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13ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mc 5, 21-43) – Homélie du Père Louis DATTIN

 Hémorroïsse

Mc 5, 21-43

Pour bien vivre cette page d’Evangile, frères et sœurs, essayons nous aussi, de nous faufiler dans cette foule de badauds qui entoure le maître. Nous sommes dans cette foule attendant une parole, un geste inédit et nous sommes témoins de l’arrivée de Jaïre. Celui-ci n’est pas n’importe qui, un chef de synagogue. On vient chez lui pour lui demander des conseils, peut-être même vient-on lui demander des prières pour une guérison. Et c’est lui, Jaïre, qui tombe aux pieds de Jésus et le supplie instamment de venir sauver sa petite fille. L’amour d’un père pour sa fille lui donne tous les courages. Jésus est son ultime recours : il s’attend à recevoir d’un instant à l’autre la fatale nouvelle.

Sa petite fille est à toute extrémité.

« Viens, supplie-t-il, lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive ».

Il fait confiance, lui, l’homme installé dans une position officielle, à un homme qui passe. Lui, le sédentaire notable, il s’en remet à celui qui vient d’ailleurs.

Nous nous mettons en marche avec Jésus silencieux qui accompagne Jaïre, au milieu de cette foule qui l’entoure, le presse, l’écrase. Nous voici déjà témoins d’une belle foi, celle d’un père, qui par amour pour sa fille, vient s’humilier en public, tombe à genoux, est sorti de chez lui, va au-devant d’un inconnu et lui fait totalement confiance.

Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines et de nos joies : voilà qu’à côté de nous, une femme, oh, une pauvre femme, elle a l’air d’avoir bien souffert et elle essaie, elle aussi, de se faufiler, de jouer des coudes pour s’approcher un peu plus de Jésus. Qui est cette femme ? Elle perd son sang, et, selon la loi, est impure, avec l’interdiction de toucher qui que ce soit, sous peine de rendre impurs les autres.

 

C’est une intouchable alors qu’elle désire atteindre, toucher cet homme pas comme les autres. J’essaie de comprendre cette femme blessée dans sa féminité, qui a déjà beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins et qui, comme beaucoup d’autres, note St-Marc, dans une note humoristique, avait déjà dépensé tous ses biens sans aucune amélioration. Au contraire, son état avait plutôt empiré. Elle n’hésite pas à prendre tous les risques parce qu’elle sent que, de cet homme-là, Jésus, elle peut tout recevoir, elle peut se recevoir elle-même, être rendue à elle-même.

« Si je parviens seulement à toucher son manteau, je serai sauvée » (pas guérie seulement : ‘’sauvée’’).

Qui donc est Jésus pour elle ? Qui est-il, pour nous, ce Jésus au milieu de la foule ? Celui qui ne craint ni les tabous ni les misères les plus cachées, les plus honteuses ? Cet Autre parfait qui délivre chacun de sa solitude et de sa peur ?

« Aussitôt, nous est-il dit, elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal ».

Nous ne nous sommes encore aperçus de rien, mais soudain, nous voyons Jésus s’arrêter brusquement dans cette cohue et dire : « Qui m’a touché ? Qui ? »

Ben voyons, Seigneur, ce n’est pas sérieux ! La foule t’écrase et tu demandes « Qui m’a touché? ». Oui, c’est vrai, Jésus, pressé de toutes parts a été touché au cœur, une force est sortie de lui qui passe dans l’autre : double sensation profonde qui naît d’une rencontre personnelle entre le croyant et son Dieu !

Regardons Jésus : il la cherche des yeux dans la foule : il la voit ! Il la reconnait ! Alors, elle aussi, peut se reconnaître telle qu’elle est. La voici qui, elle aussi, comme Jaïre, il y a quelques instants, se jette à ses pieds et lui dit toute sa vérité, toute la vérité.

Quel bel acte d’abandon, de confiance, d’espérance qui nous fait voir que lorsque l’on se sent accepté totalement par l’autre, on se découvre « aimable » au double sens du mot : à la fois « digne d’amour » et « capable d’amour ».

« Ma fille, ta foi t’a sauvée, (« sauvée », pas guérie seulement) », « Va en paix et sois aussi guérie de ton mal ».

Nous en sommes là, devant Jésus et cette femme à ses pieds, lorsque des serviteurs arrivent et nous disent que ce n’est pas la peine d’aller plus loin, inutile de nous déranger : nous ne verrons pas une autre guérison, en effet “la fille de Jaïre vient de mourir”… inutile d’aller plus loin : la mort a le dernier mot, chacun le sait !

Cependant regardons Jésus : qui sait ? Il va peut-être quand même dire quelque chose. Avec lui, on ne sait jamais !… même avec la mort ? Eh oui, c’est bien cela ! Il dit à Jaïre : « Ne crains pas. Crois seulement ».

Encore cette fameuse foi : celle qui vient d’agir sur cette femme, peut-être aussi, agira-t-elle sur cette jeune fille morte ?

Jésus alors s’écarte de cette foule curieuse, à l’affût de l’extraordinaire, du merveilleux, du sensationnel, il ne prend avec lui que trois de ses amis : Pierre, Jacques et Jean. Ils seront témoins aussi de la Transfiguration : la gloire de Jésus et de Gethsémani : la faiblesse de Jésus.

Poursuivons notre route avec eux, pris entre le doute et la foi, jusqu’à la maison du chef de synagogue. Là encore : c’est la foule, l’agitation, des femmes qui gémissent, d’autres qui poussent des cris. En Orient, la mort est bruyante. On manifeste surtout quand il s’agit d’une petite fille de douze ans ! Le mal est là, vainqueur, victorieux, tout puissant, arrogant, contre lequel on ne peut rien faire : c’est fini, il n’y a plus rien à espérer.

Jésus, lui, le maître de la vie ; lui, le futur vainqueur de la mort définitive, celle provoquée par le péché ; Jésus, le futur Ressuscité, prend la parole. Ecoutons-le : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs : l’enfant n’est pas morte, elle dort ».

Pour celui qui a la foi, la mort n’est plus la mort ! Elle est un sommeil, une  » dormition « . Et que voyons-nous ? Des gens qui, au fond de leur douleur et de leur révolte contre le mal « se moquent de lui » : ils ne savent pas encore que Jésus est le maître de la vie ! Au milieu de ces quolibets de rires et de plaisanteries pénibles, Jésus poursuit sa route : entrons dans la maison où repose la petite fille. Jésus lui prend la main, il lui dit : « Talitha Koum », « Petite fille, je te le dis, lève-toi ! »

Marc emploie le vocabulaire qui est utilisé pour raconter la Résurrection de Jésus. « Dormir », « s’éveiller », « se lever » : vocabulaire des 1ers chrétiens pour désigner le Baptême. Rappelez-vous les mots de St-Paul dans l’Epître aux Ephésiens :

« Eveille-toi, ô toi qui dors ! Relève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera ! »

Regardons toujours : la fille se lève, se met à marcher.

« Elle avait douze ans » : il y avait aussi « douze ans » que la femme guérie par Jésus avait des hémorragies.

Douze ans : la plénitude des temps selon l’Ecriture : le temps de la vie, le temps de la foi est arrivé, le salut est là, à notre porte !

Regardons encore autour de nous : les gens sont bouleversés.

Ils ne savent plus que faire, comme paralysés par ce miracle ! Jésus, tout simplement, lui remet les pieds sur terre et leur dit : « Faites-la manger ».

Guéris, sauvés par le Christ, nous le sommes au Baptême qui a tué la mort du péché en nous, qui nous éveille à la foi et qui fait de nous des chrétiens, des hommes debout, des hommes qui se mettent à marcher. Nous avons encore besoin, après cette Résurrection, d’une nourriture : « Faites-la manger ».

L’Eucharistie sera notre nourriture spirituelle pour continuer à vivre.   AMEN




Audience Générale du Mercredi 19 juin 2024

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 19 juin 2024


Cycle de catéchèse. L’Esprit et l’Épouse. L’Esprit Saint conduit le peuple de Dieu vers Jésus, notre espérance. 4. L’Esprit Saint enseigne à l’Épouse à prier. Les Psaumes, symphonie de prière dans la Bible

Chers frères et sœurs, bonjour !

En préparation du prochain Grand Jubilé, je vous ai invités à dédier l’année 2024 « à une grande « symphonie » de prière » [1]. Dans la catéchèse d’aujourd’hui, je voudrais rappeler que l’Église possède déjà une symphonie de prière dont le compositeur est l’Esprit Saint, et c’est le Livre des Psaumes.

