L’HUMANITE APPELÉE A LA PLÉNITUDE
La première réalité, qui ressemble énormément à ce que beaucoup d’entre nous pensent aujourd’hui : c’est que tout va toujours de plus en plus mal. À l’époque de Jésus, on avait une vue plutôt pessimiste de l’existence et de la vie. Pensez par exemple au peuple Israël, qui avait connu une histoire prestigieuse : des rois, une histoire qui avait duré près de vingt siècles, un peuple fier d’avoir été appelé par Dieu, fier de son élection, ce peuple se trouvait en réalité dans une situation absolument impossible, occupé par les Romains, soumis à des divisions et des tensions internes, une vie politique sociale et religieuse extrêmement agitée. Tout allait mal. Et les païens de cette époque-là pensaient aussi, déjà, que le monde ne cessait pas de se dégrader. On était pour ainsi dire écologiste avant la lettre : « ça allait toujours très mal ! » Aussi les païens avaient-ils toujours recours à une divinité qui était très prisée à l’époque qui s’appelait « la bonne Fortune ». Nous dirions aujourd’hui la loterie nationale ou internationale, dont le slogan aurait pu être le suivant : pourvu que je décroche le gros lot dans l’existence ! Et pourquoi cela ? Précisément parce que « ça » allait toujours mal et que le seul moyen de compenser consistait à mettre la fortune, entendez la déesse et en même temps la monnaie, dans sa poche. Et ceci est d’ailleurs d’autant plus étonnant que, pour les juifs, vous le savez, le récit de la création était là sans cesse pour nous rappeler que « tout cela était bon » ! Mais une telle affirmation paraissait très difficile à accepter. C’est aussi le cas pour nous à certains moments de la vie : la valeur et la bonté de la Création nous paraissent difficiles à accepter. Et, même chez saint Paul, nous trouvons un écho de ce pessimisme généralisé. Il écrit : « Actuellement la Création gémit dans les douleurs de l’enfantement » (Rom. 8, 22). Or l’enfantement, on n’a jamais trouvé ça très drôle ! Ainsi donc, saint Paul veut nous dire que lorsqu’on regarde la création, ça va mal, la création est en souffrance. Vous me direz peut-être que c’est déjà bien optimiste de penser que la création est en souffrance d’enfantement. Certes, mais en tout état de cause, cela reste un très mauvais moment à passer. Voilà pour la première chose.
Et dès lors il se passe ce bouleversement fondamental. Si Jésus est parvenu à cette plénitude, et si par ailleurs, le monde donne toujours l’apparence d’aller de mal en pis, l’Ascension cependant signifie le début du « renversement de la vapeur« . Si maintenant, au milieu de tout ce qu’a vécu Jésus, et notamment sa mort, sa déréliction sur la croix, si au cœur de cette déchéance même, Jésus, dans son humanité est parvenu à la plénitude (siéger à la droite du Père), s’Il a vécu cela pour nous, alors nous avons reçu la certitude absolue que chacun d’entre nous est appelé à cette plénitude, quoiqu’il arrive dans ce monde. Et même si nous voyons actuellement encore le mal à l’œuvre dans ce monde et qu’à certains moments nous avons envie de nous décourager, en réalité la fête de l’Ascension doit nous rappeler avec force qu’au cœur même de cette souffrance, de ces insatisfactions et de ces tâtonnements, c’est le mystère de la plénitude de notre humanité, de notre liberté qui s’accomplit.