Le pape François a participé le 21 juin 2019 à la Rencontre théologique organisée par la Faculté pontificale de théologie de l’Italie méridionale à Naples ; elle avait pour thème « La théologie après Veritatis gaudium dans le contexte de la Méditerranée ».
Dans son exposé sur l’exercice de la théologie, le pape François n’a pas évoqué la figure de la Vierge Marie, toujours présente dans sa pensée et dans sa prière.
Je voudrais ici mettre en parallèle l’enseignement du pape avec la Vierge Marie, qui occupe dans l’Église la première place parmi les fidèles sauvés par son Fils, Jésus le Christ. En effet, les prières eucharistiques placent la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, avant les apôtres, les martyrs, les docteurs et les saints. Elle est « la toute sainte », habitée par le Saint-Esprit.
La grandeur de Marie trouve sa source dans sa foi en la Parole de Dieu. Aussi est-elle appelée bienheureuse. La foi de Marie est la foi de l’Église. Par son Immaculée Conception, mystère d’absence de péché et de plénitude de grâce au commencement de son existence dans le sein de sa mère que la tradition appelle Anne, épouse de Joachim, Marie jouit d’une intelligence exceptionnelle de la foi en la Parole de Dieu. Sanctifiée par le Saint-Esprit, Marie vit de la foi dans le Verbe de Dieu à travers les questions et l’abandon.
La théologie suppose le déploiement de la raison pour répondre aux questions dans la lumière de la foi en Dieu. Puisqu’il s’agit du mystère de Dieu, la théologie ne peut s’exercer que dans la foi. Le théologien cherche à comprendre et à rendre compte de l’espérance qui est en lui. La foi, grâce de Dieu et tâche humaine, fait entrer dans le cœur de Dieu par la médiation et l’étude de la Révélation divine transmise dans les Saintes Écritures.
La théologie, la foi et la prière
Seul Dieu peut faire connaître Dieu. Seul Dieu parle bien de Dieu. Le théologien se met à l’écoute de la Parole de Dieu dans un climat de prière contemplative en implorant la lumière de l’Esprit Saint.
Le pape souligne que « l’on ne peut faire de la théologie qu’à « genoux ». Les évangélistes aussi bien que l’art chrétien présentent Marie en prière.
Dans son cheminement spirituel de foi, Marie, femme intelligente et libre, s’est posé des questions : « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1, 34), à l’Annonciation ; « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! ton père et moi, nous te cherchons angoissés. » (Lc 2,48), lors du recouvrement de Jésus au Temple de Jérusalem. Et saint Luc, l’évangéliste de préciser que Marie et Joseph ne comprirent pas la réponse de Jésus : « Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? » (Lc 2, 49).
Marie n’a pas tout compris à l’avance. Elle a avancé dans la foi, avec la lumière et l’ombre propres à la démarche de foi. La foi biblique renvoie à la Parole de Dieu. Croire, c’est adhérer à la Parole révélée qui est lumière mais les prophéties comportent aussi leur part d’obscurité. Aussi des mystiques comme saint Jean de la Croix parlent-ils de la nuit de la foi et des exégètes comme le père Lagrange évoquent l’obscurité du texte biblique.
Le théologien se pose des questions sur Dieu et il pose des questions sur Dieu aux autres. Saint Thomas d’Aquin (+1274), le grand maître de la théologie, commence chaque article de la Somme théologique par une question. Et il n’a pas peur des questions. Tout au contraire, la joie du théologien se trouve dans le dialogue et le débat contradictoire à la recherche de la Vérité, qui étant une personne, le Christ Jésus, ne saurait rester enfermée dans des définitions conceptuelles ou des mots : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6).
Le bienheureux Pierre Claverie O.P., évêque martyr en Algérie, affirmait : « J’ai besoin de la vérité des autres. » Loin de tout relativisme ou scepticisme, il partageait son expérience de Dieu et des hommes.
À l’exemple de Marie, le théologien se pose des questions et il cherche des réponses en mettant en œuvre la lumière de la raison éclairée par la grâce de la foi.
