ac 1,8 ; 2Tm 1,7) et sa Puissance (Lc 1,35 ; 4,14). Mais une vague ne peut que renvoyer à de l’eau, mais cette fois, il s’agit de l’Eau Vive (Jn 4,10-14 ; 7,37-39), Eau Vive qui vivifie (Jn 6,63 ; Rm 8,2 ; 2Co 3,6 ; Ga 5,25), mais aussi Eau Pure qui purifie (Ez 36,25-28 ; 1Co 6,11 ; Tt 3,4-7). Et cette vague est couleur de Lumière, car « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5). L’Eau Pure qui purifie est cette Lumière qui nous purifie de toute forme de ténèbres : «  La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1,5). Mais puisque « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5), l’Eau Vive est également cette Lumière qui nous communique « la Lumière de la vie » (Jn 8,12), une Lumière qui est Vie… Alors, notre vocation à être « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-28) en « reproduisant l’image du Fils » (Rm 8,29) sera pleinement accomplie : « En Lui était la Vie, et la Vie était Lumière » (Jn 1,4)… Il en sera de même pour nous… Cette vague exprime ainsi toute la mission du Saint Esprit : « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » (Ste Thérèse de Lisieux ; cf. Jn 3,35 pour le Père et le Fils). L’Esprit Saint est ainsi tout particulièrement celui qui donne, qui nous donne, ce qu’Il Est de toute éternité… Et « Dieu Est Esprit » (Jn 4,24). Et « Dieu est Saint » (cf. Is 6,3). L’Esprit Saint Personne divine ne cesse donc de donner ce qu’Il Est Lui-même, et Il Est Esprit, et Il Est Saint : il donne ainsi « l’Esprit Saint » nature divine, cette nature divine que possède le Père de toute éternité, cette même nature divine que possède le Fils de toute éternité en tant qu’il la reçoit du Père en « Unique Engendré », « de même nature que le Père » (Crédo), cette nature divine que l’Esprit Saint, Troisième Personne de la Trinité reçoit du Père et du Fils en tant « qu’il procède du Père et du Fils » (Crédo), de toute éternité… Il est bien ainsi « le Seigneur qui donne la vie » (Crédo) en donnant « l’Esprit Saint – nature divine » qui est Lumière et Vie…

Cette vague lumineuse ne peut aussi qu’être symbole de Force, la Force de l’Esprit Saint : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous » (Ac 1,8). Cette Force est participation à celle-là même du Christ, Force de dire « je vous aime » à ceux-là même qui le tuent… « Ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de Force, d’Amour et de maîtrise de soi » (2Tm 1,7). Grâce à lui, en comptant sur lui, en nous appuyant sur lui, le commandement de l’Amour devient possible… « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,43-48), et la perfection du Père est celle de l’Amour, un Amour qui ne se laisse pas arrêter par le mal, et cela d’autant plus que le mal détruit, fait du mal à celui qui le commet : il ne peut que le plonger dans la souffrance (Rm 2,9). Et lorsque Dieu voit un des ses enfants souffrir, quelle que soit l’origine de sa souffrance, il est bouleversé de compassion jusqu’au plus profond de lui-même. Et son Amour se fait encore plus pressant pour celui qui, alors en a le plus besoin… « Là où le péché a abondé », et avec lui « souffrance et angoisse » (Rm 2,9), là aussi le remède a surabondé, « la grâce a surabondé » (Rm 5,20). A nous maintenant d’offrir toutes nos souffrances à Dieu, et de nous repentir avec son aide et son soutien. Alors, avec Lui et grâce à Lui, à nouveau, nous serons « bien »… « Soyez » donc, grâce au « Don de Dieu » (Jn 4,10 ; 1Th 4,8), au Don de son Esprit (Jn 20,22) et donc de son Amour (Jn 4,24 et 1Jn 4,8.16 ; Rm 5,5 ; Ga 5,22) « miséricordieux comme votre Père est Miséricordieux » (Lc 6,36 ; Bible des Peuples). « Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant » (Lc 6,36 BJ). « Soyez pleins de bonté comme votre Père est plein de bonté » (Parole de Vie). « Soyez généreux comme votre Père est généreux » (TOB)…

Icône de la Trinité

Notons aussi que les Trois sont assis sur un même trône, qui semble se confondre, du moins pour les personnages de droite et de gauche, avec la table de l’autel, un autel qui traditionnellement renvoie à la Présence de Dieu Lui‑même… Le trône, la table de l’offrande semblent être une seule et même réalité, et c’est bien en s’offrant sur la Croix, soutenu par le Père (Jn 17,1) et la Puissance de l’Esprit (Ac 1,8) que le Christ manifestera le Mystère de sa Royauté, non pas une royauté terrestre, mais une royauté divine, celle de l’Amour… Avec Lui et par Lui, l’Amour se révèle comme étant Tout Puissant : malgré les incroyables souffrances que les hommes lui ont fait subir, il n’y a jamais répondu par le mal ou la violence, mais par le silence habité par l’offrande de lui-même, et par ces Paroles : « Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font »… Amour des hommes… « Père, entre tes mains je remets mon esprit », Amour du Père… « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse ! » Mais non, « il faut que le monde reconnaisse que j’aime le Père et que je fais comme le Père m’a commandé », avait-il dit peu avant sa Passion (Lc 23,34 ; 23,46 ; Lc 22,42 ; Jn 14,31). Et le Père lui a demandé d’être fidèle jusqu’au bout à sa mission de manifester « les entrailles de Miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,78), « jusqu’au bout » (Jn 13,1), jusqu’à l’extrême de l’amour toujours offert à ceux-là même qui le tuaient… Il faut être « fort » pour agir ainsi, incroyablement « fort » : telle est la Toute Puissance de Dieu, Toute Puissance de l’Amour, Toute Puissance de la Miséricorde, comme me chante la Vierge Marie : « Le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses. Saint est son nom, et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (Lc 1,49-50). Et ressuscité, il reviendra bénir ceux-là même qui criaient « Crucifie le ! Crucifie le ! » (Lc 23,21) : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et que vous avez renié devant Pilate, alors qu’il était décidé à le relâcher. Mais vous, vous avez chargé le Saint et le Juste; vous avez réclamé la grâce d’un assassin, tandis que vous faisiez mourir le prince de la vie. Dieu l’a ressuscité des morts : nous en sommes témoins… Vous êtes, vous, les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a conclue avec nos pères quand il a dit à Abraham : Et en ta postérité seront bénies toutes les familles de la terre. C’est pour vous d’abord que Dieu a ressuscité son Serviteur et l’a envoyé vous bénir, du moment que chacun de vous se détourne de ses perversités » (Ac 3,13-15 et 3,25-26).

