Fiche n°5 : La purification du Temple (Jn 2,13-22)
1 – La purification du Temple (Jn 2,13-22)
La fête de « la Pâque des Juifs » apparaît pour la première fois dans notre Evangile en Jn 2,13. Elle y intervient en tout dix fois : Jn 2,13.23 ; 6,4 ; 11,55 (2x) ; 12,1 ; 13,1 ; 18,28.39 ; 19,14. Remettons-nous dans le contexte de cette fête.
D’après le tableau chronologique situé au dos de nos Bibles, Abraham est situé vers 1850 avant Jésus-Christ. D’après Gn 11,28.31 ; 15,7, il est originaire de la ville d’Ur, au sud est de Babylone. Voilà celui que Dieu appellera pour se constituer un Peuple, Israël. Sa vocation sera d’être au service de Dieu (Is 41,8-9 ; 44,1-2 ; 49,3) pour que sa bénédiction puisse être révélée et accueillie par la terre tout entière (cf. Gn 12,1-4). Abraham aura pour fils Isaac (Gn 17,19 ; 21,3-5), Isaac engendrera Jacob (Gn 25,26), et Jacob aura douze fils qui deviendront les douze ancêtres des douze tribus d’Israël (Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Issachar, Zabulon, Joseph, Benjamin, Dan, Nephtali, Gad, Asher). A la suite d’une famine, tous allèrent s’installer dans le delta du Nil, en Egypte. Là, ils prospérèrent jusqu’à devenir un peuple nombreux. Les Pharaons se succédèrent… Si les premiers étaient accueillants, Ramsès II, vers 1250 av JC, verra en ce peuple une menace pour son Royaume (Ex 1,9-10). Il leur imposera des travaux épuisants (Ex 1,11-14) et ira même jusqu’à ordonner la mort de tous les nouveaux-nés de sexe masculin (Ex 1,15-22). Alors, un jour, Dieu se manifestera à Moïse et lui dira : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel », la Terre Promise (Ex 2,7-8)… A l’invitation de Dieu, Moïse ira voir plusieurs fois le Pharaon oppresseur pour lui demander de les laisser partir… Mais celui-là refusera à chaque fois… Toute une série de catastrophes naturelles contribueront alors à ce que Pharaon lâche enfin prise : eau imbuvable, invasions de grenouilles, de moustiques, de taons et de sauterelles, grêle, épidémies… L’auteur du Livre de l’Exode présente « dix plaies », un chiffre symbolique qui renvoie aux « Dix Paroles » de la Loi de Moïse (Ex 20,1-17 ; Dt 5,6-22). Or, « tout ce que Dieu dit, il le fait » (Ps 115(113b),3 ; 135(134),6). Cette conviction s’exprimera de façon poétique dans le récit de la création du monde, lui aussi en Dix Paroles (Gn 1,1‑2,4) : « Dieu dit : « Que la lumière soit », et la lumière fut… Dieu dit : … et il en fut ainsi »… Le chiffre « dix » renvoie donc symboliquement dans la Bible à la Parole de ce Dieu qui fait toujours ce qu’il dit. Il avait dit à Moïse qu’un jour il délivrerait son Peuple de la main de ses oppresseurs… Il l’a dit, il a fait en sorte qu’il en soit ainsi à travers de multiples circonstances naturelles (« les dix plaies ») et c’est arrivé…
Avec la fête de Pâque, Israël sera invité par la suite à se souvenir, chaque année, de cette libération d’Egypte dans la certitude qu’il est toujours en relation avec le même Dieu. Autrement dit, ce que Dieu a fait autrefois pour la génération de Moïse, il peut toujours le refaire dans les circonstances différentes de « l’aujourd’hui » de l’histoire. C’est ainsi que chaque génération est invitée à dire : « Nous étions esclaves de Pharaon en Egypte » (Dt 6,20-25)… La libération est à chaque fois réactualisée…
Le mot « pâque », en hébreu, est expliqué par un verbe qui veut dire « passer » : Dieu est « passé » en Egypte pour que son Peuple puisse « passer » avec Lui de « la misère » au bonheur, des « cris » de souffrance aux cris de joie, des « angoisses » à la paix, de l’esclavage à la liberté… Pour célébrer cette fête, on sacrifiait un agneau et on le mangeait tous ensemble en famille (Ex 12,1-14 ; Dt 16,1-8).
