Les Apparitions de la Vierge Marie à Lourdes
Tout commença le 11 février 1858. Bernadette, avec sa sœur Toinette et une amie Jeanne Abadie, partent à la Grotte de Massabielle (« Masse-vieille », vieille roche, dans le patois lourdais) pour ramasser du bois. Alors que Bernadette se déchausse pour traverser un canal qui en cet endroit rejoignait le Gave, elle entend, au creux du rocher « un bruit comme un coup de vent », puis, dans un halo de lumière, elle voit la silhouette d’une jeune fille « aussi jeune et aussi petite » qu’elle, dira-t-elle. Et à cette époque, Bernadette a 14 ans et elle ne mesurait qu’un mètre quarante !
Cette petite jeune fille qui lui apparaît est « habillée de blanc », « avec une ceinture bleue et une rose jaune sur chaque pied ». Elle lui sourit et demeure silencieuse. A la troisième apparition, le 18 février, elle lui dira : « Voulez-vous me faire la grâce de venir ici pendant quinze jours ? » « Jamais », dira Bernadette, « quelqu’un ne m’avait parlé avec autant de respect »…
A la 13° apparition, la Dame lui demanda « d’aller dire aux prêtres de bâtir ici une chapelle et qu’on y vienne en procession ». Mais quand Bernadette transmettra ce souhait au curé de Lourdes, l’abbé Dominique Peyramale, ce dernier, d’abord incrédule, lui dira : « Tu ne sais toujours pas comment elle s’appelle. Eh bien, il faut le lui demander. Si elle dit son nom et si elle fait fleurir le rosier de la Grotte, on construira la chapelle ». Et le 25 mars, en la fête de l’Annonciation, à la question trois fois répétée de Bernadette, « Mademoiselle, ayez la bonté de me dire qui vous êtes », la Vierge Marie « lèvera les bras, joindra les mains à la hauteur de la poitrine, car elle doit tout au ciel, puis elle les écartera et les étendra vers la terre, car elle sait d’où elle vient et pour qui elle intercède » (Fr Guy Touton, op), et elle dira en patois lourdais : « Que soy era Immaculada Councepciou », « Je suis l’Immaculée Conception »…
Quatre ans plus tôt, le 8 décembre 1854, le Pape Pie IX, dans sa bulle « Ineffabilis Deus » avait proposé à la foi de l’Eglise le dogme de l’Immaculée Conception de Marie :
« Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine qui tient que la Bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière de Dieu tout-puissant, en vertu des mérites de Jésus Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu, et qu’ainsi elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles ».
Dès que Bernadette reçut cette révélation de Marie, « Je suis l’Immaculée Conception », elle courut vers la cure de l’abbé Peyramale en répétant tout le long du chemin : « Je suis l’Immaculée Conception », « Je suis l’Immaculée Conception »… Elle n’y comprend rien et elle a peur d’oublier… Et dès que la porte s’ouvrira, avant que le prêtre ait pu lui dire quoi que ce soit, elle lui lancera : « Je suis l’Immaculée Conception ». Pour l’abbé Peyramale, ce fut un choc immense. Il connaît le dogme de l’Immaculée Conception, mais il sait aussi à quel point cette enfant est loin de toutes ces définitions dogmatiques de l’Eglise… Et de sceptique qu’il était, il deviendra l’un des plus fervents défenseurs de Bernadette…
Marie, la « Comblée de Grâce » (Lc 1,28, l’Immaculée Conception
C’est donc le jeudi 25 mars, jour de la fête de l’Annonciation, que Marie a dit à Bernadette : « Je suis l’Immaculée Conception »… Or le fondement scripturaire le plus solide et le plus important du dogme de l’Immaculée Conception est justement le récit de l’Annonciation que St Luc nous transmet dans son Evangile…
Lisons le début de ce récit (Lc 1,26-29) : « Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de Nazareth, à une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; et le nom de la vierge était Marie. Il entra et lui dit : « Réjouis-toi, Comblée-de-Grâce, le Seigneur est avec toi. » À cette parole, elle fut toute troublée, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation ».
