« Miséricorde de Dieu Oasis de paix ! »
Homélie de Mgr Gilbert Aubry (Fête de la Miséricorde divine, 8 avril 2018)
« Jésus est ressuscité. Il est vraiment ressuscité ! » La fête de Pâques se prolonge dans un océan de Miséricorde. La Miséricorde du Père se manifeste à travers Jésus Miséricordieux en ce passage de l’Evangile de saint Jean qui vient d’être proclamé. Une semaine après Pâques.
Pâques. Jésus apparaît à Marie Madeleine. Elle annonce la nouvelle à ceux qui ont vécu avec lui. Mais les disciples ne croient pas. Ils pensent que ce sont des racontages de femmes. Et puis, de manière indépendante, Jésus chemine avec les disciples d’Emmaüs, il leur explique les Ecritures et se fait reconnaître d’eux à la fraction du pain. Les disciples d’Emmaüs vont le dire aux disciples réunis en l’absence de Judas qui s’est suicidé sous le poids de son crime qu’il pensait impardonnable. Thomas n’est pas là. Marie Madeleine raconte. Les disciples d’Emmaüs racontent. Ils ont rencontré directement Jésus qui leur a parlé. Mais les dix disciples réunis, sans Judas et Thomas, ne croient pas.
Et voilà que les disciples se posent des questions et encore des questions. Ils balancent entre la certitude affirmée par les témoins et leur cœur endurci. Leur cœur sclérosé est comme mort parce qu’ils sont assommés par le drame qu’ils ont vécu. D’ailleurs ils deviennent des trouillards, ils ont peur des juifs qui se moquent d’eux. Ah le maître, le maître crucifié, quel maître ? Quel rabbi ? Un rabbi crucifié ? Et s’ils l’ont vraiment aimé, pourquoi ils se barricadent dans la maison, pourquoi ils verrouillent les portes du lieu où ils se trouvent ? Ils s’enferment comme des rats, prisonniers de leur incrédulité et se croyant protégés par leur enfermement mortifère. Ce n’est pas le moment de parler et ils ne veulent voir personne d’autant plus qu’on est en train de faire courir le bruit qu’ils ont volé le corps de Jésus. Le tombeau est vide. Les soldats font leur rapport. Taisez-vous. Ne dites rien.
Jésus est partout
Le tombeau est vide effectivement. Jésus est partout. Il est vraiment ressuscité. Il n’a pas besoin de passeport pour avoir un sauf conduit d’un lieu à un autre. Il n’a pas besoin d’un passeport et d’un visa pour circuler librement. Alors il passe à travers les murs, lui la Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Mais il n’est pas une lumière désincarnée, il n’est pas une lumière artificielle. Ce n’est pas un hologramme. C’est vraiment lui-même. Il est là au milieu de ses dix disciples qui alors prennent conscience de leur manque de foi, de leur manque de confiance dans leur Maître et Seigneur.
Trois avaient dormi pendant que Jésus transpirait du sang au jardin de l’agonie, tous sauf deux avaient fui par lâcheté. Un avait renié par peur. Et pire que tout, Judas s’est suicidé, ne pensant pas que Jésus pouvait pardonner une lâcheté et un reniement ainsi que le doute sur la possibilité du pardon. Jésus les connait tous. A part Jean, fidèle par amour, et Simon-Pierre fidèle à l’obéissance. C’est comme si Jésus n’a plus d’apôtres.
Jésus passe à travers les murs. Il est là au milieu des dix réunis. Il sait tout. Il sait qu’ils n’ont pas la paix. Alors, il leur dit « la paix soit avec vous ». Il leur montre ses mains et son côté pour montrer que c’est vraiment lui, qu’il a été crucifié et qu’il est vraiment ressuscité. Il est ressuscité. L’attitude de Jésus n’est pas une provocation. Il ne les accuse pas. Il se montre à eux pour leur donner la paix. Il se donne à eux dans le lieu de leur enfermement, dans le lieu de leur barricadage et de leur doute, de leur peur. Il n’est pas dans la provocation ni dans l’accusation. Jésus se donne à eux au-delà de tout ce qu’ils peuvent imaginer. Il se donne à eux dans le pardon. Par don. Don. Donner de lui-même. Se donner lui-même, encore et toujours. Alors oui, c’est la joie des retrouvailles. Et quelles retrouvailles ! La paix va en grandissant avec la confiance réciproque « ils furent remplis de joie ». Et une deuxième fois, Jésus leur dit « la paix soit avec vous ».