Comme dans toute symphonie, il y a divers « mouvements », c’est-à-dire divers genres de prière : louange, action de grâce, supplication, lamentation, narration, réflexion sapientielle, et autres, aussi bien dans la forme personnelle que dans la forme chorale de tout le peuple. Ce sont les chants que l’Esprit lui-même a mis sur les lèvres de l’Épouse, son Église. Tous les Livres de la Bible, je le rappelais la dernière fois, sont inspirés par l’Esprit Saint, mais le Livre des Psaumes l’est aussi en ce sens qu’il est rempli d’inspiration poétique.

Les Psaumes ont eu une place privilégiée dans le Nouveau Testament. En fait, il y a eu et il y a encore des éditions qui contiennent ensemble le Nouveau Testament et les Psaumes. J’ai sur mon bureau une édition ukrainienne de ce Nouveau Testament avec les Psaumes, qui m’a été envoyée et qui appartenait à un soldat mort à la guerre. Il priait au front avec ce livre. Les chrétiens et encore moins l’homme moderne ne peuvent pas reprendre et s’approprier tous les psaumes – ni tout dans chaque psaume. Ils reflètent parfois une situation historique et une mentalité religieuse qui ne sont plus les nôtres. Cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas inspirés, mais qu’à certains égards, ils sont liés à une époque et à un stade provisoire de la révélation, comme c’est aussi le cas pour une grande partie de la législation ancienne.

Ce qui justifie le plus notre accueil des psaumes, c’est qu’ils ont été la prière de Jésus, de Marie, des Apôtres et de toutes les générations chrétiennes qui nous ont précédés. Lorsque nous les récitons, Dieu les entend dans la grandiose « orchestration » qu’est la communion des saints. Jésus, selon la Lettre aux Hébreux, entre dans le monde avec dans le cœur un verset de psaume : « Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, » (cf. He 10, 7 ; Ps 40, 9) ; et il quitte le monde, selon l’Évangile de Luc, avec un autre verset sur les lèvres : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46 ; cf. Ps 31, 6).

Après le Nouveau Testament, les Pères et toute l’Église ont utilisé les psaumes, ce qui en fait un élément fixe de la célébration de la Messe et de la Liturgie des Heures. « Toute l’Écriture Sainte respire la bonté de Dieu, dit Saint Ambroise, mais en particulier le doux livre des psaumes » [2], le doux livre des psaumes. Je me demande : priez-vous parfois avec les psaumes ? Prenez la Bible ou le Nouveau Testament et priez un psaume. Par exemple, quand vous êtes un peu triste parce que vous avez péché, priez-vous le psaume 50 ? Il y a tant de psaumes qui nous aident à avancer. Prenez l’habitude de prier les psaumes. Je vous assure que vous serez heureux à la fin.

Mais nous ne pouvons pas nous contenter seulement de vivre de l’héritage du passé : il nous faut faire des psaumes notre prière. Il a été écrit que, dans un certain sens, nous devons devenir nous-mêmes « auteurs » des psaumes, les faisant nôtres et en priant avec [3]. S’il y a des psaumes, ou simplement des versets, qui parlent à notre cœur, il est bon de les répéter et de les prier pendant la journée. Les psaumes sont des prières « pour toutes les saisons » : il n’y a pas d’état d’âme ni de besoin qui ne trouve en eux les meilleurs mots pour se transformer en prière. À la différence de toutes les autres prières, les psaumes ne perdent pas leur efficacité à force d’être répétés, bien mieux, elle est accrue. Pourquoi ? Parce qu’ils sont inspirés par Dieu et qu’ils « respirent » Dieu, chaque fois qu’on les lit avec foi.

Si nous nous sentons accablés par le remords et la culpabilité, car nous sommes pécheurs, nous pouvons répéter avec David : « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde » (Ps 51 (50), 3), le psaume 51 (50). Si nous voulons exprimer un lien personnel fort avec Dieu, disons : « Dieu, tu es mon Dieu, / je te cherche dès l’aube : / mon âme a soif de toi ; / après toi languit ma chair, / terre aride, altérée, sans eau » psaume 63 (62) (Ps 63(62), 2). Ce n’est pas pour rien que la liturgie a inclus ce psaume dans les Laudes des dimanches et des solennités. Et si la peur et l’angoisse nous assaillent, ces merveilleuses paroles du psaume 23 (22) viennent à notre secours : « Le Seigneur est mon berger […]. Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal » (Ps 23(22), 1.4).

Les Psaumes nous consentent de ne pas appauvrir notre prière en la réduisant uniquement à des demandes, à un continuel « donne-moi, donne-nous… ». Apprenons de la prière du notre Père qui, avant de demander le « pain quotidien », dit : « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite ». Les psaumes nous aident à nous ouvrir à une prière moins centrée sur nous-mêmes : une prière de louange, de bénédiction, d’action de grâce ; ils nous aident aussi à être la voix de toute la création, en l’associant à notre louange.

Frères et sœurs, que l’Esprit Saint, qui a donné à l’Église-Épouse les mots pour prier son divin Époux, nous aide à les faire résonner dans l’Église d’aujourd’hui et à faire de cette année préparatoire au Jubilé une véritable symphonie de prière. Merci !


[1] Lettre à S.E. Mons. Fisichella pour le Jubilé 2025 (11 février 2022).

[2] Commentaire des Psaumes I, 4, 7 : CSEL 64,4-7.

[3] Giovanni Cassiano, Conlationes, X,11: SCh 54, 92-93.

* * *

 





12ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mc 4, 35-41) – par Francis COUSIN

       « Seigneur Sauve-nous !  »         

La page d’évangile de ce jour est comme un reportage sur un fait divers : une tempête sur la mer de Galilée : c’était le soir, et malgré cela, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. ».

C’était déjà risqué de partir en bateau, sans grande lumière, sur la mer de Galilée peuplée par les forces du mal, et où les tempêtes se forment rapidement et sont violentes …

Et c’est ce qui arriva : « Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. ». C’est du sérieux ! La peur s’empare des apôtres, ils se voient déjà chavirer, jetés à la mer … et peut-être mourir …

Et pendant ce temps-là, Jésus, fatigué de sa journée, dormait, tranquillement installé sur un coussin, à l’arrière du bateau !

On a du mal à y croire : le vent, l’eau qui rentre dans le bateau, les cris des apôtres … Et il dort …Mais rien n’est impossible à Dieu … et à son Fils … !

Jésus est-il indifférent à ce qui se passe ? Non : Il dort.

Mais même s’il dort, Jésus est présent avec les siens, il partage avec eux ce qui est en train de se passer.

Et en fait, il met les apôtres à l’épreuve : « Qu’est-ce qu’ils attendent pour se convertir, … pour se tourner vers moi ? ».

Enfin les apôtres se réveillent, et le réveillent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? ».

Jésus n’est jamais indifférent quand on l’interpelle. Il se soucie toujours de nous ! « Il menaça le vent et dit à la mer : ’’ Silence, tais-toi ! ’’ Le vent tomba, et il se fit un grand calme. »

Il reprend son rôle de Verbe créateur, et commande à la mer.

Et ce qu’il a fait avec les apôtres, il continue à le faire avec nous …

Quand nous sommes embarqués dans des tempêtes …

Des tempêtes qui concernent chacun de nous, des tempêtes personnelles ou collectives, quelle que soit nôtre âge :

Quelles études fais-je faire, vers quel métier m’orienter, Vais-je me marier … avec qui … ou choisir la vie religieuse ?

Les tempêtes de couples, ou celles de la vie active, professionnelle, syndicale, politique, sociale …

Les problèmes d’argent …

Tous des problèmes dont généralement on n’ose pas parler dans nos prières …

Eh oui ! Cela n’intéresse pas le bon Dieu …

À part la vie religieuse … mais pour le reste, c’est pas son problème …

C’est ce que l’on croit !

Mais quand Dieu pense à nous, il s’intéresse à tout notre être, à tous nos problèmes !

Et il se dit en lui-même : « Mais qu’est-ce qu’ils attendent pour se tourner vers moi ? pour se convertir ? »

Dieu Trinité, Père, Fils, Saint-Esprit, n’attend que cela. Il ne demande qu’à ’’travailler’’ avec nous, pour nous …

Encore faut-il le lui demander. Crier vers lui ! « Au Secours ! Je sombre ! Dieu, viens à mon aide ! ».

N’ayons pas peur de le demander !