Icône de la TrinitéEnfin, les Trois dessinent un cercle, en signe de perfection : perfection de Dieu, perfection de leur unité dans la Communion d’une même Lumière, d’un même Esprit, d’un même Amour… Si Jésus a dit « moi et le Père nous sommes un » (Jn 10,30), en tant qu’unis l’un à l’autre dans « l’unité de l’Esprit » (Ep 4,3), dans « la communion de l’Esprit Saint » (2Co 13,13), on pourrait dire aussi : « Moi, le Père et l’Esprit Saint, nous sommes un »…

Et dans cette unité de l’Amour, où chacun ne regarde que l’autre, ne vit que pour l’autre, le plus grand est le plus petit… En effet, le Père n’est pas en position centrale, mais sur le côté, tout comme l’Esprit Saint… Et au centre, le Christ, mais Lui et l’Esprit Saint ne cessent de regarder le Père et de dire ainsi par leur seul regard que c’est avant tout Lui qui compte… Sans le Père, le Fils et l’Esprit Saint ne Sont rien, ils ne peuvent rien… « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui même, qu’il ne le voie faire au Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement… Je ne puis rien faire de moi-même » (Jn 5,19-20.30). « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11,29), et au même moment « Maître et Seigneur »… Mais un Maître et un Seigneur au pied de ses disciples, au pied de tout homme, pour le servir, le laver, et lui « donner la seule vraie nourriture qui demeure en vie éternelle » (Jn 6,27)… « Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé. » « Or, je suis au milieu de vous comme celui qui sert ». « Sachant cela, heureux êtes‑vous, si vous aussi faites de même » à votre tour (Jn 13,13-17 ; Lc 22,27)…

D. Jacques Fournier

En cliquant sur le titre ci-après, vous accèderez au document en format PDF:

Icône de la Trinité de Andreï Roublev




Fin de vie : le point de vue chrétien (04/2024)…

Fin de vie, euthanasie, le débat est lancé… Qu’en disent les chrétiens ?

Voici la déclaration de la Conférence des Evêques de France (cliquer sur le titre suivant)…

Fin-de-vie-CEF

… et celle du Conseil National des Evangéliques de France (cliquer sur le titre suivant)…

Fin de vie – CNEF

« Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en surabondance… Venez à moi vous tous qui peinez et ployez sous le poids du fardeau et moi, je vous soulagerai » (Jn 10,10; Mt 11,28)…

 




L’unité dans l’Eglise (Vendredi saint 29 mars 2024) par Père Rodolphe EMARD

Durant cette journée du vendredi saint, méditons sur le thème de l’unité ; ce devoir d’unité que nous avons à faire et à vivre dans l’Église.

Faire l’unité est un devoir pour plusieurs raisons :

  • Le Christ lui-même le demande dans les évangiles, notamment celui de Jean : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jean 17, 21).

Cette parole de Jésus soulève deux points :

  • Jésus veut l’unité de ses disciples à l’image de son unité avec le Père. L’unité de l’Église est donc à l’image de l’unité divine.

  • Jésus nous dit que l’unité de l’Église permettra au « monde » de croire qu’il est l’envoyé du Père. Faire l’unité est donc indispensable, en vue d’un témoignage crédible du Christ.

  • L’Église est UNE, elle est le Corps du Christ et le Christ en est à la tête, il en est le Chef. Nous sommes membres de ce Corps par la grâce de notre baptême.

Saint Paul dans sa lettre aux Éphésiens donne bien la signification de l’unité de l’Église : « Ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous ». (Éphésiens 4, 3-6)

Supprimer l’unité dans l’Église serait supprimer l’Église elle-même. Nous devons donc surmonter nos divisions et nos rivalités. Comment ? Saint Paul nous donne là encore des pistes dans sa lettre aux Éphésiens (voir et méditer sur le chapitre 2, versets 1 à 5) : nous réconforter les uns les autres, s’encourager mutuellement avec amour, avoir de la tendresse et de la compassion pour les autres, ne pas être vaniteux, calculateurs ou opportunistes, opter pour l’humilité jusqu’à estimer l’autre supérieur à soi-même, ne pas chercher son propre intérêt mais chercher celui de l’autre.

Nous comprenons alors qu’il nous faut fuir l’égoïsme qui amène à la désunion. Travailler à l’unité suppose l’acception de l’autre dans sa différence parce que l’unité ne signifie pas uniformité ou une sorte de « fusion » où chacun perdrait son identité et le charisme qui lui est propre et que le Seigneur lui a donné. NON ! Chacun a ses propres dons à mettre au service de l’Église et que nous devons accueillir…

Que chacun puisse prendre au sérieux cet appel à l’unité qui rappelons-le est une exigence pour notre entrée dans le Royaume de Dieu.




Conférence Carême 2024 : « Le Notre Père, prière d’espérance » par Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis/ La Réunion, le 20 mars 2024.

 

Le « Notre Père », prière d’espérance. Pourquoi ? Parce que c’est la prière du désir profond de l’homme.

Saint Thomas d’Aquin (+1274) souligne les trois questions fondamentales de l’existence humaine : qu’est-ce que je dois croire ? ; qu’est-ce que je dois faire ? qu’est-ce que je dois désirer ? Le Credo nous révèle ce que nous avons à croire ; la Loi d’amour de Dieu et du prochain comme de soi-même nous indique ce que nous devons faire et le Notre Père nous éclaire sur ce que pouvons désirer : désirer que le Nom de Dieu soit sanctifié, que son Règne vienne et que la volonté de Dieu se fasse partout sur la terre comme elle est accomplie au Ciel chez les saints. Nous demandons aussi ardemment que le pain quotidien de la Parole de Dieu et de l’eucharistie nous soit accordé sans oublier évidemment la nourriture tout court nécessaire à la survie de notre corps ; nous désirons le pardon et la délivrance du mal et du Malin.

Tout d’abord, le Notre  Père est une prière qui jaillit du fond de l’âme par la grâce de l’Esprit : « Il n’y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais une eau vive qui murmure et dit en moi : « Viens vers le Père », s’écriait saint Ignace d’Antioche (+115) à l’approche du martyre.

La prière vient de Dieu. Dieu est le premier à prier parce que la prière est un dialogue d’amour et de sagesse. Notre Dieu n’est pas solitaire mais dialogue, échange entre le Père et le Fils dans la communion de l’Esprit Saint.

Prier ne veut pas dire réciter des formules mais entrer dans la prière du Fils au Père grâce à l’action de l’Esprit Saint. Saint Paul le précise à deux reprises dans ses lettres aux Galates et aux Romains : « Vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : « Abba ! Père ! » (Rm 8, 15) ; « La preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie :  « Abba, Père !»   (Ga 4,6).

L’Esprit Saint, le Maître intérieur, éveille la prière et il conduit au Fils de Dieu, Jésus-Christ, dans une attitude filiale.

Jésus lui-même nous a enseigné à prier le Notre Père en réponse à la demande des disciples qui jalousaient les prières transmises par Jean le Baptiste :  « Apprends-nous à prier comme Jean le Baptiste le fait envers ses disciples » (Lc 11, 2-4). Et ce jour-là, Jésus prononça le Notre Père qui dans l’évangile selon saint Luc comporte quatre demandes et dans celui de saint Matthieu sept demandes (cf. Mt 6, 9-13). C’est cette dernière version qui a été retenue par la liturgie chrétienne.

Jésus nous enseigne la fécondité de la prière : « Demandez et l’on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à qui frappe on ouvrira » (Lc 11, 9-10).

