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5ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN

Appelés par le Seigneur

Lc 5, 1-11

« Désormais, je te ferai pêcheur d’hommes ». Telle est la déclaration de Jésus devant Pierre, à genoux aux pieds de Jésus, au milieu de tous ces poissons entassés dans la barque, avec les filets déchirés par la quantité de la prise.

La mer, chez les Juifs, n’a pas bonne réputation. Le peuple hébreu n’a jamais été marin et l’océan, pour eux, même s’il s’agissait d’une bien petite mer, comme celle du lac de Tibériade, signifiait l’inquiétude, le mouvant, l’abîme, la noyade.

La mer était le symbole des puissances mauvaises, le repaire des monstres, si bien que l’apôtre St-Jean, dans son livre de l’Apocalypse, nous décrit le monde merveilleux qui s’accomplira, à la fin des temps, en nous déclarant avec soulagement : « Alors, il n’y aura plus de mer » c’est-à-dire « Les puissances du mal seront définitivement vaincues ». Aussi,  lorsque Jésus déclare à Pierre :

« Désormais, ce ne seront plus des poissons, mais des hommes que tu retireras de la mer », le sens devient plus clair : « Désormais, ce sont des hommes, des femmes, des enfants que tu devras sauver, délivrer du mal, libérer de la mort ».

Nous n’avons pas la même idée de la mer. Il n’y a qu’à voir l’été, les foules qui s’entassent sur les plages, le nombre de planches à voiles et de bateaux, la masse des baigneurs et des skis nautiques. Mais nous savons bien, et les marins pêcheurs plus que d’autres, que la mer reste dangereuse, qu’il y a des noyades, des naufrages, des requins, des tragédies de la mer. Le symbolisme est toujours présent.

Nous aussi, nous voyons toutes sortes de choses qui risquent de nous engloutir et de nous éloigner définitivement de la terre ferme de la foi. En voici quelques exemples.

  • La course à l’argent, le souci d’avoir toujours plus, de gagner toujours plus : n’est-ce-pas la principale préoccupation des gens. On se dit :

 » Il faut tenir son rang « ,

 » Un tel a eu de l’avancement et pas moi « ,

 » Les voisins ont eu une automobile dernier cri « ,

 » Ils viennent d’acheter une télévision  à écran plat « ,

 » Et cette moto que vient d’acquérir le fils de nos amis « ,

 » Et ce voyage à l’étranger que viennent de faire les cousins « 

 et l’on court ainsi vers le  » toujours plus « .

On appelle ça,  » le progrès  » : on s’y noie, on ne pense plus qu’à ça, on fait des heures supplémentaires, on fait travailler sa femme, on se met des crédits et emprunts sur le dos, on n’arrive plus à s’en libérer, à tenir la tête hors de l’eau sans se demander : « Tout cela, qu’est-ce-que le Christ en pense ? »

L’argent, le confort, le bien-être, le matériel n’envahissent-ils pas nos vies comme un raz de marée ? Un tsunami ?

Ils deviennent même le but de notre vie alors que le Christ nous dit : « Ta vie, elle est faite d’abord pour aider les autres, pour vivre en frère avec eux, pour bâtir le Royaume de Dieu qui est aussi le nôtre ». Au lieu de cela, on se noie dans toutes sortes de soucis dont on devient prisonniers.

Jésus dit à Pierre:

« Tu seras  pêcheur  d’hommes » » : tu aideras tes frères à ne pas se noyer dans toutes sortes de préoccupations matérielles dont on  devient  vite  prisonnier. Tu les aideras à se libérer de l’argent qui  n’est  qu’un « moyen  de  vivre » et  non  pas  une  » raison de vivre « .

  • Risques de noyades, pas seulement par l’argent, mais aussi par l’intolérance. Nous devenons de moins en moins tolérants.

Etre tolérant, c’est accepter que d’autres n’aient pas les mêmes idées que nous. Nous n’approuvons pas, mais nous devons respecter les opinions différentes des nôtres. Or, actuellement, une vague d’intolérance submerge nos mentalités. Elle nous rend méprisants, hautains et dédaigneux pour ceux qui ne pensent pas comme nous.

Certes, le combat politique est normal et le pluralisme est une bonne chose. Une confrontation loyale entre des projets divers pour la commune ou pour le pays fait partie d’une règle de conduite chrétienne. Ce qui l’est moins, c’est une lutte à mort entre adversaires où toutes les armes sont bonnes pour dénigrer l’autre et l’abattre, un égoïsme qui nous rend aveugles et sourds aux autres. Oui, nous avons des responsabilités civiques, politiques, communales et Jésus nous dit: « Tu seras pêcheurs d’hommes » c’est-à-dire que tu travailleras à libérer tes frères de toutes leurs chaînes, tout ce qui tend à les engloutir. « Libère-les de l’injustice, de la méchanceté, de la jalousie, de la mesquinerie ».

  • Mais il y a une troisième cause de noyade, pire encore que celle du matérialisme ou celle de l’intolérance, c’est celle de l’indifférence, celle de Pilate qui se lave les mains devant la mort d’un innocent : « Les autres, autour de moi, ça m’est égal, je n’en suis pas chargé », « Je tire mon épingle du jeu »

« Après tout, qu’ils se débrouillent, je n’en suis pas responsable ». Il y a des gens qui sont seuls, d’autres qui sont plongés dans la pauvreté, il y  en  a qui souffrent, qui sont  prêts à se noyer, asphyxiés  qu’ils  sont  par un deuil, une séparation, une addiction, un chômage, une  hostilité,  une  méchanceté.

 

Etre  » pêcheurs d’hommes  » :

– c’est se faire le sauveteur de tous ces hommes en perdition,

– c’est sauver ses frères de toutes ces noyades,

– c’est travailler à les mettre à l’abri de tous ces dangers. Rappelez-vous ces canots, en Méditerranée, où l’équipage au péril de leur vie, va au-devant des immigrés en perdition, pour essayer d’en sauver quelques-uns ; d’ailleurs, quand un bateau est  en  péril, chaque  passager  essaie  de  se  sauver  tout  seul, « chacun pour soi », alors qu’on devrait, plus encore, se sentir solidaires. C’est ensemble que nous devons nous sauver, nous libérer. « On ne se sauve qu’en essayant de sauver les autres ».

  • Aujourd’hui, Jésus nous dit comme à Pierre : « Je fais de toi un pêcheur d’hommes », je t’embauche pour devenir responsable de tes frères, pour les libérer de leur matérialisme, de leur intolérance, de leur indifférence. « Avance au large », c’est-à-dire : sors de tes petits soucis personnels pour être à l’écoute de ceux qui vivent à côté de toi. Tes petits soucis personnels de confort ou d’argent, c’est si peu de choses à côté des enfants de Calais qui meurent de faim, des prisonniers politiques, des martyrs du Soudan, des milliers de lépreux, des milliers de foyers qui s’entredéchirent, des chômeurs pères de familles qui cherchent un travail, du terrorisme international qui se déchaîne.

Tous, nous devons nous sentir responsables, chacun à notre place. N’oublions pas que lorsque nous paraîtrons devant le Seigneur, ce sera la seule question qui nous sera posée et à laquelle nous aurons à répondre. Le Seigneur nous demandera : « Qu’as-tu fais de ton frère ? » AMEN




5ième Dimanche du Temps Ordinaire – par le Diacre Jacques FOURNIER (Lc 5, 1-11)

Tous appelés à la Vie !