La théologie, les processus et le progrès dans la connaissance de la Vérité
Tout au long de son existence, Marie a approfondi le mystère de la foi, gardant les paroles et les événements de la vie de son fils Jésus dans son cœur » (cf. Lc 2, 51). Marie a progressé dans la foi en son Fils, jour après jour dans la vie ordinaire de Nazareth. Sur le Calvaire aussi, quand une épée a transpercé son âme (cf. Lc 2, 35), dans la communion de la prière au Cénacle au jour de la Pentecôte, au cœur de la communauté apostolique réunie au nom de Jésus dans l’attente de la descente de l’Esprit Saint.
Marie a grandi dans la connaissance de Dieu auprès de son Fils et au milieu de l’Église. La Constitution « Lumen gentium » du concile Vatican II au chapitre VIII a tenu à situer la Vierge Marie dans le mystère du Christ et de l’Église. Les théologiens chrétiens s’interrogent sur Dieu « dans le mystère du Christ et de l’Église ».
La théologie est toujours en chemin puisque le Christ Jésus est Chemin, Vérité et Vie. Marie-Joseph Lagrange a toujours été habité par une vision dynamique et progressive de l’histoire et de l’exégèse. Pour lui, la vérité était « une vérité en marche ». Dans son discours pour l’inauguration de l’École biblique de Jérusalem, il avait déjà entrevu le beau chemin à parcourir : « Dieu a donné dans la Bible un travail interminable à l’intelligence humaine et, remarquez-le bien, il lui a ouvert un champ indéfini de progrès dans la vérité[1]. » À la suite de saint Vincent de Lérins, le père Lagrange tenait à l’idée du développement de la connaissance de Dieu qui s’exprime dans les dogmes. Il ne s’agit pas d’un changement mais d’un progrès à la manière de la maturation du grain de blé qui devient épi ou de l’enfant qui parvient à l’âge adulte.
Dans la Constitution apostolique « Veritatis Gaudium » sur les universités et les facultés ecclésiastiques, en date du 27 décembre 2017, le pape François a cité la pensée de saint Vincent de Lérins : « Le théologien qui se satisfait de sa pensée complète et achevée est un médiocre. Le bon théologien et philosophe a une pensée ouverte, c’est-à-dire incomplète, toujours ouverte au maius de Dieu et de la vérité, toujours en développement, selon la loi que saint Vincent de Lérins décrit ainsi : « annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate » (Commonitorium primum, 23 ; PL 50,668) [2]« . » La vérité se consolide avec les années, elle se développe dans le temps, devenant plus profonde avec l’âge.
D’une manière poétique, Juan Ramón Jiménez, Prix Nobel de littérature en 1956, reliait ainsi l’ancien et le nouveau : « Des racines et des ailes. Mais que les ailes s’enracinent et que les racines volent. » Cette découverte infinie de la vérité se trouve explicitée dans l’Évangile. Jésus exige du bon professeur qu’ « il tire de son trésor du neuf et de l’ancien » (Évangile selon saint Matthieu 13, 52). Le théologien n’est pas un répétiteur ni la vie spirituelle un moule. « Chacun va à Dieu par un chemin virginal », s’exclamait le poète Léon Felipe. Il n’y a pas un seul évangile mais quatre approches différentes du mystère de la vie de Jésus et ces quatre évangiles vont engendrer une multitude de commentaires et d’approfondissement au cours de l’histoire de l’Église qui manifesteront la richesse inépuisable de la Parole de Dieu, transmise de génération en génération sous l’action de l’Esprit Saint. Il y a pluralisme dans la présentation du mystère de Jésus dans les quatre évangiles. Il y a aussi un pluralisme théologique voulu par Dieu dans l’unité de la foi manifesté dans le Credo. Le pape François aime l’image et le modèle du polyèdre pour évoquer la théologie vécue en dialogue et dans l’inculturation.
Femme théologienne
Le pape François a insisté à Naples sur la nécessité de « promouvoir des processus ». La Vierge Marie, femme et mère, a œuvré au développement du salut dans le temps. La femme, de par son corps, a un rapport au temps différent de celui de l’homme. Elle connaît le processus mensuel de sa féminité féconde. Elle sait par son corps que le don d’elle-même à l’homme engagera un processus interne de maternité de neuf mois et pratiquement toute une vie au service de l’enfant. En ce sens, la Vierge Marie représente un modèle d’hospitalité de la Vie de Dieu et de la vie humaine ainsi qu’un paradigme dans l’amour durable, fidèle et absolu.