Le premier mot que l’Ange emploie est de fait une salutation habituelle à l’époque, « Khaïré » en grec… Lorsque Judas trahira Jésus, il s’approchera de lui et lui dira « Khaïré, Rabbi », « Salut Rabbi ! » et il lui donnera un baiser (Mt 26,49)… Et quand les soldats romains se moqueront de lui après l’avoir revêtu d’un manteau royal, lui avoir posé une couronne d’épines sur la tête et lui avoir donné un roseau en guise de sceptre, ils s’agenouilleront devant lui et lui diront : « Salut, roi des Juifs ! » (« Khaïré, basiléu tôn Ioudaiôn » ; Mt 27,29). St Jérôme traduira ainsi ce salut grec de l’Ange par le salut latin : « Have, gratia plena, Dominus tecum »…
Marie va ensuite se demander ce que signifiait cette « salutation »… Dans le contexte biblique, son interprétation nous est donnée par le sens premier du mot « Khaïré », première forme de l’impératif présent de « khaïrô, se réjouir » ; et à la suite de toutes les Eglises orientales[1], il semble préférable de traduire ici par « Réjouis-toi », car St Luc fait certainement écho ici à bon nombre de textes de l’Ancien Testament qui commencent, dans la traduction grecque de la Septante[2], par « Khaïré thugater Siôn, Réjouis-toi, Fille de Sion ». Et qu’annoncent-ils ? Le salut que Dieu mettra en œuvre (So 3,14‑17) par son Messie humble et sauveur (Za 9,9-10 ; voir aussi Za 2,14-15 ; Is 12,1-6 ; Is 52,7-9)…
Puis l’Ange s’adresse à Marie en l’appelant non pas par son prénom, Marie, mais en utilisant un mot grec que la Bible de Jérusalem a traduit par « comblée de grâce ». Soulignons le fait que ce terme joue ici le rôle d’un nom, car le nom dans la Bible dit toujours quelque chose du mystère de la personne qui le porte. Pour illustrer à quel point tout est possible à Dieu, l’Ange dira ainsi à Marie, juste avant de la quitter : « Et voici qu’Élisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils dans sa vieillesse, et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait « la stérile » ». En effet, au tout début de l’Evangile, St Luc nous avait présenté Zacharie et Elisabeth en ces termes : « Ils n’avaient pas d’enfant, parce qu’Élisabeth était stérile et que tous deux étaient avancés en âge ». Elisabeth avait donc pour nom « la stérile », car, depuis qu’elle existe, c’est-à-dire depuis les tout premiers instants de sa conception, et jusqu’à présent, elle n’avait pas pu avoir d’enfant… Marie, elle, depuis qu’elle existe, depuis les tout premiers instants de sa conception, est « la Comblée-de-grâce », celle qui n’est remplie que par la grâce, celle en qui la grâce est tout (cf. 1Co 15,28)… Or, écrit le P. Ignace de la Potterie, « la grâce enlève le péché »[3] tout comme la lumière chasse les ténèbres…
De plus, « comblée de grâce », « kékharitôménê » en grec, est un des participes du verbe « kharitoô, faire la grâce de, gratifier, remplir de la grâce divine », et cette forme particulière n’intervient qu’ici dans toute la Bible. De plus, les verbes grecs qui se terminent en « oô » ont des nuances toutes particulières… Si l’on résume l’ensemble des conclusions obtenues à partir de la seule grammaire grecque, on peut dire : « Depuis que Marie est Marie, c’est-à-dire depuis les tout premiers instants de sa conception, Dieu l’a totalement remplie de sa grâce, et cette action a opéré ‘quelque chose’ en elle. De plus, les fruits de cette action et le fait « d’être remplie de grâce » demeurent toujours au moment où l’Ange s’adresse à elle »…
Nous sommes ici tout proches de la conclusion exprimée par le Dogme de l’Immaculée Conception : depuis que Marie est Marie, c’est-à-dire depuis les tout premiers instants de sa conception, Dieu l’a totalement remplie de sa grâce, et cette action toute particulière l’a préservée des blessures du « péché originel ». Les fruits de cette action de Dieu se déploieront ensuite dans toute la vie de la Vierge Marie…
Nous venons de parler de « péché originel ». L’Eglise parle aussi de « péché d’origine ». Précisons le sens de ces deux expressions.
« Établi par Dieu dans un état de justice, l’homme, séduit par le Malin, dès le début de l’histoire, a abusé de sa liberté en se dressant contre Dieu et en désirant parvenir à sa fin hors de Dieu » (Concile Vatican II, Gaudium et Spes & 13). « Il s’agit d’un événement primordial, c’est-à-dire d’un fait qui, selon la Révélation, a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme » (Jean Paul II, « Catéchèse sur le Crédo ». Tel est « le péché d’origine ».
Il ne fut pas, bien sûr, sans conséquences. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique déclare ainsi (& 416, 417, 418) : « Par son péché », (« le péché d’origine ») Adam, en tant que premier homme, a perdu la sainteté et la justice originelles qu’il avait reçues de Dieu non seulement pour lui, mais pour tous les humains. A leur descendance, Adam et Eve ont ainsi transmis la nature humaine blessée par leur premier péché, et donc privée de la sainteté et de la justice originelles. Cette privation est appelée « péché originel ». En conséquence du péché originel, la nature humaine est affaiblie dans ses forces, soumise à l’ignorance, à la souffrance, à la domination de la mort, et elle est inclinée au péché »…
« Revenons maintenant », écrit le P. André Boulet[4], « sur l’état de « sainteté et de justice originelles » dans lequel se trouvaient Adam et Eve avant leur faute. Dans cet état, nos premiers parents », selon le désir et les dispositions du Dieu Créateur, « demeuraient dans l’amitié et l’intimité de Dieu. Ils étaient saints, animés par la vie divine elle-même, en profonde communion de personne à personne avec Dieu et entre eux. (…) Leur intelligence et leur volonté, toutes leurs facultés, étaient harmonieusement ordonnées à cette vie d’intimité avec Dieu et entre eux ».