Comme le disait la Vierge Marie à Pontmain : « Prier mes enfants, Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher. »

Reconnaître que nous ne pouvons pas tout faire tout seul, reconnaître que nous avons besoin de Dieu, c’est le début de la foi véritable.

En ce temps d’incertitude pour notre Pays, pour l’Europe et les pays qui l’entourent, n’ayons pas peur de demander l’aide de Dieu. S’il le faut, il peut intervenir. Personne n’en saura rien … Mais Dieu ne cherche pas à se faire valoir !

Seigneur Jésus,

Cela a dû être une nuit terrible pour les apôtres,

mais elle nous a appris une chose importante :

Tu es toujours avec nous,

même quand tu dors,

et tu es toujours prêt à réagir efficacement …

si nous te le demandons.

 

  Francis Cousin

 

 

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12ième dimanche du temps ordinaire (Mc 4, 35-41) par le Diacre Jacques FOURNIER

Vivre dans la confiance (Mc 4,35-41)

Toute la journée, Jésus avait parlé à la foule. Le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. »
Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d’autres barques l’accompagnaient.
Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait.
Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »
Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme.
Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? »
Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

 

 Jésus barque 2

          En mars 1986, le niveau du lac de Tibériade baissa considérablement suite à une sécheresse exceptionnelle. Deux jeunes, en marchant sur le fond habituellement recouvert par les eaux, découvrirent, enfouie dans la vase, une barque du 1° siècle d’environ 9 m de long sur 3 m de large, la barque de Ginnosar. A l’arrière, une zone couverte abritait des sacs de sable utilisés comme contrepoids, et des filets…

            C’est là que Jésus s’installa lorsqu’il monta, « comme il était », avec ses disciples, dans une barque semblable. Il avait passé « toute la journée à parler à la foule en paraboles. Le soir venu », il était fatigué. On l’imagine étendu sur les filets, la tête calée sur « le coussin, à l’arrière ». « Survient une violente tempête » ? Jésus sait que son Père veille sur lui et que son Heure n’est pas encore venue… Il est en confiance, il dort…

            Mais « les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait ». Ces professionnels de la mer le savent : ils sont « perdus »… Le naufrage est inévitable… Mais deux Paroles du Christ suffiront à l’empêcher : « Silence, tais-toi ! ». Et il s’étonnera de ne pas trouver en eux la confiance qui l’habite…

            Cet épisode a maintenant valeur de parabole pour l’Eglise. « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », a-t-il promis à ses disciples (Mt 28,20). Et sa Présence se réalise très concrètement, dans l’invisible et le silence de la foi, par le Don de l’Esprit Saint répandu sur l’Eglise au jour de la Pentecôte : « Dieu vous a fait le don de son Esprit Saint » (1Th 4,8). C’est donc au plus profond de nos cœurs, dans le secret de la prière, que nous sommes tous invités à chercher et à chercher encore cette Présence douce, discrète, paisible et silencieuse qui nous dit, au-delà des mots : « Confiance, je suis là…  et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur mon Eglise » (Mt 16,18).

            Aussi, « quand on vous livrera, ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment, car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Mt 10,19-20)… Oui, « la détresse que nous avons connue en Asie », écrivait St Paul, « nous a accablés à l’extrême, au-delà de nos forces, au point que nous ne savions même plus si nous allions rester en vie. Mais c’est Dieu qui nous en a arrachés et nous avons l’espérance qu’il le fera encore » (2Co 1,8-10)…                                                                    

   DJF




12ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mc 4, 35-41)- Homélie du Père Louis DATTIN

La tempête apaisée

Mc 4, 35-41

Une lecture trop rapide de l’Evangile pourrait nous faire croire que cet épisode de la tempête apaisée ne raconte qu’un « miracle de la nature » et qu’il n’a guère de lien et d’impact sur notre existence à nous, sur notre vie quotidienne. En fait, dans ce texte, presque toutes les expressions ont un sens symbolique. Voilà, une fois de plus, un évangile qui éclaire l’Eglise d’aujourd’hui, et notre vie chrétienne actuelle.

« Passons sur l’autre rive », dit Jésus aux apôtres. Voilà qui apparait bien anodin. En fait, c’est une invitation redoutable : tout d’abord, parce que, nous dit St-Marc : « le soir est venu », la traversée va se faire de nuit, ce qui n’est jamais commode, après une journée chargée, les apôtres sont, tous, y compris Jésus, recrus de fatigue.

« Passer sur l’autre rive », c’est s’embarquer pour le pays des Géraséniens, territoire païen s’il en est, où Jésus aura à maîtriser un possédé et où les habitants l’inviteront à aller voir ailleurs.

« Le soir venu » dans l’Evangile, rappelons- nous aussi la scène de Judas : le soir, c’est l’heure du péché, l’heure des ténèbres. Or, c’est précisément pendant cette traversée vers un pays païen, la nuit tombée, que se déclenche une violente tempête : les marins du lac savent combien ses accès de colère sont redoutables.

Mais la tempête aussi a une valeur symbolique : les Juifs n’ont jamais été et ne sont pas encore des marins et dans toute la tradition biblique, la mer est le réceptacle des forces du mal que Dieu seul peut dompter ; elle est le lieu symbolique de l’adversité. Rappelez-vous le déluge, rappelez-vous Jonas, le passage de la Mer Rouge.

C’est le projet du Christ d’aller porter la Bonne Nouvelle en territoire païen, ce qui provoque ce sursaut de colère des puissances maléfiques. Tandis que les vagues se ruent à l’assaut de la barque qui se remplit d’eau, Jésus dort sur le coussin à l’arrière.

C’est une manière pour Marc d’évoquer la grande tempête du Vendredi Saint qui menaça d’engloutir Jésus endormi dans la mort pendant que les apôtres vacillent dans leur foi.

 

 

 

« Maitre, nous sommes perdus, cela ne te fait rien? », lui crient ses compagnons et soudain un renversement s’opère : Jésus se réveille. Voilà un de ces verbes que la 1ère génération de chrétiens emploie pour désigner le Résurrection du Christ surgissant du sommeil de la mort. Il interpelle le vent, il impose silence à la mer, sa parole est immédiatement efficace : « Le vent tomba et il se fit un grand calme ».

Jésus se retourna alors vers ses compagnons pour leur reprocher leur peur : « Pourquoi avoir peur ? »

Rappelez-vous la 1ère rencontre de Jésus avec les apôtres après la Résurrection : « N’ayez pas peur, ne craignez pas. C’est bien moi », « vainqueur du mal, triomphateur de la mort ».

Pourquoi le nier, frères et sœurs, cette peur, elle nous habite encore et Jésus continue à nous demander à nous aussi : « Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? »

Cette peur, c’est celle de toutes les générations dans la barque de l’Eglise qui se voit affrontée, Elle aussi, à toutes les forces du mal. Nous avons peur que cette barque de l’Eglise ne sombre sous les assauts répétés de l’athéisme, du matérialisme, de l’égoïsme des nations, des sectes de toutes sortes.

Mais dans cette barque de l’Eglise, nous sommes rassemblés autour de Jésus et à chaque fois qu’une nouvelle vague nous atteint, nous nous étonnons du silence de Jésus : « Maître, nous sommes perdus, cela ne te fait rien ? »

Et, nous aussi, nous nous effrayons de ne pas le voir agir, avant même que les vraies difficultés ne soient réellement apparues. Alors Jésus accomplit par lui-même ce que l’on disait de la prérogative de Dieu :

« Il commande aux vents et à la mer » de sa propre autorité et sa parole est instantanément efficace.

« Qui est-il donc pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

Il faudra que Jésus s’endorme du sommeil de la mort et qu’il se « réveille » du tombeau pour que ses disciples, enfin, répondent à leur propre question, faisant leur, la profession de foi du centurion romain :

« Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu! »

Ce récit de la tempête apaisée, alors que Jésus se rend sur « l’autre rive » : celle de la mission aux païens, nous conduit à purifier notre foi. C’est en passant au Baptême, par le sommeil de la mort et en se réveillant ressuscité que le Christ nous a délivrés des puissances infernales et mortelles.

Ce n’est pas n’importe quelle foi qui apaise nos tempêtes : c’est la foi en Jésus-Christ, mort et ressuscité. Comme chrétiens, nous ne  pourrons pas échapper, par miracle, de façon privilégiée, aux tempêtes de notre temps. Nous serons dedans, nous aussi, mais avec la présence de Jésus ressuscité à qui le vent et la mer obéissent.