En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth.
Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.
Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. »
Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »
Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer.
Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.
À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »
En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ;
et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras.»
Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

  

           

            « La foule serrait  de près Jésus et écoutait la Parole de Dieu »… « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44), dit Jésus. Et comment fait-il ? Par le Don de l’Esprit qui se joint toujours à sa Parole, un Esprit qui est Vie (Ga 5,25), Plénitude de Vie (Ep 5,18) et donc bonheur profond, d’où ce mouvement de foule vers Jésus… « Celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34), et « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63) : « Tu as les Paroles de la vie éternelle », dira un jour Pierre à Jésus (Jn 6,68). Il expérimentait, en la vivant, cette Vie nouvelle, et c’était pour lui, comme ici pour la foule, une joie profonde : « Vous avez accueilli la Parole, parmi bien des souffrances, avec la joie de l’Esprit Saint » (1Th 1,6)…

            Pour pouvoir s’adresser à tous, Jésus monte dans la barque de Pierre et « il le pria de s’éloigner un peu »… Notons au passage comment le Seigneur et Maître s’adresse ici à sa créature : quel respect, quelle délicatesse ! Et toute la suite ne sera qu’un signe que Jésus va donner à Pierre en lui parlant le langage de sa vie quotidienne : l’eau, les filets, la pêche, les poissons… D’habitude, ces derniers remontent du fond du lac la nuit : c’est donc le meilleur moment pour les capturer. Pierre, en pêcheur professionnel, le sait bien… Mais ici, Jésus va donner un sens nouveau à toutes ces réalités si communes… La nuit va symboliser les ténèbres intérieures dans lesquelles le pécheur ne peut que se retrouver en ayant fermé son cœur à ce « Dieu » qui « Est Lumière » (1Jn 1,5). Or, dans les ténèbres, même si l’on a des yeux, on est comme un aveugle : on ne sait pas où l’on va (Jn 12,35), on ne peut rien faire (Jn 15,5). « Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ». Mais maintenant, ils ont avec eux Jésus « Lumière du monde » (Jn 8,12), Celui-là seul qui, dans le domaine spirituel, peut agir : « La Lumière a brillé dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisies » (Jn 1,5). Avec Lui, « le Dieu qui a dit : « Que des ténèbres resplendisse la lumière », est Celui qui a resplendi dans nos cœurs », par ce Don de l’Esprit qui se joint toujours à sa Parole (Jn 4,24 et 1Jn 1,5), « pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ » (2Co 4,6). Avec le Christ Lumière, les disciples sont dans la Lumière, et c’est donc dans ce « jour » qu’ils vont lancer les filets en obéissant à son invitation : et « la grande multitude de poissons » prise ce jour-là annonce « la grande multitude » de celles et ceux qui accueilleront, grâce à l’action de l’Esprit en eux, la Parole de Lumière et de Vie proclamée plus tard par Pierre et par l’Eglise…                      DJF




4ième Dimanche du Temps Ordinaire – par Père Rodolphe EMARD

Homélie du 4ème dimanche du Temps Ordinaire / Année C

 

Évangile de référence : Luc 4, 21-30

Frères et sœurs, l’extrait de l’Évangile que nous venons de proclamer fait suite à celui de dimanche dernier. Jésus, dans la synagogue de Nazareth, lit un passage du livre du prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » (Lc 4, 18-19).

« L’homélie » de Jésus sera brève mais ne passera pas inaperçue : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » D’abord, tous lui rendent témoignage et s’étonnent « des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. » Mais le doute va vite s’installer en raison des origines modestes de Jésus : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »

L’Évangile de ce dimanche nous rappelle que la foi n’est pas automatique pour tous. Nous le voyons bien dans nos familles : untel a la foi, un autre non ou croit autrement… Nous ne devons pas oublier que la foi est avant tout un don de Dieu !

Nous ne pouvons pas connaître qui est vraiment le Christ si nous n’avons pas fait une réelle expérience de sa rencontre. C’est après avoir fait une vraie rencontre intérieure du Christ que nous pourrons le reconnaître comme le Fils de Dieu, le Seigneur.

Jésus est bien celui qui accomplit la parole d’Isaïe : il est le consacré du Seigneur pour annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume. Il est l’envoyé de Dieu pour libérer, sauver l’humanité. Cette foi de l’Église n’est pas une évidence pour tous ! À la fin de l’Évangile, saint Luc relate le rejet de Jésus par les Juifs de la synagogue. Ces derniers, furieux, chassent Jésus hors de la ville, tentant même de le tuer.

L’attitude de Jésus nous donne trois pistes pour mieux vivre notre mission de baptisé :

  • Jésus est libre : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. » Jésus ira ailleurs pour annoncer la Bonne Nouvelle… La foi ne peut pas s’imposer. On ne peut pas forcer quelqu’un à croire. Optons pour cette liberté de Jésus, en nous rappelant que même si la Parole de Dieu peut être rejetée, elle doit être annoncée.

  • Cependant, n’insistons pas dans les milieux hostiles, même ceux de nos familles. Jésus montre que la manière de faire de Dieu n’est pas celle de la violence ou de la domination. Dieu opte pour l’humilité autant dans ses paroles que dans ses actes. La violence n’amène à rien de fructueux. Le respect de la liberté de l’autre dans ses convictions religieuses est toujours à promouvoir.

  • Jésus nous invite à ne pas perdre notre temps là où il ne faut pas, pour mieux vivre « l’aujourd’hui de Dieu » : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » En ce début de rentrée scolaire, en cette nouvelle année 2022, redécouvrons que le Christ est l’aujourd’hui de Dieu.

Nous menons parfois des rythmes effrénés dans nos vies. Nous sommes entourés de toutes sortes de bruits. Prenons conscience pour 2022 que sans le Christ, nous ne réussirons pas mieux ce que nous souhaitons entreprendre. Nous avons besoin de lui, de sa Parole, de son pain de vie.

Nous sommes parfois tendus entre la nostalgie du passé et le souci du lendemain, oubliant alors au cœur de nos agitations de vivre pleinement le présent. Programmons le Christ dans nos agendas de cette année, pour mieux demeurer dans son intimité. Nous verrons ainsi que notre relation à Dieu, notre relation aux autres et notre relation à nous-même seront meilleures.

« Accorde-nous, Seigneur notre Dieu, de pouvoir t’adorer de tout notre esprit, et d’avoir envers tous une vraie charité. »[1] Amen.

 

 

[1] Cf. Prière d’ouverture de la messe.




Audience Générale du Mercredi 26 Janvier 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 26 Janvier 2022


Catéchèse sur saint Joseph – 9. Saint Joseph, un homme qui “songe”

Chers frères et sœurs, bonjour !

Aujourd’hui, je voudrais méditer sur la figure de saint Joseph comme un homme qui songe. Dans la Bible, comme dans les cultures des peuples anciens, les songes étaient considérés comme un moyen à travers lequel Dieu se révélait [1]. Le songe symbolise la vie spirituelle de chacun de nous, cet espace intérieur, que chacun est appelé à cultiver et à garder, où Dieu se manifeste et souvent nous parle. Mais nous devons aussi dire qu’en chacun de nous, il n’y a pas seulement la voix de Dieu : il y a beaucoup d’autres voix. Par exemple, les voix de nos peurs, les voix des expériences passées, les voix des espoirs ; et il y a aussi la voix du malin qui veut nous tromper et nous confondre. Il est donc important d’arriver à reconnaître la voix de Dieu parmi d’autres voix. Joseph démontre qu’il sait cultiver le silence nécessaire et, surtout, prendre les bonnes décisions devant la Parole que le Seigneur lui adresse intérieurement. Aujourd’hui, il serait bon que nous reprenions les quatre songes de l’Évangile dont il est le protagoniste, afin de comprendre comment nous placer devant la révélation de Dieu. L’Évangile nous relate quatre songes de Joseph.

Dans le premier songe (cf. Mt 1, 18-25), l’ange aide Joseph à résoudre le drame qui l’assaille lorsqu’il apprend la grossesse de Marie : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (v. 20-21). Et sa réponse fut immédiate : « Quand il se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit » (v. 24). Souvent la vie nous met face à des situations que nous ne comprenons pas et qui semblent sans solution. Prier en ces moments-là. Cela signifie laisser que le Seigneur nous indique la chose juste à faire. En fait, très souvent, c’est la prière qui fait apparaitre l’intuition de la porte de sortie, comment résoudre cette situation. Chers frères et sœurs, le Seigneur ne permet jamais qu’un problème survienne sans nous donner également l’aide nécessaire pour y faire face. Il ne nous jette pas dans le four tout seul. Il ne nous jette pas parmi les bêtes. Non. Le Seigneur, quand il nous montre un problème ou nous révèle un problème, il nous donne toujours la perspicacité, l’aide, sa présence, pour nous en sortir, pour le résoudre.

Et le second songe révélateur de Joseph survient lorsque la vie de l’enfant Jésus est en danger. Le message est clair : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » (Mt 2, 13). Joseph obéit sans hésiter :  » Il se leva dans la nuit – dit l’Évangile -, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte, où il resta jusqu’à la mort d’Hérode » (v. 14-15). Dans la vie, tous nous sommes confrontés à des dangers qui menacent notre existence ou celle de ceux que nous aimons. Dans ces situations, prier signifie écouter la voix qui peut faire naitre en nous le même courage que Joseph, pour affronter les difficultés sans succomber.