Ainsi, « au premier instant de sa conception, Marie fut créée dans l’état de justice originelle, indemne des blessures dont héritent tous les hommes ». Chez elle, « la nature humaine se retrouve dans son intégrité d’avant la faute des origines ». Par « une faveur singulière de Dieu tout-puissant », nous dit le Dogme de L’Immaculée Conception, elle a été « préservée intacte » de toutes les conséquences de ce « péché d’origine ». Elle n’est donc pas blessée de cette blessure qui nous habite tous, « le péché originel ». Elle est l’Immaculée Conception, « la Comblée de Grâce », parfaitement unie à la grâce de Dieu en toutes les dimensions de son être. Elle vit en profonde communion avec Lui, dans l’unité d’un même Esprit. L’Esprit de Dieu « remplit » totalement son cœur… Or si « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), il est aussi « Lumière » (1Jn 1,5) et « Amour » (1Jn 4,8.16). En Marie, totalement « remplie » par l’Esprit, et donc par la Lumière et par l’Amour, il n’existe aucune trace de ténèbre, de désir mauvais, de repli sur soi, d’égoïsme… Elle est une créature de Dieu comme notre Dieu et Père nous désirait tous au moment où il créa le monde. Elle est parfaitement à « l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-28), elle vit totalement du Souffle de Dieu, l’Esprit Saint (Gn 2,4b-7), cet « Esprit qui vivifie », écrit St Jean (Jn 6,63).
Or, St Jean et le prophète Jérémie emploient une autre image pour parler de l’Esprit Saint, celle de « l’Eau Vive »… En effet, par deux fois, Jérémie nous présente Dieu comme étant une « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13 ; 17,13). Or, si « Dieu est Esprit » (Jn 4,24) et s’il est « Source d’Eau Vive », c’est-à-dire, « Source d’Esprit », Dieu est donc de toute éternité Source de Lui‑même… Il ne cesse de donner, de diffuser, de répandre ce qu’Il Est Lui‑même… Et souvenons-nous de cette phrase de Ste Thérèse de Lisieux : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même »… Et c’est dans ce mouvement éternel de Don de soi et donc d’Amour qu’il engendre le Fils. « Etre Fils », c’est donc se recevoir entièrement du Père au niveau le plus profond de son être et de sa vie…
Et nous disons dans notre Crédo à propos du Fils : « Il est Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Engendré non pas créé, de même nature que le Père, et par lui tout a été fait »… Nous avons donc tous été créés par le Fils pour devenir à notre tour des fils et des filles de Dieu à l’image et ressemblance du Fils Unique, Celui qui, de toute éternité, se reçoit entièrement du Père, dans l’Amour. Le Père en effet ne cesse de lui donner son Esprit qui l’engendre à sa Lumière et à sa Vie. Et c’est ce même Esprit que nous sommes invités à recevoir de tout cœur pour participer à notre tour à cette Vie et à cette Lumière qui sont la Vie et la Lumière mêmes de Dieu ! Marie, préservée dès sa conception de la blessure du péché originel, est tout accueil de ce Don de Dieu, de son Esprit, de sa Lumière et de sa Vie. Selon sa condition de créature, elle vit pleinement de la Vie de Dieu, elle est en totale communion avec Lui, elle partage sa Plénitude dans l’unité d’un même Esprit… Rien ne l’a abîmée, souillée, blessée… Avec les limites inhérentes à notre nature humaine, elle est parfaite… Et le dogme de l’Immaculée Conception précise qu’elle doit cette grâce toute spéciale aux « mérites de Jésus Christ, Sauveur du genre humain ». Autrement dit, Marie a reçu la grâce du salut avec une intensité toute particulière aux tout premiers instants de sa conception. Et Dieu a fait d’elle un magnifique exemple de la condition renouvelée à laquelle il nous appelle tous… Marie nous est ainsi très proche : elle est femme comme toutes les femmes, sauvée elle aussi gratuitement par la Toute Puissance de la Miséricorde de Dieu qui a agi en elle au tout début de sa vie… Elle en a bien conscience. Et en présence d’Elisabeth, sa cousine, elle va chanter Dieu, « son Sauveur » :
« Mon âme exalte le Seigneur,
47 – et mon esprit a tressailli de joie en Dieu mon Sauveur,
48 – car il a jeté les yeux sur l’humilité de sa servante.
Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse,
49 – car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses.
Saint est son nom,
50 – et sa Miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ».