En réponse aux demandes, « Dieu le Père donne l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient » ( Lc 11,13). Prier c’est demander Dieu à Dieu. La prière est ainsi toujours féconde car par elle le Père répand l’Esprit de son Fils dans nos cœurs.

La prière du chrétien devient « gémissement  ineffable » (Rm 8, 22) de l’Esprit Saint lui-même en l’humanité « en travail d’enfantement ».

S’il est vrai que l’homme plaide pour sa cause auprès de Dieu, c’est surtout Jésus, notre avocat, qui intercède pour nous (cf. 1 Jn 2, 1). L’Esprit Saint, consolateur, intercède aussi pour les croyants. La Vierge Marie, modèle de prière, est appelée « Advocata nostra », « notre avocate », dans le Salve Regina.

Dieu demeure le premier et le principal protagoniste de notre prière. Et  les saints veillent aussi sur nous dans la prière.

La prière nourrit l’espérance en Dieu. Le Seigneur a agi en libérateur hier dans l’histoire et il agira demain et aujourd’hui. Dans l’aujourd’hui de Dieu vécu dans la prière, l’Église affermit son espérance en Dieu fidèle.

Le but de la prière est l’acquisition du Saint Esprit. Prière de désir : « Viens, Esprit Saint, emplis les cœurs de tes fidèles, et allume en eux le feu de ton amour » (Séquence de Pentecôte).

Nous comprenons sans peine que certains manuscrits anciens du Notre Père en grec aient mis à la place de la demande « Que ton Règne vienne » : « Fais venir ton Esprit Saint sur nous, et qu’il nous purifie », probablement sous l’influence d’une liturgie baptismale.

L’Esprit Saint reçu dans la prière devient la vie de Dieu au cœur de la liturgie sacramentelle, de la prière familiale et de la prière personnelle. Tertullien (+240) voyait dans le Notre Père le résumé de tout l’Évangile. Prière brève et parfaite qui nourrit l’espérance au milieu des combats spirituels contre le découragement et les tromperies du Tentateur. Le Notre Père est aussi appelé l’« oraison dominicale », c’est-à-dire « la prière du Seigneur », enseignée et donnée par Jésus lui-même, notre Seigneur. C’est aussi la prière des assemblées chrétiennes qui traditionnellement priaient trois fois par jour le Notre Père à la place de la prière de « Dix-huit bénédictions » de la spiritualité juive.

Le Notre Père éduque et oriente les désirs de l’homme : « Vous demandez et ne recevez pas parce que vous demandez mal, afin de dépenser pour vos passions », écrit l’apôtre saint Jacques (Jc 4, 2-3). Dans le Notre Père, le fidèle demande l’accomplissement de la volonté de Dieu en lui et cette volonté n’est rien d’autre que l’amour fraternel : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34), demande Jésus à la dernière Cène.

Abordons maintenant phrase par phrase le Notre Père.

« Notre Père », disons-nous et non pas « mon Père », car nous prions pour toute l’Église et pour l’humanité,  prière universelle, catholique. Prière qui nous met en mouvement dans la montée de l’Église vers Dieu. Prière d’espérance dans l’attente de la rencontre avec le Christ lors de l’achèvement de l’histoire humaine. Le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, finit dans le désir et l’espérance  : « Viens Seigneur Jésus », « Marana tha » (Ap 22,20).

« Père »

Jésus a prié son Père en l’appelant « Papa », « Abba », en sa langue maternelle, l’araméen. Le Notre Père nous introduit dans le moi profond de Jésus, son moi filial, révélé dans la prière sacerdotale au chapitre 17è de l’Évangile selon saint Jean : « Père, l’heure est venue ». C’est pourquoi le Notre Père commence dans l’adoration de Dieu plutôt que dans la prière de demande. Prière de bénédiction aussi en communion avec la prière de Jésus : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre » (Mt 11, 25). Jésus se réjouit de la révélation faite aux pauvres et aux petits tandis que les forts et les intelligents de ce monde sont restés enfermés dans leur rêve de toute-puissance. Le Notre Père nous révèle aussi à nous-mêmes en tant que fils de Dieu et frères et sœurs de Jésus, notre frère aîné.

Quand nous disons « Notre Père » nous ne pensons pas uniquement au Père créateur, source de vie, mais au Père de Jésus, qui devient notre Père comme le Ressuscité de Pâques l’a révélé à Marie Madeleine dans le jardin de Jérusalem : « Va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père » (Jn 20,17).

« Qui es aux cieux »

Il ne s’agit pas d’un lieu mais de la majesté de Dieu qui est partout et au-delà de tout.

Les Pères de l’Église voient aussi dans le mot « cieux » la présence de Dieu dans les saints glorifiés dans la demeure céleste.

Nous trouvons dans cette prière sept demandes. Les trois premières nous tournent vers la Gloire de Dieu : « ton Nom », « ton Règne », « ta volonté ». Elles nous font partager le désir ardent de Jésus voire son angoisse comme à Gethsémani : « Que ton Nom soit sanctifié » ; « que ton Règne vienne » ; « que ta volonté soit faite ». Prières d’espérance en son accomplissement final. Le Notre Père est prié entre le « déjà là » et le « pas encore ». Jésus a déjà sauvé et sanctifié l’humanité mais pas encore dans sa plénitude qui se réalisera quand Dieu sera « tout en tous » (1 Cor 15, 28).

Les quatre autres demandes concernent le temps présent : « donne-nous » ; « pardonne-nous » ; « délivre-nous ».

« Que ton nom soit sanctifié »

Dans la Bible le nom désigne la personne. Dieu est saint. Seul Dieu est saint.

Que voulons-nous dire alors par « sanctifier le Nom de Dieu » ? Dieu saint sanctifie. Nous le sanctifions quand nous le célébrons comme Dieu saint dans la prière et la charité.

Nous sanctifions le Nom de Dieu quand nous le prions et chaque fois que nous en témoignons par le pardon, l’amour fraternel et le travail bien fait au service du bien commun.

Nous le sanctifions aussi par la transmission de l’Évangile dans la prière en famille, « église domestique », par la catéchèse et la prédication.

 

« Que ton Règne vienne »

Le Règne de Dieu n’est rien d’autre que Dieu lui-même présent en son Église, Corps du Christ.

C’est l’Esprit Saint qui fait advenir le Règne de Dieu. Comme nous le prions dans la prière eucharistique IV, c’est lui « qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification ».

Saint Paul révèle le Règne de Dieu qui est « justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14, 17).

Les amoureux disent « viens ». L’Église, Épouse du Christ, dit « viens ». L’anamnèse à la suite de la consécration lors de la célébration eucharistique manifeste l’attente de l’Eglise qui désire dans l’espérance le retour du Seigneur Jésus en gloire : « Quand nous mangeons ce Pain et buvons à cette Coupe, nous annonçons ta mort, Seigneur ressuscité, et nous attendons que tu viennes ».