La certitude de sa souffrance n’a pas empêché Jésus de passer par le sommeil du tombeau et nous aussi, nous-mêmes, un jour ou l’autre, nous passerons, par l’épreuve, sur l’autre rive, mais Jésus est là, avec nous, dans nos épreuves.

Cet Evangile de la tempête apaisée, nous permet, à nous aussi, comme pour les apôtres, d’avancer vers la vraie foi… en nous posant loyalement la question : « Mais qui est-il donc ? »

Notre interrogation porte sur l’essentiel : nous acceptons en même temps de chercher honnêtement qui est Jésus-Christ et de nous remettre en cause. A partir de là, on peut progresser.

En rapportant  cette scène, Marc pense aussi, vraisemblablement, à la situation de l’Eglise, petite barque fragile, malmenée par les assauts du mal et des persécutions.

 Les premiers chrétiens, comme nous-mêmes, peuvent être tentés d’être paralysés par la peur : alors ils doivent regarder vers leur Seigneur qui semble dormir, avoir foi en lui, avec une telle assurance que nous ne puissions pas entendre Jésus nous dire : « Pourquoi avoir peur ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? »

Lorsque nous voyons s’assombrir l’horizon intérieur ou extérieur de nos vies, que nous sommes, nous aussi, comme dans une barque, sur une mer déchaînée, ayons le même réflexe que les apôtres, tournons-nous vers lui.

Le désir de Dieu, c’est que l’homme ne cède pas au découragement, qu’il soit avec Jésus, debout et ferme quel que soit la violence de la tempête. AMEN




La pédagogie du projet comme facteur de développement par Fr. Manuel Rivero O.P.

Professeur à l’UCM de Tananarive. Doyen de la faculté des sciences sociales de DOMUNI-universitas https://www.domuni.eu/fr/

Les changements sociaux commencent à l’école. Parmi les méthodes pédagogiques qui favorisent le développement figure la culture du projet : mise en œuvre des potentialités, le sens de la participation et de la responsabilité, la confiance en soi-même, la connaissance de soi, le goût d’entreprendre et le leadership, la cohésion sociale, la création des relations entre les institutions, les partenariats, les sponsors …

La culture du projet engendre des innovations dans tous les domaines : personnel, social, économique, politique, artistique … L’économie contemporaine repose sur l’offre et non seulement sur la demande. Il s’agit d’offrir de nouveaux produits : « Si l’on innove sur le marché on gagne, si l’on répète on perd ».

L’étymologie du mot « projet », « pro-jet », désigne une vision, « voir en avant », « pour-voir ». Le projet suppose de « pré-voir », d’être aussi pro-actif ; à partir d’une problématique les parties prenantes du projet parviennent à une prospective et à une mise en perspective.

Un projet peut être défini comme « un ensemble d’activités visant à atteindre dans des délais fixés et avec un budget donné, des objectifs clairement définis [1]».

Un projet représente un processus d’apprentissage et non seulement un résultat. D’après des études en pédagogie, l’élève retient 10% de ce qu’il entend et 75% de ce qu’il a mis en pratique.

Il y a plusieurs types de savoir : savoir être, savoir vivre, savoir-faire, savoir apprendre, savoir transmettre. Ces différents savoirs apparaissent et grandissent quand le projet est bien organisé et conduit.

Il s’agit d’une pédagogie active où l’élève apprend en faisant. Il y a différentes manières d’apprendre : lire, écouter, copier, mémoriser, restituer …  Les études en psychologie montrent que c’est en faisant que l’élève assimile le mieux une connaissance. Par ailleurs, saint François de Sales n’hésitait pas à déclarer : « Si tu veux apprendre enseigne ». Enseigner ce que l’on a appris représente une étape supérieure dans la maîtrise d’une matière. En effet, ce qui paraît simple à l’écoute peut se manifester complexe dès qu’il s’agit de le faire comprendre à une autre personne. Des subtilités inaperçues et la culture de l’élève peuvent susciter de nouveaux problèmes au professeur.

Le développement économique suppose des moyens matériels, des moyens de production et des capitaux,  mais il passe aussi et surtout par des capitaux humains. Des personnes différentes en fonction de leurs attitudes et compétences obtiennent des résultats fort divers à partir des mêmes moyens matériels ou financiers.

Parmi les causes d’échec et de sous-développement figurent plusieurs facteurs psychologiques et culturels : individualisme, corruption, faible esprit d’entreprise, incapacité à travailler en équipe, à organiser et à planifier …

Outre les objectifs précis et divers des projets à atteindre, cette pédagogie  apporte aussi dans son déploiement des fruits pour les personnes au-delà des résultats matériels. Les personnes grandissent humainement et acquièrent des compétences relationnelles. Le capital matériel et le capital humain grandissent en synergie.

La gestion des projets s’applique à des objectifs de développement comme planter des arbres ou creuser des puits mais pas uniquement, la culture et la connaissance religieuse y ont aussi leur place : pèlerinages, découvertes des églises et des musées, visites à des lieux archéologiques ou historiques, organisation des jeux sportifs … Le projet peut être modeste comme l’organisation de la découverte d’un lieu historique ou importants du point de vue financier comme la construction d’une école. Dans tous les cas, il faudra de la rigueur dans l’organisation et dans la tenue des budgets avec le calcul des coûts et des recettes.

Enseignant en doctrine sociale de l’Eglise depuis de longues années, aumônier d’enfants et de jeunes, accompagnateur spirituel des chefs d’entreprise, je suis convaincu de la pertinence de la culture du projet pour le développement de la personnalité, de l’économie et de l’esprit citoyen. Plutôt que d’attendre des aides financières extérieures ou l’avènement de chefs providentiels qui changeraient tout, il me semble préférable et plus heureux de compter sur les forces disponibles et de développer les talents comme l’enseigne Jésus dans une parabole où sont félicités ceux qui font grandir les richesses et où durement condamné celui qui ne faisait que se plaindre et critiquer dans la paresse (Mt 25,14s).

À l’image des stars du football qui ont commencé à s’entraîner dès l’enfance dans les écoles du sport, le changement politique et économique passe aussi par une longue et persévérante pédagogie à déployer à l’école et en catéchèse.

L’Église catholique compte sur un grand nombre d’enfants et de jeunes dans les paroisses et dans l’Enseignement catholique. Ils représentent une puissance démographique et créatrice dans la société civile : prêtres, religieuses, catéchistes, parents, professeurs, élèves …

Il est possible d’inclure la culture du projet au cœur de l’enseignement et de la catéchèse. D’ailleurs, des experts en éducation proposent des programmes pour les enfants ayant quatre buts et non pas trois : lire, compter, écrire et faire des projets.

Une éducation fondée sur la participation et le travail en équipe ne peut que favoriser l’arrivée d’une démocratie riche en liberté, intelligence et sens du bien commun.

En œuvrant ensemble, les inconnus ne sont plus estimés comme des dangers ou des ennemis mais comme des partenaires et des chances pour aller plus loin. La gestion des projets met sur le chemin d’une conversion des mentalités en faisant passer du repli sur soi et de la méfiance à la collaboration dans la solidarité.

La mise en route de la culture du projet suppose la maîtrise élémentaire de ses étapes, aisée à intégrer dans les formations ainsi que la connaissance des risques, des menaces et des chances, des forces et des faiblesses.

Voici les 4 étapes fondamentales de la gestion du projet : 1) Partir des besoins  et discerner ensemble sur la faisabilité du projet ; 2) préparer le projet ; 3) exécuter le projet ; 4) évaluer le projet, tirer des enseignements et remercier[2].

Certains experts estiment comme suit le temps nécessaire pour chaque étape : 10% pour l’étude de la faisabilité ; 50% pour la préparation ; 30% pour la planification et le pilotage ; 10% pour son bilan et évaluation.

  • Première étape : l’étude sur la faisabilité du projet.

Un projet ne se réduit pas à une idée. Le projet suppose l’analyse des besoins en ressources humaines et des besoins matériels et financiers, la réflexion sur  les motivations et l’évaluation des moyens humains et matériels disponibles. Le projet suppose un budget prévisionnel en distinguant le budget d’investissement et le budget de fonctionnement. Des projets échouent car ils ne comprenaient pas le budget de fonctionnement à court, moyen et long terme selon la nature des actions. Par exemple, iIl ne suffit pas de construire une école ; encore faut-il pouvoir la faire vivre : salaires des enseignants, entretien des bâtiments, matériel scolaire, nourriture des enfants … Il est triste de voir une école abandonnée ou vendue, faute de la prévision indispensable pour sa survie. Il arrive aussi que le projet tourne au cauchemar financier, à l’endettement et à la fuite en avant, parce que les conditions sine qua non pour qu’il perdure n’avaient pas été étudiées ou prévues.