Marie a préparé la venue du Messie. Elle a impulsé la manifestation publique de Jésus à Cana lors de l’accomplissement du premier miracle dans l’Évangile selon saint Jean. Après l’Ascension de Jésus au Ciel, Marie a préparé la venue de l’Esprit Saint sur les apôtres en priant au Cénacle en communion avec les disciples de Jésus. Maintenant Marie prépare par son intercession la venue du Christ dans nos cœurs et son retour à la fin de l’histoire.
La maternité spirituelle de Marie envers l’Église et l’humanité ne va pas sans douleur. Si la tradition de l’Église parle de la virginité de Marie, avant, pendant et après son accouchement de Jésus, il n’en va pas de même de sa maternité spirituelle qui provoque en elle « des déchirures de l’âme » à comparer aux déchirures de la mise au monde.
Le pape François met en valeur la contribution des femmes à la théologie, à Naples et ailleurs dans le monde[3].
La théologie et le discernement
La plénitude de la pensée théologique passe par la sainteté. Il y a une sainteté de l’intelligence de la foi nécessaire aux théologiens. Seule la sainteté conduit au sommet de la théologie par l’intelligence de la foi. Les grands théologiens sont de grands saints. Marie, la toute sainte, la Mère du bel amour, brille au Ciel comme la grande théologienne. Saint Paul enseigne que l’amour donne le discernement : « Et voici ma prière : que votre charité croissant toujours de plus en plus s’épanche en cette vraie science et ce tact affiné qui vous donneront de discerner ce qui est important. » (Épître aux Philippiens, 1, 9-10).
Le théologien reçoit la mission de discerner les signes des temps et d’orienter la marche de l’histoire selon la volonté de Dieu. Les événements appellent interprétation et discernement en vue d’un choix pour que « nos peuples aient la vie en Jésus-Christ » selon le titre de la Ve Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes au sanctuaire brésilien d’Aparecida au mois de mai 2017 : « Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en lui (Jn 14, 6)[4] » Le cardinal argentin Jorge Bergoglio avait reçu la charge de diriger la rédaction finale de cette Conférence latino-américaine. Devenu pape, il enlèvera dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium[5] la conjonction « et » du début du titre pour mieux relier et de manière inséparable le fait d’être disciple et l’envoi en mission : « disciple-missionnaire ». Le disciple de Jésus, l’Envoyé du Père, est automatiquement missionnaire sinon il n’est pas un vrai disciple. Le missionnaire annonce Jésus comme témoin et disciple selon l’enseignement voulu par le maître qui l’a envoyé. A fortiori, le théologien exerce son ministère d’intelligence de la foi comme disciple-missionnaire, à l’image de la Vierge Marie, premier disciple de Jésus, la première chrétienne, ainsi que la première missionnaire de Jésus qu’elle a porté dans son sein. Lors de la Visitation à sa cousine Élisabeth, Marie porte en elle le Verbe fait chair. La présence de Jésus dans le cœur et dans le sein de Marie fait exulter d’allégresse Jean le Baptiste porté dans le sein de sa mère, Élisabeth. Marie a transmis la Bonne Nouvelle de la venue du Messie, le Verbe fait chair en elle.
La transmission de l’Évangile
Saint Thomas d’Aquin nous enseigne dans la Somme théologique « qu’il est plus beau d’éclairer que de briller seulement, de même est-il plus beau de transmettre aux autres ce qu’on a contemplé que de contempler seulement.[6] » Il y a des « stars », des étoiles qui brillent et des étoiles qui éclairent. Marie est une étoile qui éclaire. Contemplative dans l’action, elle voit Dieu en toute chose et toute chose en Dieu. Disciple-missionnaire de son fils Jésus, elle transmet la richesse du mystère de Dieu contemplé dans son cœur.
Marie n’a pas fait de prosélytisme. Elle a porté Jésus en elle comme mère physique et en tant que disciple et missionnaire. N’agissant jamais en mère possessive, Marie conduit toujours à Jésus comme le montrent les noces de Cana où elle oriente les serviteurs vers le seul Sauveur : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2, 5).