 

« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »

« Si quelqu’un fait la volonté de Dieu, celui-là Dieu l’exauce », enseigne Jésus (Jn 9,31). Quelle est cette volonté divine pour chacun de nous ? Il s’agit de croire en Jésus, l’Envoyé du Père, et de nous aimer comme il nous aime. L’accomplissement de la volonté divine dans la foi et l’amour est bien la condition sine qua non pour que notre prière devienne féconde par l’action de l’Esprit Saint.

Cette demande du Notre Père concerne chaque chrétien et toute la terre, car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la Vérité » (1 Tim 2,4).

C’est à Gethsémani, la veille de sa Passion, que Jésus a prié dans l’effroi et l’angoisse : « Abba (Père) ! tout t’est possible : éloigne de moi cette coupe ; pourtant pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14, 36). La coupe représente la communion du Père et du Fils dans le projet du salut de l’humanité par le sacrifice de la Croix, acte suprême d’amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » (Jn 15,13).

Lors des mariages, les conjoints boivent à la même coupe en signe d’union des volontés et de partage de la même destinée.

Maître Eckhart, grand mystique dominicain de l’École rhénane à la fin du XIIIè siècle, a commenté de manière lumineuse l’obéissance de Jésus comme fondement de l’obéissance des chrétiens dans l’accomplissement de la volonté de Dieu[1]. Dans des conférences données aux frères novices dominicains en Allemagne, Maître Eckhart montre comment Dieu entre dans l’âme des fidèles qui renoncent à faire leur volonté propre, à leur ego dominateur : « Là où je ne veux rien pour moi, Dieu veut pour moi ».

Nombreux sont ceux qui cherchent et demandent des prières efficaces, des neuvaines magiques faites à des saints influents dans la Cour céleste. Maître Eckhart tranche ce débat en montrant que l’efficacité de la prière ne relève pas des formules employées mais de l’esprit qui renonce à son amour propre : « Plus l’esprit humain est renoncé, plus la prière et l’œuvre sont fortes, dignes, utiles, louables et parfaites ».

C’est pourquoi le premier mot de l’aventure spirituelle est « quitte ». Abraham a quitté son pays ; le jeune de l’Évangile qui a eu peur de quitter ses biens a sombré dans la tristesse, mais surtout il s’agit de se quitter soi-même. C’est en se quittant soi-même que l’homme reçoit la paix. Il serait vain d’aller dans un ermitage ou au désert à la recherche de la paix intérieure tout en voulant faire sa propre volonté. La première des béatitudes, fondement de toutes les autres, part de la pauvreté d’esprit (Mt 5,3). Pour suivre Jésus, il faut se quitter soi-même (Mt 16,24).

La Vierge Marie brille comme modèle de foi. À l’Annonciation, elle se remet à la volonté de Dieu. Marie ne dit pas « je ferai ceci ou cela », mais elle répond au message de l’ange Gabriel : « Qu’il me soit fait selon ta parole », c’est-à-dire que la volonté de Dieu s’accomplisse en moi. Et Maître Eckhart de commenter : « Aussitôt que Marie eut abandonné sa volonté, elle devint la vraie mère du Verbe éternel et elle conçut Dieu immédiatement « (Lc 1,26s). « Plus nous nous appartenons, moins nous appartenons à Dieu », enseigne le mystique dominicain. A contrario, pour ceux qui cherchent à faire la volonté de Dieu, Dieu fait tout concourir à leur bien (Rm 8,28). Et saint Augustin d’ajouter à la lumière de son expérience de la miséricorde divine : « Oui, même le péché ». Même le péché peut rapprocher de Dieu si le pécheur demande pardon dans la joie d’être sauvé.

Dieu ne vole personne. Dieu donne et il se donne ; mais il ne se donne qu’à ceux qui font sa volonté de foi et d’amour. Dans ses entretiens aux novices dominicains, Maître Eckhart déclare : « L’homme doit apprendre en tous les dons à se désapproprier de lui-même, et à ne rien garder en propre, ni rien chercher, ni utilité, ni plaisir, ni intimité, ni douceur, ni récompense, ni royaume des cieux, ni volonté propre. Dieu ne s’est jamais donné et il ne se donne jamais dans un vouloir qui lui soit étranger. Il ne se donne qu’à sa propre volonté. (…) Plus nous nous désincorporons de nous-mêmes, plus véritablement nous nous incorporons en lui ».

Saint Paul a célébré ce mystère du renoncement de Jésus dans son Épître aux Philippiens (Ph 2,6s). Jésus, de condition divine, s’est dépouillé de sa gloire et il s’est humilié, obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix. Maître Eckhart prend l’exemple du puits pour relier profondeur et hauteur, humilité et élévation : « Plus profond est le puits, plus haut est-il ; hauteur et profondeur, c’est un tout un ».

L’homme dépouillé trouve Dieu en toute chose et voit toute chose à la lumière de Dieu ; c’est dans cette attitude que réside la paix de l’âme : « Autant tu es en Dieu, autant tu es en paix, et autant tu es loin de Dieu, autant tu es loin de la paix » (Maître Eckhart ».

Ayant découvert la grâce de la paix intérieure, don de Dieu, Maître Eckhart ose écrire dans la lumière du renoncement de Jésus en sa Passion : « Ne te plains en rien, plains-toi seulement de ce que tu te plains encore et ne trouve pas ton contentement ». Il ne s’agit pas de dire « amen » à tout et à n’importe quoi, dans de s’unir à Jésus dans le renoncement à la volonté propre et de recevoir la gloire de la résurrection, au moment voulu par le Père.

 

« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour »

Dans sa règle, saint Benoît demande aux moines de prier et de travailler : « Ora et labora ».

Nous demandons à Dieu le pain quotidien et la force pour travailler. « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus », écrit saint Paul aux chrétiens de Thessalonique (2 Th 3,10).

L’ouvrier aussi bien que le chef d’entreprise ont besoin de l’aide de Dieu pour vivre aujourd’hui.

Nous demandons aussi à Dieu le Pain de Vie, la Parole de Dieu, et le Corps du Christ reçu dans l’Eucharistie.

 

« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés »

Dans le Notre Père, nous confessons dans l’espérance la miséricorde de Dieu et notre misère.

Nous serions bien ingrats et indignes si après avoir reçu le pardon de Dieu nous refusions ce même pardon à ceux qui nous ont fait du mal.

Jésus a pardonné même à ses ennemis qui l’ont cloué à la croix. Dieu nous demande de l’imiter.

Gardons dans notre cœur ce mot-clé de notre foi « comme ». Ce mot apporte l’identité et l’originalité de la foi chrétienne : aimer comme Jésus aime, être miséricordieux comme le Père est miséricordieux. Loin d’être une idée ou un idéal, la conjonction « comme » nous connecte à l’amour du Christ et dans le Christ au Père pour aimer et pardonner par la grâce de l’Esprit Saint.

 

« Ne nous laisse pas entrer en tentation »

Il nous arrive d’aimer et de chercher les tentations.

Nous demandons à Dieu de ne pas nous laisser emprunter la route du péché.

Dieu ne tente personne. Nous sommes tentés par notre propre convoitise (cf. Jc 1,14) qui nous pousse à posséder des biens et à manipuler les autres.