En évoquant en Jn 2,13 « la pâque des Juifs », c’est à tout ce contexte que St Jean fait allusion. En effet, comment a-t-il déjà présenté Jésus en Jn 1,29 et 1,36 ? Et il mourra sur la Croix la veille de cette grande fête de Pâque qui tombait, cette année-là, un jour de Sabbat. Parmi les dates possibles (les années 27, 30 et 33), les spécialistes retiennent le plus souvent le vendredi 7 avril 30. Jésus sera donc crucifié en ce « jour de la Préparation » de la fête (Jn 19,14.31.42) où l’on immolait dans le Temple de Jérusalem tous les agneaux qui allaient ensuite être mangés en famille… En relisant cet événement tragique à la lumière de leur foi, les disciples de Jésus comprendront plus tard qu’il est le vrai Agneau pascal immolé pour que nous « passions » avec lui de « la misère » du péché au bonheur, des « cris » de souffrance aux cris de joie, des « angoisses » à la paix, de nos multiples esclavages à la liberté, de la privation de la Plénitude de la Vie par suite de nos fautes à l’expérience de cette Plénitude… « Le salaire du péché, c’est la mort, mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus » (Rm 6,23). Heureux alors ceux et celles qui acceptent de faire la vérité dans leur vie pour offrir au Christ, en vérité, leurs multiples misères. Avec « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », l’Agneau immolé pour nos péchés, ils feront l’expérience de la vraie Lumière et de la vraie Vie, dès maintenant, dans la foi… « Heureux ceux qui ont cru », dira alors Jésus (Jn 20,29)…
La fête de Pâque était donc une des trois grandes fêtes de pèlerinage où Ies Israélites étaient invités à monter au Temple de Jérusalem. C’est ce que fait ici Jésus… Et en entrant dans la grande cour du Temple (400m x 300m), il y trouve tous les animaux qui étaient utilisés dans les différents sacrifices pratiqués à cette époque, et notamment « les sacrifices pour le péché » (Lv 4-5). En signe de résistance vis-à-vis de l’occupant romain, toutes les transactions devaient s’effectuer non pas avec la monnaie romaine, mais avec celle utilisée à Tyr, au Nord d’Israël. Pour acheter un animal en vue de l’offrir en sacrifice, il fallait donc commencer par changer ses sesterces en monnaie tyrienne… Mais Jésus chasse ici tous ces animaux et renverse les tables des changeurs… « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce », déclare-t-il. Tous faisaient en effet beaucoup de profit sur le dos des pèlerins : les marchands bien-sûr, mais aussi les changeurs et le grand-Prêtre responsable du Temple qui percevait un pourcentage sur toutes ces activités… Or, nous dit Jésus, « nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » (Mt 6,24). La logique de l’argent est en effet trop souvent : accumuler pour soi au détriment des autres. Et parfois tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins : vols, mensonges, injustices… Autant d’attitudes contraires à celles que Dieu attend de nous… Dieu en effet est Amour (1Jn 4,8.16), et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même », disait Ste Thérèse de Lisieux… « Aimer » n’est donc pas un « pour soi » mais un « pour l’autre ». Toute l’œuvre du Christ consistera, petit à petit, à nous arracher aux ténèbres du repli sur soi, pour nous ouvrir à l’Autre et au même moment aux autres… « L’amour du Christ nous presse », écrit St Paul, « à la pensée que, si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2Co 5,14-15). Ainsi, « nul d’entre nous ne vit pour soi-même… si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur » (Rm 14,17-18). Et ce « vivre pour le Christ » se traduira par un « vivre pour les autres », leur bien, leur vie, leur Plénitude… En effet, nous dit Jésus, « si vous m’aimez, vous garderez mes commandements »… « Et voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés. Et nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 14,15 ; 15,12-13)…