La réussite d’un projet passe par une bonne comptabilité et administration. Dans des pays en voie de développement, l’économie ne comporte pas toujours des factures à la manière des pays développés. Les donateurs qui soutiennent financièrement les projets exigent une comptabilité rigoureuse, un échéancier et des prévisions de risques ainsi que des provisions pour le fonctionnement une fois la construction achevée.

À titre personnel, je peux évoquer ici une expérience de projet humanitaire réussie. Lors du terrible séisme en Haïti le 12 janvier 2010, environ 200.000 personnes ont perdu la vie et un nombre incalculable de malades et de réfugiés ont trouvé un refuge dans des camps, sans les garanties indispensables d’hygiène, ils ont souffert pendant des mois et des années. L’Hôpital Saint-Joseph de Marseille, hôpital privé le plus important de France, fondé par le bienheureux abbé Jean-Baptiste Fouque (1926) et des sœurs dominicaines de la Congrégation de la Présentation de Tours, a créé une Fondation dont le but est de soutenir les malades pauvres. C’est ainsi que les sœurs dominicaines de Port-au-Prince (Haïti) ont proposé la construction d’une clinique en pédiatrie dans un quartier défavorisé de la capitale. Grâce à la générosité et à la rigueur des responsables de la Fondation, cette clinique a pu être non seulement construite mais son fonctionnement a été aussi assuré par des apports financiers annuels et l’envoi des volontaires compétents[3]. Toutefois ce beau projet a failli échouer faute de rigueur comptable et de communication. Dépourvus des renseignements demandés par la Fondation de l’Hôpital Saint-Joseph, les responsables avaient envisagé de renoncer à la poursuite de cette réalisation. Il a fallu un voyage sur place, à Port-au-Prince (Haïti), pour mieux comprendre la complexité de la situation et l’honnêteté des personnes sur place[4].

Ceux qui aident de manière professionnelle sont en droit d’exiger des budgets prévisionnels, de pouvoir contrôler l’avancement des réalisations, et d’établir des évaluations périodiques qu’il sera bon de mettre par écrit de manière à garder une mémoire du déroulement du projet. La tenue d’un journal du projet permettra aussi l’apprentissage et la relecture.

Le chef de projet est chargé de travailler avec une équipe où les buts et les fonctions de chacun sont définis dans un cahier des charges. Plus la description du projet comporte des divisions et subdivisions et plus le travail se déroule harmonieusement.

Le capital humain n’est pas à sous-estimer par rapport au capital financier, bien au contraire. La formation de l’équipe passe par la recherche des compétences, non seulement techniques, mais aussi relationnelles. Une équipe divisée court à sa perte.

Dans l’Évangile, Jésus envoie ses disciples deux par deux. Le fait de travailler en binôme, un responsable et un adjoint, garantit la durabilité du projet, le témoignage de ce qui a été entendu et le feed-back, source d’enrichissement et d’interprétation juste. Les dimensions culturelles, juridiques et politiques doivent entrer en ligne de compte comme des paramètres ou des variables du projet. Les divers risques sont à intégrer dans le budget prévisionnel : augmentation des prix des matériaux, maladie ou défaillance du personnel, retards dans l’exécution des tâches et des étapes du chantier …

La communication fait partie des éléments du projet : communication interne et externe. Par la communication externe, des parrains et des aides de toutes sortes peuvent soutenir le projet. L’utilisation des logiciels d’écriture (Word) ; de comptabilité (Excel ou Ciel Compta), et de communication (PowerPoint) et Access, gestion de bases de données, constituent des outils importants pour le développement du projet quand cela s’avère possible.

La dimension économique reste importante dans tout projet mais si elle arrive en premier, cela veut dire que le projet n’est pas bien conçu. Un projet répond à un but désiré, à des besoins et à des motivations personnelles et collectives.

Il convient d’écouter son cœur et de « rêver » comme aime à le proposer le pape François à la jeunesse.

À Marseille, l’écrivain Marcel Pagnol est souvent cité par ses boutades  comme celle-ci : « Tout le monde savait que c’était impossible, arriva un imbécile qui ne le savait pas et il le fit ». Un proverbe canadien va dans le sens du réalisme plutôt que dans le fatalisme et le sens d’impuissance : « Il faut labourer avec les bœufs que l’on a ». Ce qui s’avère impossible sur le plan individuel peut devenir possible dans un travail d’équipe.

Les grandes réalisations naissent petites. Dans la Bible, David sort vainqueur contre le géant Goliath avec quelques galets et une fronde de berger (cf. 1 Samuel 17, 32-37 ; 48-49). Dans l’évangile, Jésus accomplit des miracles en multipliant cinq pains et deux poissons apportés par un enfant (cf. Mc 6, 34-44). Jésus multiplie ce que des croyants pauvres mettent en commun, ce faisant il montre la voie à suivre pour la gestion des projets. La réussite dépendra de la mise en commun des compétences et de petits moyens financiers disponibles.

La gestion des projets exige une mise en commun permanente des idées et des moyens. Dès le départ, le discernement se fait en commun en libérant l’imagination dans le respect, la bienveillance et la discrétion. Le « brainstorming » reste une bonne méthode de créativité. Il s’agira d’une démocratie participative qui suscite l’intelligence collective : « À plusieurs nous sommes plus intelligents que tout seuls ». Un chef de projet pilote et il consulte régulièrement son équipe.

Pour les croyants, la prière à l’Esprit Saint est source d’inspiration, d’innovation, de force et de communion. Georges Bernanos (+1948), écrivain catholique, disait « c’est fou ce que mes idées changent quand je les prie ». Il en va de même pour les projets quand ils sont priés ; ils s’ajustent à la volonté de Dieu en se purifiant et en s’améliorant.

La préparation d’un projet demande du temps : du temps pour s’approprier le projet et du temps pour se décider à s’y investir personnellement. Le temps fait partie des variables d’un projet. La précipitation irait à l’encontre de la réussite du projet.

L’objectif et les besoins seront clairs et précis. Une fois identifiés, il faudra passer à l’étude de la faisabilité du projet : Est-il possible, réaliste et réalisable ? À quelles conditions ? Sommes-nous motivés pour nous y investir ?

La méthode de 5 questions aide dans cette première étape : quoi (objectif) ? ; comment (plan d’action) ? ; quand (calendrier) ? ; qui (ressources humaines) ? ; combien (budget) ?

  • Deuxième étape : la préparation du projet.

La préparation du projet demande du temps ; ce serait une erreur que de vouloir aller vite sans étudier posément le pour et le contre des actions et des choix à faire.

Il est bon de donner un nom au projet ; nom qui évoque son sens.

Pour réussir un projet, il s’avère nécessaire de bien préciser la méthodologie et les missions de chacun. Il arrive que de bon projets avec des bases matérielles s’arrêtent en cours de route à cause du désir de domination, de la rivalité et de la jalousie. Ce n’est pas une seule personne, si douée soit-elle, qui peut faire réussir un projet, mais l’équipe dans un esprit de solidarité. Les participants d’un projet apprennent à dire « nous », en assumant les succès aussi bien que les échecs. Quand un pays gagne dans une compétition, ses habitants s’exclament en disant « nous avons gagné » ; quand l’équipe perd nous entendons souvent dire « la France a perdu » ou « Madagascar a perdu » …

Dans une bonne équipe, chacun se réjouit de la réussite de l’autre.

Les valeurs humaines comme le respect de la dignité de chacun constituent la base des projets.

Le rôle du chef de projet est capital. Sa mission doit être clairement définie. L’organigramme avec les différents postes et définitions des postes requiert aussi une étude détaillée : « The right man in the right place », « l’homme compétent à la place qui convient ». Le chef de projet ne perd pas de vue l’objectif à atteindre, il a pour mission de former et d’animer l’équipe, en dispensant des encouragements sans hésiter à aborder les conflits voire à sanctionner les fautes si nécessaire. Il est prudent de prévoir des binômes pour les différents travaux : le responsable et son adjoint. En cas de maladie ou de défaillance du responsable, l’adjoint peut prendre la suite en connaissant le dossier et la manière de faire.