 

« Mais délivre-nous du mal »

Dans sa prière sacerdotale, que chapitre 17è de l’évangile selon saint Jean, Jésus prie : « Père, je ne te prie pas de les retirer du monde mais de les garder du Mauvais ».

Le démon existe. Nous pouvons discerner ses agissements au quotidien. Sa spécialité est de créer la division et l’embrouille, en montant les uns contre les autres au nom de grands principes de sa justice à lui. Le diable se déguise souvent en avocat, il offre ses services soi-disant pour nous aider, en réalité, le diable par ses séductions conduit toujours au malheur.

L’embolisme de la messe nous fait prier en communauté ecclésiale pour être délivrés du Mauvais : « Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps ; par ta miséricorde, libère-nous du péché, rassure-nous devant les épreuves en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur ».

 

La doxologie finale

La liturgie chrétienne se plaît à couronner le Notre Père par une doxologie où les fidèles glorifient et adorent Dieu vainqueur du prince de ce monde : « Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles. Amen ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Le père Festugière a traduit les enseignements donnés aux frères novices par Maître Eckhart sur l’obéissance : Discours sur le discernement, Arfuyen éditeur. 2003 ; traduction publiée auparavant dans La Vie spirituelle, 1982-1983.

 




« Un bébé sauvé de la mort » – Fr Manuel RIVERO O.P. (6/04/24)

« Quelle est la grande nation dont Dieu soit aussi proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ? », se demandait Moïse, ce grand prophète, libérateur de l’esclavage, que la fille de Pharaon avait sauvé de la mort alors qu’il venait de naître.

Dieu écoute les cris des hommes, des femmes et des enfants en détresse. Dieu a entendu les gémissements des esclaves en Égypte. C’est pourquoi Dieu a choisi Moïse comme leader de la libération.

Moïse a été choisi à cause de la souffrance du Peuple de Dieu opprimé en Égypte. Son appel et sa vocation prophétique trouvent leur origine dans l’oppression des faibles par les forts et non pas dans ses qualités personnelles. Pour se rendre proche des hommes humiliés et courbés sous le poids des fardeaux, Dieu envoie Moïse au puissant Pharaon.

Dans le Nouveau Testament, Dieu se rend encore plus proche des hommes aux prises avec le mal et le malin. Pour  libérer l’homme, le Fils de Dieu devient homme en prenant chair dans le sein de la Vierge Marie par la puissance de l’Esprit Saint.

« Dieu plus intime à moi que moi-même », s’exclamait saint Augustin. Baptisés dans la mort et la résurrection de Jésus, les chrétiens sont habités par Dieu lui-même. Ils deviennent les temples de la sainte Trinité et les tabernacles du Dieu Très-Haut.

« Reconnais, ó chrétien, ta dignité. Tu participes à la nature divine », enseigne saint Léon le Grand (+461), pape.

Il y a vingt siècles, dans l’empire romain, les pères de famille avaient droit de vie et de mort sur l’enfant. Le christianisme a apporté un grand progrès dans la reconnaissance de la dignité de l’enfant et de son droit à la vie.

Le préambule de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 déclare : « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres[1] ». La Suisse, façonnée par les Églises catholique et protestante, fait apparaître dans son droit constitutionnel la manière évangélique de faire de la politique qui consiste à partir du plus vulnérable des citoyens et non des projets idéologiques ou des entreprises multinationales.

Il n’y a pas de politique chrétienne mais il y a une manière chrétienne de faire de la politique. Le chrétien se rend proche des personnes en danger et en souffrance comme Dieu se rend proche des malades, des victimes des injustices et des pauvres.

L’enfant figure comme le pauvre par excellence à tel point sa vie dépend du bon vouloir des adultes.

Dieu aime les enfants. Jésus bénissait les enfants en leur imposant les mains afin qu’ils reçoivent l’Esprit de force et de sainteté. Dieu non seulement défend la vie des enfants mais il choisit ce qui est méprisé par les puissants pour manifester sa gloire.

C’est ainsi que Dieu choisit Moïse, « sauvé des eaux », qui avait échappé à la loi de mort décrétée par Pharaon, pour manifester son amour envers Israël.

Lors de mon séjour en Haïti de 2008 à 2011, j’ai été marqué par la découverte d’un bébé dans une décharge de la capitale, Port-au-Prince. Une religieuse haïtienne des Sœurs de saint Joseph de Cluny serrait ce bébé dans ses bras. L’une des jambes du bébé était recouverte de bandages. Abandonné dans les poubelles, un cochon laissé en liberté avait commencé à dévorer le bébé. Des passants l’ont sauvé de la mort. Lors de son baptême, il reçut le prénom de Moïse.

Nous connaissons le joueur de football, Cristiano Ronaldo, plusieurs fois ballon d’or. La presse a fait part de son enfance dans la pauvreté. Quand sa mère l’attendait, certaines personnes l’avaient conseillé d’enlever l’enfant car elle était pauvre. Chrétienne, elle garda l’enfant. Plus tard, en grandissant, Cristiano Ronaldo dira à sa mère : « Maman, tu es pauvre mais je te rendrai riche ! ».

En ce temps de Carême, l’Église du Christ exhorte les fidèles à se rendre proches de Dieu et proches des personnes en difficulté, par la prière, la solidarité et les demandes de pardon.

L’occasion nous est donné d’implorer le pardon du Seigneur pour nous et pour ceux qui nous ont blessé physiquement, moralement ou spirituellement. Nous avons aussi à demander pardon à ceux que nous avons offensé par action ou par omission. Que les pères irresponsables qui ont abandonné leurs enfants et la mère de leurs enfants fassent une demande de réconciliation. Que les mères qui ont mis fin à la vie de leurs enfants prient pour eux. Que les enfants qui ont survécu de justesse à la mort rendent grâce à Dieu et remercient leur mère et les avocats de leur survie. Que la richesse et la grâce du pardon descende de Dieu vers l’humanité, des parents vers leurs enfants et que la miséricorde remonte des enfants vers Dieu et vers leurs parents.

Seul le pardon libère.

Bon Carême ! Que Dieu fasse du neuf dans nos vies !

                                                                                  Fr Manuel RIVERO (O.P.)

[1] Cf. https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html




La spiritualité conjugale. Équipes Notre-Dame par Fr. Manuel Rivero O.P. (conseiller spirituel END du Secteur La Réunion).

Le corps révèle le mystère de Dieu créateur et aimant envers l’humanité

L’amour de Dieu, Esprit invisible, se manifeste dans l’amour de l’homme et de la femme : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » (Gn 1,27).

Dieu qui est relation, relation trinitaire du Père et du Fils et de l’Esprit Saint, crée l’homme et la femme pour la relation à son image : égale dignité dans la différence et l’unité de l’amour réciproque.