Marie a transmis aussi aux apôtres et à la première communauté chrétienne de Jérusalem son expérience de Dieu. Qui d’autre aurait pu renseigner les premiers chrétiens sur l’Annonciation et l’enfance de Jésus hormis sa propre mère, Marie ? Dans son ouvrage de vulgarisation exégétique « L’Évangile de Jésus-Christ », le père Marie-Joseph Lagrange commente cette transmission du mystère de l’Incarnation du Verbe par saint Luc, évangéliste et historien, qui relie la vie cachée du Sauveur à la grande histoire du temps : « C’est de la Mère de Jésus elle-même que les disciples tenaient ce qu’il y a de plus intime dans ses origines très humbles.[7] »
Femme juive, cent pour cent juive, première chrétienne, cent pour cent chrétienne, Marie relie à la manière d’un chaînon l’Ancien et le Nouveau Testament. En devenant chrétienne, elle accomplit sa foi juive. Fille d’Abraham, Marie établit un pont entre la Première Alliance et l’Alliance nouvelle et éternelle de Jésus-Christ. Elle fait passer l’ancienne Loi de Moïse dans la nouvelle Loi de Jésus, celle de l’Esprit Saint, répandu à la Pentecôte.
À la synagogue, Marie exulte de bonheur en entendant la lecture en hébreu de la Loi, des Prophètes et des Psaumes. Le commentaire a lieu en langue araméenne, la langue que Marie parle au quotidien. Elle connaît probablement quelques mots de la langue grecque et de la langue latine. Parler deux langues représente déjà un dialogue intérieur et deux regards différents sur le monde, ce qui facilite l’ouverture à l’altérité et la reconnaissance des valeurs dans l’autre.
Le dialogue interreligieux et interculturel passe par la connaissance et le pluralisme des langues. Le pape François désire « la rencontre des cultures avec les sources de la Révélation et de la Tradition », en allant dans le sens d’une « Pentecôte théologique ».
Par sa foi à l’Annonciation, Marie accueille le Verbe dans son sein au nom de toute l’humanité. Nouvelle Ève, elle devient cause de salut pour tous les hommes. Marie a accueilli le Fils de Dieu qui prendra chair en elle devenant ainsi la Tête de l’Église qui est le Corps du Christ, le Christ total : Jésus, la Tête, et les baptisés, ses membres. En accueillant le Fils de Dieu, Marie va accueillir aussi l’humanité sauvée par son Fils. Elle sera Mère de Jésus, Mère de Dieu et Mère de l’Église.
Le concile Vatican II, dans sa constitution « Gaudium et spes » (n°22), enseigne que par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est uni « en quelque sorte » à tout homme. Il y aura désormais un commun dénominateur entre la Sainte Trinité et tous les hommes : l’humanité de Jésus le Christ. Par cette humanité partagée, Jésus relie tout homme à l’amour trinitaire du Père, du Fils et de l’Esprit. Le dialogue interreligieux repose sur ce mystère de l’Incarnation où le Fils de Dieu rejoint et élève tout homme de bonne volonté à la gloire du Père. Le pape François travaille pour que les hommes se gardent mutuellement « dans l’unique famille humaine ».
Par ailleurs, la prière sur les offrandes de la messe en la fête de l’Annonciation, annonce la naissance de l’Église dans le sein de Marie en ce jour-là : « Daigne accepter, Dieu tout-puissant, les dons offerts par ton Église : elle n’oublie pas qu’elle a commencé le jour où ton Verbe s’est fait chair ; accorde-nous, en cette fête de l’Annonciation, de célébrer avec joie les mystères du Christ. »
Jésus étant la Tête de l’Église, là où se trouve la Tête du Corps tous les membres de l’Église présents et à venir, se trouvent aussi reliés dans l’Incarnation du Fils de Dieu. Si l’Église est née dans le sein de Marie au jour de l’Annonciation, selon la loi « lex orandi, lex credendi », chaque croyant en Jésus a Marie pour Mère spirituelle. Celle qui a donné la vie humaine au fils de Dieu, intercède comme mère spirituelle pour les membres du Corps de son Fils, l’Église. Bossuet définissait l’Église comme « le Christ répandu et communiqué ». La maternité de Marie est répandue en son Fils pour tous ceux qui l’accueillent avec foi et qui deviennent enfants de Dieu faisant corps avec le Fils unique de Dieu (cf. Jn 1, 12).
