Dédicace de la Basilique du Latran – par le Diacre Jacques FOURNIER (St Jn 2, 13-22)

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Le Temple Nouveau de l’Alliance Nouvelle (Jn 2,13-22).

Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment. Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.

      

Dans l’Evangile selon St Jean, nous sommes ici au tout début du ministère public de Jésus. Chez Matthieu (Mt 21,12-17), Marc (Mc 11,15-19) et Luc (Lc 19,45‑46), Jésus chasse les animaux du Temple lors de son dernier séjour à Jérusalem, juste après son entrée triomphale sur un petit âne… Son arrestation et sa Passion auront lieu peu après…

          Pourquoi St Jean a-t-il voulu placer cet épisode au tout début ? Le contexte permet de répondre. Juste avant, nous trouvons le récit du miracle des Noces de Cana (Jn 2,1-12), un miracle qu’il est le seul à nous rapporter. C’est à ce moment-là que commence véritablement en St Jean le ministère public de Jésus. Or, le thème des noces intervient très souvent dans la Bible pour évoquer l’Alliance de Dieu avec son Peuple (Os 2,16-25; Jr 2,1-2; 3,1.6-12; Ez 16; Is 50,1; 54,4-8; 62,4-5), et cela notamment avec la formule si fréquente : « Vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu » (Lv 26,12 ; Jr 7,23 ; 11,4 ; 30,22 ; Ez 36,28). Cette expression était celle habituellement employée lors des mariages. Le fiancé disait ainsi à sa fiancée : « Je suis ton mari ». Et la fiancée déclarait à son tour : « Je suis ta femme » (cf. Dt 26,16-19).

          Le miracle des Noces de Cana évoque donc l’Alliance de Dieu avec les hommes, et il dit, en actes, le passage de l’Ancienne Alliance à la Nouvelle. En effet, pour changer l’eau en vin, Jésus ne va pas utiliser n’importe quelle eau : il va se servir de celle employée pour les ablutions rituelles prescrites par la Loi de Moïse. Les six jarres de pierre qu’il invite à remplir à ras bord vont donc symboliser cette Loi qui était au cœur de l’Ancienne Alliance. Or cette eau va devenir du vin, qui, lui, va symboliser le Don de l’Esprit Saint. « L’eau de la lettre devient le vin de l’Esprit que Jésus apporte avec sa personne » (P. Ignace de la Potterie). Dans le cadre de la Nouvelle Alliance, les disciples de Jésus ne sont donc pas placés sous une Loi, mais sous le dynamisme de l’Esprit qui, jour après jour, les invite à mener une vie nouvelle. Avec Jésus, nous sommes donc passés de « la lettre » de la Loi à « la vie » de l’Esprit, un Esprit donné gratuitement, par amour (Jn 4,10 ; Ac 2,38 ; 1Th 4,8), pour aider les pécheurs que nous sommes à se repentir de tout cœur (Ac 5,31-32 ; 11,18), pour les laver, les purifier, les justifier (1Co 6,11), et leur donner de pouvoir enfin agir en meilleure harmonie avec ce que Dieu attend de chacun d’entre nous… « Nous sommes les ministres d’une Alliance nouvelle », écrit St Paul, « fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2Co 3,6). « Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir », et « le fruit de l’Esprit est  amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. En ces domaines, la Loi n’intervient pas » (Ga 5,25.22).

          Or les deux piliers de la foi en Israël étaient la Loi et le Temple. Dès les premières pages de son Evangile, St Jean, Juif, s’attache donc à présenter Jésus comme celui qui est venu donner à l’Ancienne Alliance d’atteindre son plein accomplissement. « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5,17). La Loi ne faisait qu’indiquer la route à suivre. Jésus, avec le Don de l’Esprit Saint, ce « bon vin » du miracle de Cana, va donner à l’homme pécheur, incapable de faire quoique ce soit dans ce domaine par lui‑même (Jn 15,5), de pouvoir enfin vivre en enfant de ce Père (Jn 1,12) qui Est Amour (1Jn 4,8.16), qui n’Est qu’Amour. En effet, « l’Amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). C’est pourquoi « le fruit de l’Esprit », s’il a vraiment été reçu, ne peut qu’être « amour, joie (d’où le symbolisme du vin), paix » (Ga 5,22). Et « celui qui aime », grâce à ce Don de l’Esprit, grâce à sa Présence, sa Force et son Soutien, celui-là « a de ce fait accompli la Loi. En effet, le précepte : « Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas » (Ex 20,1-17), et tous les autres se résument en cette formule : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22,34-40). La charité ne fait point de tort au prochain. La charité est donc la Loi dans sa plénitude » (Rm 13,8‑10).