« Dieu est amour » (1 Jn 4,16) et le couple « qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4,16). C’est dans l’amour à l’image de la Trinité que l’homme et la femme atteignent leur perfection humaine, l’un et l’autre, l’un par l’autre, l’un avec l’autre, ensemble. L’homme et la femme se complètent pour dire dans leur relation la relation de la sainte Trinité. À l’image de Dieu le Père qui se donne au Fils et du Fils qui se donne au Père dans la communion de l’Esprit Saint, Amour du Père et du Fils, l’homme et la femme se donnent et se reçoivent réciproquement jusqu’à ne faire « une seule chair » (Gn 2,24). Cette union sans confusion passe par un changement du lien aux parents qui demeurent aimés tout en laissant paraître la nouvelle création qu’est le couple : « L’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2,24). La nouvelle réalité du couple exige séparation et renoncement par rapport à la présence des parents. La nouvelle création ne se fait pas par accumulation mais par séparation. Nous comprenons les épouses qui déclarent parfois avec regret : « Mon mari n’a jamais quitté sa mère ».

Tout comme Dieu, l’amour humain reste caché dans les cœurs de l’homme et de la femme. Ce Dieu caché (cf. Is 45,15) s’est manifesté et révélé dans la création et dans l’Incarnation du Fils de Dieu.

Dans le prologue du quatrième évangile, saint Jean affirme : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1,18). L’homme et la femme font connaître leur amour caché dans le cœur à travers les gestes de tendresse, les paroles, les cadeaux, les services … D’où l’importance des réalités visibles et matérielles pour révéler l’amour qui vit  dans l’esprit : la bague de fiançailles et de mariage, les bouquets de fleurs, les boîtes de chocolat, les paroles et les gestes d’amour …  Ces dons manifestent le don de la personne qui aime à la personne aimée. « La Vie s’est manifestée » (1 Jn 1,2), écrit saint Jean. Le Fils de Dieu s’est manifesté physiquement à travers l’ouïe, la vision et le toucher.

Ces manifestations matérielles ou physiques appellent une parole d’interprétation à l’image des sacrements qui comportent une réalité matérielle comme le pain et le vin et qui sont accompagnés d’une parole performative qui explicite le sens de la matière du sacrement : l’eau pour le baptême, l’huile pour le saint chrême et l’onction des malades … Dans le sacrement de mariage, c’est le don réciproque des personnes, corps et âme, qui trouve son accomplissement dans les paroles de l’échange des consentements : « Je te reçois comme épouse/époux et je me donne à toi pour t’aimer fidèlement tout au long de notre vie ».

Les réalités matérielles et les gestes ne portent pas leur plénitude de sens en eux-mêmes. Il leur faut la parole créatrice et performative. La communication et l’engagement passent par des signes comme l’alliance : « Je te donne cette alliance, signe de notre amour et de notre fidélité. » (bénédiction des alliances).

Dans les Équipes Notre-Dame, le devoir de s’asseoir repose sur ce besoin d’expliciter dans le dialogue, fait d’écoute et de parole, la signification des comportements qui peuvent évoluer à travers l’intelligence de l’autre et le pardon si nécessaire. « Soyez exigeant, vous ne décevrez jamais », enseignait le père Henri Caffarel, fondateur des Équipes Notre-Dame. L’amour n’exclut pas l’intelligence, parfois atrophiée. Chesterton (+1936), écrivain britannique, catholique, déclarait avec humour : « Quand on entre dans une église, il nous est demandé d’enlever le chapeau, pas la tête ! ». Un ami à qui je présentais l’exercice du devoir de s’asseoir a apporté ce commentaire : « C’est comme une confession dans le couple ! ». Et j’ai ajouté : « Et ils se donnent l’absolution ! ».

Faute de parole vraie qui engage tout l’être, la bague en or, les bouquets de fleurs voire les baisers pourraient souffrir du doute, devenir un mensonge ou donner prise aux sarcasmes : les pigeons sont « bagués », les entreprises offrent des bouquets pour des raisons commerciales, les prostituées embrassent pour de l’argent.

« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14). Dieu aime le corps humain au point que le Fils de Dieu s’est fait chair. La chair humaine, bonne dès le début de la création, trouve sa plénitude dans la sainteté et la divinisation. C’est pourquoi plutôt que de parler du « péché de la chair » il faudrait évoquer « le péché contre la chair », cette chair humaine que le Fils de Dieu a uni à sa divinité en s’unissant « en quelque sorte » à tout homme (cf. Vatican II, Gaudium et spes n°22). Saint Paul parlera du péché « contre son propre corps » (I Cor 6, 18). 

La sexualité n’est pas un but en soi, elle relève de la communication et de la communion entre l’homme et la femme. Dissociée de l’amour, la sexualité devient triste : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres », écrivait  Stéphane Mallarmé (+ 1898) dans son poème « Brise marine ». L’orgasme, appelée « petite mort », est suivi de fatigue. Mais dans l’amour et la prière, l’union sexuelle représente une célébration joyeuse, spirituelle, une sorte de liturgie de la création accomplie par le couple comme un hymne à la gloire de Dieu. Acte d’adoration du Seigneur qui unit l’homme et la femme dans l’émerveillement et l’action de grâce.

L’union des corps ne va pas sans le mélange des esprits. Quand les corps se connectent dans l’union conjugale, ce sont les âmes qui se connectent aussi. Saint Paul décrivait cette union dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe : « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? Et j’irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée ! Jamais de la vie ! Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s’unit à la prostituée n’est avec elle qu’un seul corps ? ( 1 Co 6,15-16).

À l’heure actuelle, la pornographie agit comme une épidémie qui rend malade les relations des hommes et des femmes. Véritable addiction dont il s’avère fort difficile d’en sortir. Ceux et celles qui se découvrent porno-dépendants restent enchaînés aux images qui s’impriment dans leur cerveau et leur mémoire, ineffaçables. Les scènes pornographiques agissent à la manière des marqueurs indélébiles. Ces images obscènes resurgissent à n’importe quel moment même lors de la prière. En ce qui concerne les enfants, la violence des images est comparée par certains psychologues et thérapeutes à un viol, à tel point que ces représentations fabriquées dans un contexte d’exploitation économique et de domination portent atteinte à la liberté.

La pornographie fausse et appauvrit les relations sentimentales et sexuelles, les vidant de leur contenu amoureux, ce qui entraîne frustration et colère. La puissance des images fait que l’on devient ce que l’on regarde. L’apprentissage se faisant souvent par mimétisme, la pornographie formate l’imaginaire et le comportement.

La foi chrétienne propose une ligne de crête au-dessus de l’angélisme et du rejet du plaisir. Religion qui met en valeur le corps par l’Incarnation du Fils de Dieu, Jésus le Christ, le christianisme protège le diamant de l’amour conjugal dans l’écrin de l’alliance du Christ et de l’Église, dans l’exclusivité du don total et réciproque, porteur de la vie qui peut grandir tout au long de l’existence.

Dieu ne fait pas dans le quantitatif mais dans le qualitatif. Il aime ce qui est petit et qui se déploie de manière lente et naturelle à l’image du grain de blé semé en terre qui porte du fruit.