Le chef de projet partage les responsabilités selon le principe de subsidiarité qui ne se réduit pas à une simple délégation verticale mais qui constitue un droit exigible à être respecté dans l’autonomie des missions reçues et à être aidé par l’instance supérieure. Le mot subsidiarité vient du latin « subsidium » qui veut dire soutien, aide.

Le chef de projet développe la communication et il veille au respect du calendrier établi. Il vérifie l’accord entre l’échéancier et l’avancement des travaux.

Les cinq autres principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église illuminent la route : la dignité inaliénable de toute personne humaine, le droit et le devoir de participer, le bien commun, la solidarité et la destination universelle des biens.

Il convient d’écrire le projet avec ses acteurs et ses différentes parties de manière à bénéficier d’une référence objective et accessible en cas de doute ou de besoin : le demandeur du projet, le chef de projet, l’équipe, les collaborateurs.

Les coordonnées (adresse, courriel, téléphone) des différents membres et partenaires figurent dans des listes disponibles et mises à jour.

De brèves réunions quotidiennes permettent l’évaluation des travaux et l’éventuelle gestion des conflits. La communication bienveillante permet d’avancer sans juger ni condamner directement ceux qui auraient tort. En partant du ressenti personnel, il devient possible de faire comprendre à l’autre de manière concrète les erreurs, les souffrances occasionnées et les solutions possibles. La communication bienveillante comprend quatre étapes : 1) l’observation de la situation ; 2) l’expression des sentiments et des réactions ; 3) la présentation des besoins ; 4) la proposition ou la demande concrète, réaliste, possible et positive. La communication en « je » plutôt que « le tu qui tue » offre des portes de sorties au conflit sans marteler les fautes sans tomber dans le « petit train » : « tu-tu-tu-tu-tu … » ; « tu n’as pas fait », « tu aurais dû » …. En principe, les corrections et les critiques se font de manière discrète tandis que les félicitations se font en public, de manière à ne pas humilier et à faire perdre la face.

La gestion des crises doit être aussi prévue pour ne pas se retrouver au dépourvue (personnes et institutions à contacter avec leurs coordonnées) en cas de vols, d’accidents, de maladie ou d’agression …

La dimension juridique doit aussi entrer dans la préparation du projet : lois et coutumes, réglementations et autorisations officielles et accord écrit des parents pour les projets des mineurs … Un projet se déroule dans un contexte social avec sa culture et ses normes.

Le plan de communication interne et externe fait partie aussi de la préparation du projet : « Une bonne communication externe est une bonne communication interne exportée ».

  • L’exécution du projet.

Une fois la préparation achevée, le chef avec son équipe passe à sa réalisation en mettant en œuvre le contrôle régulier et l’analyse en continu des tâches selon des critères d’évaluation (le monitoring).

Pendant l’exécution du projet, des réunions régulières sont organisées avec un ordre du jour, les participants invités ou convoqués, l’heure du début et de la fin de la réunion.

Si les prévisions ne correspondent pas aux possibilités ni aux exécutions, il convient de les noter en expliquant les raisons. Le Journal du projet représente un outil en vue de l’évaluation.

Les outils comptables qui peuvent être des logiciels permettent le contrôle des travaux et sa comparaison avec les prévisions selon l’échéancier et les budgets. Les logiciels de communication interne et externe rendent compte de l’investissement accompli ou à accomplir.

  • L’évaluation post-projet et clôture.

Un projet comporte toujours des enseignements soit dans la réussite soit dans l’échec. La réunion d’évaluation doit coucher par écrit l’interprétation des résultats positifs et négatifs. Ce compte rendu restera aux archives.

L’apprentissage se fait par l’action (« learning by doing ») et on apprend en faisant des erreurs : mes problèmes rencontrés et les solutions proposées.

Une fois relevées les failles ou les défaillances dans l’application du projet, il importe de finir toujours sur du positif.

Les échecs apportent des connaissances. L’homme apprend davantage dans l’échec que dans le succès. L’échec vécu comme une recherche et un don de soi mérite félicitations et applaudissements tandis que la passivité et la mollesse appellent la réprobation. Malheureusement, dans le quotidien, ceux qui ne font pas grand-chose critiquent durement les échecs d’autrui tout en se présentant comme des « sages », alors que souvent ils n’étaient que médiocres ou tièdes. L’Apocalypse dévoile la pensée de Dieu à cet égard : « Puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3, 16).

Saint Grégoire de Nysse (+394) a légué cette belle expression pour décrire le cheminement de l’homme vers Dieu qui correspond aussi à la pédagogie du projet : « De commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin » (Homélie sur le Cantique des Cantiques).

Saint-Denis (La Réunion), le 14 juin 2024.

 

 

 

 

 

[1] Commission européenne. Lignes directrices du cycle de projet. Mars 2004, p. 8.

[2] Stanley E. Portny, Sandrine Sage, La gestion du projet pour les nuls, Paris, Éditions First, 2018.

[3] Voir : gazette-33-des-nouvelles-du-centre-pediatrique-marie-poussepin-en-haiti_doc.pdf

 

[4]lettre-amis-30 Hôpital saint Joseph Marseille sur la clinique en Haïti.pdf




11ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mc 4, 26-34) par D. Alexandre ROGALA (M.E.P.)

« Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre. Il ne leur disait rien sans parabole, mais il expliquait tout à ses disciples en particulier ». (Mc 4, 33-34)

Je ne sais pas si vous ressentez la même chose, mais en lisant cela, je ne peux pas m’empêcher de ressentir une certaine frustration. Dans ces versets qui concluent le texte d’évangile de ce jour, saint Marc nous dit que la possibilité d’entendre les paraboles de Jésus n’est pas synonyme de les comprendre.

La possibilité d’entendre les paraboles rend seulement possible l’explication que Jésus offre à ces disciples. Et malheureusement, saint Marc n’a pas écrit dans son évangile cet enseignement privé que Jésus a donné à ses disciples sur les deux paraboles que nous venons d’entendre. Nous ne pouvons donc pas profiter nous aussi de l’enseignement du Maître.

Il nous faut donc nous mettre au travail si nous voulons déchiffrer ce que Jésus veut nous dire du Règne de Dieu.

Dans la parabole de « l’homme qui jette la semence », nous lisons que « qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit » (Mc 4, 27). Autrement dit, nous devons comprendre que le Règne de Dieu n’est pas le produit des efforts humains, mais d’une Parole jetée au cœur du monde qui germe mystérieusement.

Nous trouvons une idée proche dans la Première Lettre de saint Paul aux Corinthiens. Alors que les Corinthiens s’égarent en s’attachant à des personnalités éminentes de l’Église du Ier siècle : lui-même, Pierre ou encore Apollos, Paul leur rappelle que les apôtres et des missionnaires de l’évangile ne sont que de simples serviteurs. C’est Dieu qui fait le plus gros travail en donnant la croissance à l’Église, et que par conséquent, c’est à Dieu qu’il faut s’attacher :

 « Mais qui donc est Apollos ? qui est Paul ? Des serviteurs par qui vous êtes devenus croyants, et qui ont agi selon les dons du Seigneur à chacun d’eux. Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance. Donc celui qui plante n’est pas important, ni celui qui arrose ; seul importe celui qui donne la croissance : Dieu ». (1 Co 3, 5-7)

Il me semble que la parabole de la « graine de moutarde » s’adresse à l’Église fragile et petite. Même si aujourd’hui elle est fragilisée par toute sorte de scandales, l’Église détient une annonce de salut qui concerne le monde entier, et Jésus nous dit qu’une simple graine d’Évangile semée peut, avec le temps changer le monde :

« Quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. » (Mc 4, 31-32).

Ces paroles de Jésus que nous venons de relire font écho au texte du Prophète Ézéchiel que nous avons entendu en première lecture. Au 6ème siècle avant notre ère, les hébreux exilés à Babylone avaient l’impression de n’avoir plus aucune valeur. Il se sentaient comme des arbres plantés en terre étrangère.

Par le prophète Ézéchiel, Dieu leur a fait la promesse que de ces arbres, il prendrait un rameau qu’il planterait en Israël :

« Sur la haute montagne d’Israël je la planterai. Elle portera des rameaux, et produira du fruit, elle deviendra un cèdre magnifique. En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux, à l’ombre de ses branches ils habiteront » (Ez 17, 23).

De fait, nous savons que cette promesse du Seigneur s’est réalisée, puisqu’en 538 av. notre ère, les hébreux déportés purent retourner en Terre Promise.

