30ième Dimanche du Temps Ordinaire – Claude WON FAH HIN
30e dimanche ordinaire – Matthieu 22 34–40
Jésus vient de fermer la bouche aux sadducéens. Les sadducéens, moins zélés que les pharisiens mais leur rival pour le pouvoir religieux, se sont tournés davantage vers la politique. Par opposition aux pharisiens, très attachés à la tradition orale, ils rejetaient toute tradition autre que la Loi écrite. Ils se recrutaient dans les grandes familles sacerdotales, donc très religieux, et voilà que Jésus vient de fermer leur bouche. Jésus n’a pas eu peur d’affronter directement les responsables religieux de l’époque, incapables de diriger convenablement le peuple de Dieu. Il n’hésite pas à rabrouer même ses disciples quand ils se comportent mal, comme il a agi avec Pierre en lui disant (Mt 16,23) : « Passe derrière-moi Satan » et cela, sans chercher à savoir s’il était susceptible ou non. Certains des disciples de Dieu qui nuisent au bon fonctionnement de l’Église, comme les pharisiens, les sadducéens, Jésus les a combattus, tout comme aujourd’hui, l’Église n’a pas hésité à excommunier certaines personnes qui font du tort à l’Église. La désobéissance à la hiérarchie ecclésiastique, pour un catholique, n’est rien d’autre qu’une manière de se révolter contre la volonté de Dieu, car celui qui a reçu le sacrement de l’ordre est le représentant de Dieu. Ainsi en Bolivie, Catalina Rivas, une mystique stigmatisée, dans ses visions pendant une messe présidée par l’Archevêque, raconte : « Lorsqu’il éleva l’Hostie, j’ai vu ses mains et le dos de ses mains. Il avait des marques desquelles émanait une grande lumière. C’était Jésus ! C’était Lui qui enveloppait le célébrant de son Corps comme s’il enveloppait amoureusement les mains de l’Archevêque » (« Visions de Catalina pendant la messe »).
Les personnes désobéissantes à la hiérarchie sont toujours aimées de Dieu, même s’Il n’approuve pas leurs actes. Il n’attend cependant que leur conversion et leur adhésion totale à l’enseignement de Jésus-Christ et donc à la hiérarchie de l’Église puisque l’Église a été fondée par Jésus lui-même. Les excommuniés ont la possibilité de revenir au catholicisme selon des règles bien établies.
Suite aux sadducéens, voici maintenant les pharisiens qui essaient de piéger Jésus. Un de leurs spécialistes posent à Jésus la question : « Maître, quel est le plus grand commandement de la Loi? ». A l’époque, ils avaient disséqué la Loi et avaient répertorié 613 préceptes dont 365 interdictions (des actes à ne pas faire) et 248 commandements (actes à faire). Non seulement, eux-mêmes n’arrivaient pas à respecter tous ces préceptes, mais en plus ils alourdissaient le fardeau de chacun, d’où ces paroles de Jésus Mt 23,3-4 : « 3 faites donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes (= ne faites pas comme eux): car ils disent et ne font pas. 4 Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt ». Et Jésus va résumer tous ces préceptes en seulement deux commandements : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit : 38 voilà le plus grand et le premier commandement. 39 Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 40 À ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes ». Les deux commandements commencent par « Tu aimeras ». Il n’a jamais été dit : « Tu dois chercher à te faire aimer ou bien tu feras tout pour être aimé ». C’est le contraire : même si tu n’es pas aimé, tu dois aimer. Ensuite, il y a « aimer » et « aimer ». Il y a ceux qui aiment le monde avec cette tendance continuelle à chercher la grandeur et l’estime en sa propre faveur, une recherche continuelle et secrète de son propre plaisir et de son propre intérêt, parfois de manière grossière et visible aux yeux de tous, et parfois de manière fine, trompeuse, discrète. Grignion de Monfort [76] nous dit qu’une personne qui aime le monde est une personne qui ne cherche qu’à se couvrir des apparences de chrétien et de personne honnête, sans se mettre beaucoup en peine de plaire à Dieu ». C’est ainsi que dans certaines sectes, l’accueil est très chaleureux, et même trop chaleureux pour être vrai, authentique. Il faut bien attirer les gens et on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Nous, nous nous basons sur la parole de Dieu et sur l’attitude du Christ. Il ne s’agit pas d’aimer le monde pour en tirer un profit, quel qu’il soit, pour soi-même, ou pour un groupe. [200] « Il faut, nous dit Grignion de Monfort, tant qu’on peut, fuir les compagnies des hommes, non seulement celles des mondains, qui sont pernicieuses ou dangereuses, mais même celles des personnes dévotes, lorsqu’elles sont inutiles et qu’on y perd son temps. Celui qui veut devenir sage et parfait doit mettre en exécution ces trois paroles dorées que la Sagesse éternelle dit à saint Arsène : « Fuyez, cachez-vous, taisez-vous!» Fuyez tant que vous pourrez les compagnies des hommes ». Si vous avez une mission, accomplissez-la du mieux que vous pouvez, puis fuyez pour prier. Et il ajoute : [194] La Sagesse, dit le Saint-Esprit, ne se trouve point chez ceux qui vivent à leur aise, qui donnent à leurs passions et à leurs sens tout ce qu’ils désirent. Car ceux qui marchent selon la chair ne peuvent plaire à Dieu. [195] Ne vous imaginez pas que cette Sagesse, plus pure que les rayons du soleil, entre dans une âme et un corps souillés par les plaisirs des sens. Ne croyez pas qu’elle donne son repos, sa paix ineffable, à ceux qui aiment les compagnies et les vanités du monde ».