Cette « grâce, cette faveur singulière » reçue de Dieu dans « sa Miséricorde Toute Puissante » correspond en fait à la vocation qui est la sienne : elle devait lui permettre d’accomplir ce que Dieu allait lui demander, devenir la Mère de son Fils… En effet, de Marie sainte car sanctifiée dès sa conception et de l’Esprit Saint devait naître Celui qui, de toute éternité, est saint dans toutes les dimensions de son être : Jésus, le Fils du Très Haut, Celui que Dieu appelait à être « le Sauveur du monde ». « L’Esprit Saint viendra sur toi », dit l’Ange Gabriel à Marie, « et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu »… Et le Fils est bien Celui qui, depuis toujours et pour toujours, se reçoit entièrement de son Père par l’Esprit Saint (cf. Jn 5,26 ; 6,57 ; 3,35), jusqu’en son corps même lors de son Incarnation en Marie…
Et le Concile Vatican II écrit (Lumen Gentium & 56) : « Le Père des Miséricordes a voulu que l’acceptation de la mère prédestinée (le « Oui ! » de Marie à l’Ange) précédât l’Incarnation ; il voulait que de même qu’une femme avait contribué à donner la mort (Eve), de même une femme servît à donner la vie (Marie). Et cela vaut d’une manière extraordinaire pour la Mère de Jésus : elle a donné au monde la Vie même qui renouvelle tout, et elle a été enrichie par Dieu de dons correspondant à une si haute fonction (devenir la Mère du Fils éternel…). Il n’est pas étonnant que les saints Pères appellent communément la Mère de Dieu la Toute Sainte, celle qui est indemne de toute tache du péché, celle qui est façonnée et formée comme une nouvelle créature par l’Esprit Saint. Ornée dès le premier instant de sa conception des splendeurs d’une sainteté tout à fait singulière, la Vierge de Nazareth est, sur l’ordre de Dieu, saluée par l’Ange de l’Annonciation comme « pleine de grâces » ; et elle répond au messager céleste : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1, 38) ».
Et nous constatons que le Concile Vatican II relie à nouveau cette notion « d’Immaculée Conception » au fait d’être « pleine de grâce », selon l’expression employée par l’Ange au jour de l’Annonciation, une expression qui, nous l’avons vu, porte en germe toutes les conclusions exprimées dans le Dogme de l’Immaculée Conception… Et c’est en ce jeudi 25 mars 1858, fête de l’Annonciation, que Marie dira à Bernadette : « Je suis l’Immaculée Conception »…
Tous invités à devenir comme Marie…
Nous avons parlé précédemment du « péché originel » en terme de « privation » de cette Plénitude de Vie à laquelle Dieu nous appelait tous lorsqu’il nous a créés… St Paul écrit dans sa Lettre aux Romains : « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rm 3,23). Et la Bible de Jérusalem précise en note : « La Gloire au sens biblique, Présence de Dieu se communiquant à l’homme de façon de plus en plus intime ». La notion de « gloire » renvoie en effet dans la Bible à Dieu Lui-même en tant qu’il se manifeste. Pas de « gloire » de Dieu sans cette « nature divine » (ce que Dieu est en Lui-même) par laquelle il s’exprime, vit et agit… Et les hommes percevront la gloire de Dieu soit à travers un miracle qui manifeste sa Toute Puissance, soit par ce qu’ils décriront en termes de Lumière, de Beauté, d’Eclat… Dans tous les cas, la gloire divine n’est que le rayonnement, d’une manière ou d’une autre, de « la nature divine ».
Souvenons-nous par exemple du Christ transfiguré devant les yeux émerveillés de ses disciples : « son visage devint autre, et son vêtement d’une blancheur fulgurante » (Lc 9,29), « d’une telle blancheur qu’aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte » (Mc 9,3). « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5). En cet instant, les disciples ont perçu « quelque chose » de la Lumière de l’Esprit qui habite en Plénitude le cœur du Christ. Répétons-nous, la « gloire de Dieu », c’est « la nature divine » qui se manifeste, et donc bien sûr Dieu Lui-même : sa Présence, sa Proximité, son attention à nos difficultés, son action… Nous ne pouvons donc parler de « Gloire de Dieu » sans penser aussitôt à « la nature divine » qui en est la source… « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » écrivait St Paul. On pourrait écrire : « Tous ont péché et sont privés de la nature divine » que Dieu voulait communiquer en plénitude à tous les hommes… Mais nul n’en est totalement privé, car nous vivons tous, instant après instant, du Souffle de Dieu, de l’Esprit de Dieu (Gn 2,4b-7 ; Job 34,14-15). Mais du fait du péché, de l’abandon de Dieu, cette Présence de l’Esprit Saint ne rayonne pas comme elle devrait le faire dans toutes les dimensions de notre être. Elle est bien là, à la racine de notre existence, mais nous ne bénéficions pas de sa Plénitude… La Source nous fait vivre, mais elle ne jaillit pas en nos cœurs comme Dieu le voudrait… « Avez-vous donc l’esprit bouché », disait Jésus à ses disciples (Mc 8,17) ? Eh oui, tel était bien le cas… La Lumière est à l’origine du Mystère de notre vie, elle frappe à la porte de nos cœurs, elle nous environne, et nous, nous sommes plongés dans les ténèbres, enfermés dans nos égoïsmes, privés de la Paix et de la Joie de Dieu… La mission du Christ sera de nous permettre de retrouver, grâce à Lui, ce que nous avions perdu par suite de nos fautes… « Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en surabondance ». « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite ». « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jn 10,10 ; 15,11 ; 14,27), et la paix en hébreu est synonyme de Plénitude… Le Christ est donc venu nous offrir d’avoir part, selon notre condition de créature, à sa Plénitude… « Le Verbe », « plein de grâce et de vérité » est venu nous donner ce qui le remplit : « la grâce et la vérité » (Jn 1,14.17) qu’il reçoit du Père de toute éternité. « Tous ont péché et sont privés de la Gloire de Dieu » ? « Je leur ai donné la Gloire que tu m’as donnée », dira Jésus à son Père (Jn 17,22). Or, nous nous souvenons que nous ne pouvons pas parler de « Gloire de Dieu » sans « la nature divine » qui lui correspond. Jésus, en St Jean, nous donne la Gloire ? En St Pierre, il nous offre de devenir « participants de la divine nature » (2P 1,1-4) :
« Syméon Pierre, serviteur et apôtre de Jésus Christ,
à ceux qui ont reçu par la justice de notre Dieu et Sauveur Jésus Christ
une foi d’un aussi grand prix que la nôtre,
à vous grâce et paix en abondance, par la connaissance de notre Seigneur !
