Je me trouvais dans ma chambre d’étudiant, pendant les vacances scolaires. Je révisais mes cours. Je me suis senti mal et je suis allé m’allonger en attendant que ça passe. J’ai senti l’angoisse monter et j’avais l’impression que j’allais mourir. A ce moment précis, je me disais en moi-même que je n’étais pas prêt. Un voile noir est apparu devant mes yeux et je suis ‘parti’. Je traverse alors à très grande vitesse un tunnel et je débouche sur un espace infini, lumineux, d’une lumière blanche, intense, d’une pureté que je n’ai jamais vue (plus blanc que neige). Cette lumière est vivante (!). Je vis dans la sensation d’être à la fois spectateur et acteur de ce qui se passe. Cet espace lumineux est entièrement habité par un Être de Lumière invisible, sans forme précise mais dont je ressens la Présence.
« Voici le message que nous avons entendu de lui et que nous vous annonçons : Dieu est Lumière, en lui point de ténèbres » (1Jn 1,5).
Je me sens bien, dans la paix, léger : j’ai l’impression de flotter.
« N’entretenez aucun souci; mais en tout besoin recourez à l’oraison et à la prière, pénétrées d’action de grâces, pour présenter vos requêtes à Dieu.Alors la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde vos cœurs et vos pensées, dans le Christ Jésus… Ce que vous avez appris, reçu, entendu de moi et constaté en moi, voilà ce que vous devez pratiquer. Alors le Dieu de la paix sera avec vous » (Ph 4,6-9).
Je vois à ma gauche un homme cloué sur une croix, la tête penchée vers le bas et derrière lui, l’espace lumineux est encore plus lumineux et il m’est donné de sentir que le bonheur y est encore plus intense. Je ressens qu’il faudra passer par cet homme là pour pouvoir rentrer : il est la clef…
A ma droite, je vois un trou noir, assez gros, lugubre, sans fond. Je sens une attirance/répulsion : attirance de par ma curiosité à explorer les choses, de par le caractère étrange, surprenant de ce trou noir, répulsion car la noirceur qui s’en dégage est horrible. Je sens que je vais devoir faire un choix.
A ce moment là, derrière l’espace lumineux derrière la croix, l’Être de Lumière prend comme une forme de nuée. Cette forme n’est pas clairement définie mais je sens un aspect paternel qui s’en dégage : elle s’apparente à l’image de Dieu que j’ai sur ma bible de Jérusalem depuis petit (image issue du plafond de la chapelle Sixtine de Michel Ange : la rencontre entre Dieu et Adam).
« N’avons-nous pas tous un Père unique? N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés? » (Ml 2,10).
Alors qu’il se déplace vers moi (il n’y a pas de frottement dans les déplacements, il ‘glisse’), il s’arrête à un moment et se positionne à une distance pertinente de ‘moi’ : il était ni trop proche de moi, ni trop éloigné. Il se tenait à l’exacte distance où je sentais qu’il était suffisamment proche de moi pour que je ne me sente pas en insécurité et ni trop loin pour que je sente qu’il est concerné par ce que je vis (et non avec une attitude condescendante ou hautaine).
L’Être de Lumière s’adresse à moi en français mais dans une forme de communication dont je n’ai pas trouvé de meilleure description que « d’Être à Être ».
Jésus disait : « Moi et le Père, nous sommes un… Père, qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 10,30 ; 17,22)… « dans l’unité de l’Esprit » (Ep 4,3)…
Nous échangeons en temps réel, sans délai, dans une fluidité totale comme si nous étions interconnectés.
Il m’explique que je vais devoir faire un choix entre la Lumière et la noirceur. Il m’est donné alors de réaliser à quel point ce choix sera crucial, grave, déterminant (bien que cette scène se déroule dans la paix), que je suis le seul à pouvoir choisir, que je suis Libre de choisir (je mets Libre avec un grand L car je n’ai JAMAIS ressenti une telle liberté et encore plus face à un choix capital !).