Marie agit avec sa tendresse maternelle de manière inclusive en veillant à rassembler tous les hommes. La joie de toute mère est de voir ses enfants réunis dans la paix et l’harmonie. Marie intercède auprès de son Fils Jésus pour que l’humanité se rencontre dans le respect et l’esprit fraternel. Marie prend la défense de chaque enfant de Dieu et elle favorise des liens entre les enfants fort différents les uns des autres dans un esprit d’égale dignité, l’opposé du « syndrome de Babel » commenté par le pape François, qui consiste « à ne pas écouter ce que dit l’autre et à croire que je sais ce que l’autre pense et ce que l’autre dira ».
En bonne éducatrice, Marie, mère de Jésus, cherche à effacer le désir de puissance et de domination, en apportant une culture du dialogue et du respect des différences entre les enfants des hommes. La violence étant le langage de ceux qui n’en ont pas, Marie met en lumière la Parole, le Verbe, le Logos en grec qui désigne la raison et la parole, et le dialogue, « dia-logos », en grec. Le dialogue dans l’Église ne correspond pas à une mode mais à l’être même de Dieu qui est dialogue entre le Père et le Fils dans la communion du Saint-Esprit. En ce sens, le dialogue représente une expérience de Dieu.
Théologie de la miséricorde
Aujourd’hui, dans les sanctuaires consacrés à la Mère de Dieu, Marie écoute, parle et donne la parole. Auprès de Marie, les hommes se sentent écoutés, respectés et aimés. Que de dialogues entre Marie et l’humanité sur les cinq continents depuis des siècles. Les malades, les humiliés et les pauvres ont confiance en Marie. Ils lui parlent et se confient à sa prière. En hébreu, le mot miséricorde vient du mot « utérus », « rehem » ; « rahamin », entrailles. Avoir miséricorde renvoie à la sensibilité intime de la mère devant la souffrance de son enfant. Frémissement et réaction. La Vierge Marie, Mère de miséricorde, frémit et réagit en faveur de ceux qui sont considérés ou plutôt déconsidérés comme des « déchets », les naufragés de l’histoire.
Une théologie de l’hospitalité et du dialogue
Modèle d’hospitalité, Marie exercera sa maternité spirituelle selon la volonté de Jésus sur le Calvaire. Le pape François voit dans le mystère pascal la clé de l’interprétation de l’histoire humaine. La Vierge Marie témoigne de la descente du Fils de Dieu sur la terre et dans les ténèbres du mal et de la mort. Debout, près de la croix, elle a vu son fils Jésus souffrir et mourir. La croix joue le rôle d’une clé qui permet d’ouvrir les portes du sens de l’histoire. Par la croix de Jésus le Christ, le théologien déverrouille les énigmes des événements. Au lieu d’interpréter l’histoire uniquement en fonction des rapports de force pour aboutir à un résultat matériel, la croix de Jésus interpelle les rapports sociaux et elle illumine le mystère de l’homme en dévoilant les pensées secrètes des hommes (cf. Évangile selon saint Luc 2, 35).
Si les évangiles ne rapportent pas d’apparition de Jésus ressuscité à sa mère, de nombreux saints et théologiens y croient dans une logique de l’amour filial : saint Vincent Ferrier O.P., saint Ignace de Loyola, le serviteur de Dieu, le père Marie-Joseph Lagrange, le saint pape Jean-Paul II et bien d’autres.
Marie est témoin de la descente et de l’Ascension de Jésus. Mère de miséricorde, comme le chante le Salve Regina, Marie frémit dans son sein devant les souffrances de l’humanité. Théologienne de la miséricorde et de la proximité, Marie est la femme la plus connue et la plus aimée au monde et dans l’histoire des hommes. Fille d’Israël, pays baigné par la mer Méditerranée, elle a chanté la miséricorde de Dieu dans le Magnificat.