En faisant référence à cette « promesse réalisée » dans sa parabole, Jésus invite ses auditeurs à l’espérance : même si au début, l’annonce de l’Évangile peut paraître ridicule et insignifiante, l’Évangile finira par remporter un succès inespéré, qui sera bénéfique à beaucoup. La seule condition à ce succès est que la semence de l’Évangile soit jetée en terre…et cela relève de notre responsabilité.

Dans la seconde lecture tirée de la Deuxième Lettre aux Corinthiens, nous avons entendu une partie de la réflexion de saint Paul sur sa condition d’apôtre de l’Évangile, condition qui devrait être aussi la nôtre.

L’extrait que nous avons entendu témoigne de la confiance de l’Apôtre dans la grâce de Dieu qui nous a déjà donné les arrhes de l’Esprit (cf. 2 Co 5, 5) :

« Frères, nous gardons toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur, tant que nous demeurons dans ce corps ; en effet, nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous avons confiance et nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur » (2 Co 5, 6-8)

L’espérance du missionnaire de l’Évangile ouvre le présent au courage et à la confiance, au-delà des difficultés qu’il rencontre.

Loin de nous conduire à la fuite hors du monde, l’espérance de demeurer éternellement auprès du Seigneur nous donne le courage pour affronter les difficultés que peut entrainer l’annonce de l’Évangile.

Pour saint Paul, travailler pour l’Évangile n’est pas une option.  Il évoque même un jugement quand il écrit : « Car il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait » (2 Co 5, 10).

Selon saint Paul, ce qui sera jugé ce sont les œuvres de chacun. Dans la Première Lettre aux Corinthiens, il nous explique que le jugement sera comme un feu qui éprouvera les œuvres de chacun pour ne laisser subsister que ce que chacun aura fait de meilleur dans sa vie :

« L’ouvrage de chacun sera mis en pleine lumière. En effet, le jour du jugement le manifestera, car cette révélation se fera par le feu, et c’est le feu qui permettra d’apprécier la qualité de l’ouvrage de chacun. Si quelqu’un a construit un ouvrage qui résiste, il recevra un salaire ; si l’ouvrage est entièrement brûlé, il en subira le préjudice. Lui-même sera sauvé, mais comme au travers du feu » (1 Co 3, 13-15).

Ce matin saint Paul me dit que dans l’éternité, mes mauvaises actions ne subsisteront pas. Elles seront oubliées.  Seul ce qu’il y a de meilleur dans mon histoire demeurera.

C’est une bonne nouvelle !

Alors réjouissons-nous, et que plaire au Seigneur soit notre seule ambition (2 Co 5, 9) ! Amen !




11ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mc 3, 26-34) – par Francis COUSIN

« Il en est du règne de Dieu

comme d’un homme qui jette en terre la semence …

ou comme une graine de moutarde … »

 

Quand on pense au règne de Dieu, instinctivement, on pense au Paradis !

C’est-à-dire, … pour quand on sera mort … c’est-à-dire à une échéance que l’on pense lointaine … même si on est déjà avancé en âge !

Oui, c’est vrai !

Mais le chemin pour y arriver commence maintenant … et même a déjà commencé … ici, sur terre, depuis le jour de notre naissance … et peut-être même avant, durant toute la gestation de l’enfant, quand se manifeste l’amour des parents, et quand les parents prient Dieu pour l’enfant à naître …

Je pense que la prière imprègne peu à peu l’enfant, ou le chapelet récité par la mère ou le couple … même si l’enfant n’en a aucune conscience.

Pendant ces temps de prière, la sérénité des parents, et surtout celle de la maman, doit sans doute être sentie par l’enfant. Et l’amour sous le regard de Dieu !

C’est ce que nous dit l’évangile : semer !

Semer l’amour, semer la prière … Après, C’est Dieu qui prend le relais …

Mais cela ne veut pas dire qu’on n’a plus rien à faire …

II faut entretenir la graine, la pousse, l’arroser, amender le sol, ôter les mauvaises herbes …

En fait, continuer à vivre en chrétien pour aider l’enfant à vivre en chrétien …

Mais pas seulement son enfant : il faut être un exemple pour tous ceux avec qui nous vivons, dans toutes nos relations …

Aller à la messe le dimanche, ce n’est pas suffisant …

J’aime beaucoup le chant du Père Duval : « la p’tite tête. » Il y parle « D’un grand ciel que j’voudrais voir ! », et il attend, « cœur ouvert, en rêvant, Battant la semelle à la porte de Ton ciel ; Je crois qu’un beau jour Ton amour l’ouvrira. Et voici que Jésus m’a surpris : “Que fais-tu là à m’attendre mon ami ? Ton ciel se fera sur terre avec tes bras ! «  »

Oui, … mais comment ?

Reprenons les Béatitudes …

Oui, je sais, c’est difficile, et on a toujours l’impression que nous ne sommes pas dans les cadres présentés.

Certes, mais on peut essayer de s’en rapprocher, surtout qu’il y a deux béatitudes qui nous promettent directement le royaume des Cieux … mais ce n’est pas nous qui jugeons !

« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. »

« Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. » Là, on n’aime pas trop ! Persécuté …

La plus dure, c’est la dernière : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! ». Là, on n’aime pas du tout ! Mais ce n’est pas nous qui décidons …  Ce sont d’autres personnes qui nous mettent dans cette situation ! Mais on ne le souhaite à personne …

La deuxième parabole, celle de la graine de moutarde, elle est déjà commencée, avec tous les prophètes, suscités par Dieu, en commençant par Abraham et la naissance du peuple des Hébreux, puis de la nation juive, et surtout par la naissance de Jésus : c’est lui la graine de moutarde qui, après son baptême par Jean-Baptiste, attirera d’abord André, puis Simon-Pierre, puis Nathanaël, puis Philippe … puis les douze apôtres, puis ceux qu’on a appelé les Chrétiens … qui forment maintenant un peuple immense reparti sur les cinq continents et qui continue à accueillir les oiseaux du ciel pour qu’ils puissent faire leur nid à son ombre : les catéchumènes qui sont de plus en plus nombreux … du moins en France …

Malheureusement, on assiste en même temps à une diminution des baptêmes des enfants nés de parents chrétiens et une diminution des enfants au catéchisme …

Prions pour que le règne de Dieu sur la terre continue de s’accroitre, ainsi que le nombre de prêtres pour annoncer la Parole de Dieu … mais ils ne sont pas les seuls à pouvoir le faire … cela fait partie des missions de chaque baptisé …

« La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. » (Is 55,10-11)

Seigneur Jésus,

donne-nous d’éclairer nos esprits,

que nous sachions démêler

le vrai du faux,

faire la différence entre

l’essentiel et l’accessoire,

et que tu sois toujours

celui qui nous guide.

 

  Francis Cousin

 

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11ième Dimanche du Temps Ordinaire – par le Diacre Jacques FOURNIER (Mc 4, 26-34)

« La Force de l’Esprit »

(Mc 4, 26-34).

 

          En ce temps-là, Jésus disait aux foules : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence :
nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment.
D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi.
Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »
Il disait encore : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ?
Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences.
Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »
Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre.
Il ne leur disait rien sans parabole, mais il expliquait tout à ses disciples en particulier.

                         

           Pour commenter cette parabole du grain jeté en terre et qui pousse tout seul, la Bible de Jérusalem écrit en note : « Le Royaume de Dieu porte en lui-même un principe de développement, une force secrète qui l’amènera à son complet achèvement ». Or, « le Royaume de Dieu est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17). Recevoir le Don gratuit de l’Esprit Saint, c’est donc vivre le Royaume qui est Mystère de Communion dans l’unité d’un même Esprit (Ep 4,3)…

            Dieu avait dit à Jean-Baptiste : « Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint » (Jn 1,33). Or, le verbe baptiser, « en grec βαπτίζω, baptizô », signifie « plonger, immerger »… Si nous comparons l’esprit de l’homme à un flacon façonné pour contenir un parfum de grand prix, nous pourrions dire que Dieu nous a tous créés pour nous remplir du Trésor le plus précieux, ce qu’Il Est en Lui-même, l’Eau Vive de son Esprit… Souvenons-nous du jour de la Pentecôte : « Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint », écrit St Luc (Ac 2,4).