« Si le Christ vous libère, vous serez réellement libres » (Jn 8,34).
« J’ai placé devant toi la vie et la mort… Choisis donc la vie afin que tu vives ! » (Dt 30,15-20).
J’ai une lucidité totale sur les conséquences de chaque choix : il n’y a ni tentative de manipulation, de dissimulation ou de minimisation de sa part sur les enjeux. Tout est transparent. Mais tout en étant libre de choisir, il me fait part de son désir le plus profond : je sens alors plutôt comme un aspect maternel chez lui et je le vois comme saisir ses ‘tripes’ (lieu de manifestation de son désir le plus profond) pour me les montrer à ce moment là.
« Ainsi parle Yahvé (Celui qui Est, Ex 3,14-15) : Voici que je fais couler vers elle la paix comme un fleuve, et comme un torrent débordant, la gloire des nations. Vous serez allaités, on vous portera sur la hanche, on vous caressera en vous tenant sur les genoux. Comme celui que sa mère console, moi aussi, je vous consolerai, à Jérusalem vous serez consolés » (Is 63,12-13).
« Quand Israël était jeune, je l’aimai… e les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour; j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m’inclinais vers lui et le faisais manger… Mais mon peuple est cramponné à son infidélité. On les appelle en haut, pas un qui se relève ! Comment t’abandonnerais-je… Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles (littéralement : ‘mes tripes’) frémissent » (Le mot « bouleversé » est très fort ; précisément celui qui est employé à propos de la destruction des cités coupables, (Gn 19, 25 ; Dt 29, 22). Osée laisse entendre que les conséquences du péché sont comme vécues d’avance dans le cœur de Dieu) (Os 11,1-8).
« Et toi (Jean Baptiste), petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; car tu marcheras devant le Seigneur, pour lui préparer les voies, pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon de ses péchés; grâce aux entrailles de miséricorde de notre Dieu ((littéralement : « grâce aux tripes de miséricorde »), dans lesquelles nous a visités l’Astre d’en haut, pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, afin de guider nos pas dans le chemin de la paix » (Lc 1,76-79).
Je le sens comme vulnérable face à ma réponse, qu’il joue son va tout, qu’il s’implique entièrement et en même temps il a fait le maximum de ce qu’il pouvait faire pour me ‘séduire’ et m’amener à venir avec lui sans m’influencer d’aucune sorte, dans le respect total de ma liberté.
« Je vais la séduire, et je parlerai à son coeur » (Os 2,16)…
C’est quelque chose d’extrêmement difficile à décrire tellement des choses contraires sont étonnamment et bienheureusement réunies ensemble. Cet Être de Lumière est celui qui parvient à unir des choses qui pourraient être opposées/opposables au premier abord mais dans la Paix. Incroyable !!! Je suis alors tellement surpris d’éprouver une telle liberté que je suis très joyeux. Il attend ma réponse comme suspendu à ce que je vais choisir mais ne me presse pas. Je lui fais ‘assez vite’ un choix que je ne parviens pas à matérialiser dans des mots parce qu’il est au-delà des mots. En fait, dans cet espace infini, je parle plus qu’avec mes tripes : je ne sais comment formuler cela autrement que par : je parle avec mon Être. Les choses se passent de manière très très spontanées et il n’y a pas de ‘contrôle’ : on est comme on est !