En Égypte, Joseph attend un signe de Dieu pour pouvoir rentrer chez lui, et c’est le contenu du troisième songe. L’ange lui révèle que ceux qui voulaient tuer l’enfant sont morts et lui ordonne de partir avec Marie et Jésus et de retourner dans sa patrie (cf. Mt 2, 19-20). « Joseph se leva– dit l’Évangile -, prit l’enfant et sa mère, et il entra dans le pays d’Israël. » (v. 21). Mais durant le voyage du retour, « apprenant qu’Arkélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre. » (v. 22). Voici donc la quatrième révélation : « Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint habiter dans une ville appelée Nazareth » (v. 22-23). La peur aussi fait partie de la vie et nécessite, elle aussi notre prière. Dieu ne nous promet pas que nous n’aurons jamais peur, mais que, avec son aide, la peur ne sera pas le critère de nos décisions. Joseph éprouve la peur, mais Dieu le guide aussi à travers elle. Le pouvoir de la prière apporte la lumière dans des situations d’obscurité.

Je pense en ce moment à tant de personnes qui sont écrasées par le poids de la vie et ne peuvent plus espérer ni prier. Que saint Joseph les aide à s’ouvrir au dialogue avec Dieu, à y trouver lumière, force et paix, aide. Et aussi, je pense aux parents face aux problèmes de leurs enfants. Des enfants atteints de nombreuses maladies, des enfants malades, même avec des maladies chroniques. Quelle douleur il y a là. Les parents qui voient des orientations sexuelles différentes chez leurs enfants ; comment gérer cela et accompagner leurs enfants et ne pas se réfugier dans une attitude condamnatoire. Les parents qui voient leurs enfants partir à cause d’une maladie, et aussi – c’est plus triste, on le lit tous les jours dans les journaux – les enfants qui font une bêtise et finissent dans un accident de voiture. Des parents qui voient leurs enfants qui ne progressent pas à l’école et ne savent comment faire… Autant de problèmes de parents. Pensons-y : comment les aider. Et à ces parents, je dis : n’ayez pas peur. Oui, il y a de la douleur. Beaucoup. Mais pensez au Seigneur, pensez à la façon dont Joseph a résolu les problèmes et demandez à Joseph de vous aider. Ne jamais condamner un enfant. Cela me révèle tant de tendresse – c’était le cas à Buenos Aires – lorsque je prenais le bus et qu’il passait devant la prison. Il y avait une queue de personnes qui devaient entrer pour rendre visite aux prisonniers. Et il y avait là les mères. Et j’ai été tellement touchée par cette mère qui, face au problème d’un fils qui a commis une erreur et qui est en prison, ne le laisse pas seul, s’expose publiquement et l’accompagne. Ce courage ; le courage d’un père et d’une mère qui accompagnent leurs enfants toujours, toujours. Demandons au Seigneur de donner ce courage à tous les pères et mères, comme il l’a donné à Joseph. Et prier, non ? Prier pour que le Seigneur nous aide dans ces moments.

La prière, cependant, n’est jamais un geste abstrait ou intimiste comme veulent le faire ces mouvements spiritualistes plus gnostiques que chrétiens. Non, ce n’est pas ça. La prière est toujours indissolublement liée à la charité. Ce n’est que lorsque nous unissons la prière avec l’amour des enfants pour le cas que je viens d’évoquer ou l’amour pour notre prochain que nous pouvons comprendre les messages du Seigneur. Joseph priait, travaillait et aimait, – trois belles choses pour les parents : prier, travailler et aimer – et pour cela il a toujours reçu ce dont il avait besoin pour affronter les épreuves de la vie. Confions-nous à lui et à son intercession.

Saint Joseph, tu es l’homme qui songe,
apprends-nous à retrouver la vie spirituelle
comme le lieu intérieur où Dieu se manifeste et nous sauve.
Éloigne de nous la pensée que prier soit inutile ;
aide chacun de nous à correspondre à ce que le Seigneur nous indique.
Que nos raisonnements soient irradiés de la lumière de l’Esprit,
notre cœur encouragé par Sa force
et nos peurs sauvées par Sa miséricorde.

Amen.

___________________________

[1] Cfr  Gn 20,3; 28,12; 31,11.24; 40,8; 41,1-32;  Nb 12,6;  1 Sam 3,3-10;  Dn 2; 4;  Job 33,15

 


 




Fr Denis FOUCHER, OP (3 février 1946 – 1° janvier 2022), « Entre dans la joie de ton Seigneur » (Mt 25,21).

Fr Denis FOUCHER, OP (3 février 1946 – 1° janvier 2022),

« Entre dans la joie de ton Seigneur » (Mt 25,21).

         Au dernier trimestre de l’année 2008, Fr Denis Foucher, Dominicain, arrivait à la Réunion. Il avait soixante deux ans… Il avait enseigné la Théologie au séminaire d’Antsirabé et accepta l’invitation à animer les journées du Groupe Cycle Long à Bagatelle consacrées plus spécialement à la Théologie. Il désira alors rencontrer le P. Daniel Woillez qui, à l’époque, assurait déjà ces cours sur St Denis, pour voir comment tout cela se mettait en place… Il m’avait écrit ceci : « Ma rencontre avec le Père Daniel Woillez s’est très bien passée. Je vois mieux ce que je dois faire pendant le prochain cycle de théologie et envisage donc de pouvoir répondre plus facilement à plusieurs propositions à partir du mois de février pour le « Mystère de l’Eglise » et du mois de mars pour le reste… Je peux commencer soit le 8, soit le 15 soit le 22 février. L’avantage du 15 serait, entre autres choses, que je pourrais aller voir le 8 comment le Père Woillez organise un dimanche. Mais je n’en fais pas un empêchement pour ne pas commencer le 8 si vous le souhaitez vraiment »… Humilité, disponibilité… Il était très apprécié… Il intervint ainsi pendant deux ans, puis sa communauté l’invita à retourner en métropole…

               Voici, le 2 janvier, ce qu’a écrit à son sujet Fr. Hervé Ponsot, qui l’a bien connu…

          « Le frère Denis Foucher nous a quittés pour le ciel soudainement et à pas de loups, avec la discrétion et l’humilité qui l’ont toujours caractérisé, ce 1er janvier 2022. Il allait avoir 76 ans, et souffrait depuis quelques années d’une maladie dégénérative, proche de celle d’Alzheimer, qui le limitait terriblement dans son expression, mais ne l’empêchait pas d’être très présent à la vie commune ou aux offices religieux. Il était là, très pieux, fidèle, souriant, accueillant, mais sans pouvoir communiquer.

          Nous nous sommes connus à son arrivée dans le couvent de Toulouse, qui a coïncidé avec la mienne fin 1974. Il venait du monde scientifique » (Ingénieur des Ponts et Chaussées), « et de celui de la non-violence : il en vivait, mais déjà en parlait peu. Il n’était pas d’un tempérament très expansif. Si ma mémoire ne me trahit pas, je crois me souvenir qu’il avait fait avant son arrivée à Toulouse un pèlerinage à Jérusalem, en partie (ou la totalité ?) à pied. C’était de fait un excellent marcheur, et il l’a plus tard souvent montré dans les montagnes des Pyrénées : un vrai cabri !

          Nous avons donc commencé notre noviciat ensemble, le 31 mai 1975, sous l’égide du frère Jean-René Bouchet, et avons prononcé nos vœux temporaires l’année suivante, le 10 juin 1976. Nos chemins se sont ensuite séparés, mais ils se sont croisés ou unis pour des sessions, et plus longuement au fil des études à Toulouse. Nous avons été ordonnés prêtres ensemble le 28 juin 1980 : célébration mémorable qui, autour de six frères, avait rassemblé 1500 invités dans l’église du couvent de Toulouse.

          Il n’est pas facile de « dire Denis » : il ne laissait pas de grandes traces là où il passait, mais se signalait partout par sa gentillesse et son attention aux autres. J’ai parlé de discrétion et d’humilité, car Denis était plutôt petite souris que bon géant. Je me suis demandé s’il fallait voir là un héritage familial, lié à sa naissance et sa vie en Algérie, une période dont il n’a jamais vraiment parlé, et je l’attribue donc plutôt à un trait de caractère personnel : voulant bien faire, très scrupuleux, il doutait et hésitait facilement.

          Avec cela, en toute obéissance religieuse, il a pourtant ajouté au fil du temps de multiples cordes à son arc, mais sans en privilégier une qui l’oriente et le fixe durablement : il a plutôt choisi de répondre aux attentes que l’on mettait en lui et qui correspondaient à sa disponibilité. Il fut donc aumônier d’étudiants ou curé de paroisse à Toulouse, en formation en langue arabe à Rome dans le fameux Pisaï, aumônier d’étudiants à La Réunion, responsable de l’église conventuelle à Bordeaux, enseignant au séminaire à Tananarive, puis Antsirabé, dans une certaine solitude dominicaine pendant laquelle il avait entrepris de maîtriser la difficile langue malgache, aumônier dans divers secteurs à Marseille où il vient de s’éteindre comme une bougie peu à peu consumée.