Jésus souhaite la paix à ses disciples, lui le Ressuscité. Et il avait déjà dit de son vivant terrestre avant sa résurrection à ces mêmes disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre » (Jn 14, 27). Jésus se donne, Jésus par-donne. Jésus enveloppe de sa miséricorde pour que ses disciples deviennent miséricordieux, qu’ils deviennent les apôtres de la miséricorde du Père. Jésus fait confiance à ceux qui sont pardonnés et il envoie en mission : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21). Les disciples ont connu l’épreuve d’un abandon apparent de la part de Jésus mais l’épreuve a été humiliante et salutaire. Il a fallu que les disciples soient pardonnés pour que vive en eux la paix du pardon, pour qu’ils puissent pardonner à leur tour. « Père pardonne-nous nos offenses… Si tu retiens les fautes Seigneur, qui subsistera… mais près de toi se trouve le pardon, je te crains et j’espère » (ps 129).
Jésus pardonne les péchés
Oui, Jésus passe à travers les murs. Il est là au milieu des dix rassemblés. Il leur donne la paix. Il leur pardonne pour qu’ils puissent pardonner les péchés de ceux à qui ils sont envoyés. Alors Jésus les enveloppe de sa miséricorde pour les cuirasser de sa tendresse, de sa lumière et de sa force en les enveloppant de son souffle vivant et chaud. « Il souffla sur eux et leur dit ‘Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus » (Jn 20). C’est l’Esprit Saint qui, par le ministère de l’Eglise dans les prêtres, pardonne les péchés. Telle est la volonté de Jésus à qui « tout pouvoir a été donné au ciel et sur la terre ». Nous connaissons la polémique concernant le paralytique guéri par Jésus à Capharnaüm : « Qui donc peut pardonner les péchés sinon Dieu seul ? » (Mc 2, 7). Le Crucifié-Ressuscité qui donne aux disciples le pouvoir exclusif de pardonner les péchés, leur délègue alors le pouvoir même de Dieu d’absoudre, de faire toute chose nouvelle. Le prophète Isaïe nous avait déjà dit ce privilège exclusif de Dieu : « C’est moi, oui, c’est moi qui efface tes crimes, à cause de moi-même, de tes péchés, je ne vais plus me souvenir » (Is. 43, 25). Et le prophète Michée nous fait découvrir la paix de Dieu dans l’oasis de sa miséricorde : « Qui est Dieu comme toi pour enlever le crime, pour passer sur la révolte comme tu fais à l’égard du reste, ton héritage, un qui ne s’obstine pas toujours dans sa colère mais se plaît à manifester sa faveur ? De nouveau, tu nous montreras ta miséricorde, tu fouleras aux pieds nos crimes, tu jetteras au fond de la mer tous nos péchés ! » (Mi 7, 18-19).
Et puis, Thomas finit par rejoindre les dix. Il ne peut pas rester dans son coin, faire bande à part et continuer à se demander ce qui est arrivé à Jésus, sans trouver de réponse. Il arrive dans le groupe qui est tout joyeux d’avoir vu Jésus ressuscité. Ils racontent comment Jésus était avec les plaies encore dans ses mains et son côté. Ils parlent de l’envoi en mission et du pouvoir de pardonner les péchés. C’est si important. Mais Thomas se braque. Il est seul contre tous et ne peut pas imaginer l’inimaginable. Il fait alors sa fameuse déclaration : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans son côté, non, je ne croirai pas ! » (Jn 20, 25). Quand il dit cela, il ne se rend même pas compte qu’il est contradictoire. En effet, si l’on voit quelque chose, l’on n’a pas besoin de croire. C’est une évidence, c’est une constatation. Quand il dit cela, il met en doute le témoignage du groupe des dix.
Cela ne veut pas dire nécessairement que Thomas doute de la divinité de Jésus. C’est peut-être justement parce qu’il croit que Jésus est Dieu et qu’il est triomphant au ciel. Il pourrait apparaître comme un esprit. Mais de là à croire qu’il est ressuscité en chair et en os. Non, ce n’est pas possible. En plus avec des trous dans ses mains, dans son côté. Non, non et non. Tous ensemble vous êtes des fous. C’est ce qu’il pense. Si Jésus est vraiment ressuscité, s’il est Dieu et puisqu’il est Dieu, il ne peut pas se rabaisser à défigurer Dieu de cette manière.