Car sa divine puissance nous a donné tout ce qui concerne la vie et la piété :
elle nous a fait connaître Celui qui nous a appelés par sa propre gloire et vertu.
Par elles, les précieuses, les plus grandes promesses nous ont été données,
afin que vous deveniez ainsi participants de la divine nature,
vous étant arrachés à la corruption qui est dans le monde, dans la convoitise ».
« Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5), « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16), et de toute éternité le Père se donne entièrement au Fils, il lui donne d’avoir part à ce qu’Il Est, il l’engendre en Fils par le don de l’Esprit Saint… Et nous, nous avons tous été créés pour devenir des fils comme le Fils : avec Lui, grâce à Lui et par notre foi en Lui, nous sommes tous invités à recevoir nous aussi ce que le Fils reçoit de toute éternité de son Père : son Esprit, sa Lumière et sa Vie… Si nous osons alors la confiance en son infinie miséricorde, nous deviendrons « enfants de Dieu » (Jn 1,12), « cohéritiers du Christ » (Rm 8,17), fils à l’image du Fils (Rm 8,29 ; 2Co 3,18). Nous serons alors pleinement ses frères. Nous vivrons de sa vie, nous participerons à sa Lumière, à sa Gloire, à sa Paix, à sa Joie… Et Dieu sera le premier à en être heureux…
Ce projet, c’est Lui d’ailleurs qui l’accomplit par l’œuvre de Rédemption que son Fils a menée à bonne fin en s’offrant lui-même en sacrifice sur la Croix pour le salut du monde… Folie de l’Amour : Lui qui n’avait jamais péché (Lc 23,39-43 ; Jn 8,46), il a pris sur lui toutes les conséquences de nos fautes (Is 52,13-53,12), il a vécu nos ténèbres (Mc 15,34 ; Ps 22(21)) et il est mort de notre mort de pécheur pour que nous puissions tous avoir part à sa vie…
1P 2,21-25 : « Le Christ lui-même a souffert pour vous
et vous a laissé son exemple afin que vous suiviez ses traces,
22 – lui qui n’a jamais commis de péché ni proféré de mensonge :
23 – couvert d’insultes, il n’insultait pas ;
accablé de souffrances, il ne menaçait pas,
mais il confiait sa cause à Celui qui juge avec justice.
24 – Dans son corps, il a porté nos péchés sur le bois de la croix,
afin que nous puissions mourir à nos péchés et vivre dans la justice :
c’est par ses blessures que vous avez été guéris.
25 – Vous étiez errants comme des brebis ;
mais à présent vous êtes revenus vers le berger qui veille sur vous ».
Cette attitude du Christ sur la Croix, portant nos fautes, souffrant de nos souffrances, fussent-elles les conséquences de nos infidélités, manifeste l’Amour Infini qu’il a pour chacun d’entre nous, et son désir de nous voir tous à ses côtés (Jn 17,24, 14,1-3), rayonnants de sa Vie, de sa Lumière et de sa Joie… Mais pour cela, il faut que nous acceptions de tout cœur de recevoir ce qu’il veut nous offrir : le pardon de toutes nos fautes. Et il est mort sur la Croix pour cela ! « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». « Et la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous », « livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification » (Jn 15,13 ; Rm 5,8 ; 4,25)…
Aussi, le grand appel que St Paul ne cessera de lancer, car il l’a lui-même vécu (1Tm 1,12-17) sera : « Laissez-vous réconcilier avec le Christ », laissez-vous aimer par son Amour de Miséricorde, laissez-le accomplir dès maintenant des folies dans votre vie, gratuitement, par amour… Et « travaillez à votre salut » (Ph 2,12) en essayant de demeurer fidèles à recevoir, jour après jour, sa miséricorde et sa grâce…
2Co 5,17-21 : « Si donc quelqu’un est dans le Christ,
(uni au Christ par sa foi dans la communion d’un même Esprit)
c’est une création nouvelle :
l’être ancien a disparu, un être nouveau est là.
18 – Et le tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec Lui par le Christ
et nous a confié le ministère de la réconciliation.