          A Cana, la Loi laisse donc la place à l’Esprit. Et juste après, dans notre épisode des marchands chassés du Temple (Jn 2,13-22), le Temple de Jérusalem, ce deuxième pilier de la foi en Israël, va lui aussi céder sa place à Jésus lui-même. En effet, « les bœufs, les brebis et les colombes » étaient destinés aux sacrifices à offrir en obéissance à la Loi de Moïse, et cela pour recevoir notamment le pardon de ses péchés. Sans eux, plus de sacrifices… Jésus, en les chassant, rend donc impossible ce culte pourtant conforme à la Loi, et le Temple ne sert plus à rien, du moins dans cette logique là ! On comprend la rage du Grand Prêtre et des anciens, et cela d’autant plus qu’ils tiraient de tout ce commerce d’animaux de juteux bénéfices… Mais Celui qui agit ainsi est « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29.36), celui qui s’offrira en sacrifice « une fois pour toutes » (Hb 7,26-28 ; 9,26 ; 10,10), pour le péché de tous les hommes de tous les temps (1Jn 1,8-2,2 ; 4,10)… « « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » … Il parlait du sanctuaire de son corps. »

          Jusqu’à présent, St Jean nous avait parlé du « Temple » (Jn 2,14.15). Ici, Jésus utilise un autre mot, « le sanctuaire », qui désigne l’endroit le plus sacré du Temple, ce « Saint des Saints » (Ex 26,33-34) où, croyait-on, Dieu en personne siégeait sur un Trône, « l’Arche d’Alliance » (1R 8,6), qui contenait les deux tables de la Loi (Dt 10,1-5 ; 1R 8,9) et un peu de cette manne dont Israël s’était nourri pendant quarante ans au désert (Hb 9,4). Jésus lui-même est donc « le sanctuaire » nouveau de l’Alliance Nouvelle : quiconque désire rencontrer le Père est invité à venir à lui, à croire en lui…

          En effet, ne croyait-on pas que Dieu habitait dans le Temple ? Et Jésus dira : « Le Père est en moi » (Jn 10,38 ; 14,10-11 ; 17,21). Mais comment une personne peut-elle « dans » une autre personne ? Une personne étant un être unique, irréductible à elle-même, elle ne peut qu’être en face à face avec une autre personne. Le Père est le seul à être le Père, et le Fils le seul à être le Fils. Tous les deux sont deux personnes divines uniques, et à ce titre, ils ne peuvent qu’être en face à face, et cela de toute éternité. Alors comment comprendre une telle expression : « le Père est en moi » ?

          En Jn 10,30, Jésus nous met sur la piste lorsqu’il déclare : « Moi et le Père nous sommes un ». Or, dans le grec des Evangiles, « moi » renvoie à Jésus, le Fils, masculin, et « le Père » bien sûr est lui aussi au masculin, mais l’adjectif numéral « un » n’est pas au masculin mais au neutre, un genre qui renvoie habituellement au domaine des choses… L’unité entre le Père et le Fils n’est donc pas à comprendre en terme de personnes : seul le Père est le Père, seul le Fils est le Fils. Leur unité est à chercher dans une réalité non personnifiée. Exprimons la par des exemples. « Dieu est Lumière » nous dit St Jean (1Jn 1,5). Le Père est donc Lumière, et le Fils aussi est Lumière : « Je Suis la Lumière du monde », nous dit-il. « Moi, Lumière, je suis venu dans le monde pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres », mais « ait la lumière de la vie » (Jn 8,12 ; 12,46). Seul le Père est le Père, seul le Fils est le Fils, mais si le Père est Lumière, le Fils lui aussi est Lumière en tant que « Lumière née de la Lumière ». Et ceci est vrai pour toute richesse divine, pour tout ce qui fait que Dieu est Dieu. Le Fils n’est pas le Père, le Père n’est pas le Fils, mais tout ce qu’Est le Père, le Fils l’Est lui aussi en tant « qu’unique engendré » (Jn 1,14.18 ; 3,16.18), né du Père avant tous les siècles, Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu…

          Le Père et le Fils sont donc « un » en tant qu’unis l’un à l’autre dans la communion d’une seule et même nature divine, qui est tout à la fois « Amour » (1Jn 4,8.16), « Esprit » (Jn 4,24), « Lumière » (1Jn 1,5). C’est en ce sens que, alors même que le Père et le Fils sont en face à face, tout ce qui Est dans le Père Est dans le Fils, le Père donnant au Fils de toute éternité tout ce qu’Il Est, l’engendrant ainsi en Fils, le Fils recevant du Père tout ce qu’Est le Père en « Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu, de même nature que le Père »… Le Père et le Fils, toujours en face à face, sont donc « un » en tant qu’unis l’un à l’autre dans la communion d’un même Esprit, le Père le donnant au Fils de toute éternité, le Fils le recevant du Père de toute éternité, ce seul mot « Esprit » évoquant ici tout ce que Dieu est en Lui-même, sa nature divine…

          Or toute la mission de Jésus Sauveur est de communiquer à tous les hommes tout ce qu’il reçoit lui-même du Père de toute éternité : la Plénitude de l’Esprit. Si nous acceptons par le oui de tout cœur de notre foi de recevoir ce Don de Dieu (Jn 4,10 ; 7,37-39), nous entrerons par notre vie même, en le vivant, dans ce Temple Nouveau de l’Alliance Nouvelle qu’est ce Mystère de Communion dans l’unité d’un même Esprit (Ep 4,3 ; 1Co 6,17 ; Jn 17,20-23)…

Jacques Fournier

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