5ième Dimanche de Pâques – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)
« Je suis le Chemin, la Vérité, et la Vie ».
Frères et sœurs, on pourrait dire que dans cette affirmation du Christ, chemin, vérité et vie, se trouve toute notre foi, tout notre être de croyant : plus encore que ce que nous pensons, toute notre vie, toute notre existence est comprise dans ces trois mots. Et je voudrais éclairer le sens de ces trois mots, en commençant par le dernier : la vie.
La vie : peut-être les découvertes biologiques de ces dernières décennies peuvent-elles nous aider à comprendre cette phrase de saint Jean avec une plus grande profondeur encore qu’on ne pouvait la comprendre auparavant. Qu’est-ce que la vie ? C’est un mystère à la foi d’unité : un vivant est une réalité qui est rassemblée sur elle-même, qui a une unité et fonctionne à partir de sa propre initiative, et en même temps, un vivant est une réalité composée d’une multitude de petites cellules attachées les unes aux autres, et chacune de ces cellules a sa place, chacune a sa fonction. Et la vie dans tout cela, c’est le lien mystérieux qui unit chacune des cellules aux autres, qui leur donne sa fonction, son pouvoir d’agir. Et la vie permet que cette multiplicité de cellules ne soit pas désorganisée, ne s’en aille pas dans tous les sens, mais que tout au contraire concoure de façon sans cesse mouvante, pleine d’initiative et d’imagination à former un seul être vivant qui se déplace, qui réfléchit, qui bouge, qui mange, qui assimile, qui grandit, qui sent et qui se transforme. La vie est une présence mystérieuse à travers notre corps, et nous sentons très bien, à certains moments si cette présence est plénière ou au contraire, à d’autres moments, nous la sentons comme affaiblis. La vie est le mystère d’une présence qui passe, irrigue et circule à travers tout notre être. C’est pourquoi notre vie, notre âme se trouvent aussi bien dans notre tête que dans nos doigts, ou dans nos jambes pour marcher. La vie est cette présence mystérieuse qui fait que nous ne sommes pas simplement des automates, des moteurs ou des machines. C’est une réalité profondément liée à notre corps et qui cependant le dépasse infiniment par son jaillissement perpétuel de spontanéité et d’initiative. Ainsi donc, quand le Christ dit : « Je suis la Vie », Il nous dit qu’Il est notre vie, et que tous ensemble, nous sommes son corps, et le Christ est Celui qui anime ce grand corps que nous formons, car nous sommes tous ensemble attachés, soudés les uns aux autres, comme les cellules d’un même corps. Et ce qui fait notre unité c’est cette vie mystérieuse qui circule et nous donne de devenir tous ensemble, progressivement l’unique corps du Christ. C’est par là que, progressivement, nous trouvons notre unité, tous ensemble et à l’intérieur de nous-mêmes, même si nous sommes tous très différents, comme les cellules sont très différentes dans un corps. Chacun a sa fonction, et les cellules nerveuses ne sont pas du tout les mêmes que les cellules des muscles. Mais chacun de nous est unifié en lui-même, et nous sommes attachés, soudés, mystérieusement les uns aux autres. Et tout comme on pourrait croire qu’un corps vivant n’est simplement qu’une collection de cellules juxtaposées les unes aux autres, mais alors, nous n’aurions encore rien compris, car des cellules juxtaposées peuvent ne former qu’un cadavre. Or dans un corps vivant, ce sont ces mêmes cellules, mais traversées mystérieusement par la vie. Car la vie, le chirurgien ne la voit pas au bout de son scalpel. De la même façon, nous-mêmes, visiblement, nous sommes simplement juxtaposés dans nos assemblées, mais en réalité, il y a une vie extraordinaire qui circule entre nous tous, et cette vie c’est le Christ, c’est « Je suis la vie ». Et cette vie nous donne d’exister, de vivre et d’aimer.
