Frères et sœurs, c’est le jour ou jamais de nous poser la question : qu’est-ce qui constitue un peuple comme peuple ? C’est un problème de brûlante actualité parce que si on essaie de réfléchir à ce qui constitue aujourd’hui, dans la mentalité générale de l’Occident, un peuple, on pourrait dire qu’il y a deux réalités en cause. La première, c’est un héritage. Une terre, un pays plus ou moins découpé, on parlait autrefois de frontières naturelles, actuellement, cela n’a plus beaucoup de sens. Une histoire, des monuments, des cartes postales, le Mont Saint-Michel… Un héritage, une langue, une culture, une manière d’être, manger des grenouilles ou ne pas en manger… Un héritage ? Une certaine façon, surtout en France, de se sentir absolument unique et incomparable, cela nous joue des tours.
La deuxième chose encore plus compliquée, c’est que Dieu a choisi de nous rassembler précisément « comme corps ». C’est tout autre chose. Quand je parlais tout à l’heure des Etats et des nations, comment envisager leur l’unité ? Nous parlions de projet commun, intellectuel, spirituel, volontaire avec un héritage de culture en amont. Mais dans l’Église, saint Paul est formel : ce qui fait l’Église, ce ne sont pas nos idées, ni nos projets, ni ce que nous pensons : c’est le Corps du Christ qui nous est donné pour que nous devenions un seul corps. Comprenez-vous pourquoi l’eucharistie est si importante ? Ce n’est pas seulement l’heure pendant laquelle on vient recharger spirituellement ses accumulateurs ; l’Église, l’eucharistie, c’est le moment où nous sommes réellement, physiquement, constitués Corps du Christ. Nous devenons corps par le Corps du Christ. Au moment où nous nous approchons de l’autel pour recevoir le Corps et le Sang du Christ, nous recevons à ce moment-là la plénitude même de notre lien de peuple de Dieu, et il n’y en a pas de plus grand. C’est pour cela qu’il y a la présence réelle, ce n’est pas que Jésus a voulu se démultiplier de cette façon-là à défaut de faire faire des statues en plastique, en disant qu’avec le pain, c’était plus simple. Non ! C’est parce qu’à travers le pain et le vin, Il veut être Lui-même le lien politique de cette société qui est l’Église. Il faut donc que le pain soit son Corps à Lui, et que le vin soit son Sang à Lui, sinon cela ne tient pas. C’est tout le problème : le Christ veut être le lien. C’est bien plus qu’un héritage, c’est bien plus vaste que des projets et des idées, c’est bien davantage que des initiatives philanthropiques, c’est Lui le lien politique, c’est Lui la société, c’est Lui le corps. Il donne son corps à travers le pain et le vin pour que nous devenions son Corps réel, son Corps ecclésial. C’est cela l’eucharistie. C’est pour cette raison qu’on la célèbre chaque dimanche, ce n’est pas pour maintenir simplement le moral des troupes, c’est vraiment pour faire que l’unité soit rendue réelle et visible. Quand tous ensembles nous communions, il n’y a pas de manifestation supérieure à l’être de l’Église que cela.