19 – Car c’était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde,
ne tenant plus compte des fautes des hommes,
et mettant en nous la parole de la réconciliation.
20 – Nous sommes donc en ambassade pour le Christ ;
c’est comme si Dieu exhortait par nous.
Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu.
21 – Celui qui n’avait pas connu le péché,
Il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu. »
« Il l’a fait péché pour nous »… Par amour, le Christ a accepté de prendre sur lui toutes les conséquences de nos péchés, de les vivre en son corps et en son cœur, pour que nous puissions tous en être délivrés… Alors, grâce à cette œuvre de Rédemption accomplie sur la Croix, grâce au pardon des péchés qui en est le premier fruit, le projet de Dieu pourra enfin se réaliser pleinement si nous acceptons de nous laisser ainsi aimer et pardonner. Notre conscience purifiée de toutes nos œuvres mortes grâce au sang du Christ (Hb 9,14), nous pourrons alors devenir jour après jour « justice de Dieu », c’est-à-dire « saints et immaculés en sa Présence dans l’Amour ». En effet, ce qui est impossible pour les hommes l’est pour Dieu, car « il n’y a qu’un mouvement au cœur du Christ : enlever le péché et emmener l’âme à Dieu » (Bienheureuse Elisabeth de la Trinité)…
Ep 1,3-10 : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ,
qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles,
aux cieux, dans le Christ.
4 – C’est ainsi qu’Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde,
pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour,
5 – déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ.
Tel fut le bon plaisir de sa volonté,
6 – à la louange de gloire de sa grâce, dont Il nous a gratifiés dans le Bien-aimé.
7 – En lui nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes,
selon la richesse de sa grâce,
8 – qu’Il nous a prodiguée, en toute sagesse et intelligence :
9 – Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté,
ce dessein bienveillant qu’Il avait formé en lui par avance,
10 – pour le réaliser quand les temps seraient accomplis :
ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ,
les êtres célestes comme les terrestres. »
Notons bien que St Paul emploie au verset 6 le verbe « Kharitoô, faire la grâce de, gratifier, remplir de la grâce divine », le même qui intervient dans le récit de l’Annonciation dans l’expression « Comblée-de-Grâce ». Et ce verbe n’apparaît que deux fois dans tout le Nouveau Testament ! En effet, il existe un synonyme en grec pour exprimer l’idée de « donner la grâce » : « kharizomai ». Mais « kharitoô » inclut une nuance de plus : la transformation opérée par la grâce au cœur de celui ou celle qui accepte de la recevoir… C’est justement cette transformation, suggérée dans l’expression « Comblée-de-grâce » en Lc 1,28, qui a été exprimée par le Dogme de l’Immaculée Conception : dès les tout premiers instants de sa Conception, Dieu a « transformé » Marie « par une grâce et une faveur singulière » de telle sorte qu’elle fut « préservée » de la blessure du péché originel… Cette « transformation » que Marie a ainsi reçue de la Miséricorde Toute Puissante de Dieu en ses tout premiers instants, nous sommes tous aujourd’hui invités à l’accueillir dans la foi et par notre foi, instant après instant, de pardon en pardon, dans la prière et la fidélité aux sacrements de l’Eglise…
Alors, au ciel, nous l’espérons, nous serons tous comme Marie « l’Immaculée Conception », « saints et immaculés en sa Présence dans l’amour ». Tout commence de notre côté par notre réponse de foi à la proclamation de la Bonne Nouvelle du Salut accompli par le Christ. Ressuscité, il déclare en effet à ses disciples à la fin de l’Evangile de Luc (Lc 24,46-49) : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoins. Et voici que moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Vous donc, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en‑haut. » Cette force sera celle de l’Esprit Saint qui donnera aux Apôtres l’assurance nécessaire pour annoncer la Bonne Nouvelle de la Toute Puissance infinie de la Miséricorde de Dieu manifestée en Jésus Christ. Pécheurs comme tous les hommes, ils en ont été les premiers bénéficiaires. Ils ont reçu le pardon de toutes leurs fautes, et avec lui une vie nouvelle qui, déjà, dans la foi, fait tout leur bonheur. Et ils ont pris conscience aussi que ce formidable cadeau est offert à tout homme de bonne volonté… Alors ils partiront dans le monde entier, soutenus par l’Esprit Saint, en « témoins » de la Miséricorde de Dieu et de sa vie offerte gratuitement à tous les hommes qu’il aime… Et le Christ invite ses disciples à baptiser tous ceux et celles qui consentiront à croire en lui (Mt 28,16-20)… Ils recevront alors eux aussi le don du Saint Esprit qui accomplit toutes les promesses de Dieu : le pardon des péchés et le don d’une vie nouvelle, Mystère de Communion dans la paix, la joie et l’amour de Dieu…
Ep 1,13-14 : « C’est en lui
(dans le Christ Lumière du monde qui éclaire déjà tout homme (cf. Jn 1,9)),
que vous aussi, après avoir entendu la Parole de vérité, l’Évangile de votre salut,
et y avoir cru,
vous avez été marqués d’un sceau par l’Esprit de la Promesse, cet Esprit Saint
14 – qui constitue les arrhes de notre héritage,
et prépare la rédemption du Peuple que Dieu s’est acquis,
pour la louange de sa gloire. »
Et quelles sont les conséquences de ce baptême offert aux pécheurs qui acceptent de se repentir de tout cœur ? St Paul écrit dans sa première Lettre aux Corinthiens :
1Co 6,9-11 : « Ne savez-vous pas que les injustes n’hériteront pas du Royaume de Dieu ?