 

          Quand un proche nous quitte après avoir souffert, comme ce fut aussi le cas du frère Rémy Bergeret en mai 2021, nous disons volontiers, non sans raison : il connaît enfin le soulagement et la paix. On ajoutera parfois que l’on a « gagné » un nouvel intercesseur au ciel. Mais on ne peut échapper pour autant à la tristesse de l’absence !

Triste, un mot qui se lit dans les réactions en ligne suite à l’annonce de la mort de Denis, mais qui n’est pas le mot qui revient le plus souvent et que j’ai moi-même employé : « gentil ». Non pas de cette gentillesse que l’on associe à l’absence de personnalité, mais de cette gentillesse communicative, qui marche au même pas que la douceur et qui devrait inspirer chacun de nous. Elle n’aime rien tant que la discrétion, celle que Denis a manifestée dans sa vie comme dans son départ pour le ciel. »

        

Et voici l’homélie que Fr Manuel Rivéro donna de son côté le 10 janvier à la Cathédrale de St Denis :

          « Les funérailles de notre frère Denis FOUCHER ont eu lieu ce matin au couvent des Dominicains de Marseille.

          Merci, Seigneur, pour les dons accordés au frère Denis et pour tout ce que nous avons reçu de Toi à travers lui. Nous implorons aussi le pardon pour ses péchés.

          « Elle a du prix aux yeux du Seigneur, la mort de ses amis » (Psaume 116,15). Le frère Denis est né dans la banlieue d’Alger le 3 février 1946. Il a grandi en Algérie. Etudiant à Paris, il a réussi sa formation d’ingénieur des Ponts et Chaussées.

          Ayant connu l’Ordre des prêcheurs dans la capitale française, il est arrivé au couvent de Toulouse pour commencer son noviciat en 1975. Nous avons été novices ensemble. Objecteur de conscience, attaché à la non-violence, le frère Denis s’est bien entendu avec le frère Jean-René BOUCHET (1936-1987), maître des novices, qui avait fait la guerre d’Algérie et qui nous partageait la cruauté de ce conflit marqué par des tortures pratiquées aussi par l’armée française. La Providence se manifeste dans les rencontres décisives entre l’esprit du maître des novices et les chercheurs de la volonté de Dieu avec leur histoire. Le frère Denis hésitait souvent et longtemps avant de prendre une décision. Le frère Jean-René a sut le rassurer et l’accompagner comme il le fit envers moi-même. Dans les Cévennes, notre maître des novices avait appris la langue castillane auprès des gitans d’origine espagnole qu’il affectionnait. Les enfants gitans lui avaient fait connaître dans la vie quotidienne la langue de Cervantés qu’il prononçait sans accent tout en commettant quelques erreurs de grammaire.

          Au terme de nos études en théologie, nous reçûmes l’ordination presbytérale ensemble le 28 juin 1980 avec quatre autres frères : Didier, Dominique, Hervé et Nicolas-Jean.

          Compte tenu de son enfance en Algérie, les responsables de la formation avaient proposé au frère Denis de suivre des études en langue arabe au PISAI à Rome, ce qu’il fit avec régularité.

          En 1984, nous nous retrouvâmes à Marseille pour le projet de refondation du couvent. Une bonne partie des frères de la Province de Toulouse pensait qu’il fallait fermer le couvent de la rue Edmond Rostand qui après avoir connu des heures de gloire avait sombré dans des conflits destructeurs. Le chapitre provincial de Montpellier désigna six frères pour cette opération risquée de renouveau du couvent : les frères FREMIN, LASSEGUE, SIBRE, FOUCHER et moi-même. Le frère MERIGOUX qui avait été aussi déposé avec nous ne nous avait pas rejoint pour des raisons personnelles. De 1984 à 1985, nous étions au couvent de Marseille deux communautés distinctes avec deux supérieurs différents. Temps difficile mais qui s’avéra fécond pour l’avenir de la vie dominicaine dans la cité phocéenne. Le frère Denis FOUCHER y fit preuve d’abnégation et d’endurance. Aumôniers de l’université des sciences dans deux campus différents, nous avons œuvré ensemble. Les étudiants ne cachaient pas leur admiration pour ce ministère vécu de manière fraternelle : « C’est rare de voir travailler deux prêtres ensemble ! », disaient-ils.

          Musicien, chantre, rigoureux dans son travail, serviable, le frère Denis a accompli différents ministères dans les églises conventuelles et dans l’apostolat du Rosaire, comme Secrétaire général du Pèlerinage du Rosaire à Lourdes et en tant que directeur national des commissaires et des hôtesses de ce Pèlerinage dominicain qui a lieu au mois d’octobre dans la ville de sainte Bernadette.

          Il a aussi passé sept ans au séminaire d’Antsirabé (Madagascar), de 2001 à 2007, comme enseignant en théologie sans oublier sa mission d’accompagnateur spirituel dans l’équipe des formateurs de ce séminaire interdiocésain qui accueille plus de cent séminaristes chaque année. Plusieurs prêtres malgaches m’ont fait part de l’aide spirituelle décisive reçue de la part du frère Denis au cours de leur formation.

          Humble et discret, homme de prière et austère, le frère Denis savait écouter et soutenir les vocations chrétiennes et sacerdotales. Pendant son séjour malgache, il devint l’aumônier national des Equipes du Rosaire de Madagascar en y apportant des formations théologiques.

          Ces dernières années, avant que la maladie ne l’empêche d’exercer des apostolats, le frère Denis participait à la pastorale catholique de la prison des Baumettes.

          Monsieur Jean-Louis DULOT, responsable provincial des Fraternités laïques dominicaines de la Province de Toulouse, a tenu à exprimer sa reconnaissance envers le frère Denis FOUCHER : « Frère Denis a été pour moi un guide lorsque j’ai commencé à fréquenter les frères dominicains. C’est lui qui m’a fait connaître les fraternités et qui a pris les premières initiatives en vue de créer une nouvelle fraternité à Toulouse ».

               La Réunion a bénéficié pendant deux ans du ministère du frère Denis à la cathédrale et à la Fraternité Sainte Rose de Lima de La Plaine des Palmistes. C’est pourquoi Mgr Gilbert AUBRY a envoyé un courriel pour manifester sa proximité : « Je m’unirai en intention à votre eucharistie. Il a eu un grand rayonnement à La Réunion et à Madagascar. Dans la miséricorde du Seigneur qu’il ait la joie de participer au banquet éternel du Royaume des cieux.

          Bien en communion avec tous les membres de la Communauté Saint Guillaume COURTET ».

          Comment ne pas penser en ce jour de son passage vers le Père aux paroles de Jésus dans la parabole des talents (Mt 25, 14s) ? « C’est bien, serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton Seigneur ! ».

 

 

 

 

 

Et ce même 10 janvier, Christian Foucher, son frère, a donné ce témoignage à la fin de la célébration qui avait lieu au couvent des Dominicains de Marseille :

Denis, notre frère,

 

Te voilà étendu devant nous dans ton dernier sommeil, sous les voûtes de cette grande et majestueuse église où tu priais et te recueillais tous les jours. Comment dire simplement, dans l’émotion qui nous étreint tous, tout ce que tu as été pour moi ?

 

 

Tu es né deux ans avant nous, ma sœur jumelle et moi, sous le soleil d’Alger. Huit années d’une enfance qu’on pourrait qualifier d’heureuse vont unir notre trio à l’ombre du trio de nos aînés. Mais en 1954 débutent alors les « évènements d’Algérie », en réalité une guerre toujours plus cruelle et traumatisante. Elle impressionne ton cœur d’enfant puis ta réflexion d’adolescent, divise la famille et influe certainement sur tes choix futurs comme sur les miens. Ta piété précoce, dont nous étions les témoins privilégiés,  se nourrissait sans doute de ce contexte dramatique.

Alors que cette guerre se termine avec les bouleversements qu’on connaît, tu es envoyé à Paris chez des amis de la famille pour poursuivre une scolarité très prometteuse. Tu passes brutalement du soleil d’Alger et de la chaleur familiale à la solitude face à l’écrasante pression d’une grande capitale. C’est du moins l’idée que je m’en fais alors. Je perds mon compagnon, mon confident de tous les jours, mais je partage aussi, à travers les lettres que tu nous écris régulièrement, beaucoup d’éléments de la vie que tu mènes, difficile mais passionnante , qui commencent à nourrir mon admiration pour toi. Brillant élève de terminale puis de classe préparatoire au lycée Louis le Grand, tu intègres l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées. Mais tu ne nous a jamais dit la somme de sacrifices, de renoncements qu’il t’a fallu consentir pour arriver là.