Huit jours après Pâques, les onze, les dix du soir de Pâques et Thomas sont réunis. Les disciples se retrouvent dans la maison. Jésus revient. Les portes sont verrouillées. Il est là au milieu d’eux. Il salue par « la paix soit avec vous ». Et tout de suite, alors qu’il n’était pas présent au moment de la déclaration de Thomas, il s’adresse directement à Thomas en reprenant les paroles mêmes de Tomas : « Avance ton doigt ici et vois mes mains ; avance ta main et mets-là dans mon côté ; cesse d’être incrédule, sois croyant » (Jn 20, 27). Alors, nous avons cette merveilleuse confession de foi « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Thomas adore le Serviteur souffrant et glorieux de l’Humanité, serviteur annoncé par le prophète Isaïe : « Ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées (…) c’est par ses blessures que nous sommes guéris » (Isaïe 53, 4 et 5).
Dieu a un cœur de Miséricorde
Les paroles d’Isaïe ne sont pas que pour le passé. Elles sont aussi pour aujourd’hui. N’oublions pas que de toute éternité, Jésus est le Verbe de Vie par qui le Père fait tout exister et sans qui rien ne pourrait exister. Il voit l’espace, le temps, le monde et les fautes infinies des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes, des personnes âgées. Il voit la beauté de la création, les joies et les peines des humains. Tout est en Lui. Il prend sur lui les massacres et les guerres, les paix menteuses et les horribles carnages, la haine, les coups, les vols, les viols, les harcèlements de toutes sortes, la sensualité et l’orgueil, toute la saleté du monde. Lui qui n’a pas de péché prend sur lui tous nos péchés. Il prend sur lui et nous fait vivre alors même que nous sommes en train de le tuer dans la chair humaine « ce que vous aurez fait au plus petit, c’est à moi que vous l’aurez fait » (Myh 25, 40). Si ce n’est pas de la miséricorde, je ne vois pas ce que c’est.
Oui, Dieu a un cœur qui porte toutes les misères du monde, un cœur de miséricorde éternelle avec le cœur de Jésus qui fait palpiter chacun de nos cœurs et tous les univers. Alors, venons à lui avec nos fardeaux d’espérance et de douleurs. Il y en a qui vacillent parce qu’il y a trop de douleurs et que le fardeau est trop lourd. Il y en a qui tombent au bord du chemin parce que d’autres plus forts les poussent pour les éliminer. Il y en a qui se sentent abandonnés par ceux qui passent, piétinés même, et qui se sentent mourir. Ils en arrivent à haïr et à maudire. Non, tout cela n’est pas conforme au plan de Dieu en Jésus-Christ, par Jésus-Christ et avec lui. Devenons des bons samaritains et des Symon de Cyrène et que chacun de nous puisse rencontrer sur sa route un bon samaritain ou un Symon de Cyrène quand l’espoir disparaît et qu’il ne reste plus que l’espérance au-delà de toute espérance. Que les faibles qui tombent trouvent une aide, une parole, une main secourable, un remède contre la maladie, qu’ils revoient la lumière, qu’ils entendent de nouveau la voix qui dit « Confiance. Espère. Tu n’es pas seul. Sur toi il y a Dieu. Avec toi il y a Jésus ! » (NB)
Que sainte Faustine nous soit en aide avec nos saints patrons, avec les saints de nos familles dans l’éternelle fête de la Toussaint, avec les saints de nos paroisses, pour que nous puissions grandir en sainteté, jour après jour. Ne comptons pas sur un miracle comme lors de la rencontre où Jésus passe à travers les murs pour rencontrer les dix, puis les onze. Le miracle est déjà là avec le don de l’Esprit Saint, la Parole, l’Eglise, les sacrements, l’Eucharistie, la confession, nos assemblées dominicales, nos relations.
Que l’Esprit Saint soit donné à tous nos prêtres, à tous nos diacres, à tous nos consacrés, à toutes nos religieuses pour que nous soyons ensemble serviteurs de la divine miséricorde.
Que nos familles vivent en abondance l’amour et la fidélité afin que la vie soit respectée depuis le sein maternel jusqu’à la mort naturelle.
Que des jeunes se lèvent, jeunes hommes et jeunes femmes pour donner joyeusement et totalement leur vie au Seigneur et au devenir humain de notre peuple.
Que la Miséricorde divine, par le sang glorieux de Jésus baigne notre île du battant des lames au sommet des montagnes.
Et que règnent l’amour et la liberté, la justice et la paix, la joie et l’espérance pour aujourd’hui, pour demain et pour l’éternité.
Monseigneur Gilbert Aubry
NB : Pour ce paragraphe, je reprends la vision de Maria Valtorta dans le « Poème de l’Homme Dieu ».