Mais cela ne suffit pas. Le Christ dit encore « Je suis la vérité ». Et là, je voudrais encore faire appel à ce que nous connaissons par la biologie. Vous savez qu’une cellule a toujours une sorte de code selon lequel elle se développe et grandit. Un homme devient un homme parce qu’il y a dès le moment de sa conception une sorte de programme à l’intérieur des cellules primitives qui le fait grandir et se développer selon l’être d’homme. A l’image du code génétique, la vérité est ce qui nous fait devenir vraiment nous-mêmes. Le Christ est vérité parce qu’Il est présent invisiblement dans tout ce corps que nous sommes, et dans l’être de chacun de nous, il nous donne d’être telle cellule, tel homme, telle femme, et pas un autre. Il est notre vérité, Il nous donne d’être ce que nous sommes vraiment, et pas autre chose. Et si, à certains moments, par notre péché nous dévions par rapport à cette vocation profonde, alors nous ne sommes pas dans la vérité, nous nous trahissons nous-mêmes et nous trahissons la vie. Le Christ est la vérité et la vie, Il est notre « code génétique », Il est ce qui nous fait devenir vraiment ce que nous avons à être, à travers bien des vicissitudes et des difficultés, il n’est pas toujours très facile de connaître quelle est la vérité à laquelle Dieu nous appelle. Il n’est pas toujours très facile d’ailleurs de savoir où nous allons, mais précisément, c’est bien cela qui est important : même si nous ne savons pas nous-mêmes, Lui Il sait. Et voilà pourquoi nous confessons qu’Il est notre vérité. Lui Il sait où Il nous conduit. Et même si parfois, la vie nous semble trop pesante et même si nous ne savons pas pourquoi le Seigneur nous mène par ces chemins-là, Lui sait qu’à travers le chemin de nos souffrances, à travers les difficultés que nous traversons, Il est là, Il porte et Il assure la vérité de notre cœur, la vérité de notre vie, la vérité de notre être.
Enfin Il est le chemin. Le chemin, cela signifie que nous avons encore beaucoup de pas à faire, car le chemin qu’Il est, il nous faut en Lui, le gravir et le parcourir. Notre vie est un chemin, non pas parce que nous partirions à l’aventure et n’importe comment : notre vie est un chemin parce que le Christ seul nous donne de marcher en Lui et avec Lui. Cela constitue peut-être l’aspect le plus mystérieux de la vie. La vie ne s’arrête jamais, il faut faire un pas et encore un autre, sinon, à certains moments, on a l’impression de piétiner et l’on se demande ce que nous faisons. Or dans la vie avec Dieu, c’est la même chose. Jésus est un chemin parce qu’Il nous prend par la main et nous fait faire un pas et encore un pas. Souvent nous avons envie de ne plus avancer et de dire : « Seigneur, c’est fini. Maintenant j’en ai trop vu, j’ai trop souffert. La vie est difficile, je ne « marche » plus », à tous les sens du mot. Dans de tels moments, le Christ est vraiment le Chemin et Il nous dit : « Écoute il ne faut pas te décourager, tu ne marches pas tout seul. Moi, Je marche avec toi. Je suis le chemin qui te guide, te conduit là où tu ne sais pas aller. Et lorsque par tout ton être, tu te révoltes et tu refuses de marcher, Je viens Moi-même à ta rencontre, Je te conduis et Je te prends, garde confiance ». Où donc va ce chemin ? Il nous mène au cœur de la vie : il nous conduit au Père, car le cœur de Dieu, c’est l’amour du Père, du Fils et du Saint Esprit. Dieu est Lui aussi comme une cellule vivante dans laquelle la vie circule infiniment plus profondément, de façon infiniment plus plénière que dans notre propre être et dans notre propre corps. Mais la vie circule entre le Père et le Fils : le Père qui donne au Fils, le Fils qui se donne au Père et c’est cela la vie de Dieu. Et voilà où nous conduit le chemin. Le chemin c’est Jésus, Dieu fait homme qui nous conduit au cœur du Père, la vie jaillit comme une source, la vie de Dieu.
Alors que nous soyons malades ou bien-portants, que nous souffrions, que nous soyons révoltés ou découragés, ou que nous ayons l’impression d’être assis sur le bord du chemin et de ne plus pouvoir avancer, après tout, aucune de ces situations n’est irrémédiable : la seule chose qui compte, c’est de reconnaître que le Christ est là, qu’Il est notre vie, notre vérité notre chemin. Cette vie circule en nous et nous lie à tous nos frères et fait que, tous ensemble, nous nous donnons la main pour marcher vers le cœur de Dieu. La vie est là pour faire apparaître notre vérité, et même si nous ne voyons pas encore ce que nous sommes ni même ce que nous allons devenir, le Christ est là et nous dit : « Je te prends par la main, Je suis ta vérité, et ce que tu es n’est pas encore manifesté. Tu le verras vraiment un jour, mais pour l’instant, tu ne peux pas encore connaître le secret de ton être et le secret de ton cœur, c’est en moi qu’Il est caché ». Et finalement, Il est le chemin au sens où tous ensemble, nous avons à nous avancer dans la paix, dans la confiance vers le cœur de Dieu. Tel est le sens de notre vie : c’est parfois très dur, mais c’est tout simple.
Que le Seigneur dans cette eucharistie qui nous rassemble tous, si différents les uns des autres, et nous constitue en un grand corps dans lequel Il fait circuler et couler la vie, de cellule en cellule, de personne en personne, nous emmène et nous conduise tous ensemble vers le lieu où nous serons manifestés. Le chemin de notre vie que nous connaissons si mal encore, c’est le Christ, et le but vers lequel Il nous conduit, c’est le cœur de Dieu. Amen.