A la sortie de cette école, ta voie semble toute tracée, entre aisance matérielle et responsabilité professionnelle. Tu la suis pendant deux  ans, mais je sais, à travers les discussions que nous avons quand tu descends nous voir en Provence, que tu te poses beaucoup de questions,  cherches beaucoup en toi-même et envisages déjà un changement radical dans ta vie.

Un premier tournant va te donner un début de réponse : tu accomplis durant deux ans tes obligations de service national dans le cadre d’un service civil d’objecteur de conscience, mettant en cohérence tes convictions chrétiennes de non-violence et ton rôle de citoyen. Sur ce plan je suivrai ta voie, deux ans plus tard, mettant mes pas dans les tiens qui t’ont conduit au Service Civil International. Loin de reprendre ensuite une carrière confortable, tu t’investis une année supplémentaire dans un Comité de Coordination pour le Service civil que tu as contribué à fonder et que tu diriges, en même temps que tu milites dans une association de solidarité avec les travailleurs immigrés vivant dans des bidonvilles à Nanterre. Nous étions  impressionnés par le courage de ton engagement, mais tu en parlais, peu, avec un naturel et une humilité qui t’ont toujours caractérisé depuis.

S’ouvre alors pour toi, cette même année, une voie nouvelle que tu avais commencé à explorer dans un groupe de réflexion autour du Père Haim, « La Route à Jérusalem », qui voulait ouvrir les pistes d’un rapprochement entre les trois religions monothéistes. Tu as partagé avec moi beaucoup de tes réflexions autour de ce projet. En octobre 73 tu prends avec un autre jeune volontaire la route du Moyen-Orient. Elle commence en réalité par une étape maritime. Mais la guerre du Kippour qui vient d’éclater vous bloque à Chypre de longues semaines. C’est vraiment mal parti pour votre projet, pourtant vous réussissez à rejoindre le Moyen-Orient et à commencer votre périple, le plus souvent à pied. Tu y fais beaucoup de rencontres, au Liban principalement, travailles sur des chantiers de volontaires, médites beaucoup, visites de nombreux couvents ou monastères. Mais tu ne nous parles pas beaucoup alors de cette expérience, tes lettres sont très espacées. Peut-être as-tu vécu le sentiment d’un échec, ou au contraire trouvé dans cette confrontation avec une triste réalité l’argument ultime pour sauter le pas. Au bout de huit mois tu rentres en France : tu as définitivement arrêté ton choix , l’engagement dans un ordre religieux.

Nous sommes en juin 74, tu as 28 ans et tu vas entrer chez les Dominicains, non sans avoir sans doute encore vécu quelques mois d’indécision. Après six années d’études et d’un cursus  qu’il m’est difficile de décrire, tu es ordonné prêtre à Toulouse avec cinq autres frères. J’y ai éprouvé le sentiment d’un aboutissement pour toi.  Nous étions désormais en retrait, mais quoi de plus naturel ?   Les vingt années qui suivent sont d’une telle intensité dans tes fonctions et sacerdoces que je ne me risquerai pas à les rappeler, le frère Hervé Ponsot l’ayant déjà fait avec une telle clarté.

Denis, tu nous paraissais parfois hésitant, indécis sur des choix de vie quotidienne ou d’engagements mineurs. Mais quelle force de caractère, quelle disponibilité, quel sens du sacrifice et de la mission sacerdotale ces multiples fonctions et engagements traduisent-ils ! Tu trouvais dans ta foi les ressources physiques et morales pour les assumer en même temps ou tour à tour, tu nous le disais toujours quand on te retrouvait. En même temps tu appliquais vis-à-vis de ta propre famille ces vertus de tolérance et de fraternité chrétienne, cherchant à maintenir ou rétablir des relations parfois distendues par l’éloignement géographique ou des choix de vie différents. Tu étais d’une constitution assez frêle, tu poussais parfois l’humilité jusqu’à l’effacement mais tu étais tenace, méthodique, comme t’y avait préparé sans doute ta formation scientifique durant tes années parisiennes.

En 2000, on t’a vu partir pour une très longue mission à Madagascar. J’étais inquiet, tu étais déjà fragile physiquement. Pourtant  tu as tenu huit ans durant lesquels tu nous a régulièrement envoyé des lettres circulaires sur ton apprentissage de la langue malgache – mais tu n’as jamais été doué pour les langues étrangères ! –  sur tes missions d’enseignant, de responsable de l’aumônerie des équipes du Rosaire. On y sentait aussi parfois – tu restais toujours pudique sur tes impressions – ta confrontation douloureuse avec la violence, la misère, les injustices d’un des pays les plus pauvres du monde. Ta sensibilité, ta douceur tirée de la non-violence ont dû en souffrir. Mais tu aimais ce pays, et quand tu revenais nous voir lors de tes quelques congés, tu me parlais plutôt de la situation politique à Madagascar, des enjeux électoraux, des transports à risques dans les taxis-brousse, des vols de bétail, du retournement des morts. Devant les paysages paisibles des Alpilles où l’on marchait, je t’écoutais, retrouvant les impressions connues 40 ans auparavant en Algérie ou en Provence face à un frère qui me parlait et m’impressionnait beaucoup.

A l’été 2008 tu quittes définitivement Madagascar pour t’établir deux ans à La Réunion. Nous étions soulagés, nous savions que tu allais te refaire une santé. Mais quand tu es rentré en 2010, tu étais quand même affaibli, très amaigri et encore plus fragile.

Tout à droite, Fr Denis Foucher

Pourtant tu t’es à nouveau investi dans d’autres missions auprès de tes frères du couvent de Marseille. La proximité géographique nous permettait de nous voir beaucoup plus souvent et de t’y suivre plus facilement. Ton dernier sacerdoce, le plus dur sans doute vu ton état de santé, t’a conduit comme aumônier à la prison des Baumettes. Nous étions toujours plus inquiets mais tu as tenu bon plusieurs années. Les premières atteintes de la maladie t’ont finalement forcé à y renoncer, et tu en as été très malheureux.

Denis, ces dernières années ont été douloureuses pour toi, de plus en plus conscient de décliner. Tu te sentais inutile, tu souffrais toujours plus de tes difficultés à trouver les mots, de ne plus pouvoir communiquer, de ne plus pouvoir tenir d’homélies, suivre les conversations de tes frères au réfectoire. Nous souffrions de te voir souffrir. Parler au téléphone avec nous était devenu une épreuve, mais tu voulais tellement garder le lien…Tu commençais à être hésitant dans  la marche, un peu craintif, alors que tu as toujours été un  marcheur si endurant lors des randonnées en montagne que je te proposais. En août 2015 encore tu grimpais le Grand Galibier à plus de 3200 m, le vertige seul t’ayant arrêté à moins de 100 mètres du sommet. Le frère Jean-François, au dévouement admirable, dont tu me disais souvent qu’il était extraordinaire, c’étaient tes mots,  t’a entouré de ses soins et de sa présence tout au long de ce déclin.

Tu craignais par-dessus tout de devoir quitter cette communauté, d’être arraché à tes frères dominicains. Je le savais, tu me l’avais fait comprendre. La pneumonie t’a brutalement arrêté sur cette descente qui ne pouvait qu’être  toujours plus douloureuse. 

Denis, tu as fini ta route à Jérusalem. Ton corps est encore là devant nous, entouré de tous tes frères dans la majesté impressionnante de cette nef, et tu nous laisses dans une immense tristesse. Mais tu continues à vivre en moi, en nous, présents ou absents en ce jour, nous qui t’aimions tant.

                                                                                                             

                                                                                                           Christian

  




4ième Dimanche du Temps Ordinaire – par Francis COUSIN (Lc 4, 21-30)

« Aucun prophète ne trouve

un accueil favorable dans son pays. »

 

Ce passage de l’évangile est la suite de celui de la semaine dernière, qui se terminait par la première phrase de celui d’aujourd’hui : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. », c’est-à-dire, d’une certaine manière l’annonce que Jésus était le Messie attendu par Israël.

La réaction des personnes présentes à la synagogue va se faire en deux temps.

Dans un premier temps, les gens sont surpris, mais subjugués par la parole de Jésus : « Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. ». Ils ne savent pas penser de Jésus. Ni pour ni contre, mais se posant des questions …

Jusqu’à ce que quelqu’un fasse remarquer : « Tu es bien le fils de Joseph ? On te connaît : tu as grandi parmi nous. D’où te viennent les paroles que tu nous as dites ? ». Ils ne connaissent de lui qu’une chose : son identité humaine, et n’arrivent pas à voir en lui son identité divine. C’est pourtant ce que signifiait son commentaire de la parole d’Isaïe.