            Or, « ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de Force, d’Amour et de Maîtrise de soi » (2Tm 1,7). Cet « Esprit d’Amour et de Force » est alors comme du levain enfoui au plus profond de la pâte de nos cœurs et de nos vies : une petite pincée apparemment insignifiante suffit pour tout faire « lever » (Lc 13,20-21). « Lève-toi et marche », dit souvent Jésus aux infirmes qu’il rencontre et qui nous représentent tous… Or, ce même verbe « se lever » sera employé pour décrire le Mystère de sa Résurrection que le Père a mis en œuvre par la puissance du même Esprit d’Amour et de Force, l’Esprit Saint…

            La vie chrétienne pourrait donc se résumer par l’accueil, envers et contre tout, du Don de Dieu, cette Eau Vive de l’Esprit Saint offerte gratuitement à tout homme qui consentira à la recevoir. Il est pécheur ? L’Esprit le purifiera… Il est mort par suite de ses fautes ? L’Esprit le vivifiera… Il est faible ? L’Esprit le fortifiera, l’affermira, le fera grandir et lui donnera d’atteindre sa pleine stature de fils vivant de la Vie du Père. Telle est notre vocation à tous…

                                                                                                                                  DJF




11ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mc 4, 26-34) – Homélie du Père Louis DATTIN

Parole créatrice de Dieu

Mc 4, 26-34

Tous ceux qui parmi vous ont, un jour, semé dans un jardin ou dans un champ, le savent par expérience : on met une petite graine en terre… et puis… il n’y a qu’à attendre et souvent à attendre longtemps… à croire parfois qu’on n’a rien semé !… Dans la terre, à sa surface, on ne voit rien surgir… et puis, un jour, un petit point vert…

Oh ! Que c’est long avant de devenir une toute petite tige !

Et cette tige, à son tour, comme elle est longue à se diversifier, à donner elle-même d’autres tiges ! Et ces petites feuilles ! Comme elles sont longues à s’épanouir et nous savons que ça n’est pas fini ! Que cette petite plante de rien du tout doit être repiquée pour prendre une nouvelle allure, un nouvel aspect !

Qu’il y a « loin », qu’il y a « long » entre la graine et le grand arbre sous lequel nous nous allongeons : c’est tout le temps de la germination, tout le temps de la croissance, tout le temps du travail invisible, intérieur, souterrain. On a l’impression que ça n’en finit pas !

Les parents ont fait la même expérience avec leurs enfants avant qu’ils ne deviennent des hommes. Un chanteur le disait, il y a quelques années : « Pour faire un homme, pour faire un homme, mon Dieu, que c’est long ».

Ça nous parait d’autant plus long, à nous les hommes d’aujourd’hui, que « nous voulons tout et tout de suite » : des ordinateurs à haut débit, une lessive en 12 mn, des muscles en 3 semaines, apprendre une langue en 3 mois, des voitures qui font du 250 km/h pour rouler à 80.

Les rythmes s’accélèrent, il semble qu’il n’y ait plus que la terre, la nature qui aille à son rythme et nous l’estimons beaucoup trop lente. Il y a la nature… Il y en a aussi un autre : Dieu.

 Dans la vie spirituelle, dans notre vie chrétienne, nous voudrions tellement, nous aussi, avoir tout et tout de suite. Nous voudrions tant mettre Dieu à notre rythme : « Seigneur, viens vite, dépêche-toi, hâte-toi », le temps d’un « Notre Père » ou d’un « Je vous salue Marie », débité rapidement, une neuvaine ! « Oh ! C’est bien long, Seigneur, un trentain ! Oh là, là ! Une année Sainte ! Mais tu n’y es plus, Seigneur ! »

Maintenant, comme on dit : « La vie n’attend pas ». Il faut brûler les étapes… Nous sommes comme des enfants qui essaient de tirer sur la tige de la plante pour la faire grandir et qui écartent les pétales de roses avec les doigts pour l’épanouir !…

La grande leçon de cette parabole, c’est celle du temps : oui, Dieu qui est éternel, lui, travaille avec le temps.

Un artisan qui fait un chef-d’œuvre ne compte pas avec le temps. Ce qui compte pour lui, c’est la réussite, c’est la beauté de ce qu’il produit. Ce n’est pas le « rendement », la cadence de production qui l’intéresse, c’est ce qu’il est en train de faire.

Comme la graine sous terre, le travail de Dieu, son travail à lui, sera secret, intime, souterrain et il faudra le temps qu’il faut, un temps que nous estimons trop long, pour qu’elle sorte de terre, qu’elle soit visible à nos yeux. Dieu ne fait pas dans le quantitatif surtout lorsqu’il travaille en nous par sa grâce, mais dans le qualitatif comme l’artisan en train de mettre au jour son chef-d’œuvre.

Dans la vie spirituelle, plus encore que dans la vie intellectuelle ou le développement physique ou la maturation affective, il faut « donner du temps au temps » d’autant plus, et la parabole nous le rappelle, que c’est surtout Dieu qui travaille et que nous sommes spectateurs, étonnés du travail de Dieu.

Le grain, une fois qu’il est en terre : il pousse tout seul, nous rappelle le Christ, indépendamment de celui qui l’a mis en terre. Le paysan, qu’il dorme ou qu’il veille, nuit et jour, n’a qu’à attendre. La semence germe et grandit pendant tout ce temps-là et si vous lui demandez comment, il sera bien en peine de vous répondre. Ce n’est pas son travail à lui, c’est à un Autre que cette tâche est confiée. Lui, maintenant, il attend la moisson mais pour cela, il faut être patient. Oui, c’est bien cela la patience de Dieu qui, lui, de son côté, attend notre conversion, attend une amélioration, attend de notre part, un regard tourné vers lui, lui qui nous regarde sans cesse.

Si Dieu était aussi impatient de nous voir porter du fruit que nous de le voir agir pour nous ! Trop souvent, n’est-il pas vrai, nous nous impatientons : « Mais que fait Dieu dans tout cela ? Qu’attend-il pour intervenir ? » ; « Ah ! Mon père, si Dieu existait, il serait intervenu ? Pourquoi a-t-il permis cela ? »

Le temps de Dieu n’est pas le nôtre et sa patience aussi n’est pas la nôtre ! Il est là… même quand nous le croyons absent et il travaille en nous, sans bruit, obscurément, secrètement.

– On ne voit rien, comme sur un champ qui vient d’être semé, mais le paysan, lui, ne s’inquiète pas ! Il sait tout le travail intérieur qui se fait sous terre ; toute cette germination, il la confie à la terre et d’elle-même, la terre produit l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi.

Nous aussi, une fois que nous avons confié à la terre de Dieu, une fois que nous lui avons déposé ce que nous avons de plus cher, ce qui nous tient le plus à cœur, faisons comme le paysan : attendons, attendons dans la foi, dans l’espérance de la moisson.

A la patience de Dieu, doit répondre la nôtre. En fin de compte, c’est cela avoir la foi : être persuadé que sur le terrain de notre vie cette semence infime et ridicule, ce grain minuscule, est capable, par la force de Dieu, de devenir moisson ou forêt.

La parole de Dieu, dans notre terre humaine, est elle-même à l’œuvre, puissance créatrice. Dieu nous livre sa parole comme une petite semence. Si nous avons le courage et la patience de la laisser murir, elle est capable de transformer le monde.

Entre nos semailles et la moisson, il y a tout le travail lent et discret de la germination spirituelle dont Marc énumère les étapes : herbe, épi, blé … Jésus, les apôtres, l’Eglise : petite plante au départ, mais capable de devenir le grand arbre où tous les oiseaux du ciel pourraient faire leurs nids à l’ombre de ses branches.

 

« Mon Père travaille et moi aussi je suis au travail », déclare Jésus. L’Esprit de Dieu nous travaille et travaille le monde et travaille dans le cœur des hommes, préparant activement le jour de la moisson : la rencontre entre le germe divin et la terre a eu lieu ; Jésus, mis en terre, est ressuscité. Il n’y a plus qu’à attendre le fruit.

A travers des chemins que l’homme ne contrôle pas, c’est Dieu qui opère la croissance et la mène à son épanouissement si nous avons compris la parabole. Par la foi, nous nous en remettons à cette force de croissance qui nous dépasse. Certes, la peur est toujours là et l’égoïsme et la souffrance, mais la vie aussi… elle est là, à l’œuvre, capable de percer et de briser cette croûte terreuse qui ne révèle rien au départ…

Parents, grands-parents, vous qui parfois avez l’impression d’avoir raté une éducation, déçus par la petitesse des résultats apparents, nous tous, chrétiens, qui trouvons que nos efforts ne sont pas payants… nous sommes les invités à l’espérance.

La petite histoire de Jésus, au départ, bien modeste, elle est devenue la grande aventure de maintenant… et à la fin, enfin, vous verrez ! AMEN