C’est le soupçon envers Dieu introduit par le serpent dans les esprits d’Adam et d’Ève qui cassera leur harmonie. Ils ont voulu être dieu sans Dieu. Péché d’orgueil, de démesure et d’indépendance. Créés intelligents et libres, l’homme et la femme étaient autonomes, capables de gérer leur existence, mais non indépendants. L’amour rend dépendant non pas à la façon d’un esclavage mais à l’image d’une source de vie qui jaillit et s’offre gratuitement. Le mystère de la vie humaine repose sur le don. La vie a été donnée. Chaque être humain a pu survivre et grandir grâce à l’accueil d’autres personnes. La dépendance à l’égard de Dieu rend libre, libre pour aimer. Ce serait se faire illusion que de penser que la liberté se trouverait dans l’absence de liens et d’engagements. C’est dans l’engagement historique de chaque conjoint qu’ils se découvrent et qu’ils construisent leur amour et non de manière abstraite et à l’avance. L’engagement accorde la connaissance de l’autre et de soi-même. Dieu ne se donne qu’à ceux qui perdent pied dans la foi en lui. Les époux ne se donnent et ne se connaissent qu’en perdant pied pour aimer l’autre.

Dans le sacrement du mariage, l’Esprit Saint, le don du Père, est répandu sur les époux. C’est bien l’Esprit Saint qui unit les époux et s’engage dans le sacrement ; aussi est-il indissoluble parce qu’ayant Dieu comme partenaire de l’alliance conjugale. L’Esprit Saint n’est pas une tierce personne pour l’amour des deux conjoints, il ne fait pas nombre avec eux ; tout au contraire Dieu agit-il comme l’origine, la force et le but de l’amour conjugal.

Cet engagement de l’Esprit Saint rassure les époux qui redoutent l’infidélité et l’usure.

Habité par le Christ, le chrétien devient un message de Dieu, une lettre envoyée par Dieu. Dans le mariage, l’époux représente une lettre de Dieu adressée à l’épouse et vice-versa : « Vous êtes manifestement une lettre du Christ remise à nos soins, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les cœurs » (2 Cor 3, 3).

Dès les premières pages de la Bible, Dieu révèle que la femme a été le   merveilleux de Dieu à l’homme qui s’est exclamé, ému et surpris, en prenant la parole pour la première fois dans le récit de la création : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn 2,23). En la femme, l’homme se redécouvre lui-même comme dans un miroir tout en constatant l’altérité de la femme qui est différente de lui. L’homme se donne à sa femme et il se reçoit d’elle. Il ne s’agit pas de l’amour du même mais de l’amour du semblable et du différent à la fois. Désormais, l’homme verra la création à travers la femme que Dieu lui a donné. Dante (+1321) dans la Divine Comédie dit : « Je regardais Béatrice et Béatrice regardait Dieu ». Il voyait Dieu à travers Béatrice et grâce à elle. C’était bien le dessein premier de Dieu pour le couple avant la chute dans le soupçon inoculé par le serpent. À ce moment-là, par le péché, en opposition à la volonté de Dieu, la femme détourne l’homme de son Créateur au lieu de l’y conduire.

C’est ainsi que le corps humain dit le projet de Dieu pour l’homme, créé par amour pour grandir dans l’amour.

Saint Augustin s’était un jour exclamé : « Tu vois la Trinité quand tu vois la charité (Vides Trinitatem si caritatem vides). Je t’amènerai, si je le puis, à te faire voir ce que tu vois[1] ». L’amour du couple resplendit dans sa beauté comme l’icône de la Trinité sainte, « petite église », maquette de la communion ecclésiale qui ne fait qu’un avec Dieu. Saint Paul appliquera les paroles de la Genèse à l’amour du Christ et de l’Église : « Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair : ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église » (Eph 5,31-32). Dans le sacrement du mariage, les époux manifestent l’amour du Christ pour son Église et ils en vivent.

Amour rime avec fécondité. L’amour porte toujours du fruit. Chaque conjoint rayonne par la présence de l’autre en lui. Il y a la fertilité de l’enfant qui arrive au monde par l’union des parents. Il y a aussi la vie donnée dans le quotidien du couple, du travail et des relations sociales. Chaque conjoint porte en lui la force de l’amour de son partenaire. Il arrive souvent que des amis proches en découvrant une allégresse lumineuse sur le visage de l’ami/e et un élan nouveau déclarent : « Tu es amoureux/amoureuse, ne me dis pas que non ! ». L’amour caché se manifeste dans la joie de vivre. Ce n’est pas sans raison que l’amour est considéré comme le bonheur de l’existence et son sommet.

Un saint prêtre à Marseille, le père Jean Arnaud, aimait à prêcher que « l’Esprit Saint rend les jeunes filles belles ». L’amour embellit car il est démarche artistique sur soi et sur l’autre. Qui dit art dit travail et compétence. Aimer, c’est un art, un travail, qui exige l’endurance et la confiance pour écouter, dialoguer et pardonner. L’amour ne donne pas nécessairement la connaissance de l’autre ; il s’avère nécessaire d’expliciter les raisons des comportements et le sens des paroles sous peine de tomber dans des contresens. « Dans la solitude j’ai vu clairement des choses qui étaient fausses », avouait le poète castillan Antonio Machado.

Lors des malentendus et des doutes dans le couple, il est bon de prendre des décisions de communication comme s’il s’agissait du dernier jour de l’existence ; si l’on devait mourir ce soir, qu’est-ce qu’il faudrait dire au conjoint ? Dans toute relation il y a des non-dits et des blessures cachées. Par leurs paroles ou par leurs gestes, les autres touchent des blessures de notre histoire, de notre enfant intérieur, qui réagit, ému, et parfois sa colère retenue comme une bombe à retardement explose.

Le rythme de la vie s’est accéléré. Les médias déversent un déluge de messages chaque jour. L’existence peut ressembler à une fuite en avant où la personne avance comme le nageur sur une vague qui l’emporte. Comment parvenir à une vie équilibrée dans le chaos quotidien ? Un grand besoin de calme et d’écoute se fait ressentir au plus profond des cœurs pour échapper au vide et aux tourbillons. La communication dans la prière vient libérer les conjoints du sentiment de subir la vie plutôt que de la savourer et de la diriger. Dans la prière commune, partagée, chacun parle à Dieu de l’autre et à l’autre de Dieu. Ensemble, ils reconnaissent leur pauvreté et leur vulnérabilité, le besoin du Christ et la nécessité de l’autre et des autres.  La Parole de Dieu partagée purifie et elle agit comme un ciment au service de la construction du couple. Se tourner vers Dieu équivaut à se rapprocher de l’autre. Se détourner de Dieu c’est aussi s’éloigner de l’autre. Dieu rapproche toujours dans la paix. Le diable, le dia-bolos, est comme son étymologie l’indique, le diviseur qui oppose.

Parmi les prières, le couple peut choisir de renouveler les promesses de l’échange des consentements au jour de leur mariage, en relevant ce qui va bien plutôt que ce qui fait obstacle : « Ce qui unit dépasse ce qui divise ». Loin d’être une drogue douce, la prière met sur le chemin du regard pénétrant, du discernement et de la transformation : « Chacun de nous naît par son propre choix … et nous sommes en quelque sorte nos propres pères, parce que nous nous enfantons nous-mêmes, tels que nous le voulons » (Saint Grégoire de Nysse, Vita Moysis, P.G. XLIV, 327b).

L’homme et la femme s’entraident ainsi en bons compagnons de route, compagnons d’éternité.