Je lui dis que je vais aller jeter un coup d’œil rapide au trou et qu’ensuite je viendrais avec lui. Sitôt formulé, j’avance vers le trou noir et à mesure que je me rapproche de celui-ci, le sentiment de répulsion augmente jusqu’à ce que j’arrive au bord du trou et que je sois littéralement comme aspiré sans que je puisse m’y opposer. Je vois alors mon ‘cœur’ tout noir incliné vers le bas dans cet espace infini noir, sombre, lugubre, sans ‘air’, absolument vide avec rien de rien. Je sens comme une chape de plomb qui s’est abattu sur moi, chape très très lourde à porter. Ce qui me désole le plus dans ce lieu c’est qu’il est vide et que je me sens seul : j’en étais même rendu à souhaiter pouvoir trouver un caillou (oui vous avez bien lu un caillou) car çà aurait été une goutte de consolation dans mon océan de souffrance de solitude extrême. J’espère que vous mesurez à quel point la souffrance est grande pour en arriver à désirer une telle chose. Et le pire, c’est que je ne vois aucun moyen de sortir de ce lieu (aucune lumière, aucun chemin, aucun secours).
C’est alors que lorsque je pense que je vais peut être passer mon éternité dans ce lieu que surgit en moi comme un cri, une posture : je tourne alors mon cœur vers le ‘haut’ (bien que tout étant noir, il n’y avait pas vraiment de haut et de bas) et je formule quelque chose comme ‘non ce n’est pas le désir que j’ai, je mérite mieux que cela, je ne suis pas fait pour ça’. De nulle part, je vois venir une main lumineuse qui me prend et m’arrache (j’insiste sur ce mot, car la main n’y est pas allé de main morte) aux Ténèbres.
Lorenzo Veneziano (1370)
Les Apôtres dans la barque voient Jésus venir vers eux en marchant sur la mer. « Pierre lui dit : Seigneur, si c’est bien toi, donne-moi l’ordre de venir à toi sur les eaux. Viens, dit Jésus. Et Pierre, descendant de la barque, se mit à marcher sur les eaux et vint vers Jésus.Mais, voyant le vent, il prit peur et, commençant à couler, il s’écria : Seigneur, sauve-moi ! Aussitôt Jésus tendit la main et le saisit, en lui disant : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté? » (Mt 14,22-33).
« Vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés » (Col 1,12-14).
Je me retrouve alors instantanément à nouveau dans l’espace lumineux et je ne préciserais plus que tout le reste de l’expérience se passe là dedans (hormis à un moment, je n’ai rien vu comme objet, tout était blanc et c’est tout).
« Jésus prend avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère, et les emmène, à l’écart, sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière » (Mt 17,1-2)…
Je suis derrière un mur de pierre qui a des petites fissures, encore apeuré mais content néanmoins d’être sorti de ces Ténèbres. Je sens que l’Être de Lumière veut me rencontrer personnellement : la Lumière pénètre petit à petit via les fissures, les fissures s’agrandissent jusqu’à ce que le mur explose complètement. Je me retrouve alors face à face avec lui, comme dans une autre ‘pièce’.
Il règne un très grand silence dans cette pièce et je sens que l’Être de Lumière se ‘dévoile’ à moi : il est alors lui-même très silencieux. Face à un tel silence, je sens que le seul moyen d’être en communion avec ce qui se vit dans cette pièce est d’être moi-même silencieux. Son silence appelle mon silence. Je le sens alors comme si il me partage sa ‘solitude’…peut être est ce dans ce grand silence qu’on peut s’approcher de qui il est vraiment, seul à être ce qu’il est, au-delà des mots, des idées, des concepts… C’est en presque troublant…
« Il m’entraîne dans des silences d’où je voudrais ne jamais sortir » (Ste Elisabeth de la Trinité).
Je change alors de ‘pièce’. Je vois alors un puits sur ma gauche d’où jaillit de très belles gerbes lumineuses légèrement colorées à leurs extrémités : ce jaillissement se fait dans un bruissement léger et il est perpétuel, continu mais doux. Je m’approche de ce puits et je vois qu’il est sans fonds et au même moment, il m’est donné de savoir que tout ce qui existe dans l’univers est sorti de ce puits (rien que çà !!!).
