Voici un témoignage du Père Hubert LELIEVRE :
« J’entre dans la chapelle et trouve un homme à genoux, effondré.
Je m’approche de lui. Il s’assoit. Je fais de même.
Je reste en silence.
Il pleure. Longuement.
J’ai l’impression qu’à côté de moi le monde vient de s’écrouler sur les épaules d’un homme. Presque physiquement, le poids du monde semble ne s’être déchargé « que » sur ses épaules. Il est là. Totalement abattu, anéanti.
Je pose ma main sur son épaule et demeure en silence. Je prie.
Je demande à la Vierge Marie de l’envelopper de sa tendresse de Mère.
Après plus d’une demi-heure, j’entends le son de sa voix :
« Pour une nuit… Une nuit » martèle-t-il ! Il pleure à nouveau.
Puis il reprend : « Tu te rends compte ?… une nuit ! »
Avant de poursuivre : « Merci d’être là. »
Comment t’appelles-tu ?
« Luigi… Tu sais ce qui m’arrive ? »
Non.
« Depuis un moment, je n’étais pas bien. Alors j’ai fait des examens de sang. Et le médecin m’a proposé de faire le test du sida. Je l’ai fait. »
Et maintenant ?
« Je sors de chez le médecin. Il vient de m’annoncer que j’ai le sida. C’est terrible. Pour une nuit… Ça me coûte cher ! »
Luigi pleure à nouveau.
Veux-tu qu’on en parle ?
« J’avais 20 ans lorsque je me suis laissé entraîner un soir, dans une discothèque. Je m’ennuyais. Avant, je n’avais jamais été en discothèque. Et puis, j’ai bu un verre. Puis deux, trois, etc. Tu te laisses entraîner, tu sais. Tout est fait là dedans pour te détruire, t’entraîner même là où tu ne voudrais pas aller. J’ai eu tort d’y mettre un pied. En entrant, tu te dis « ça, je ne le ferai pas ! » Mais en fait, tu te laisses prendre par l’ambiance, les couleurs, la boisson, la musique à fond. Tu n’es plus toi-même. »
Peut-être y avait-il quelque chose au fond de ton verre…
« De la drogue ? »
Oui
« Pour d’autres c’est arrivé. On me l’avait raconté.
Pour moi, je ne pense pas. Je me suis retrouvé dans les bras d’une fille, entraîné, aliéné par l’alcool… puis dans un lit. Et, le lendemain matin, j’ai trouvé sur le pare brise de ma voiture une carte de visite. »
Qu’est-ce qui était écrit dessus ?
« Bienvenue au club ! » Je ne voulais pas y croire.
Maintenant, tout s’éclaire d’un coup.
Mon Père… c’est terrible. Je suis croyant. J’ai été baptisé. J’ai fait ma première Communion. Puis, très vite, plus rien. Tu te laisses prendre par la vie, les amitiés, etc. Mais au fond de moi, je crois. J’ai toujours cru en Dieu. Mais je ne vivais pas ma foi. J’ai cependant continué de prier, même si ça fait bien longtemps que je ne vais plus à la Messe. J’ai travaillé jusqu’à ce jour. Et puis, me voilà avec le sida. Pourquoi moi ? »
Alors, pourquoi toi, je ne sais pas.
« Quelle aurore pour vaincre la mort ? »
Tu sais, Luigi, cette aurore existe. Elle porte un nom. C’est une personne : c’est Jésus.
Cette aurore est le Matin de Pâques. Jésus ayant offert Sa vie détruit la mort par Sa propre mort, définitivement. Pour nous ouvrir à la vie. Définitivement. Sa Résurrection, même si je ne peux pas tout comprendre de ce Mystère, est un fait concret qui ouvre notre cœur, notre vie quotidienne à l’Espérance.
« Confesse-moi ! »
Cette aurore, ce matin : c’est pour toi, aujourd’hui…
« Maintenant ? »
Oui
« Avec mon sida ? »
Et alors ?
« Aide-moi à me confesser. Cela fait plus de 20 ans, je crois. Voilà, je m’accuse et demande pardon à Dieu du fond de mon cœur, pour »…
Va en paix.
« Merci mon Père. Comme je suis heureux.
Tu crois que ce sera beau au Ciel ? »
Oui, j’en suis certain.
Luigi aime passer de longues heures dans la Chapelle, chaque jour. Il prie son chapelet devant la belle statue de Notre-Dame portant l’Enfant Jésus dans ses bras.
Il restait cinq à six heures chaque jour pour l’Adoration Eucharistique. Un jour, je lui ai demandé pourquoi il restait autant de temps. Il m’a répondu :
« Il me guérit. »
L’état de santé de Luigi ne cesse de s’aggraver. Je lui porte désormais la Communion dans sa chambre.
Le 13 août, l’aube est à peine levée lorsque Luigi m’appelle. Il me dit :
« Aujourd’hui, j’irai au paradis, reste avec moi. »
En fait, je reste un moment avec lui puis je fais ma tournée du matin, car d’autres malades sont à l’agonie. Je reviens un peu plus tard.
Il est 11h30. Luigi me demande de prier le chapelet.
Trois membres de sa famille sont présents. Ave après Ave nous prions la Mère de Dieu, d’être présente « maintenant et à l’heure de notre mort ». Luigi murmure les Ave, lentement. Puis, le dernier « Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. »
Les yeux de Luigi se ferment, paisiblement.
Son visage s’éclaire de la Lumière dont son âme est désormais revêtue.
Dans mon cœur, je l’entends me dire : « Comme c’est beau ce que je vois ! »
Dehors, les cloches sonnent.
C’est l’Angélus. »
Extrait du livre du Père Hubert LELIEVRE, « Je veux mourir vivant », Editions de l’Emmanuel
Troisième prêtre d’une famille de 7 enfants, Hubert Lelièvre fait ses études en France et est ordonné prêtre pour le diocèse de Rome, par le Cardinal Ugo Poletti, en la fête du Rosaire, le 7 octobre 1989.
Il est nommé vicaire dans la paroisse Saint François d’Assise, dans le quartier romain d’Acilia, une paroisse pauvre et ouvrière, très touchée par la drogue. Ensuite il sera nommé vicaire dans le quartier de Cineccittà assurant les premiers pas d’une nouvelle paroisse. En septembre 1995, il rejoint l’hôpital romain des malades du Sida, et rencontre plus de 3000 visages rencontrés au cours d’une expérience unique.
Témoignage découvert et retranscrit par Noéline FOURNIER.