Saint-Denis (La Réunion), le 17 janvier 2024.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Saint Augustin, De Trinitate VIII, 11, CC 50, p. 287.




Homélie pour la Toussaint 2023 par Fr. Manuel Rivero O.P.

Cathédrale de Saint-Denis/La Réunion, le 1er novembre 2023.

Introduction :

Nous célébrons dans l’allégresse notre Dieu trois fois Saint qui nous donne de participer à sa sainteté.

Une foule immense d’hommes, de femmes et d’enfants louent au Ciel le Seigneur Jésus ressuscité : saints de l’Ancien Testament comme Abraham, Moïse et le roi David ; saints du Nouveau Testament comme Marie Madeleine et l’apôtre Pierre ; saints de l’histoire de l’Église représentés dans nos vitraux et patrons de nos villes ; saints discrets et non moins importants de la foi et de l’amour au quotidien dans nos familles et au-delà des frontières visibles de notre Église.

Ce ne sont pas des héros mais des sauvés qui ont lavé leurs âmes dans le Sang de l’Agneau immolé pour nos péchés.

Maintenant ils intercèdent pour nous.

Nos fautes sont plus fortes que nous mais le Seigneur vient les effacer par sa Parole de Vérité et par le Corps et le Sang du Christ Jésus.

Faisons confiance à sa divine miséricorde.

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Homélie

Êtes-vous heureux ? Question fondamentale posée parfois par les supérieurs religieux dans leurs visites aux communautés. Question capitale que nous avons à nous poser dans notre vie personnelle, familiale, sociale et ecclésiale. Qu’est-ce qui me rend heureux ? Pourquoi ?

Habituellement bonheur veut dire pouvoir d’achat, loisirs et plaisirs. Il y a aussi l’industrie du développement personnel, le droit au bonheur, une Journée mondiale du bonheur, décrétée par l’O.N.U., et même le devoir d’être heureux au milieu de tant de moyens technologiques dans la société de consommation.

En cette fête de la Toussaint, c’est Dieu lui-même qui prend la parole pour dévoiler la source du bonheur. Le bonheur est un don, un don de Dieu, qui se donne lui-même : « Dieu est amour » (1 Jn 4,16). Mais pas n’importe quel bonheur : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 3). Et nous voici plongés dans un apparent paradoxe : comment devenir heureux en étant pauvre ?

Cette première béatitude représente le fondement de la vie chrétienne : la foi en l’Incarnation du Fils de Dieu. Jésus-Christ, de riche qu’il était s’est vidé de la gloire qui était la sienne dès avant la fondation du monde pour nous enrichir par sa pauvreté (cf. 2 Cor 8,9).

Dieu n’a pas voulu se révéler dans la force et la domination mais dans l’abaissement. Toutes les religions ne se valent pas. Le mystère de Dieu et sa manière d’entrer en relation avec les hommes diffèrent essentiellement.

Pour comprendre la Toussaint, allons à l’Annonciation de l’archange Gabriel à la Marie. Dieu ne s’impose pas ; Il ne reste pas loin ; Il s’adresse à la liberté et à l’intelligence d’une femme. Plus encore, le Fils de Dieu va se recevoir en tant qu’homme d’une femme, Marie, devenue par l’action de l’Esprit Saint, la mère du Messie, Mère de Dieu. Jésus a grandi dans le sein d’une femme, façonné par la tendresse des mains de Marie, rassuré et guidé par la vigilance de Joseph.

Le Fils de Dieu a pris le chemin de la fragilité et de la vulnérabilité. Humilité de Dieu qui n’ira pas sans des humiliations jusqu’au supplice de la Croix. Dans son amour pour l’humanité, Jésus a pris des risques. Aussi est-il devenu victime de l’aveuglement et de l’injustice jusqu’au Calvaire. Le Sauveur n’a pas survolé le monde ni les événements tragiques de l’histoire, Jésus le Christ est entré dans le chaos angoissant des hommes pour sauver le monde du dedans, en habitant le mal, la souffrance et la mort.

L’expérience nous enseigne que nous apprenons davantage des échecs que des succès. L’apparent échec de la Croix de Jésus nous révèle davantage sur la gloire de Dieu que la grandeur de la création. C’est en Jésus que se trouve caché le mystère de la connaissance de Dieu et du bonheur de l’homme.

Bonheur pascal dans l’amour fidèle et fort de Jésus jusqu’à la mort. Amour à mort, amour plus fort que la mort. « Celui qui offrirait toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour ne recueillerait que du mépris », s’exclame la bien-aimée du Cantique des cantiques (Ct 8,7).

Le bonheur divin ne s’achète pas même pas avec des vertus et des sacrifices. Dieu donne sa grâce gratuitement non pas à cause de nos mérites mais parce qu’Il est bon, saint.

La fête de la Toussaint réalise plusieurs mises au point. Tout d’abord, nous sommes créés pour le bonheur de Dieu. Rien ni personne ne peut combler ce désir d’amour éternel. Nous restons menacés par l’idolâtrie, non pas celle d’un veau d’or comme dans l’Ancien Testament, mais par l’adoration des personnes dont la vie sentimentale et sexuelle s’avèrent incapables de combler la capacité d’amour du cœur humain. Je pense à un jeune marié qui me partageait un jour : « Je ne comprends pas pourquoi ma femme a besoin de prier dans une église, est-ce que je ne  suffis pas ? ». Et non, tu ne suffis pas. Vérité de Lapalisse !

La Vierge de la grotte de Lourdes avait déclaré à sainte Bernadette : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse dans ce monde mais dans l’autre ». Nous sommes déjà dans le bonheur de Dieu mais cette plénitude d’amour divin n’a pas  encore atteint son accomplissement.

Les béatitudes de Jésus nous guident sur le chemin de la perfection à travers la prière, les relations fraternelles et le partage de biens.

La fête de la Toussaint nous invite à mettre en valeur la prière familiale à la maison. Les enfants aiment avoir leur coin de prière. La prière du soir apporte réconciliation et paix à la fin des journées. C’est là que l’on s’initie à ouvrir son cœur et à faire part de l’expérience personnelle de Dieu. Par ailleurs, la prière conjugale, plus difficile à vivre, développe l’amour des époux et le rend plus sincère.

Il arrive souvent, trop souvent, qu’à table, chacun regarde son téléphone portable, au détriment des échanges. La solitude engendre la douleur et le partage de pensées et de sentiments fait grandir le bonheur.

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus raconte sans son autobiographie « Histoire d’une âme » comment toute petite elle aimait faire l’aumône aux pauvres. De retour des journées de pêche avec son bien-aimé père, elle apportait les poissons attrapés aux pauvres du Refuge. Éduquons les enfants selon les valeurs traditionnelles de la culture créole comme la prière et le partage de biens, plutôt que de courir pour qu’ils soient toujours contents et satisfaits au risque de les rendre inaptes à traverser les frustrations qui marqueront leur existence.

Toussaint. Tous appelés au bonheur. Mais le bonheur, c’est quoi ? L’amour de Dieu, la sainteté, don de l’Esprit Saint par la foi.