Jésus nous envoie dans le monde pour l’aider à se tourner vers Dieu. Tout amour véritable, pour qui que ce soit, vient de Dieu et doit nous faire tourner vers Dieu, et c’est parce que nous puisons notre amour en Dieu que nous finissons par aimer véritablement le monde selon la volonté de Dieu et non pas à la manière des hommes. Voici ce que dit Saint Thérèse d’Avila : « Lorsque Dieu montre à une âme ce qu’est le monde et le peu qu’il vaut, la différence qu’il y a entre les deux, l’éternité de l’un, le songe rapide de l’autre ( ou l’illusion temporelle de l’autre); lorsqu’il lui dévoile ce que c’est que d’aimer le Créateur, ou la créature; lorsque l’âme connaît cela, par son intelligence, par sa foi, mais aussi par sa propre expérience, ce qui est bien différent; lorsqu’elle voit … ce qu’elle gagne à aimer le Créateur, ce qu’elle perd à aimer la créature (c’est-à-dire bien peu de choses), ce qu’est l’un, ce qu’est l’autre, …alors l’âme aime d’une manière beaucoup plus parfaite que celles qui ne sont pas élevées à cet état. L’âme éclairée de la sorte possède un amour purement spirituel. Les âmes que Dieu élève à cet état sont des âmes généreuses, des âmes royales. Elles ne mettent point leur bonheur à aimer quelque chose d’aussi misérable que nos corps, dont la beauté et la grâce, cependant, peuvent bien plaire à leurs yeux, et dont elles loueront le Créateur. Mais s’y arrêter… cela non. Il leur semblerait ainsi s’attacher à des choses sans poids (sans aucune importance) et chérir une ombre; ces âmes élevées dans la connaissance de l’amour de Dieu et du monde auraient honte d’elles-mêmes et n’oseraient pas, sans être remplies de confusion, dire à Dieu qu’elles l’aiment. Mais me direz-vous, ces personnes ne sauront pas aimer, ni payer de retour l’amour qu’on leur porte. Du moins, vous répondrai-je, il leur importe peu qu’on les aime…. il y a un profond aveuglement à vouloir être aimé des autres. En effet, si nous désirons l’affection du prochain, nous y recherchons toujours quelque intérêt ou une satisfaction personnelle. Les personnes (qui aiment Dieu véritablement) ont déjà foulé aux pieds tous les biens et tous les plaisirs que le monde peut leur procurer. Leur joie est de telle nature qu’elles ne peuvent les goûter qu’en Dieu ou dans des entretiens où l’on parle de Dieu. Quel profit peuvent-elles donc retirer à être aimé ? Dès qu’elles se rappellent cette vérité, elles rient d’elles- mêmes, et de la peine qu’elles ont éprouvée jadis quand elles se demandaient si leur amour était oui ou non payé de retour. Mais, quoique notre amour soit bon, il nous est très naturel de désirer être aimés. Or, lorsque vous venez à recevoir ce retour d’amour, de reconnaissance, d’être aimé en retour, vous reconnaissez qu’elle n’est qu’une paille légère; tout cela n’est que de l’air; ce sont des atomes que le vent emporte. Lorsqu’on nous a beaucoup aimés, que nous en reste-t-il ? (Autrement dit, l’amour des hommes envers soi-même semble bien peu de choses quand on connaît l’amour de Dieu). Aussi, ceux dont je parle ne se soucient pas plus d’être aimés que de ne l’être pas, …Ces personnes-là, (me) direz-vous, n’aiment donc et ne savent aimer personne si ce n’est Dieu? Je réponds qu’ils (les) aiment beaucoup plus: leur amour est plus vrai, plus ardent et plus utile; enfin, c’est de l’amour. Ils sont plus portés à donner qu’à recevoir; telle est leur disposition à l’égard du Créateur lui-même ». Ce qui compte c’est d’aimer et non pas de se faire aimer ou de chercher à être aimé. L’amour reçu du monde, les reconnaissances, l’attention qu’on vous porte sont bien peu de choses parce qu’on est tourné soi-même vers Dieu, et cela suffit, on a besoin de rien d’autre. Dieu seul suffit. Et pourtant, à cause de cet amour véritable entre Dieu et soi-même, on aimera encore bien plus les gens que l’on côtoie tous les jours, sans rien attendre d’eux en retour. « Aimer Dieu » donne à la personne qui aime, une grande liberté de vie : elle vit Dieu, elle pense Dieu, elle respire Dieu. Son âme peut alors connaître la paix pendant des années. A partir de là, tout le reste lui est supportable, sans même jamais chercher à se plaindre, bien qu’elle ait toujours les mêmes problèmes qu’avant d’aimer Dieu. Ce qui a changé en cette personne, c’est sa façon de voir la vie, et elle réglera ses problèmes de tous jours avec un autre regard, avec beaucoup de patience, de compréhension, avec une paix intérieure qui peut durer aussi longtemps qu’elle reste unie au Christ. Aimer ce n’est pas être aimé. Lorsqu’on dit qu’« aimer c’est tout donner », on n’a jamais dit que c’est pour mieux recevoir, mais bien donner gratuitement, sans arrière-pensée, sans rien attendre en retour et c’est tout le contraire de ceux qui donnent peu en espérant recevoir beaucoup. Cela s’appelle du calcul grossier, indigne du chrétien. On ne triche pas avec Dieu. Apprenons à aimer. Et c’est en regardant le Christ, le Christ dans sa Passion, qu’on apprend à aimer. Les lois divines sont toujours des lois d’amour. Appliquons-les, avec la grâce de Dieu et l’aide de Marie.