Quels pasteurs pour quelle Eglise ?
« Je connais mes brebis, elles écoutent ma voix ». Frères et sœurs, la liturgie de ce dimanche constitue pratiquement un passage obligé : c’est le dimanche du bon Pasteur. Il est donc de bon ton de parler des vocations et faire, si je puis dire le « sergent recruteur » local. En fait, je me propose d’inverser les rôles aujourd’hui. On parle de la crise des vocations, on dit que dans vingt ans, il n’y aura plus de prêtres, que les communautés devront se débrouiller autrement, mais la question est peut-être mal posée : il ne s’agit pas, comme on le dit trop souvent, d’expliquer pourquoi il n’y a plus de vocations. Il importe, à mon avis, de retourner la question et de se demander : « Qu’est-ce que l’Église ? Comment apparaît-elle aujourd’hui pour qu’il y ait si peu de vocations ? » Pour dire les choses très simplement : la vie du prêtre est un service, s’il n’y a pas de demande de service, s’il n’y a pas de petites annonces dans le journal avec des « offres d’emploi », pourquoi voudriez-vous que l’on continue à remplir ce type de service ? C’est précisément le problème.
En outre, on pourrait aussi critiquer l’incompétence du clergé : chacun sait que l’Église est quand même un endroit où le principe de Peter bien connu de tous (selon lequel chacun arrive au degré où il plafonne au sommet de sa compétence), fonctionne très bien : quand on voit que l’individu commence à faire des dégâts, on arrête sa promotion. Donc la compétence, le savoir des experts, le recyclage et la formation permanente pour être au sommet du savoir actuel, le fait d’être au courant de tout, ce n’est pas toujours la spécialité du « personnel » clérical. Et de fait, le Christ n’a pas dit aux apôtres : « Je suis venu fonder l’entreprise la plus performante du point de vue philanthropique ». Il n’y a nulle part dans l’Évangile une seule phrase qui va dans le sens de la rentabilité. Je sais que certains m’objecteront le verset de saint Luc : « A celui qui a, on donnera plus encore, et à celui qui n’a pas, on enlèvera tout ce qu’il a », ce qui est l’expression du libéralisme sauvage le plus radical. Mais je ne suis pas sûr que Jésus l’ait cité dans ce sens-là.
Revenons à la phrase de l’évangile que nous avons entendu tout à l’heure : « Je connais mes brebis, elles écoutent ma voix ». Normalement un berger, s’il est un berger qui veut exercer du pouvoir sur son troupeau, ne dit pas : « Je connais mes brebis », il dit plutôt : « Je les mène à la baguette ». Or avec le Christ, on ne parle jamais de sa houlette ni de son bâton. Bref, rien dans la figure du Bon Pasteur ne renvoie à une ecclésiologie de pouvoir.
C’est la raison pour laquelle l’Église a besoin de prêtres. Vous me direz : c’est un peu mince, ce n’est ni très productif ni très satisfaisant du point de vue du pouvoir. Le Christ a voulu qu’il y ait au milieu du peuple des serviteurs qui manifestent au milieu de l’Assemblée que tout ce que nous faisons, tout ce que nous sommes, ce n’est pas par nos propres moyens, par nos propres forces, par notre propre pouvoir ou notre propre productivité que nous le faisons, mais par la présence et l’action de quelqu’un, le Bon Pasteur.