Par son geste prophétique, Jésus cherche donc à secouer les consciences pour les réorienter vers une recherche authentique de Dieu qui ne pourra que se concrétiser dans une recherche effective de ce qui est bien pour autrui… Mais au même moment, en chassant tous ces animaux du Temple, il devient impossible d’offrir un sacrifice… Mais souvenons-nous, qui est celui qui accomplit ce geste (Jn 1,29.36) ? Que faisait-on au Temple au moment où il mourût sur la Croix ? Quel sens aura son offrande sur la Croix d’après Hb 9,26b ; Hb 10,5-14 ? Et à l’invitation de son Seigneur, l’Eglise fait mémoire de cette offrande unique chaque fois qu’elle célèbre l’Eucharistie (cf. Lc 22,19‑20 ; 1Co 11,23-25). Elle s’approprie pour elle-même, et elle propose au même moment au monde entier, les bienfaits de l’unique Passion du Christ vécue pour le salut de tous les hommes (Jn 3,16-17)… St Jean suggère encore cet événement central pour notre foi par la citation du Ps 69(68),10 ; noter que dans l’Ancien Testament, le verbe « dévorer » est traduit ou bien par un présent (Bible de Jérusalem), ou bien par un passé (TOB), les deux exprimant les nuances possibles du temps hébreu utilisé. Or St Jean l’a remplacé par un futur qui renvoie à la Passion du Seigneur… C’est là en effet que « le zèle de la maison de Dieu dévorera » le Christ jusqu’au bout (Jn 13,1), jusqu’à la mort sur une croix. Et sa Résurrection manifestera à quel point « son amour envers nous s’est montré le plus fort » (Ps 117(116)) : plus fort que tous nos péchés, nos trahisons, nos injustices, nos méchancetés, notre cruauté… « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Et il offrira sa vie pour ceux-là même qui le tuent (Ac 3,26)… Désormais, un seul sacrifice sera pleinement efficace pour tous les hommes de tous les temps : celui de « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde »… Car c’est « le sang du Christ », et lui seul, qui peut « purifier notre conscience des œuvres mortes » que nous avons pu accomplir « pour que nous rendions un culte au Dieu vivant » par toute notre vie, une vie de charité (Hb 9,14)… Tel est « le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle versé pour la multitude en rémission des péchés »…
En chassant les animaux, Jésus supprime par un geste prophétique le culte du Temple, avec tous ses sacrifices. Ses interlocuteurs ne s’y trompe pas, et ils lui demandent un signe venant du ciel qui authentifierait sa mission… Mais cette demande prouve qu’ils sont « aveugles de cœur » (cf. Mt 13,10-17). En effet, ils ont sous les yeux « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), « le Fils Unique de Dieu, de même nature que le Père », disons-nous dans notre Crédo. « Il est Dieu né de Dieu »… Son humanité est donc le signe visible de la Présence de Dieu au milieu des hommes… « Il est l’image du Dieu invisible » dit St Paul (Col 1,15), là, sous leurs yeux, tout près, tout proche, offert à leurs regards, mais ils ne le reconnaissent pas !