On ne peut pas leur en vouloir :  si nous avions été à leur place, nous aurions certainement pensé comme eux.

La réponse de Jésus montre bien ce que pensaient les habitants de Nazareth : ils sont plus attirés par les prodiges qu’a pu faire Jésus à Capharnaüm que par sa parole par laquelle il se dit le Messie. Ce qu’ils auraient voulu, c’est du spectaculaire, du concret … et non pas des mots …

Alors Jésus va leur parler de prodiges, ou de miracles, non pas que lui a fait, mais que d’autres avant lui ont fait, des prophètes reconnus comme tels par les juifs …

D’abord la veuve de Sarepta, une étrangère, donc non-juive. C’est à elle que le prophète Elie alla demander de quoi manger pendant la famine, et elle accepta parce qu’elle avait cru à la parole dite par Elie au nom de Dieu : « Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. » (1R 17,14).

De même Naaman qui crut à la parole d’une jeune servante juive et alla vers Élisée pour se faire guérir de la lèpre.

Pourquoi ont-ils été guéris ? parce qu’ils avaient cru à une parole inspirée par Dieu, quel que soit le niveau de la personne : un prophète reconnu … et une humble jeune fille faite prisonnière …

Ce qui a vexé surtout les habitants de Nazareth, c’est que Jésus, un juif, leur rappelle des guérisons ou des miracles obtenus par des étrangers, des non-juifs, alors que quantité de juifs étaient dans le même cas et n’ont pas été guéris …

Que quelqu’un qui se dit le Messie attendu de tous les juifs (à demi-mots, mais c’était clair pour tous …) mette en avant la foi de non-juifs, ils ne l’ont pas supporté …

Et ils emmènent Jésus pour le précipiter dans un ravin …

« Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. »

Qu’en retenir pour nous ?

D’abord que la foi ne se base pas sur le spectaculaire. Même si Jésus a fait des miracles importants, des résurrections par exemple, il ne l’a fait que parce que la foi était déjà présente, à des degrés divers, mais préexistante au miracle. Ce qui n’empêche pas que les miracles ont pu donner la foi à d’autres personnes …

Ensuite, Dieu veut que tous les humains soient heureux … et il ne regarde pas la nationalité ou la croyance d’une personne pour lui venir en aide, s’il perçoit une attente ou un soupçon de foi.

« Dieu est plus grand que notre cœur. » (1 Jn 3,20)

Enfin, on ne peut ’’commander’’ à Dieu de faire un miracle. On peut lui demander de faire un geste pour quelqu’un, … même rameuter d’autres personnes pour demander la même chose, insister, mais on ne peut l’obliger en quoi que ce soit. Le miracle est un don gratuit de Dieu.

Seigneur Jésus,

les gens de Nazareth

attendaient autre chose de toi

que de t’affirmer comme Messie.

Et tu ne pus faire aucun miracle.

Pour cela, il faut un peu de foi.

Augmente notre foi !

 

                                     Francis Cousin

Pour accéder à la prière illustrée, cliquer sur le lien suivant : Image dim ord C 4°




Carême 2022 sur jevismafoi.com : « Grandir dans l’Espérance »

Une équipe composée de laïcs, d’un Prêtre Diocésain, de deux Frères Dominicains et de trois Diacres est heureuse de vous proposer un temps de retraite pour ce carême 2022 qui commencera avec le mercredi des Cendres, le 2 mars. Et nous la conclurons au Dimanche de la Miséricorde, une semaine après Pâques, le 17 avril…

Si vous le désirez, vous pouvez vous inscrire sur jevismafoi.com en nous laissant votre adresse mail, adresse qui ne quittera pas nos fichiers… Vous recevrez alors tous les jours une petite méditation, sous formes audio et écrite.

 

Elle sera aussi diffusée matin, midi et soir, sur les ondes de la Radio de notre Diocèse, Radio Arc en Ciel...

Toute l’équipe vous souhaite un bon et heureux carême, temps où le Seigneur vient tout spécialement nous aider à nous détourner de tout ce qui entrave notre vie chrétienne pour nous permettre de mieux accueillir la Plénitude de sa Vie, et cela pour notre plus grande joie,

D. Jacques Fournier

PS: pour accéder à l’affiche de cette retraite, vous pouvez cliquer sur le lien suivant :

Affiche jevismafoi 2022




4ième Dimanche du Temps Ordinaire – par le Diacre Jacques FOURNIER (Lc 4,21-30)

L’Esprit Saint rend témoignage à Jésus 

En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” »
Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère.
Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux.
Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

 

  

            « Dieu est Amour », nous dit St Jean (1Jn 4,8.16), une affirmation valable pour chacune des Trois Personnes divines : le Père, le Fils et l’Esprit Saint…

            Le Père est donc Amour : « Le Père aime le Fils et il a tout donné, il donne tout, en sa main » (Jn 3,35). C’est peut-être de ce verset que Ste Thérèse de Lisieux s’est inspirée lorsqu’elle a écrit : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même », un principe à appliquer pour Dieu au pied de la lettre… Le Père est Lumière ? Il aime le Fils et lui donne tout : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15). Le Fils sera donc lui aussi « Lumière » en tant qu’il est « Lumière né de la Lumière », et cela « avant tous les siècles »…

            Mais si « Dieu est Amour » et si le Fils est « vrai Dieu né du vrai Dieu », il sera donc lui aussi Amour. Sur la base de ce Don qu’il reçoit du Père, il va donc aimer, et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même »… Le Père aime, il se donne, il engendre le Fils… Le Fils unique-engendré aime, il se donne et du Don du Père et du Fils « procède » « l’Esprit Saint qui est Seigneur » et qui « reçoit même adoration et même gloire » comme nous le confessons dans notre Crédo. Le Fils est « de même nature que le Père » en tant qu’il se reçoit du Père depuis toujours et pour toujours ? Il en sera de même de « l’Esprit Saint » en tant qu’il se reçoit, Lui, du Père et du Fils depuis toujours et pour toujours…

            Mais si « Dieu est Amour », l’Esprit Saint lui aussi est « Amour », et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ». L’Esprit Saint Personne divine est donc tout entier Don de Lui-même, de ce qu’il est en Lui-même. Or, « Dieu est Esprit », nous dit Jésus (Jn 4,42), et « Dieu est Saint » (Lv 11,44). Notons ici, à la différence du nom propre « Esprit Saint » qui désigne une Personne divine unique, que les deux mots « Esprit » et « Saint » sont employés en tant que nom commun et adjectif pour nous dire ce que Dieu est en lui-même : sa nature divine… « L’Esprit Saint » Personne divine donne donc « l’Esprit Saint » nature divine… « L’Esprit Saint se cache derrière ses dons » (P. Y. Congar).

            Telle est toute l’œuvre de « l’Esprit Saint » Personne divine. Et c’est ainsi qu’il rend témoignage à Jésus. Le Fils nous parle de la Vie éternelle ? Au même moment, l’Esprit Saint nous donne cette Vie éternelle en nous communiquant « l’Esprit » nature divine, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63)… Quiconque ouvre son cœur à Jésus et à sa Parole, ne pourra donc qu’accueillir au même moment cet Esprit qui est Vie… Voilà ce qu’ont vécu ici les auditeurs de Jésus, et plus tard St Pierre : « Tu as les Paroles de la vie éternelle »…




4ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN

A la synagogue de Nazareth

Lc 4, 21-30

S’il y a un village où Jésus va pouvoir se trouver à l’aise pour prêcher, c’est dans son village, c’est à Nazareth. Là, il connaît tout le monde. Il y a les voisins, les amis, les copains de Joseph le charpentier, les amies de Marie, celles avec qui elles parlent à la fontaine, tous les jeunes de la génération de Jésus, qui toutes les semaines, à la synagogue, apprenaient par cœur la Loi et les prophètes. , il a toujours vécu et on connaît bien Jésus, on l’a vu grandir parmi nous, faire ses 1ers pas, jouer à la toupie, discuter avec les jeunes de son âge sur la place du village. Combien de fois l’a-t-on vu passer avec une poutre sur l’épaule rejoindre le chantier de Joseph à qui il donnait un coup de main.

Aussi se réjouit-on de le revoir, d’autant plus qu’on a entendu dire des choses sur lui, depuis qu’il est parti. Il parait que, maintenant, c’est un grand prophète. Un gars de Nazareth, de notre bled, on se met à l’écouter, ailleurs, avec respect, avec attention et puis, ce n’est pas tout ! Il fait aussi des miracles : on dit qu’il a guéri un paralytique, qu’il fait entendre les sourds, parler les muets. Alors, vous pensez, ici, dans son propre village, ça va être la fête : il n’y aura plus que les bien-portants ; ici, il va se trouver à l’aise uniquement avec des gens qu’il connaît, des amis, des cousins, des oncles, des tantes !