Ne vous y trompez pas !
Ni impudiques, ni idolâtres, ni adultères, ni dépravés, ni gens de mœurs infâmes,
10 – ni voleurs, ni cupides, pas plus qu’ivrognes, insulteurs ou rapaces,
n’hériteront du Royaume de Dieu.
11 – Et cela, vous l’étiez bien, quelques-uns. Mais vous avez été lavés,
mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés
par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu. »
Cette dernière formule, « au nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu », rappelle la formule trinitaire du baptême… Et dans la Lettre aux Ephésiens, nous lisons :
Ep 5,5-11 : « Sachez-le bien,
ni le fornicateur, ni le débauché, ni le cupide – qui est un idolâtre –
n’ont droit à l’héritage dans le Royaume du Christ et de Dieu.
6 – Que nul ne vous abuse par de vaines raisons :
ce sont bien de tels désordres qui attirent la colère de Dieu
(expression biblique qui décrit les conséquences du péché) sur ceux qui lui résistent.
7 – N’ayez donc rien de commun avec eux.
8 – Jadis vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur ;
conduisez-vous en enfants de lumière ;
9 – car le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité.
10 – Discernez ce qui plaît au Seigneur,
11 – et ne prenez aucune part aux œuvres stériles des ténèbres »…
Ainsi, par le baptême, les croyants sont devenus « lumière dans le Seigneur », « saints et immaculés en sa Présence dans l’Amour ». Cette grâce, ils ont maintenant à lui être fidèles en s’appliquant de tout cœur à la recevoir instant après instant dans la prière (Ep 6,18) pour qu’elle puisse leur donner de porter des fruits de justice et de paix dans leur vie quotidienne (Ep 2,4‑10)…
Conclusion
Juste avant de mourir, Jésus a confié Marie sa Mère à son disciple bien-aimé que beaucoup identifient avec l’évangéliste St Jean lui-même… Et de fait, la tradition situe les dernières années de Marie dans la région d’Ephèse, entourée de l’affection de Jean…
Mais au pied de la croix, Jésus révèle aussi à Marie la Plénitude de sa vocation. Dieu l’avait appelée à être « la Mère du Fils Unique » par l’action toute puissante de l’Esprit Saint en elle… Mais si « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14), c’est pour rejoindre dans la chair tous les fils et filles d’Adam que nous sommes et leur donner de pouvoir retrouver avec Lui et par Lui le chemin de la Vie par le pardon de toutes leurs fautes… Alors, petit à petit, jour après jour, de grâce en grâce, « de gloire en gloire » (2Co 3,18), ils deviendront par leur foi au Fils des fils et des filles de Dieu à l’image et ressemblance de Jésus, le Fils Unique et Eternel du Père… Marie fut Mère du Fils ? Elle sera aussi jusqu’à la fin des temps Mère de tous les disciples de Jésus, Mère de tous les fils et filles de Dieu, une perspective qui s’étend à l’humanité tout entière, car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (cf. 1Tm 2,5-7)…
Jn 19,25-27 : « Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui. »
Et St Jean prend bien soin de ne pas se nommer, s’effaçant derrière « le disciple bien-aimé ». Car il a compris, en le vivant lui-même, que tous ceux et celles qui accepteront de se laisser aimer par le Christ seront eux aussi ses « disciples bien-aimés ».