Noter alors ce que Jésus leur déclare en Jn 2,19. Comment comprennent-ils cette Parole ? La mention des « 46 ans » permet de dater la scène : Hérode le Grand avait entrepris les travaux de restauration et d’agrandissement du Temple en 20-19 avant Jésus-Christ. Nous sommes donc en 27-28 après Jésus-Christ. Souvenons-nous qu’une des trois dates où la Pâque tombait un jour de sabbat était justement l’an 27 après Jésus-Christ. Nous constatons ici qu’elle ne peut correspondre à l’année de la mort de Jésus…
La réponse est dans la question, mais noter quel terme St Jean a employé jusqu’à maintenant pour parler du Temple de Jérusalem (cf. Jn 2,14-15 ; « iéron », en grec). Puis relever celui qui intervient dans la Parole de Jésus et le commentaire qui suit immédiatement en Jn 2,19-21 (« naos », en grec). Combien de fois apparaît-il (le chiffre « trois » renvoie à Dieu en tant qu’il agit…) ? Or le mot employé désignait l’édifice central du Temple, là où se trouvait la pièce appelée « le Saint des saints », là où, croyait-on, Dieu habitait… Dans le régime de la Nouvelle Alliance, quel sera donc le Temple nouveau (cf. Jn 2,21) ? Et de fait, où « habite » Dieu le Père d’après Jn 10,38 ? Conclusion : à qui doit aller celui ou celle qui désire rencontrer Dieu ?
Par rapport au régime de l’Ancienne Alliance et de ses multiples sacrifices, nous voyions à quel point Jésus « n’est pas venu pour abolir la Loi ou les prophètes : il n’est pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5,17). La Loi de Moïse, avec ses multiples commandements et préceptes, est désormais remplacée par « le bon vin de l’Esprit Saint » (Message du Miracle des Noces de Cana, Jn 2,1-12). Et le Temple de Jérusalem laisse la place à Jésus Lui-même, le Temple de Dieu, au sens où il vit en parfaite communion avec le Père dans l’unité d’un même Esprit (Jn 10,30). Plus tard, cette notion de Temple sera élargie à tous les disciples de Jésus rassemblés en son Nom pour célébrer et vivre leur foi. En effet, « lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,20), uni à chacun d’eux dans ce même mystère de communion. Jésus est ainsi la « pierre vivante » sur laquelle repose tout l’édifice constitué des multiples « pierres vivantes » que sont les croyants (1P 2,4-5)… Le Temple Nouveau de la Nouvelle Alliance est donc tout à la fois Jésus et la communauté des croyants réunie en son nom : l’Eglise « Corps du Christ » dira St Paul… Nous voyons que l’élément qui lie de ces deux points de vue complémentaires est le Mystère de Communion dans l’unité d’un même Esprit. C’est ce que Jésus vit depuis toujours et pour toujours avec le Père, c’est ce qu’il est venu partager avec tous ceux et celles qui accepteront de le recevoir dès maintenant, par leur foi et dans la foi… Et ce mystère d’union avec Dieu en un seul Esprit (cf. 1Co 6,17 ; 1Th 5,9-10 ; Ep 4,3) s’accomplira pleinement par-delà notre mort, en cet état de « ressuscités avec le Christ » où nous verrons enfin ce que nous ne pouvons pour l’instant que pressentir dans la foi (cf. 1Co 13,12 ; Col 3,1-4 ; 1Jn 3,1-2 ; 1P 1,6-9)…
Admirons la beauté du plan de St Jean. Après l’introduction générale du Prologue (Jn 1,1-18), il présente rapidement Jésus par l’intermédiaire de tous ses titres (Jn 1,19‑51). Puis il montre ce que sont devenus les deux piliers de la foi juive accomplie par le Christ : la Loi laisse la place à l’Esprit, le Temple à Jésus Lui-même en tant qu’il est venu nous révéler que Dieu est un Mystère de Communion. En effet, le Père, le Fils et le Saint Esprit vivent unis l’un à l’autre dans la communion d’une même nature divine qui est tout à la fois Amour (1Jn 4,8.16), Esprit (Jn 4,24), Lumière (1Jn 1,5)… Et c’est ce Mystère de Communion que le Christ est venu révéler et offrir à tous les hommes, pourvu qu’ils acceptent de renoncer à tout ce qui lui est contraire… Alors, « ce n’est plus à Jérusalem ou sur telle ou telle montagne » qu’il faudra se rendre désormais pour adorer Dieu… Il suffira de retrouver le chemin de son cœur pour « l’adorer en Esprit et en vérité » (Jn 4,24)…
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Correction de la fiche N°5