L’expérience continue… Je vois alors que ce que je suis est comme comprimé et en présence de cet Être de Lumière, je vois que mon potentiel de croissance explose littéralement dans une grande gerbe qui s’étire à une très grande vitesse. J’ai l’impression alors de monter et au fur à mesure que je monte, je sens comme si je traverse des ‘sphères’ : à chaque fois je ressens les choses (amour, paix, bonheur) avec encore plus d’acuité et de profondeur et je pense être arrivé au maximum de ce que je peux expérimenter et à chaque fois ce n’est pas le cas… il y a encore et encore à profusion… chaque fois que je franchis une sphère, l’acuité et la profondeur sont encore plus intenses…
Jésus disait : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite… Heureux les pauvres de coeur, le Royaume des Cieux est à eux… Heureux les artisans de paix… Heureux les doux… Je suis doux et humble de coeur » (Jn 15,10, Mt 5,1-12; 11,29).
Il y a ensuite comme un échange entre l’Être de Lumière et moi, comme dans une danse… Je vis alors quelque chose de paradoxal : l’Être de Lumière me dévoile progressivement et de manière de plus en plus étendue mon ‘identité’ . A son contact, je deviens de plus en plus ‘moi-même’ et il me connait mieux que moi-même : incroyable qu’un « inconnu » me connaisse mieux que moi-même et me donne d’être ce que je découvre de moi. J’ai trouvé une autre façon d’exprimer cela dans l’exhortation apostolique du Pape François au chapitre I, v. 39 : « Tu arriveras à être ce que le Père a pensé quand il t’a créé et tu seras fidèle à ton propre être. » Saint Augustin en parle lui aussi : « Toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même, et plus élevé que les cimes de moi-même ». Suivant que mon ‘attention’ était sur lui ou sur moi, je me voyais comme faisant partie de lui ou je le voyais en moi.
Jésus disait : « Père, que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous… Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité »… « Recevez donc l’Esprit Saint », « l’Esprit de Dieu, l’Esprit de gloire » (Jn 17,20-26; 20,22; 1P 4,14)…
Je sens alors que quelque chose comme un ‘sommet’ va être atteint tellement tout est intense. Je sens que je vais franchir alors un point de non retour : si je passe au-delà de ce point de non retour, alors je ne peux plus revenir en arrière. Ce point de non retour s’est matérialisé par une barrière en bois pas très haute (comme la barrière d’un enclos). Je comprends que je ne peux aller plus loin et j’entends cette phrase : « Non pas maintenant ». L’expérience se termine alors et je reviens à moi.
Pour conclure, je vous partage cette prière de John Henry Newmann que j’aime beaucoup :
Mon Seigneur Jésus, toi dont l’amour pour moi a été assez grand pour te faire descendre du ciel afin de me sauver, cher Seigneur, montre-moi mon péché, montre-moi mon indignité, apprends-moi à m’en repentir sincèrement, pardonne-moi dans ta miséricorde. Je te demande, mon cher Sauveur, de reprendre possession de moi-même. Seule ta grâce peut le faire ; je ne peux pas me sauver moi-même ; je suis incapable de recouvrer ce que j’ai perdu. Sans toi, je ne peux pas me tourner vers toi, ni te plaire. Si je compte sur ma propre force, j’irai de mal en pis, je défaillirai complètement, je m’endurcirai dans la négligence. Je ferais mon centre de moi-même au lieu de le faire de toi. J’adorerai quelque idole, façonnée par moi-même, au lieu de t’adorer, toi le seul Dieu véritable, mon Créateur, si tu ne m’en empêches pas par ta grâce. Ô mon cher Seigneur, entends-moi ! J’ai assez vécu dans cet état flottant, indécis et médiocre ; je veux être ton fidèle serviteur, je veux ne plus pécher. Sois miséricordieux envers moi, fais qu’il me soit possible, par ta grâce, de devenir ce que je sais que je devrais être.
Jean.
(Témoignage reçu le 15 décembre 2018. DJF)