Marie est donc « la Mère de l’Eglise », et plus largement encore la Mère de tous les hommes appelés au salut. Jour après jour, elle nous invite, comme à Cana, à faire ce que Jésus nous dit (Jn 2,5), à suivre le chemin de la vérité (Jn 14,6), à ne pas blesser notre conscience, à mettre en pratique, si nous la connaissons, la Parole de son Fils. C’est d’ailleurs ce qu’elle fit elle-même la première le jour où l’Ange Gabriel, le messager de Dieu, la visita… Il lui parla au Nom du Seigneur, et elle répondit : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta Parole ! » (Lc 1,38 ; 8,21). Et St Luc emploi ici avec le verbe « ginomai, advenir » une forme unique dans tout le Nouveau Testament ; pour exprimer sa nuance particulière, on pourrait dire : « Oui, j’ai le grand désir qu’il m’advienne vraiment selon ta Parole »… Marie a conscience qu’elle va collaborer à cette œuvre immense qui consistera à donner au monde le Prince de la Vie, son Sauveur, le seul qui puisse apporter aux hommes le vrai Bonheur, la Plénitude de la Vie. Pour qu’il en soit vraiment ainsi, il se proposera de nous arracher à nos ténèbres (Col 1,13-14) car Il les a déjà prises sur Lui (Mt 8,17 ; Is 52,13-53,12), et il a déjà remporté la victoire sur elles par sa Résurrection. Puis, avec une infinie douceur, il nous conduira sur ses chemins de paix et de joie (Lc 1,76-79)… Et la victoire sera consommée lorsque nous ne pourrons que constater à quel point « son amour envers nous s’est montré le plus fort » (Ps 117(116)), plus fort que tout ce qui pouvait nous séparer de lui…
Marie a vécu tout cela en sa chair en constatant à quel point la Toute Puissance de la Miséricorde de Dieu l’avait préservée de tout mal dès les premiers instants de sa Conception. Vraiment, Dieu a accompli en elle de grandes choses. Les générations à venir ne pourront que la proclamer bienheureuse… Mais elle a également conscience que son bonheur est appelé à devenir aussi le nôtre… Si, par grâce, elle est « l’Immaculée Conception », Dieu nous appelle tous par cette même grâce reçue jour après jour à devenir nous aussi « saints et immaculés en sa Présence dans l’Amour ». Pour atteindre ce but et sauver ainsi l’humanité blessée par le péché, « le Christ s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une Parole accompagne », le baptême, « car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée » (Ep 5,25-27). Alors, nous l’espérons, un jour, nous serons avec Marie et comme elle, tous resplendissants de la Lumière de Dieu… Par son Assomption, Marie nous a précédés. En effet, puisque la corruption des corps est la conséquence directe du péché (cf. Ac 2,22-32), Marie, l’Immaculée Conception, ne pouvait la connaître. Unie à la mort rédemptrice de son Fils, Marie l’a été également au Mystère de sa Résurrection : « dans l’instant même où elle est morte, elle a été glorifiée » (A. Boulet). Et maintenant, elle unit son intercession à celle de notre « avocat » céleste, Jésus (1Jn 2,1-2), l’Unique Sauveur du monde, pour qu’un jour, nous soyons tous avec eux et comme eux, dans notre chair glorifiée…
D. Jacques Fournier
[1] DE LA POTTERIE I., MARIE dans le MYSTÈRE de la NOUVELLE ALLIANCE (Coll. Jésus et Jésus‑Christ 34, Paris 1988) p. 49-50 avec les notes 11 et 15 : « Dans la tradition des Pères de l’Eglise grecs et dans la liturgie byzantine, les paroles de l’ange ont été presque toujours comprises et expliquées comme une invitation à la joie. Pour illustrer ceci, nous disposons d’innombrables textes de ces Pères grecs ». « Citons par exemple une homélie sur l’Annonciation du saint Sophrone, patriarche de Jérusalem au 7° siècle (mort en 638): » Que dira l’ange à la vierge bienheureuse et pure ? Comment lui communiquera-t-il le grand message ? » Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi « . Quand il s’adresse à elle, c’est par la joie qu’il commence, lui qui était l’annonciateur de la joie » . Tout dans cette homélie tourne autour du mot » joie « . En beaucoup d’autres commentaires et homélies retentit toujours à nouveau comme un refrain : » Réjouis-toi… réjouis-toi… réjouis-toi « . Ainsi dans la liturgie byzantine avec cette hymne célèbre, l’Acathiste, composée vraisemblablement par Romanos le Mélode (6°-7° s) pour la fête de l’annonciation :
« Un ange du premier ordre fut envoyé du ciel dire à la Mère de Dieu :
Réjouis-toi ! Et saisi d’admiration, en vous voyant, Seigneur,
vous incarner à cette Parole immatérielle, il se tenait devant elle en s’écriant :
Réjouis-toi, toi par qui resplendira la joie !
Réjouis-toi, toi par qui cessera la malédiction !
Réjouis-toi, toi le relèvement d’Adam déchu !
Réjouis-toi, toi le tarissement des larmes d’Eve !
Réjouis-toi, sommet inaccessible à la pensée humaine !
Réjouis-toi, abîme impénétrable aux yeux mêmes des anges !
Réjouis-toi, car tu es le trône du grand Roi !
Réjouis-toi, car tu portes Celui qui porte toutes choses !
Réjouis-toi, Etoile annonciatrice du Soleil !
Réjouis-toi, Sein de la divine incarnation !
Réjouis-toi, toi par qui est renouvelée la création !
Réjouis-toi, toi par qui et en qui est adoré le Créateur !
Réjouis-toi, Epouse inépousée! Vierge ! »
[2] L’Ancien Testament, écrit en hébreu, fut traduit en grec à Alexandrie au 3° s avant JC. Les Evangiles ayant été écrits en grec, la langue parlée par tout le bassin méditerranéen à l’époque, 75% des citations de l’Ancien Testament viennent de cette traduction grecque appelée « la Septante ».
[3] DE LA POTTERIE I., MARIE dans le MYSTÈRE de la NOUVELLE ALLIANCE p. 54.
[4] BOULET A., Petite catéchèse sur Marie, Mère du Christ et Mère des hommes (Paris 1993) p. 47.