Et de fait, au début, ça se passe bien. Jésus déclare à la synagogue : « Cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ».

Tout le monde est content : « Tous lui rendent témoignage et ils s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche » et ils se demandaient : « N’est-ce-pas le fils de Joseph ? » Ils admirent, mais ils s’étonnent…

  • Quand on croit bien connaitre quelqu’un, qu’on s’en est fait une idée, qu’on lui a mis une étiquette sur le dos, « qu’on en a fait le tour » comme on dit : il est très difficile ensuite de réformer son jugement, de changer d’opinion et de se dire : « Eh non ! Ce n’est pas celui que je croyais ». On préfère s’en tenir à l’idée de lui, qu’on avait avant. A Nazareth, on avait réduit Jésus à ce qu’on voyait extérieurement de lui: on en avait déjà une idée définitive et toute faite.

Il  était « comme  ça » et « pas  autrement ». Ils  se  demandaient: « N’est-ce pas le fils de Joseph, le charpentier? » On l’avait bien étiqueté.

N’avons-nous pas, dans notre religion à nous, une idée un peu trop toute faite de Jésus, de Marie, de Dieu, de l’Esprit ?

Est-ce-que nous ne nous sommes pas faits dans notre tête une idée de Dieu qui, justement, n’est pas Dieu lui-même et ne sommes- nous pas choqués, à notre tour, en lisant l’Evangile ou en voyant vivre un autre chrétien, par une exigence, par un comportement, par un geste qui sort de l’ordinaire, c’est-à-dire de notre ordinaire à nous, de tout le cadre religieux habituel que nous nous sommes fixés ? Attention, notre religion n’est surtout pas une habitude, une routine, des gestes que l’on fait tous les jours ou toutes les semaines.

Alors, nous devenons, nous aussi, des traditionnalistes c’est-à-dire que nous avons bâti notre culte sur tout un échafaudage humain, de rites, de dévotions, de neuvaines, de prières toutes faites, de dates, d’habitudes religieuses qui remplacent peu à peu ce que le Christ appelle la «“ Religion en Esprit et en Vérité”».

  • Pourquoi le Concile Vatican II a-t-il été si mal accepté par certains ? Tout simplement parce qu’il dérangeait nos petites habitudes, nos circuits bien programmés, nos exercices de piété bien cadrés. Ce fut le souffle de l’Esprit dans une fourmilière.

Vous voyez l’affolement : « On nous change la Religion ».

Ce n’est jamais drôle de changer quoi que ce soit : d’appartement, de métier, de famille, d’époque et même d’emploi du temps et c’est si commode de continuer à faire comme on a déjà fait, comme on a toujours fait. Pas facile de se relancer de nouveau dans l’aventure, dans l’inconnu !

Or, Dieu, Jésus-Christ, sont des aventuriers et si nous nous mettons à  leur  suite, la  vie  ne  sera  pas tranquille. Si vous avez une petite vie tranquille, bien balisée, bien calme, bien douillette : c’est mauvais signe, c’est signe que vous ne suivez pas Jésus-Christ, que vous n’écoutez pas ou que vous n’entendez pas, ce qui est plus grave, ses demandes précises :

*  « Celui qui veut me suivre qu’il prenne sa croix et qu’il vienne »

*  « Qu’il quitte sa maison, son frère, sa mère et celui qui ne la quitte pas n’est pas digne de moi »

*  « Va, vends tous tes biens et suis-moi »

*  « Celui qui met la main à la charrue et qui regarde en arrière n’est pas digne de moi »

Etre chrétien, c’est entrer dans une aventure, dans l’incertain, dans le provisoire, dans le périlleux quelquefois.

L’Evangile peut être une catapulte qui peut nous envoyer loin, très loin de l’endroit où nous souhaitons atterrir.

L’Evangile est difficile, exigeant. Il nous arrache à tous nos conditionnements, à tous nos réseaux de routine et à toutes nos ornières.

               A Nazareth, Jésus s’était peut-être dit: « Ici, tout va être facile, commode, ils me  connaissent,  je  les  connais,  c’est   conquis  d’avance » et c’est le contraire qui s’est passé. « A ces mots, dans la  synagogue, tous devinrent furieux  », d’autant plus furieux qu’ils s’étaient déjà fait une idée sur lui et que ce n’était pas la bonne : « ils se levèrent et poussèrent Jésus hors de la ville ». C’est « hors de la ville » aussi que Jésus est mort sur une croix parce qu’il ne pensait pas comme les autres, parce qu’il était porteur d’un message trop exigeant où il aurait fallu se remettre en question et changer quelque chose dans sa vie. Combien de fois, n’avons-nous pas dit, en voyant quelqu’un qui prenait son Evangile au sérieux et qui voulait le vivre dans sa vie quotidienne : « Oh ! Il  exagère ! », « Dieu  n’en  demande  pas tant ! » Et si Dieu, justement, en demandait plus ? Et si ce que nous appelons « exagération » n’était que le « plus » de l’Evangile qui est demandé à chaque chrétien ?

Martin Luther King a-t-il exagéré ? Et Mère Theresa ? Et sœur Emmanuelle dans les ordures de la ville du Caire et l’abbé Pierre avec ses chiffonniers d’Emmaüs et Jean Vanier avec ses villages d’handicapés mentaux. « Ils exagèrent » et c’est en exagérant, en poussant un peu plus loin, que l’Evangile se met en place, que le monde ne s’endort pas dans la facilité, qu’il voit devant lui des prophètes capables d’entraîner les autres dans une aventure qui nous fait peur.

Nous aussi, comme Jésus, sortons de Nazareth, sortons du mesquin et du village aux idées toutes faites, sortons des jugements tout faits et préétablis, sortons de nos ornières.

Un vrai chrétien, qui met et qui prend la doctrine de l’Evangile vraiment au sérieux, celui-là, sera jugé sévèrement par les autres qui n’ont pas le courage d’en faire autant. C’est si dur de changer, de se  recycler, surtout  spirituellement !
Or, nous en avons toujours besoin. Le chrétien qui a fait de sa religion un siège confortable n’a plus qu’à se lever et partir à la recherche d’un autre chemin qui, celui-là, sera difficile, malaisé, mais qui mène à Dieu.

  • « Il est difficile, pierreux, malaisé, plein d’épines, le chemin qui conduit au Royaume, tandis que la route de perdition est large, goudronnée, balisée »

En cette approche du Carême, qui doit devenir un passage, un changement sérieux nous sera proposé : celui de Pâques où nous aurons à mourir à une vie facile. La Passion avec Jésus-Christ nous conduit à une Résurrection pour nous aussi… cela ne se fera pas sans dommage, cela ne se fera pas sans courage. « Ils le menèrent jusqu’à un escarpement pour le précipiter en bas ».

Les médiocres ne pardonnent jamais les efforts de ceux qui voient plus large, qui voient plus loin. Ils feront tout pour nous faire basculer. Il faut voir comment, actuellement, l’Eglise est critiquée par ceux qu’elle gêne : les vendeurs de pilules, les avorteurs, les manipulateurs d’embryons, les affairistes magouilleurs, les tricheurs et les menteurs gênés dans leurs entreprises, ils voudraient bien mener le christianisme jusqu’à un escarpement pour le jeter en bas. « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin ».

Nous aussi, frères, sœurs, « allons  notre chemin »,

selon notre conscience, selon l’appel du Christ qui voit plus large, qui voit plus loin.  AMEN




Audience Générale du Mercredi 19 Janvier 2022

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 19 Janvier 2022


Catéchèse sur saint Joseph – 8. Saint Joseph père dans la tendresse

Chers frères et sœurs, bonjour !

Aujourd’hui, je voudrais approfondir la figure de Saint Joseph comme père de tendresse.

Dans ma Lettre Apostolique Patris corde (8 décembre 2020), j’ai eu l’occasion de réfléchir à cet aspect de la tendresse, un aspect de la personnalité de saint Joseph. En effet, même si les Évangiles ne nous donnent aucun détail sur la manière dont il a exercé sa paternité, nous pouvons être sûrs que le fait qu’il soit un homme « juste » s’est également traduit dans l’éducation donnée à Jésus. « Joseph a vu Jésus grandir jour après jour « en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. » (Lc 2, 52) : C’est ce que dit l’Évangile. Comme le Seigneur le fit avec Israël, il lui a « appris à marcher, a Jésus, en le tenant par la main ; il était pour lui comme le père qui soulève un nourrisson tout contre sa joue ; il se penchait vers lui pour le nourrir » (cf. Os 11, 3-4) » (Patris corde, 2). Elle est belle cette définition de la Bible qui fait voir la relation de Dieu avec le peuple d’Israël. Et nous pensons que c’est la même relation celle de St Joseph avec Jésus.