Le pape François parle de la Méditerranée comme « un pont – historique, géographique, humain – entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Il cite Giorgio La Pira, ancien maire de Florence (Italie), laïc dominicain, qui proposait d’installer « une grande tente de paix », à l’image des tentes de la rencontre et de la justice décrites dans l’Ancien Testament. Il s’agit de se rassembler « sous la même tente », un tente commune, à l’image de la terre, appelée par François « la maison commune ». Le pape voit aussi dans la Méditerranée « la matrice historique, géographique et culturelle » de l’annonce du mystère de la mort et de la résurrection de Jésus ainsi que « le laboratoire » de la recherche théologique.
Notre-Dame des réfugiés
Marie et Joseph ont vécu la fuite en Égypte (cf. Évangile selon saint Matthieu 2, 13-16). Réfugiés politiques, s’éloignant de la menace du roi Hérode pour protéger la vie de l’enfant Jésus, ils ont souffert dans leur exil. Ils savent ce que c’est que d’être regardés comme des inconnus qui dérangent. Aussi pouvons-nous invoquer la Vierge Marie sous le vocable de « Notre-Dame des réfugiés » et saint Joseph, comme le patron des réfugiés.
Le pape fait appel à la création de nouveaux récits pour renforcer les liens entre les populations de la Méditerranée, caractérisées par le métissage et l’ouverture culturelle à l’autre. Pourquoi ne pas actualiser les paraboles de l’Évangile dans ce souci de renouveler les références littéraires symboliques de la Méditerranée ? La parabole du bon Samaritain[8], étranger détesté par les autorités de la capitale Jérusalem, qui prend soin d’une victime des bandits à la différence des gens religieux qui ferment les yeux sur ce malheur, pourrait illustrer la réalité des réfugiés étrangers dans la Méditerranée. Des gens bien-pensants et religieux peuvent faire semblant de ne pas voir leur souffrance et accorder la priorité au bien-être de leur famille ou de leur nation. Le saint pape Jean XXIII écrivait déjà avant la Seconde Guerre mondiale dans son journal spirituel : « Les deux grands maux qui intoxiquent aujourd’hui le monde sont le laïcisme et le nationalisme. (…) Au second les ecclésiastiques eux-mêmes apportent leur concours[9] ».
En Méditerranée, quand la tempête soulève le vent et les vagues qui menacent de renverser les bateaux, les marins se tournent vers la Vierge Marie. Un grand nombre de chapelles et d’ex-voto témoignent des grâces reçues.
Puisse l’intercession de la Vierge Marie, fille bien-aimée du Père, épouse du Saint-Esprit et mère de Jésus, le Fils de Dieu, obtenir à l’Église le renouvellement de la théologie et l’envoi de théologiens, hommes et femmes, ayant soif de vérité, de dialogue et de paix.
Saint-Denis (La Réunion. France), en la fête du Sacré-Cœur de Jésus et de saint Irénée de Lyon, le 28 juin 2019.
[1] Discours pour l’inauguration de l’École biblique de Jérusalem, le 15 novembre 1890. Le père Lagrange au service de la Bible. Souvenirs personnels, Paris, Cerf, 1967, p. 104.
[2] Pape François. Discours à la Communauté de l’Université Pontificale Grégorienne et aux Membres de l’Institut Biblique et de l’Institut Oriental Pontifical, 10 avril 2014, AAS 106 (2014), 374.
[3] Voir l’exemple en France des sœurs dominicaines de la Présentation de Tours : https://precheraufeminin.com/
[4] Ve Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes. Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en lui. Aparecida, Paris, Cerf, 2008.
[5] Pape François, La joie de l’Évangile, exhortation apostolique Evangelii gaudium, 24 novembre 2013.
[6] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, q. 188, art. 6.
[7] Marie-Joseph Lagrange, O.P., « L’Évangile de Jésus-Christ avec la synopse évangélique, traduite par le père Ceslas Lavergne, O.P. », préface de Jean-Michel Poffet, O.P., présentation de Manuel Rivero O.P.Paris, éditions Arthège/Lethielleux. 2017. P. 41.
[8] Cf. Manuel Rivero. Pour une théologie de la communication. Paris. Éditions Parole et silence. 2015. P. 29s. L’actualisation des paraboles.
[9] Jean XXIII. Journal de l’âme, écrits spirituels. Paris. Éditions du Cerf. 1965. P. 407.