Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de ton sein est béni. En cette veille de Noël, nous allons méditer quelques instants sur cette proclamation de bénédiction qu’Élisabeth, qui porte en elle un enfant, prononce sur sa jeune cousine qui porte également en elle un Enfant. Attardons-nous sur cette merveilleuse réalité de la maternité humaine que les peintres ont su exprimer avec un rare bonheur, je pense par exemple à un très beau tableau de Ghirlandaio représentant cette scène de la Visitation. Dans cette œuvre, on ne voit que deux manteaux, le manteau d’Elisabeth orange vif comme le feu, comme les couleurs d’automne, comme un moment de l’histoire qui finit, comme quelque chose qui se consume, qui se brûle d’amour, mais pressent qu’il est parvenu à sa limite, et de l’autre, un autre manteau bleu celui-là, large, vaste et jeune comme le ciel : Marie, avec un bleu très fort qui manifeste au milieu de ce monde qui finit, au milieu de l’automne, de l’histoire, une présence qui vient les renouveler. Et l’un et l’autre de ces manteaux, avec tout le génie d’un peintre florentin du Quattrocento, chantent quelque chose de tendre, de charnel, de doux, de maternel, comme si à cette époque que l’on dit souvent être la renaissance d’un certain paganisme, le peintre avait eu l’intuition spirituelle de toute la densité charnelle du mystère de Dieu qui vient chez nous. Tel est précisément le sens de la maternité divine de Marie. Marie est femme, elle est mère, elle est vierge. Lorsque nous disons cela, nous ne faisons pas d’énonciation concernant je ne sais quelle science de gynécologie sacrée. Lorsque nous disons cela, nous proclamons quelque chose d’infiniment plus profond : le mystère même de l’entrée de Dieu parmi les hommes.

Je voudrais en donner une attestation. Où est le signe de la fécondité spirituelle de l’Église aujourd’hui ? Il n’est pas ailleurs que dans la liturgie même de l’Église. Car la liturgie est le lieu du jaillissement de la joie divine qui fait grandir l’homme. Il y a quelque temps, un frère dominicain, le Père Bernard Bro, écrivait : « L’Assemblée liturgique constitue l’espace de cet éclatement de la joie de l’Eglise, il devrait y avoir en tout chrétien », méditez bien, nous en sommes loin, « Il devrait y avoir en tout chrétien, par le seul fait qu’il est chrétien, assez de lyrisme prophétique pour que jaillisse de ses lèvres une hymne à la joie du Christ, un Magnificat. Or cette hymne, la liturgie ne cesse de la lui proposer. Tout chrétien devrait pouvoir faire un jour ou l’autre l’expérience qui consiste, au fur et à mesure qu’il professe les versets des cantiques et des hymnes liturgiques, à découvrir leur création jaillissante, que cette création est en train de recommencer toute neuve et toute frémissante dans le fond le plus personnel de son propre cœur ». La liturgie, ce n’est pas un moment dans la semaine où l’on doit pointer dans un livre de culte pour être assuré qu’on a fait son devoir hebdomadaire de piété : la liturgie c’est ce lieu de la maternité ecclésiale dans lequel nous, l’humanité, l’Épouse appelée à la nuptialité avec Dieu, nous éprouvons déjà quelque chose de cette joie d’être fécondés par la présence du Verbe de Dieu au cœur de notre chair. La liturgie est le signe de la joie de Dieu qui nous fait grandir, comme Marie a grandi le jour où elle a pu chanter son Magnificat, parce qu’elle portait son Enfant dans son sein. La liturgie, c’est le moment où nous nous préparons à la venue de Dieu, jour après jour, même si à certains moments nous vivons dans la peine, dans la tristesse et dans un certain désarroi du cœur ; à chaque moment la liturgie est célébrée pour nous dire que Dieu vient et qu’un jour enfin Dieu nous accueillant pleinement comme son Épouse, tous ensemble dans son Royaume, Il nous donnera de l’enfanter réellement dans le cœur même de la Trinité. Un jour avec Marie, tous ensemble, nous pourrons vraiment dire, de la façon la plus personnelle et la plus intime qui soit le Magnificat.