Les évangiles témoignent que Jésus a toujours utilisé le mot « père » pour parler de Dieu et de son amour. De nombreuses paraboles ont comme protagoniste la figure du père [1].  L’une des plus célèbres est certainement celle du Père miséricordieux, racontée par l’évangéliste Luc (cf. Lc 15, 11-32). Cette parabole met l’accent par-delà l’expérience du péché et du pardon, sur la manière dont le pardon atteint la personne qui a commis une faute. Le texte dit : « Comme il était encore loin de la maison – le fils pécheur qui s’était éloigné – quand il était encore loin son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. » (v. 20). Le fils s’attendait à une punition, une justice qui, tout au plus, aurait pu lui donner la place d’un des serviteurs, mais il se retrouve enveloppé dans l’étreinte de son père. La tendresse est quelque chose de plus grand que la logique du monde. C’est une façon inattendue de rendre justice. C’est pourquoi nous ne devons jamais oublier que Dieu n’est pas effrayé par nos péchés : mettons-nous cela bien en tête. Dieu n’est pas effrayé par nos péchés, il est plus grand que nos péchés. Il est père, il est amour, il est tendre. Il n’est pas effrayé par nos péchés, nos erreurs, nos chutes, mais il est effrayé par la fermeture de notre cœur – cela oui le fait souffrir – il est effrayé par notre manque de foi en son amour. Il y a une grande tendresse dans l’expérience de l’amour de Dieu. Et c’est beau de penser que la première personne à transmettre cette réalité à Jésus a été Joseph lui-même. Car les choses de Dieu nous parviennent toujours par la médiation d’expériences humaines. Il y a quelque temps – je ne sais pas si je vous l’ai déjà raconté – un groupe de jeunes gens qui font du théâtre, un groupe de jeunes gens pop, « en avance sur leur temps », a été frappé par cette parabole du père miséricordieux et a décidé de faire une œuvre de théâtre pop avec ce sujet, avec cette histoire. Et ils l’ont bien fait. Et tout l’argument est, à la fin, qu’un ami écoute le fils qui s’est éloigné de son père, qui voulait rentrer à la maison mais qui avait peur que son père le mette dehors et le punisse et toutes ces choses. Et l’ami lui dit, dans cet opéra pop : « Envoie un messager et dis que tu veux rentrer chez toi, et si le père le reçoit, qu’il mette un mouchoir à la fenêtre, la fenêtre que tu verras dès que tu prendras le dernier chemin ». Cela a été donc fait. Et l’opéra, avec des chants et des danses, continue jusqu’au moment où le fils emprunte le chemin final et l’on voit la maison. Et quand il lève les yeux, il voit la maison pleine de mouchoirs blancs : pleine. Pas une, toutes les fenêtres, trois ou quatre par fenêtre. C’est ça la miséricorde de Dieu. Il n’a pas peur de notre passé, de nos mauvaises choses : non. Il a seulement peur de la fermeture. Donc… nous avons tous des comptes à régler ; mais régler ses comptes avec Dieu est une très belle chose, car nous commençons à parler et Lui nous embrasse. La tendresse.

Nous pouvons donc nous demander si nous avons nous-mêmes fait l’expérience de cette tendresse, et si nous en sommes devenus à notre tour les témoins. Pensons. Car la tendresse n’est pas d’abord une affaire d’émotion ou de sentiment : non. C’est l’expérience de se sentir aimé et accueilli précisément dans notre pauvreté et dans notre misère, et ainsi transformé par l’amour de Dieu.

Dieu ne compte pas seulement sur nos talents : non, mais aussi sur notre faiblesse rachetée. Notre faiblesse est rachetée et Lui s’appuie sur cela. Ce qui fait dire à saint Paul, par exemple, qu’il y a un plan aussi pour sa fragilité. En effet, il écrit à la communauté de Corinthe : « Pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler […] C’est pourquoi par trois fois, j’ai prié le Seigneur d’écarter cela de moi. Et il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » (2 Cor 12, 7-9). Le Seigneur ne supprime pas toutes les faiblesses, mais il nous aide à marcher avec les faiblesses, en nous prenant Lui-même par la main. Mais comment ? Oui, Il prend nos faiblesses par la main, nous avec les faiblesses, près de nous. Et c’est ça la tendresse. L’expérience de la tendresse consiste à voir la puissance de Dieu traverser précisément ce qui nous rend plus fragiles ; à condition toutefois de nous convertir du regard du Malin qui « nous pousse à regarder notre fragilité avec un jugement négatif », tandis que l’Esprit Saint « la met en lumière avec tendresse » (Patris corde, 2). « La tendresse est le meilleur moyen de toucher ce qui est fragile en nous. […] Voyez comment les infirmières et les infirmiers touchent les plaies des malades : avec tendresse, pour ne pas les blesser davantage. C’est ainsi que le Seigneur touche nos blessures, avec la même tendresse. C’est pourquoi il est important de rencontrer la Miséricorde de Dieu, notamment dans le Sacrement de la Réconciliation, dans la prière personnelle avec Dieu, en faisant une expérience de vérité et de tendresse. Paradoxalement, le Malin aussi peut nous dire la vérité : lui, c’est un menteur, mais il s’arrange pour nous dire la vérité afin de me conduire au mensonge. Mais s’il le fait, le malin le fait et c’est pour nous condamner. Le Seigneur nous dit la vérité et nous tends la main pour nous sauver. Nous savons cependant que la Vérité qui vient de Dieu ne nous condamne pas, mais qu’elle nous accueille, nous embrasse, nous soutient, nous pardonne » (Patris corde, 2). Dieu pardonne toujours : mettez cela dans la tête et le cœur. Dieu pardonne toujours. C’est nous qui nous fatiguons à demander le pardon. Mais il pardonne toujours. Les choses les plus laides.

Cela nous fait donc du bien de nous contempler dans la paternité de Joseph qui est un miroir de la paternité de Dieu, et de nous demander si nous permettons au Seigneur de nous aimer avec sa tendresse, transformant chacun de nous en hommes et en femmes capables d’aimer de cette manière. Sans cette « révolution de la tendresse » – une révolution de la tendresse est nécessaire ! – et sans cette révolution de la tendresse nous risquons de rester emprisonnés dans une justice qui ne nous permet pas de nous relever facilement et qui confond la rédemption avec la punition. C’est pourquoi, aujourd’hui, je veux me souvenir d’une façon particulière de nos frères et sœurs qui sont en prison. Il est juste que qui a commis une faute paie pour son erreur, mais il est encore plus juste que qui a commis une faute puisse se racheter de son erreur. Il ne peut y avoir de condamnations sans une fenêtre d’espérance. Toute condamnation comporte toujours une fenêtre d’espérance. Pensons à nos frères et sœurs en prison, pensons à la tendresse de Dieu pour eux, et prions pour eux, afin qu’ils trouvent dans cette fenêtre d’espérance un passage vers une vie meilleure.

Et nous concluons avec cette prière :

Saint Joseph, père dans la tendresse,
apprends nous à accepter d’être aimés précisément dans ce qui en nous est plus faible.
Accorde-nous de ne placer aucun obstacle
entre notre pauvreté et la grandeur de l’amour de Dieu.
Suscite en nous le désir de nous approcher de la Réconciliation,
pour être pardonnés et aussi rendus capables d’aimer avec tendresse
nos frères et sœurs dans leur pauvreté.
Sois proche de ceux qui ont fait le mal et qui en paient le prix ;
Aide-les à trouver ensemble avec la justice également la tendresse pour pouvoir recommencer.
Et apprends leur que le premier moyen pour recommencer
est de demander sincèrement pardon, pour sentir la caresse du Père.

Merci.

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[1] Cfr Mt 15,13; 21,28-30; 22,2; Lc 15,11-32; Jn 5,19-23; 6,32-40; 14,2;15,1.8.

 


Je salue cordialement les personnes de langue française présentes aujourd’hui. Ce matin, prions tout particulièrement pour ceux qui sont en prison. Que la tendresse de Dieu les rejoigne dans leur chemin de réparation et de réinsertion dans la société, et qu’elle suscite en chacun d’entre nous un grand désir de conversion. Que Dieu vous bénisse !